KENYA

Publication_year: 
2009
Summary: 
Le capitalisme néolibéral a perdu sa raison d’être. Il s'agit d'une crise structurelle de la démocratie libérale, mais au Kenya le Gouvernement refuse de voir la réalité et fait l'autruche qui met la tête dans le sable. L’élite gouvernante affirme que la crise est circonstancielle et que l’économie nationale est suffisamment protégée en raison de la faiblesse de ses liens avec le capital international. La société civile kényane continue à avertir que, contrairement aux prédictions du gouvernement, le pays est sur le point de plonger dans les eaux turbulentes du néolibéralisme.

L’orthodoxie néolibérale et le jeu de l’autruche

Social Development Network
Prof. Edward Oyugi
Philip Thigo
SEATINI KENYA
Oduor Ongwen
Kenya Debt Relief Network
Wahu Kaara
BEACON
Rebecca Tanui
Daraja-Civic Initiatives Forum
Don Bonyo
Futa Magendo Chapters
Ayoma Matunga
Mazira Foundation
Eddy Orinda
Haki Elimu
Opiata Odindo
Kenya Land Alliance
Odenda Lumumba
Migori Clan
William Janak
KETAM
James Kamau
Kenya-Cuba Friendship Association
Mwandawiro Mganga
Bunge la Mwananchi
George Nyongesa
ChildFund Africa Region
Andiwo Obondoh
Undugu Society of Kenya
Alloys Opiyo

Le capitalisme néolibéral a perdu sa raison d’être. Il s'agit d'une crise structurelle de la démocratie libérale, mais au Kenya le Gouvernement refuse de voir la réalité et fait l'autruche qui met la tête dans le sable. L’élite gouvernante affirme que la crise est circonstancielle et que l’économie nationale est suffisamment protégée en raison de la faiblesse de ses liens avec le capital international. La société civile kényane continue à avertir que, contrairement aux prédictions du gouvernement, le pays est sur le point de plonger dans les eaux turbulentes du néolibéralisme.

Après trente ans de capitalisme de marché libre, sans obstacles et fondé sur un modèle néolibéral, les défaillances d’un système obsolète ne peuvent plus être cachées.
La marchandisation et la privatisation des actifs publics, considérés essentiels jusqu’à présent pour assurer la prospérité, ont provoqué le transfert des actifs du domaine public et populaire aux domaines privés des classes privilégiées. Par conséquent, la « financiarisation1 » rapace et spéculative des transactions commerciales a provoqué une forte augmentation des transactions financières quotidiennes sur les marchés internationaux, qui sont passées de  2.300 millions d’USD en 1983 à 130.000 d’USD millions en 2001.  Il n’est pas étonnant alors de constater que la dérèglementation ait permis que les systèmes financiers assument un rôle protagoniste dans la redistribution par le biais de la spéculation, la déprédation, la fraude effrontée et le vol. Les plans visant à la relance peuvent représenter un chemin technique dans la direction correcte, notamment si ceux-ci peuvent fonctionner depuis le bas vers le haut et non le contraire par un système bancaire inerte. Néanmoins, ces plans sont encore –essentiellement– des solutions techniques conçues pour relancer la demande et parvenir à ce que les consommateurs continuent à acheter au lieu de leur permettre de remettre en question la prétendue efficacité du capitalisme néolibéral.

Le Kenya est très familiarisé avec les promotions des valeurs, les pyramides financières (schémas Ponzi), la destruction des actifs structurés par l’inflation qui a été fortement lié à l’anéantissement des actifs provoqué par la privatisation frauduleuse, l’esclavage des débiteurs, les escroqueries corporatives et le dépossession effrontée des actifs, tel que dans le cas de l’anéantissement débridé du Fonds National de la Sécurité Sociale (FNSS). Cette situation a enfin mené à des effondrements para-étatiques et à l'anéantissement des valeurs à cause de la manipulation du crédit et les manipulations malhonnêtes des personnes liées au marché du capital, tels que Suntra Investments, Nyaga Brokers Ltd., Francis Thuo Ltd. et d’autres.

