RAPPORTS THÉMATIQUES

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2010
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Climat planétaire : l’effondrement de Copenhague

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2010
RAPPORT ANNUEL : 
Yes

Md Shamsuddoha
Equity and Justice Working Group Bangladesh[1]

La 15e Conférence de l’ONU sur le Changement climatique qui s’est déroulée à Copenhague en décembre  2009, n’a abouti à aucun accord équitable et juridiquement contraignant sur la définition des objectifs substantiels à atteindre pour la  réduction des émissions, pas plus que sur  le financement, ou l’assistance technologique, ni à une feuille de route précise visant un développement écologique destiné à éviter les impacts dangereux du changement climatique. L’accord de Copenhague n’est pas un effort collectif pour enrayer la crise climatique et n’est pas non plus un cadre exhaustif qui requiert la participation efficace, transparente et responsable de toutes les parties intéressées – gouvernements, organisations de la société civile et institutions financières – dans leur ensemble.

La 15e Conférence des Parties (CoP15) de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique  (CCNUCC), qui s’est déroulée à Copenhague en décembre 2009, n’a pas abouti à l’accord juridiquement contraignant requis pour que l’augmentation de la température moyenne mondiale ne dépasse pas 2º Celsius. Les différents intérêts des parties ont scindé  la CCNUCC en deux groupes : les 40 pays industrialisés et les économies en transition qui figurent en Annexe I, et les pays qui  n’y figurent pas. Les 26 membres du soi-disant « groupe représentatif des leaders », qui sont pour la plupart des pays figurant dans l’Annexe I, n’ont su établir un Accord qu’après un processus de négociation non transparent, vertical et très restrictif.

Le mécanisme de « révision et d’engagement de bas en haut » en matière de réduction des émissions[2] établi par cet Accord n’atteindra pas les objectifs de réduction que conseille le Groupe  intergouvernemental d´experts sur l’évolution du climat : entre 25 % et 40 % en dessous du niveau de 1990. Les engagements qui ont été assumés jusqu’à présent en vertu de l’Accord ne reflètent pas les exigences des délégués qui souhaitaient des actions ou des engagements « ambitieux » et  « énergiques » pour l’atténuation des effets. De fait, l’approbation d’un Accord  « non juridiquement contraignant » est une réussite diplomatique pour les pays développés et pour les pays en développement les plus avancés.

Copenhague : attentes déçues

Depuis l’approbation du Plan d’action de Bali lors de la 13e Conférence des Parties en décembre 2007, des milliers de délégués ont travaillé dans le Groupe de travail spécial sur l’action concertée à long terme au titre de la Convention (AWG-LCA, en anglais) et le Groupe de travail spécial des nouveaux engagements des parties figurant en annexe I, au titre du Protocole de Kyoto (AWG-KP, en anglais). Même à Copenhague, malgré leurs nombreuses  divergences, les délégués ont travaillé avec ardeur pour réduire au maximum les distances, puis ils ont présenté à la séance plénière de clôture des documents entièrement actualisés émanant des deux groupes de travail.

Avec ceci agissant comme toile de fond, la présidence danoise a tenté en parallèle d’imposer une proposition du « groupe représentatif de leaders ». Lorsque Lars Løkke Rasmussen, le Premier ministre danois, a présenté l’Accord de Copenhague devant la CoP et demandé son adoption, il a été durement critiqué pour recourir à un procédé de prise de décisions vertical contraire à la charte de l’ONU et défiant les habitudes traditionnelles et historiques des prises de décisions de l’organisation.

Alors que les conversations sur le climat avaient été jusque-là des plus transparentes des négociations internationales, la réunion de Copenhague a fortement restreint la participation des représentants de la société civile, pourtant dûment accrédités et autorisés par décret à participer à tout le processus. Les derniers jours les représentants de la société civile se sont vus réduits à une centaine. Bien que certains pays en développement et d’autres pays moins avancés (PMA) aient soutenu l’adoption de l’Accord, nombreux ont été les pays en développement qui ont condamné la procédure  la considérant « non transparente » et « antidémocratique », et qui ont refusé de soutenir l’Accord en tant que décision de la CoP.

Finalement, pendant une négociation informelle facilitée par Ban Ki-Moon, Secrétaire Général de l’ONU, les parties ont convenu d’adopter une décision de la CoP dans laquelle la Conférence « prend note » de l’Accord, ce qui veut dire qu’elle n’a été ni adoptée ni admise par la réunion. L’Accord ne peut donc pas être considéré comme un « effort collectif » pour combattre la crise climatique. La construction d’un effort collectif requiert la participation efficace, transparente et responsable de toutes les parties impliquées – gouvernements, organisations de la société civile et institutions financières – agissant de façon globale et garantissant qu’elles oeuvreront toutes de manière équitable au service de la prospérité, du bien-être et de la durabilité mondiales.

Un objectif d’atténuation catégorique

La stabilisation de la concentration des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère à un niveau qui empêche les interférences anthropogéniques dangereuses (DAI, en anglais)[3] avec le système climatique constitue l’objectif principal de la CCNUCC. En général on admet, sur la base des pronostics scientifiques, que l’augmentation de la température doit être inférieur à 2 degrés Celsius[4]. Le monde en développement a invité les pays industrialisés à s’engager à réduire leurs émissions entre 40 % et 45 % à l’horizon 2020, par rapport au point de référence de 1990[5].

Lors des conversations, toutes les parties ont demandé une réduction  « énergique » et « ambitieuse » des émissions, sans que l’on sache trop bien ce que ces mots impliquent. De même, l’Accord ne mentionne pas de chiffres qui quantifient la réduction des émissions à laquelle les pays développés s’engageaient pour l’après 2012, qu’il s’agisse d’objectifs intégrés ou d’objectifs spécifiques nationaux. Même si la grande majorité des pays concernés par l’Accord a réaffirmé le fait que le changement climatique est l’enjeu mondial actuel le plus pressant, aucun objectif obligatoire ou juridiquement contraignant n’y est consigné.