Le FNSS a été créé en 1966 comme un fonds provisoire obligatoire pour la totalité des travailleurs du pays. Bien que les travailleurs et les employeurs ne contribuent qu’avec 400 KES (5,4 USD) par mois,  le Fonds dispose –par la force de son énorme taille– d’un portefeuille cumulé qui s’élève à plus de 80 KES milliards (1.079 millions d’USD) ce qui équivaut à 8,2 % environ du PIB du pays.  Le Gouvernement continue à faire usage du Fonds pour ses partenaires les plus proches, en oubliant qu’il s’agit d’un plan contractuel d’épargne et d’investissement destiné au soutien de la retraite. À l’origine, le FNSS n’était qu’un département au sein du Ministère du Travail, mais en 1987 il est devenu un service para-étatique autonome. Depuis ce moment-là, les retraités n’ont éprouvé que de la mélancolie.

Au cours de la campagne des premières élections multipartites des années 1991-1992, le FNSS a été utilisé comme source principale de fonds pour payer des subornations destinées à huiler la machinerie de la campagne électorale du parti officiel Kenya African National Union (KANU). L’argent des retraités a été retiré du Fonds afin de financer des affaires immobilières suspectes qui faisant naître des millionnaires du jour au lendemain parmi les jeunes connus à cette époque-là comme la  Jeunesse pour KANU ’92 .  Le FNSS a continué à être utilisé comme vache à lait  par des individus ayant des liens politiques, et cette situation n'a été publiée par la presse que 10 ans plus tard, lorsqu’au cours d’un accord préélectoral en 2002 le Fonds a perdu un montant de 256 millions de KES (3,45 millions d’USD) pour une escroquerie avec l’Euro Bank dans le financement de la campagne présidentielle.

Fidèle à ses habitudes, le FNSS a retrouvé son célèbre profil lors des élections suivantes. Un terrain commercial adjacent au Laico (ancien Grand) Regency Hotel, également en proie au scandale, a été vendu au moins offrant. D’après ce qui a été divulgué, le FNSS a rejeté une offre pour un montant de 1.400 millions de KES (18,88 millions d’USD) pour ce terrain et en a accepté une autre pour un montant de 1.300 millions de KES (17,53 millions d’USD) après que le moins offrant ait offert une « enveloppe » aux syndics pour un montant de 650 millions de KES ( 8,77 millions d’USD). La Direction du Fonds l’a nié, mais au mois de juillet 2008 le Ministre du Travail a dissous le Directoire et a renvoyé le Syndic Général afin de préparer le terrain pour enquêter sur ce scandale et sur d’autres également. En septembre 2008 le FNSS était sur le point de perdre 1 milliard de KES ( 13,49 millions d’USD) chez Discount Security –une société de courtage de valeurs s'étant effondré et liée à un ancien syndic général du FNSS, d'après les informations. Le fait que l’État néolibéral doive éviter le marché pour des raisons d’efficacité stratégique est une supercherie mise à nue car, au lieu de maximiser son efficacité hors du marché, il a acquis le rôle d'agent principal des politiques de redistribution, investissant le flux des ressources de la classe dominante à la classe ouvrière, ce qui ne peut être associé qu’à l'ère du libéralisme enraciné ; et subventionnant les personnes riches de la société d'une manière efficace par des  pratiques de déflation confiscatoire2.  

Traitement de faveur pour les criminels

Nulle part cette idée n’est démontrée avec autant de crudeur que comme dans le cas de la fraude publique de l'Offre Publique Initiale (OPI) des actions de Safaricom. En dépit du désaccord des organisations de surveillance de la société civile et du Mouvement Démocratique Orange – le partenaire principal de la coalition de l’administration Kibaki – le Gouvernement du Kenya a décidé de se défaire de 25 % de ses actions à Safaricom, une compagnie de téléphonie mobile, pour percevoir 50 milliards de KES (674 millions d’USD), montant nécessaire pour couvrir son déficit budgétaire.

Deux inquiétudes surgissent. Premièrement : comment est-il possible qu’une compagnie anonyme et étrangère, connue sous le nom de Mobitelea, puisse avoir 10 % et après 5 % d’une entreprise publique au Kenya et, ce qui est plus le déconcertant encore : pourquoi cette compagnie étrangère n’a jamais payé un centime pour acquérir des actions à Safaricom ?   Deuxièmement : lorsque le Gouvernement a offert la vente de 25 % de ses actions à Safaricom, il a fait croire aux citoyens que ces actions rendraient publique la propriété de cette entreprise.  Néanmoins, lorsque Safaricom a enfin été mise en vente, la citoyenneté n’a pas eu le droit de disposer de la première option pour donner une réponse négative. Ils ont dû se mettre en concurrence avec le reste de l'Afrique Orientale tandis que 35 % sur les 25 % des actions offertes par le Gouvernement était réservé à certains investisseurs étrangers anonymes.  D’après les rumeurs, ces investisseurs appartiennent à l’oligarchie locale, ayant des intérêts très forts dans des compagnies offshore. Comme si cette escroquerie n’était pas suffisante, l’OPI (la première offre au public des actions de la compagnie en bourse) a été effrontément survendue. Enfin, les courtiers en bourse de Safaricom ont dû rembourser une somme équivalente à 236 milliards de KES ( 3.183 millions d’USD) dont 119 milliards de KES (1.605 millions d’USD) appartenaient à la population locale. Presque un an plus tard, la plupart des candidats (dont l'énorme majorité correspond à des gens ordinaires qui ont obtenu des prêts bancaires) n’a pas encore reçu ses remboursements, et les actions de Safaricom sont tombées de plus de 50 % pendant la semaine du 9 mars 2009.

La Bourse de Nairobi a été récemment témoin d'une croissance soudaine des courtiers malhonnêtes en valeurs immobilières à la bourse. En moins de deux ans, quatre de ces sociétés de courtage ont dû fermer leurs portes après que des activités frauduleuses et des vols effrontés des fonds d’investissements des clients ont été mis à découvert. Parmi ces sociétés, la première dont la situation a être mise en lumière fut Francis Thuo Stock Brokers, que la Bourse a suspendu en 2007.  Il convient de remarquer que son propriétaire, M. Francis Thou, a été le président de la Bourse pendant longtemps. A l’époque où cette entreprise était suspendue, plusieurs plaintes ont été déposées contre une autre société Nyaga Stock Brokers auprès de l’organisme régulateur, l’Autorité du Marché du Capital (AMC). Mais aucune mesure n’a été prise à ce sujet. Enfin, la presse locale a publié en mars 2008 que le capital opérationnel de Nyaga non seulement était négatif mais que l’entreprise avait utilisé les profits obtenus par la commercialisation illégale des actions des clients pour étayer son capital opérationnel. La Bourse a fait semblant d’être surprise, et a créé tout de suite un plan de rachat pour un montant de 100 millions de KES (1,4 millions d’USD) afin de protéger les clients affectés. Après cet événement, personne n'a plus rien dit. Jusqu’à présent, ni Nyaga ni Francis Thuo n’ont eu à répondre d’accusations criminelles.

Ensuite, Discount Securities et Suntra Investments ont suivi le même chemin. Le traitement  faveur accordé à ces entreprises criminelles donne l’aval non seulement au caractère débridé des mauvaises pratiques de la Bourse mais aussi à l’abus du célèbre marché libre et efficace, ce qui est encore plus grave. Une partie de la société civile exige sans cesse qu’un marché gérant des fonds publics d’une telle envergure doit avoir une entité régulatrice forte, efficace et indépendante. L’AMC n’est pas qualifiée pour cela : cette autorité est obsédée par le maintien du statu quo, en permettant que les courtiers en bourse malhonnêtes gardent le contrôle avec leurs jeux perpétuels et leurs manipulations de pouvoir.

Au cours des 20 dernières années, pas moins de 20 banques commerciales privées ont fait faillite avec les fortunes des déposants – notamment celles des retraités et des épargnants du secteur informel – estimées à 70.000 millions de KES (944 millions d’USD). Parmi les banques privées et les institutions financières qui se sont effondrées entraînant la perte des fonds des déposants se trouvent : Rural Urban Finance Company, Jimba Credit Finance (propriété de la Bourse de Nairobi, Jimna Mbaru), Trade Bank, Trust Bank, Continental Bank (propriété de certaines personnes proches du président Kibaki) et Euro Bank. Au Kenya, ces criminels continuent à être désignés à de hautes fonctions publiques. Le 16 décembre 2008 – en plein milieu de la crise financière mondiale croissante – le Cabinet a décidé de privatiser d’autres institutions financières, y compris le National Bank of Kenya et le Consolidated Bank.

 

Le jeu de l’autruche

Tandis que les doutes concernant l’efficacité immuable des forces du marché dans les principales économies capitalistes ne cessent d’augmenter, les économies du Sud – leurs clients – refusent toujours de voir la réalité et gardent une confiance aveugle en la nature cyclique des crises capitalistes.  Lorsque les principes économiques qui nourrissent les économies de marché libre ont commencé à s’effondrer, l’élite politique kényane, telle l’autruche légendaire du désert, a enfoui sa tête dans le sable en attendant que la crise se passe. Face à ce silence, les organisations de la société civile préviennent que le navire économique du Kenya prend l’eau et que les mesures de sauvetage s’avèrent urgentes.