Plus de 120 pays, responsables de plus de quatre cinquièmes des émissions de GES du monde, ont décidé d’apporter leur soutien à l’Accord, et nombreux sont ceux qui ont présenté une déclaration de réduction d’émissions volontaire à travers un procédé « d’engagement et de révision ».  Cependant, bien que les engagements dépendent du scrutin international, il n’existe pas de mécanismes pour assurer que des actions visant à atteindre les objectifs ont été réalisées. Qui plus est, même si les engagements actuels sont tenus dans leur intégrité, il est possible que la température moyenne mondiale augmente de trois degrés ou plus d’ici la fin du siècle[6].

Dégradation de l’esprit de la Convention

La CCNUCC établit des bases solides pour un régime inclusif, équitable et efficace en matière de changement climatique international, qui aborde avec fermeté l’obligation de stabiliser le système climatique tout en reconnaissant le droit des pays à se développer pour faire face à la pauvreté et à la sécurité alimentaire. La Convention est fondée sur le principe d’équité selon lequel les pays développés, majoritairement responsables du problème du changement climatique, doivent « prendre les devants », et sur le principe des responsabilités collectives mais différenciées pour tous les pays. De fait, l’adoption d’un Accord non juridiquement contraignant est une réussite diplomatique pour les pays développés et pour les pays en développement les plus avancés.

Les tentatives des pays développés pour renforcer et répandre le modèle de « l’engagement et de la révision » sous le masque de l’Accord de Copenhague leur aurait permis d’échapper à leur responsabilité et à la dette de carbone qu’ils ont acquise envers les pays en développement en raison de l’usage historique et excessif qu’ils ont fait de l’espace atmosphérique de la planète. Cet excès de la consommation a donné lieu à une dette d’adaptation, puisque les pays en développement sont ceux qui ont subi – et continuent à subir – les pires impacts du changement climatique, et aussi à une dette d’émissions. Par conséquent, il incombe aux pays développés d’entreprendre la réduction énergique des émissions internes et de permettre aux pays en développement d’augmenter les leurs afin de pouvoir couvrir leurs besoins de développement durable.

Financement de l’adaptation : de gros nuages mais peu de pluies 

Les plus amples stratégies destinées à enrayer le changement climatique (par exemple, l’atténuation, l’adaptation et l’aide au développement et la croissance existantes) sont reliées entre elles et constituent un véritable défi pour les pays en développement qui auront besoin de ressources financières nouvelles, additionnelles et progressives en vue de leur mise en oeuvre.

Il faut offrir un financement pour l’adaptation – financer l’adaptation des pays en développement au changement climatique – pour qu’ils puissent construire leur capacité sociale et économique et absorber les impacts actuels et futurs. Parmi les aspects à prendre en compte figurent : le développement de « l’adaptation au changement climatique »[7], la croissance  économique, l’Aide publique au développement (APD) et l’infrastructure existante ;  des investissements supplémentaires pour une infrastructure nouvelle ; le coût de l’adaptation dans les domaines communautaires ; la construction des capacités ; la restauration des services de l’écosystème ; l’attention au déplacement massif ; et l’intégration de l’adaptation aux stratégies de réduction de la pauvreté et les programmes et politiques gouvernementales pertinents. Voilà pourquoi le montant du financement pour l’adaptation est une préoccupation essentielle pour les PMA, pour les Petits états insulaires en développement (PEID)[8] et pour les pays africains qui risquent le plus d’être touchés par les impacts du changement climatique.

Différentes études ont calculé le montant du financement que l’adaptation exige. Oxfam l’évalue à plus de USD 50 milliards [9], le PNUD à  USD 86 milliards [10] et la CCNUCC entre USD 28 et 67 milliards [11] par an. Un autre rapport sur les flux financiers élaboré par le Secrétariat de la CCNUCC a estimé que les ressources financières nécessaires à l’horizon 2030 seront de USD130 milliards pour les activités d’atténuation et de plusieurs centaines de milliards pour l’adaptation, rien que pour les pays en développement. Non contents de ces estimations hétérogènes, fondées en général sur des méthodologies différentes « verticales », les pays en développement ont demandé entre 1 % et 1,5 % du Produit intérieur brut (PIB) des pays développés, indépendamment de l’engagement de l’APD déjà pacté. La Chine a proposé que les pays développés s’engagent à apporter 0,5 % du PIB en dédommagement pour le changement climatique, en plus du 0,7 % d’APD établi par le Consensus de Monterrey[12] (soit USD 260 milliards en 2007)[13].

C’est dans ce contexte que l’Accord de Copenhague prévoit que le chiffre de USD 30 milliards destiné aux « ressources nouvelles et additionnelles » sur la période 2010-2012 peut constituer l’engagement collectif des pays développés « avec des affectations équilibrées entre l’adaptation et l’atténuation » [14]. Alors que les PMA et les PEID, ainsi que l’Afrique en général, auront un accès préférentiel aux fonds  pour l’adaptation, l’engagement actuel est insignifiant. Qui plus est, il n’y est fait aucune mention du montant qui serait réservé au financement de l’adaptation au-delà de 2012. Dans l’Accord de Copenhague, les projections de financement à long terme pour l’adaptation dans les pays les plus vulnérables sont tout simplement négligées.

La situation est sombre : tandis que les pays développés ont montré un intérêt commun et différencié quant à la résolution de la crise financière causée par l’effondrement des marchés, ils ont été réticents à montrer le même intérêt pour résoudre la crise climatique dont ils sont responsables. Cependant, par rapport aux USD 20 milliards d´opérations de remise à flot et de garanties sans conditions que les gouvernements des pays développés ont offert au secteur privé pendant la crise, le montant nécessaire pour aborder le changement climatique est relativement petit[15].

Légitimation de l’instrument néo-colonial

Quelle que soit la somme, l’idéologie du financement climatique est une préoccupation cruciale pour les pays en développement. Pendant la séance plénière de clôture de la CoP15, de nombreux délégués occidentaux ont voulu lier les fonds qu’ils offraient aux pays en développement à la condition préliminaire qu’ils acceptent l’Accord – ce que les délégués des pays en développement ont qualifié de « tentative de subornation ». Ed Miliband, le ministre de l’Énergie et du climat du Royaume-Uni, a dit de façon très spécifique que si les délégués n’acceptaient pas l’Accord « ces fonds ne serait pas mis en œuvre »[16]. Le délégué des États-Unis s’est exprimé dans des termes semblables.  

Ces tentatives de soumission du financement à l’adoption préalable de l’Accord n’adhèrent pas au concept de financement de la CCNUCC auquel se sont engagés les pays développés. Qui plus est, certains se sont référés de nouveau à l’APD comme étant la source de fonds la plus viable –alors qu’au cours des 30 dernières années les pays donneurs n’ont même pas tenu les engagements préexistants de l’APD. À l’heure actuelle, tous les instruments internationaux de financement de l’adaptation – excepté le Fonds d’adaptation du protocole de Kyoto qui a été mis en œuvre il n’y a pas longtemps – se réapprovisionnent par des donations bilatérales au même titre que l’APD, généralement au moyen d’architectures financières existantes.

La bataille entre les pays développés et les pays en développement pour établir une architecture financière en vue du financement de l’adaptation et de l’atténuation a été longue. Pour ce qui est de l’administration des fonds, les pays développés voulaient maintenir l’architecture financière existante, le Fonds pour l’Environnement mondial (FEM), tandis que les pays en développement, considérant que le modèle de financement du FEM était difficile d’accès, exigeaient pour leur part qu’une institution différente soit établie. La solution à cette question a été  l’établissement consensuel d’un Conseil du fonds d’adaptation dont les membres sont élus par les Parties de la Convention et sont placés sous son autorité directe.

Étant donné les modèles de responsabilité historique différentiels, le coût de l’adaptation est perçu comme une dette que le monde industrialisé doit assumer puisqu’il en est le majeur responsable. Les dettes ne peuvent pas se solder par des emprunts, ni même par des subventions ; le concept va au-delà du soi-disant rapport « donneur-récepteur » ou « sponsor-client ». Par ailleurs, le financement est offert aux pays qui remplissent déjà toutes les conditions pour recevoir des prêts souples des banques multilatérales de développement (BMD), c’est-à-dire que les pays participants doivent, pour avoir accès aux prêts, remplir les conditions requises établies par les BMD. Ces institutions n’ont aucune crédibilité auprès de l’administration de ces fonds étant donné leurs mauvais procédés en matière de protection sociale et environnementale, leur manque de gouvernance démocratique ou d’engagement envers la transparence et la reddition des comptes, et les prêts significatifs  effectués en ce moment et par le passé aux hydrocarbures[17]. Les BMD sont des outils de type  néo-colonial ; les légitimer en tant qu’entités opérationnelles du financement climatique reviendrait à remodeler sans plus les politiques d’aide des pays développés.

La « mort » de Kyoto

À la suite des résultats frustrants de la Conférence de Copenhague, une nouvelle polarisation a surgi à propos de la diplomatie sur le climat. D’autre part, l’Accord n’apporte pas davantage de clarté sur la façon dont se déroulera le processus des négociations.

En  ce qui concerne le Plan d’Action de Bali, adopté pendant la CoP 13 en décembre 2007, les négociations suivent deux voies différentes: celle de l’AWG-LCA, qui négocie l’augmentation des actions visant à garantir la pleine exécution, efficace et soutenue de la Convention, et celle de l’AWG-KP, qui a pour tâche de fixer les objectifs de réduction pour la période d’engagements postérieure à 2012, au moment où des analyses scientifiques exigent que des réductions décisives d’au moins 25 % à 40 % soient effectuées d’ici à 2020. Seul le Protocole de Kyoto stipule une période d’engagements comprise entre 2008 et 2012 et fixe des objectifs communs et individuels juridiquement contraignants pour les Parties figurant en Annexe I, variant d’un pays à l’autre, pour réduire les émissions de GES.

Presque tous les pays développés se sont unis pour élever leur voix dans l’espoir de démanteler le Protocole de Kyoto, de regrouper les deux voies en une seule et de produire un résultat légal qui garantisse l’inclusion des pays en développement les plus avancés. Les États-Unis, par exemple, n’ont pas l’intention de ratifier le Protocole ni d’accepter un accord juridiquement contraignant. Ils préfèrent, au lieu de cela, un « accord d’exécution » de bas en haut qui, sur la base d’un ensemble de décisions claires et conformes à la CCNUCC, formalise et renforce les stipulations actuelles de la Convention sur le Changement climatique concernant les engagements pour réduire l’émission de GES volontaires, non juridiquement contraignants et recouvrant toute l’économie, et informer sur les émissions. Cette conception de « l’engagement et la révision » contredit ouvertement le Protocole de Kyoto et laisse toute liberté d’action aux pays pour décider du genre d’objectifs à adopter et de la manière de les réaliser. Alors que l’optique de Kyoto prévoit la réalisation de certains objectifs sur des périodes déterminées, ainsi que des évaluations sur la façon de les réaliser, le processus exigé dans l’Accord de Copenhague, quant à lui, ressemble aux négociations faites dans le cadre de l’ Organisation mondiale du commerce (OMC), où régulièrement, au bout de quelques années, les pays assument de nouveaux engagements pour réduire leurs barrières commerciales[18].

Le Protocole de Kyoto, qui a établi une coalition mondiale entre les politiques, les experts, les fonctionnaires, les organisations de la société civile et les gens du monde entier, décrivait un point de vue intégré visant à affronter les enjeux du changement climatique. Aujourd’hui, l´approche sélective des options préférables qu’adoptent les pays développés rappelle la phrase de l’administration Bush: « Kyoto est mort »[19]. À l’époque, l’affirmation avait été très critiquée dans les pays du monde entier ; à présent, ces mêmes pays doivent faire des efforts pour que le Protocole de Kyoto continue à fonctionner jusqu’à la phase suivante.

Le chemin qui mène à Cancun

Lors de la CoP 15 de Copenhague et de la CoP 13 de Bali, les pays parties ont formé trois blocs de négociation : (a) l’Union Européenne (UE), (b) les États-Unis, avec le soutien du Canada et du Japon, (c) le G77 et la Chine. Ce dernier groupe est le plus important puisqu’il rassemble 132 nations, y compris des pays en développement, PMA, et l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS, en anglais). C’est la plateforme de presque tous les pays ne figurant pas en Annexe I qui, en termes historiques, ne sont pas responsables de la crise climatique actuelle. Cependant, étant donné les disparités existant entre eux quant à la comparabilité économique et la croissance du PIB, c’est également le groupe le plus hétérogène et pratiquement pris dans le sillage des intérêts des pays en développement les plus avancés (le Chine, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud).