Les occasions de provoquer un désaccord augmentent, et celles-ci doivent être prises en compte avant que le pays ne subisse une résurgence néoconservatrice. Pendant ce temps, l’illusion affirmant que les économies du Sud seront protégées de l’effondrement car n’étant absolument pas intégrées à l’économie capitaliste globale, et qu’elles peuvent même en bénéficier grâce à l’escalade de la demande interne, est une idée qui doit être rejetée.  La descente cyclique (bien que sévère) des fortunes historiques du capitalisme est confondue avec la crise fondamentale.  L’élite kényane gouvernante ne s'est pas encore aperçue de l’imminence du désastre: l’insécurité alimentaire massive, le désastre environnemental imminent (de la Forêt Mau, du Mont Kenya, du Lac Victoria, etc.), le chômage/sous-emploi, l’escalade des délits, la disparité entre les riches et les pauvres, la diminution du tourisme et du volume des fonds provenant de l'étranger.

Au lieu de prendre garde, la récente Conférence Nationale « Le Kenya Que Nous Désirons », ainsi que l'instrument politique actuel pour transformer le Kenya en une économie de revenus moyens pour l'année 2030 (« Vision 2030 »), adhèrent toujours au Consensus de Washington, totalement discrédité. Même si les économies occidentales injectent de nouveaux fonds de rachat massif dans leurs institutions financières, et dans certains cas étatisent à nouveau leurs banques, le Parlement kényan légifère à présent la privatisation des maigres actifs sociaux stratégiques qui restent encore, afin de fournir au gouvernement une injection unique de revenus3

Il est probable que les plans préférés par les gouvernements occidentaux visant à la relance et au sauvetage n'établiront pas de différence remarquable, au-delà de l’harmonisation des réponses à la crise du Gouvernement et des entreprises. En tant que mesures provisoires, ces plans ne peuvent que retarder ce qui est inévitable. Si la propriété des moyens de production n’est pas démocratisée, et si les mécanismes internes de l’économie nationale ne sont pas renforcés, l'initiative de restructure globale de Klaus Schwab, lancée à Davos au mois de février 2009, ne pourra rien faire pour résoudre le problème de la crise. Face à cette situation, même les traités commerciaux aujourd'hui en discussion, ainsi que les Accords d'Association Économique (AAE) doivent être renégociés.

Souvent, un moment épique dans l’histoire de la pratique sociale est catalysé par des catastrophes comme celle que nous expérimentons à présent, notamment celles qui entraînent des changements substantiels en ce qui concerne les attitudes et les conduites sociales. On pouvait apercevoir les signes de difficultés du capitalisme depuis très longtemps, mais de manière progressive. Maintenant ils sont évidents. Le système capitaliste mondial ne mérite aucune remise à niveau.  Il exige une reconstruction faite par de nouveaux acteurs, favorisés par l’histoire. C’est la crise de la démocratie libérale, dont la tentative d'offrir justice économique et équité a échoué.

 

1 N. du T.: financialisation : mot anglais qui définit l’acheminement de l’investissement vers la spéculation financière.

2 Voir : Wade, R. Governing the Market: Economic Theory and the Role of Government in East Asian Industrialization. Princeton : Princeton University Press, 1992.

3 Organisations devant être privatisées : Compagnie de Génération d’Électricité du Kenya (KENGEN) ; Kenya Pipeline Company ; Compagnie Sucrière Chemelil; Compagnie Sucrière Sony ; Compagnie Sucrière Nzoia ; Compagnie Sucrière Miwani ; Compagnie Sucrière Muhoroni ; Autorité pour le Développement du Tourisme du Kenya et certains hôtels ; Banque Nationale du Kenya ; Consolidated Bank ; Banque pour le Développement du Kenya ; Kenya Wine Agencies Ltd ; East African Portland Cement Company ; Commission de la Viande du Kenya ; New Kenya Cooperative Creameries ; Autorité Portuaire du Kenya, par le biais d’un terminal à conteneurs à Eldoret, la sous-traitance des services d’arrimage et la construction de nouvelles amarres.

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