L’existence de ces trois blocs a mené à une « diplomatie climatique triangulaire ». Par exemple l’UE a adopté une position qui soutient un résultat légal unique et elle a surtout essayé de pousser les États-Unis, mais également les pays en développement les plus avancés, à accepter des engagements juridiquement contraignants. D’autre part, comme cela a été mentionné plus haut, les États-Unis ont cherché à promouvoir un « accord d’exécution ». De leur côté, les pays en développement les plus avancés ont mis en exergue la responsabilité historique des pays industrialisés, entre autres les États-Unis, les incitant à tenir les rênes du combat contre le changement climatique conformément aux engagements contractés selon l’article 3.1 de la CCNUCC.

Des divergences d’envergure se sont également produites entre d’autres intégrants du bloc du G77 et la Chine ; les PEID et les PMA ont exigé d’établir des négociations portant sur l’Action coopérative à long terme dans le but d’élaborer un protocole qui œuvre de pair avec le Protocole de Kyoto. Ce groupe de pays a également exigé une affectation préférentielle du financement de l’adaptation, proposition que les autres pays en développement les plus avancés n’ont pas secondé. Contrairement à ce qui se passe dans la géopolitique mondiale, les positions des États-Unis et de la Chine semblent se rapprocher en ce qui concerne la diplomatie climatique, étant donné que pour ces deux pays les intérêts nationaux priment sur les intérêts mondiaux.

La polarité multiple qui surgit dans la diplomatie climatique mondiale a pour résultat  de permettre aux différents acteurs-clés d’entraver toutes les avancées significatives lors des futures négociations pour la CoP 16, qui aura lieu en novembre de 2010 à Cancun (Mexique). S’il n’existe pas de posture politique complémentaire entre les pays en développement les plus avancés et les pays développés, les États-Unis entre autres, il est peu probable que des conquêtes et des résultats positifs soient remportés en termes de politique climatique. Qui plus est, la scission des parties du CCNUCC en deux groupes – les pays figurant en Annexe I et ceux n’y figurant pas – n’est plus adéquate étant donné la complexité de la politique climatique mondiale. Alors que nombreux sont les pays en développement et les économies émergentes qui insistent sur la nécessité de conserver cette dichotomie, il faut établir des différences au sein du groupe des pays ne figurant pas en Annexe I pour faciliter le processus des négociations. 

Conclusion

Une étude récente du PNUD sur les résultats de Copenhague[20] signale que la conférence n’est pas parvenue à  établir un accord global pour un futur cadre sur le changement climatique. Cependant, si pour les thèmes principaux les parties utilisaient l’Accord de Copenhague comme guide de politique générale, des progrès significatifs dans les négociations techniques de l’AWG-KP et de l’AWG-LCA pourraient être obtenus et les textes seraient plus vite conclus. En même temps, les inquiétudes des pays qui n’ont pas soutenu l’Accord seraient prises en compte.

En attendant, la première réunion des pays depuis  la Conférence de Copenhague a prolongé le mandat des deux groupes de travail ad hoc – l’AWG-LCA et l’AWG-KP.  Cette double voie de travail présente de grands avantages puisque une grande partie du cadre institutionnel requis existe déjà. Si cet axe de travail n’était pas adopté, les progrès déjà obtenus dans le processus de négociation seraient en péril.

Le financement climatique et les OMD
Ian Percy

La somme de USD 30 milliards destinée au financement « nouveau et additionnel » préconisée par l’Accord de Copenhague est loin d’être garantie. Ce chiffre reflète sans doute les priorités de l’ONU et l’engagement pris en ce qui concerne l’atténuation et l’adaptation pour le changement climatique, mais les tendances historiques ne sont pas encourageantes. Les pays développés donneurs ne sont pas en voie d’atteindre l’objectif du 0,7% du Revenu national brut (RNB) de l’APD d’ici à 2015. Il existe déjà des rapports de la société civile finlandaise, par exemple, dénonçant le fait que le financement climatique est prélevé sur le budget du développement[21]. La situation est similaire dans la plupart des pays qui ont contracté ces engagements. D’autre part, l’organisation BetterAid informe que l’on prévoit que les aides collectées devraient diminuer de plus de USD 2 milliards lorsque les fonds climatiques pour les pays de revenus moyens commenceront à grignoter le budget destiné à l’aide[22].

Les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) étant loin d’être réalisés, le développement reste très en retrait par rapport à d’autres objectifs un peu partout dans le monde. Le manque de financement pour le développement est souvent signalé comme étant la cause de la lenteur des avancées dans la réalisation des objectifs. Vu les tendances actuelles, on peut facilement imaginer une chute soudaine de l’APD destinée aux activités non climatiques. Les leaders politiques, surtout au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), sont soumis à des pressions chaque fois plus fortes leur demandant de prouver que l’aide qu’ils offrent donne des résultats. Les cibles de développement les moins quantitatives courent vraiment le risque d’être reléguées à un deuxième plan en faveur des stratégies vérifiables d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.

Pendant la 16e Conférence des Parties à Cancun les grands axes du financement climatique devront être établis, afin de garantir que les donneurs et les pays en développement ne perdent pas de vue les engagements liés au développement. En l’absence de qualifications vérifiables et concises concernant les fonds « nouveaux et additionnels », l’éducation et certaines autres priorités de développement risquent de devoir jouer un rôle secondaire face aux parcs éoliens et aux projets de biomasse.

[1] Ce document ne constitue l’expression de la position d’aucun pays partie ou d’aucun groupe.

[2] Ce mécanisme exige un procédé dynamique de coopération internationale dans lequel les pays doivent être qualifiés pour assumer des engagements renouvelés en ce qui concerne la réduction d’émissions de façon continue.

[3] Pour définir la DAI « il faut tenir compte de sujets non seulement scientifiques, mais aussi […] ceux de nature économique, politique et même éthique ». Voir Michael E. Mann, Defining dangerous anthropogenic interference, Actes de l’Académie Nationale des Sciences des États-Unis d’Amérique. Disponible sur : <www.pnas.org/content/106/11/4065.full>.

[4] CMNUCC, "Compte-rendu de la Conférence des Parties de la session Nº 15, célébrée à Copenhague du 7 au 9 décembre 2009, Appendice. Deuxième Partie : Mesures prises par la Conférence des Parties lors de la session Nº 15", FCCC/CP/2009/11/Add.1, 30 mars 2010, 5. Disponible sur : <unfccc.int/resource/docs/2009/cop15/eng/11a01.pdf>.

[5] Le Protocole de Kyoto a fixé l’année 1990 comme année de référence pour la mesure des réductions d’émissions accordées.  Cependant, le Quatrième rapport d’évaluation 2007 du Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique (IPCC, en anglais), a calculé les objectifs de réduction d’émissions en prenant comme année de référence l’an 2000.

[6] Wolfgang Sterk et. al., Something Was Rotten in the State of Denmark – Cop-Out in Copenhagen, Institut du Climat, Environnement et Énergie de Wuppertal, avril 2010. Disponible sur : <www.wupperinst.org/uploads/tx_wibeitrag/COP15-report.pdf>.

[7] “L’adaptation au changement climatique” est une phrase qui identifie les risques d’un projet de développement, ou tout autre actif naturel ou humain spécifique, à la suite de la  variabilité et du changement climatique, et qui assure la réduction de ces risques à des niveaux acceptables.

[8] Il y a 52 PEID – états intégrants et non intégrants de l’ONU –  dont dix sont des PMA.

[9] Oxfam, Adapting to climate change: what’s needed in poor countries, and who should pay.

[10] PNUD, Human Development Report 2007/2008: Fighting climate change.Human solidarity in a divided world  New-York, 2007.

[11]CMNUCC, Investment and financial flows to address climate change.

[12] Adopté pendant la Conférence internationale sur le financement du développement qui a eu lieu à Monterrey, Mexique, du 18 au 22 mars 2002.

[13] Basé sur le fait que l’APD de l’OCDE/CAD de 2007, de USD 104 milliards a atteint 0,28% du Revenu national brut de CAD (RNB). Source : OCDE (2008).

[14] CMNUCC, "Rapport sur la quinzième session de la Conférence des Parties", op.cit.

[15] Antonio Tricarico, If Keynes could sit at the climate negotiations table... Proposal for an "International Climate Union" and a SDR-based "Global Climate Fund". Notes pour des débats. GCRN1, 2010.

[16] Reuters, "US-led climate deal under threat in Copenhagen", 19 décembre 2009.

[17]ActionAid, Cereal Offenders, Rapport politique, juillet 2008.

[18] Harro van Asselt, Copenhagen chaos? Post-2012 climate change policy and international law, Amsterdam Law Forum, 2(2), 2010.

[19] Dick Thompson, “Why U.S. Environmentalists Pin Hopes on Europe?” Time, 26 mars 2001.

[20] Alina Averchenkova, The Outcomes of Copenhagen: The Negotiations and the Accord, Série sur la politique climatique du Groupe pour l’environnement et l’énergie du PNUD, février 2010. Disponible sur : <www.preventionweb.net/files/13330_UNDPBRMCopenhagenfinalweb.pdf>.

[21] Better Aid. Disponible sur : <www.betteraid.org/index.php?option=com_content&view=section&id=110&Itemid=60&lang=en>.

[22] Ibid.

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La crise économique: l’heure est à l’exécution d’un nouvel accord social

Publication_year: 
2010
RAPPORT ANNUEL : 
Yes

Edward Oyugi
Social Development Network, Nairobi, Kenya

L’idée que la crise financière mondiale n’est qu’un symptôme d’un trouble systémique – une crise de l’« économie réelle » – est chaque fois plus forte. Cependant les responsables ne veulent pas le voir. Il est impossible de réformer ou de réparer le système capitaliste avec des mesures insuffisantes pour la sécurité sociale qui ne révisent pas le noyau de sa logique sociétale. Seule la transformation totale de la société, centrée sur une nouvelle logique, peut mener à un monde où la priorité serait de satisfaire les besoins des êtres humains et non pas les profits des entreprises. 

Le dynamisme et la richesse mondiale que le système capitaliste a produit pendant les deux siècles précédents ont été obtenus à un coût élevé. La surprenante flexibilité du système lui a permis de relever de nombreux enjeux internes et externes, mais ceci au détriment des parties prenantes humaines et, toujours plus, de l’environnement.

Alors que la prospérité historique du capitalisme s’affaiblit, ses victimes et ses bénéficiaires doivent faire face à la difficile perspective de traiter les questions de la dégradation de la productivité, du manque d’équité, de la pauvreté généralisée et de l’aggravation de l’inefficacité distributive. Les personnes qui reconnaissent que la crise financière mondiale de nos jours n’est qu’un symptôme d’un problème plus systémique sont de plus en plus nombreuses.
L’« économie réelle » est en crise ; une crise du capitalisme qui a dépassé l’étape des troubles passagers et se trouve en phase terminale[1].

Dans le passé, le capitalisme a survécu grâce à la l’utilisation réitérée du mécanisme de l’auto-assainissement de la dette et du déficit social démocratique endémique en faisant passer le coût des ajustements nécessaires sur les faibles et les pauvres. Les crises terminaient par une dévaluation massive ou la destruction du capital, ainsi que par le chômage à grande échelle et la chute des salaires. Les bénéfices étaient ensuite restaurés avec de nouvelles et de plus grandes perspectives d’augmentation des taux de croissance.

En augmentant le chômage le capitalisme détruit le tissu social, provoque la destruction de quartiers entiers, la tension sociale et la violence. Le résultat en est l’augmentation de la disparité, le chômage généralisé et des conditions de pauvreté inacceptables pour une grande part de l’humanité. Cette fois-ci les caractéristiques génériques sont presque les mêmes, mais les dommages semblent résister à toutes mesures correctives. On peut constater que :

  • Les besoins sociaux et humanitaires continuent d’augmenter au fur et à mesure que les ressources nécessaires pour les pallier diminuent de façon constante ou simplement, dans beaucoup de cas, s’évaporent. La situation de la Grèce en 2010 en est un exemple.
  • La cohésion sociale est soumise à un stress qui ne s’était pas vu depuis des dizaines d’années. Ceci est surtout dû au fait que les groupes les plus défavorisés concourent pour des services de plus en plus rares, alors qu’il y a de plus en plus de « nouvelles » familles qui deviennent vulnérables et qui ont donc besoin d’un soutien externe provenant de sources non traditionnelles.
  • Les succès obtenus dans différentes régions pendant la dernière décennie risquent de disparaître complètement, non seulement pour les économies les moins avancées mais aussi pour les plus développées.
  • Si la croissance se nourrit du chômage, il s’agit alors d’une croissance artificielle.

 Le cadre systémique de la crise

Les politiques néolibérales appliquées par les intérêts corporatifs des différents secteurs sont directement responsables de cette crise. Cependant il n’est pas tout à fait vrai que le néolibéralisme signifie la dérégulation des marchés ; il s’agit plutôt de la régulation non déclarée des marchés en faveur des intérêts des tenants du capital. Ceci est mis en évidence par le système des brevets. La « propriété intellectuelle » n’était pas régulée et ceci depuis la nuit des temps ; les hommes et les femmes qui ont inventé la roue et les techniques agricoles n’ont pas obtenu de profits grâce à leurs inventions et cependant toutes les générations postérieures en ont profité. Ce n’est que sous le capitalisme que les corporations se pressent de breveter non seulement leurs inventions et découvertes mais aussi celles des autres. Ainsi, par exemple, les compagnies pharmaceutiques obtiennent des profits scandaleux lorsqu’elles vendent des médicaments qui sauvent des vies à des prix qui condamnent à mort la plupart des patients qui en ont besoin. C’est pourquoi lorsque l’on parle de régulation ou du manque de régulation, il est important de se rendre compte que chacune des modalités pourrait favoriser les intérêts hégémoniques dans le cadre d’une économie politique spécifique. Si l’on analyse en profondeur ce qui semble être une légère régulation, on pourra voir qu’il s’agit en réalité d’une régulation subtile qui favorise les intérêts du secteur dirigeant de la société.

En général le néolibéralisme s’est assuré de faire supprimer les régulations qui protègent spécialement les plus défavorisés économiquement et la population en général. C’est pourquoi de 1980 à nos jours, une dérégulation effrénée s’est effectuée dans la plupart des économies capitalistes et s’est propagée rapidement dans tous les régimes qui se trouvent sous l’influence du FMI et de la Banque mondiale. En 1999 la loi Glass-Steagall a été révoquée, ouvrant alors la voie pour que le néolibéralisme puisse étendre ses racines sur l’économie mondiale grâce au consensus de Washington. Cette loi avait été approuvée en 1993 lors de l’effondrement du système bancaire afin de séparer les banques commerciales (réception des dépôts et allocation des prêts) des affaires beaucoup plus risquées des banques d’investissements (garanties et ventes d’obligations et d’actions) et a aidé à stopper la ruée bancaire. Après la dérégulation, l’énergique « révolution de la sécurisation » qui a suivi, a permis de consolider les guerriers par excellence de l’économie capitaliste mondiale : les arnaqueurs de Wall Street.

Le système se fonde sur l’interaction non planifiée de milliers de corporations multinationales et des principaux gouvernements du nord. Il ressemble à un système de circulation sans démarcation des voies, signalisations, feux, limite de vitesse, ni même d’un code clair qui établisse que tout le monde doit conduire du même côté de la rue. En conséquence, il sera sûrement très difficile d’éviter que l’effondrement du secteur financier se généralise et devienne une affaire sérieuse dans les prochains mois ou les prochaines années. Plus vite on reconnaîtra que seule une minorité tire profit du capitalisme, plus vite on trouvera une solution démocratique pour la plupart des gens. Si les causes de ces misères sans fin sont systémiques, leurs solutions doivent l’être aussi.

Les transmetteurs de l’impact

Les processus d’intégration économique internationale laissent les états périphériques – et les états pauvres en particulier – de plus en plus dépourvus d’autorité pour régler les conditions qui définissent les relations entre le capital et le travail, les mécanismes opérationnels et les conditions d’accès aux marchés internes et l’enveloppe budgétaire pour le développement social équitable. Étant donné que les états constituent encore le cadre légitime pour les systèmes formels de participation politique, il risque de se produire un vide de légitimité au fur et à mesure que ces processus étendront leur influence sur toutes sortes de domaines illégitimes.

Pour beaucoup de pays et de sociétés du sud, l’intégration accélérée à l’économie mondiale a été accompagnée d’une disparité et d’une marginalisation de plus en plus grandes. Les cadres et les instruments institutionnels des politiques sociales, aussi bien nationales que locales, se sont affaiblis et sont devenus inefficaces pour faire face aux effets de la mondialisation néolibérale. Les entités supranationales telles que le FMI, la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) façonnent non seulement la distribution, la régulation et les prestations sociales dans le monde entier, mais aussi les exemptions des politiques sociales nationales et locales, entraînant la perte de pouvoir pour de grands secteurs de la société[2].

Malheureusement, les pays du sud qui ont la fermeté nécessaire pour recommencer et récupérer l’espace politique leur permettant de protéger les secteurs vulnérables de leurs sociétés ou pour couper les voies de transmission qui ont conduit les effets de la crise au sein des foyers et des lieux de travail des laissés-pour-compte, sont peu nombreux. Du point de vue macroéconomique, les pays en développement ont été touchés par la crise surtout à cause des mécanismes de transmission suivants :

  • La dérégulation des marchés financiers.
  • Le déséquilibre du commerce international qui penche du côté des puissantes économies du nord.
  • La dérégulation des flux de capitaux vers des repaires plus attrayants pour l’accumulation du capital.
  • La mauvaise budgétisation gouvernementale.
  • L’aide contre-productive.
  • La corruption.

Les mécanismes de protection sociale qui pourraient éviter la mauvaise influence de tout ce qui précède appartiennent à différentes catégories avec leurs instruments d’intervention respectifs. En premier lieu, en ce qui concerne la protection, des mesures telles que l’assistance sociale (par le biais des transferts publics et privés), les prestations pour handicapés, les pensions et les services sociaux, pourraient apporter un répit immédiat pour les personnes les plus vulnérables de toutes les sociétés. Par exemple, la Banque mondiale estime qu’au Kenya les transferts d’argent des kényans de l’étranger ont réduit le nombre de personnes qui vivaient dans la pauvreté absolue de 8,5 %[3],  mais le pays a vécu une brusque chute de plus de 10 % des transferts internationaux pendant le deuxième semestre de 2008.

En deuxième lieu, en ce qui concerne la prévention, mettre en œuvre des mécanismes tels que les sécurités sociales, les transferts sociaux et les sociétés d’épargne pourrait contribuer à prévenir les dommages subis par les mécanismes traditionnels de prise en charge. En troisième lieu, au niveau de la promotion il existe une grande variété de possibilités économiques qui pourraient être mises à disposition de la population grâce à des instruments tels que l’accès simple et durable au crédit, l’exonération de l’inscription scolaire, les programmes d’alimentation scolaires, les programmes de travaux publics  et les plans de soutien pour l’initiation agricole. Il est évident que de telles initiatives favoriseraient la flexibilité par le biais de l’augmentation de la diversification des moyens de vie et de la sécurité sociale en général.

En dernier lieu, en ce qui concerne la transformation sociale, les différentes catégories de vulnérabilité sous-jacente pourraient être traitées par des mécanismes de sécurité sociale[4], allant de la promotion des droits des minorités à l’établissement de fonds sociaux adéquats pour l’élaboration de politiques antidiscriminatoires. De telles initiatives rendraient à leur tour plus facile la transformation sociale nécessaire, ce qui conduirait à une notable réduction de l’exclusion sociale qui constitue la cause de conflits intermittents.

Les enjeux de la protection sociale

La crise actuelle a touché beaucoup de secteurs de la société, bien que de différentes façons et selon la situation géographique, la situation socio-économique et la source primaire des moyens de vie. Les pays qui ont des mouvements sociaux solides et une bonne tradition de réponse aux réclamations sociales en faveur des plus vulnérables (tels que l’Indonésie, les Philippines et certains pays d’Amérique latine) se sont servis des dynamiques de la réforme en cours pour construire avec un succès extraordinaire.

En Indonésie par exemple, le Gouvernement a vu l’utilité d’établir une Unité de contrôle et de réponse à la crise comme un premier pas vers une approche coordonnée pour traiter les effets de la crise financière. De plus, il s’est engagé à réviser le budget de façon drastique, afin de pouvoir y inclure les éléments supplémentaires d’une stratégie de stimulation fiscale dont les trois objectifs principaux seraient : augmenter ou maintenir le pouvoir d’achat de la population, stimuler le commerce et promouvoir les activités entrepreneuriales et accélérer la création de postes de travail et favoriser l’essor des petites entreprises. Grâce aux conditions initiales favorables et aux réponses politiques rapides, jusqu’à présent l’économie de l’Indonésie a surmonté la tempête avec des taux de croissance qui continuent d’être relativement élevés et des tendances qui sont toujours positives par rapport à la réduction de la pauvreté. En Afrique, par contre, dans la plupart des pays les mouvements sociaux sont faibles et il existe peu de mesures concrètes pour pallier la situation désespérée des pauvres.

Il n’y a pas de doutes que l’un des problèmes les plus graves causés par la crise économique est le chômage prolongé qui semble s’être installé. En général, le rythme de la récupération économique va loin derrière la croissance du Produit intérieur brut (PIB). Cependant, il existe une intervention prometteuse qui combine la création de postes de travail et l’amélioration des options des moyens de vie. Si elle est conçue en tenant compte des besoins des personnes les plus vulnérables, une politique de protection sociale de ce genre peut favoriser aussi bien le développement que l’égalité des sexes.  Pour cela il sera nécessaire d’établir un cadre politique de sécurité sociale et des instruments qui encouragent le développement social équitable afin qu’il existe une possibilité d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).

La protection sociale peut jouer un rôle intégral dans l’atténuation de l’impact affaiblissant de la pauvreté, surtout lors de crises telles que l’actuelle. Dans ce sens, elle représente une importante politique contre-cyclique. Cependant les réponses de la protection sociale à la crise capitaliste néolibérale présente ont été plutôt imperceptibles en plus de chaotiques. Certains pays ont choisi une grande série de mesures  de protection sociale et certains ont mis en œuvre leur intention de tenir les engagements pris avant la crise. Parmi les pays en développement, le Kenya et l’Ouganda se trouvent dans cette catégorie. D’autres, tels que le Ghana, ont fait des efforts encore plus grands pour dépasser le niveau de couverture d’avant la crise, courant même le risque d’augmenter le déficit fiscal déjà presque insoutenable. Cependant un grand nombre de pays ont reporté leurs mesures de protection sociale et ont choisi, par contre, de relever les enjeux de la stabilisation macroéconomique. Par exemple le Nigéria a préféré mettre en œuvre un régime de relance fiscale et en même temps régler le déficit qui est de plus en plus grand. Cela ne sera possible que grâce à une soigneuse réduction des dépenses dans le secteur social, ce qui, dans le cas contraire, pourrait donner lieu à des commotions microéconomiques.

Outre les pressions économiques, certains pays subissent aussi des coups durs contre le développement humain et la stabilité socioéconomique, en raison de la restriction des politiques internes nécessaires pour prendre des mesures décisives. Bien que les économies avancées et les émergentes disposent d’une certaine marge de manoeuvre, de nombreuses économies en développement font face au double obstacle des déficits gouvernementaux et des comptes courants, en conséquence de quoi leur environnement politique et fiscal s’est réduit. À un moment où des politiques contre cycliques devraient être mises en jeu, avec des objectif précis et en étendant les dépenses gouvernementales dans le secteur social, ces pays se voient forcés de prendre le chemin opposé.

Tous les pays devraient être capables d’introduire des politiques contre cycliques avec l’aide internationale, afin de renverser les tendances de la demande insuffisante et de l’augmentation du chômage. Pour cela, il est impératif qu’il existe des facilités spéciales pour des prêts dans des conditions favorables. Des documents récents du FMI et de la Banque mondiale semblent reconnaître et valoriser les leçons des crises précédentes et des politiques d’ajustement structurel qui les ont suivies ; cependant, on écoute encore des voix qui disent qu’il faut maintenir des politiques macroéconomiques
« prudentes ». C’est pourquoi la première question que l’on se pose est de savoir si les pays en développement sont en mesure de « faire face » à la dotation budgétaire nécessaire pour promouvoir la sécurité sociale aussi bien pour les hommes que pour les femmes.

Un nouvel accord social est nécessaire

Il y a un besoin impérieux d’allouer, de rationaliser et de dépenser les ressources nécessaires à une protection sociale de façon plus efficace. Actuellement les tentatives pertinentes sont toujours fragmentées et mal orientées en ce qui concerne la programmation, les objectifs stratégiques et les façons de les exécuter. Il sera nécessaire de réaliser des dépenses budgétaires à grande échelle et à long terme, en plus d’obtenir le soutien des donateurs, pour que les projets de protection sociale parviennent à ceux qui se sont appauvris en raison de la crise. Les enjeux systémiques sont divers, et sont en rapport avec le besoin d’intégration de la sécurité sociale aux exigences de la réforme démocratique et sociale. Un réajustement général des systèmes économiques est nécessaire. Il faut tenir compte des points suivants :

  • La stabilisation de l’emploi.
  • L’équilibre entre les secteurs privé et public.
  • L’extension de la couverture des systèmes de sécurité sociale de base tant dans le secteur privé que dans le secteur public.
  • De nouveaux rapports de travail visant à réincorporer un équilibre de pouvoirs  adéquat entre le capital le travail.
  • L’équité à l’accès et à la distribution des ressources pour le développement social.

 

La protection sociale ne peut rester isolée et déconnectée de la lutte de la société pour le renouvellement démocratique. Les exigences pour y parvenir doivent être tissées avec l’installation démocratique de l’économie politique des nations ainsi qu’avec leur potentiel démocratique. Ce genre d’économie politique requiert un Nouvel accord fermement basé sur un nouveau contrat social-démocrate allant au-delà du rêve de Franklin D. Roosevelt, qui était de sauver le capitalisme de la dépression de 1929. Il est clair que Roosevelt n’a pas été élu grâce à son programme du « New Deal » et que lorsqu’il a assumé la présidence des États-Unis il n’avait pas l’intention de mettre en œuvre les politiques en rapport avec ce nouvel accord. Il s’est vu forcé de le faire sous la pression et la menace d’émeutes massives qui faisaient écho aux signaux révélateurs d’une crise prédite à de nombreuses reprises par les détracteurs du système. Il s’agissait évidemment d’un choix entre accorder des réformes et  des concessions depuis le sommet ou courir le risque d’une explosion sociale potentiellement incontrôlable venant de la base.

Même si le « New Deal » de Roosevelt a réussi à apaiser un peu les esprits grâce à la création d’emplois pour la réalisation d’énormes projets de travaux publics, il a été tout à fait insuffisant pour assurer la survie à long terme d’un système dont la logique motrice commençait à manquer de motivations  démocratiques. C’est la IIème Guerre mondiale[5] qui a réellement réussi à sortir les États-Unis de la Grande dépression. C’est à dire que c´est la production générée par une guerre qui a tué des millions de personnes et a représenté des milliards de dollars de bénéfices pour les entreprises qui a « sauvé » le capitalisme des États-Unis et l’a transformé en pionnier de l’économie du marché mondial.

Le rôle de la sécurité sociale

Dans un futur probable, la protection sociale sera toujours une série de mesures palliatives fragmentées, sans coordination, mal orientées et toujours réactives, déjà insuffisantes pour relever les enjeux à long terme du capitalisme néolibéral. La situation exige de repenser profondément les principes, ainsi que les politiques sous-jacentes de notre contrat social hérité et du paradigme politique et économique qui inspire sa conception et son architecture. Il est nécessaire de recommencer à zéro et de repenser les fonctions adéquates de tous les secteurs qui composent l’économie : l’état, la société civile, la citoyenneté et l’environnement.

L’accord complexe – et en grande mesure tacite – entre un état démocratique, un marché social et une société non hégémonique, doit fournir la sécurité sociale suffisante pour autonomiser les citoyens et citoyennes de façon à ce qu’ils puissent évoluer dans une économie politique dynamique utile pour tous ceux qui composent une société. Cependant il existe une situation qui empire et qui a défié les explications traditionnelles des apologistes du capitalisme néolibéral. Les programmes de pensions et les opportunités d’emploi fiables disparaissent dans la jungle de l’économie de marché déréglée, et parallélement les conditions sanitaires de la plupart des citoyens se détériorent sans aucun signe que la récupération attendue avec tant d’impatience apporte des changements positifs. Le salaire réel stagne toujours, l’inégalité des revenus et de la richesse atteint des niveaux jamais vus auparavant et de plus en plus de familles passent en dessous du seuil de la classe moyenne. La situation exige un accord totalement neuf, réalisé avec l’objectif de renouveler l’économie moribonde du marché néolibéral.

Cette nouvelle économie sociale de marché devra réajuster l’équilibre de pouvoir entre le capital et le travail, l’état et la société, le milieu rural et urbain, le nord et le sud, le centre et la périphérie. Il faudra élaborer un contrat social qui encouragera la croissance à long terme et la prospérité partagée par tous en plus de fournir un soutien aux individus et aux familles, non pas en tant qu’employés mais en tant que citoyens. Il faudra également réaliser des propositions politiques concrètes concernant les soins de santé accessibles à tous, la propriété des actifs d’accès général, la sécurité des pensions et l’éducation permanente.

Les besoins humains d’abord

Un jour les peuples du monde se rendront compte que tant d’instabilité économique et de misère pour la plupart des membres de nos sociétés sont dues au capitalisme en soi, et non pas à tel ou tel individu ou à un parti malhonnête ou corrompu. Cependant, beaucoup continuent de s’accrocher, sans trop de réalisme, aux illusions de l’efficacité des différents plans de relance essayant de sauver le capitalisme de sa propre logique autodestructrice. Dans un certain sens il ne pourrait pas en être autrement en raison du déséquilibre des forces sociales qui luttent pour la redéfinition démocratique de l’avenir de l’humanité. Malgré l’augmentation de  la pression des forces populaires pour le changement, elles ne sont pas encore suffisamment fortes pour y parvenir.

Bien que l’on ne puisse pas continuer à agir de façon imprudente contre les réformes, même contre celles qui contiennent un minimum de mesures sociales-démocrates et qui offrent surtout des mesures palliatives, il faut maintenir une position ferme contre le réformisme, particulièrement contre celui qui affirme que le système capitaliste peut, dans un certain sens, se transformer en un système plus aimable, paisible et sensible face à la situation grave et croissante de ses victimes. De par sa propre nature, le système se fonde sur l’exploitation de beaucoup par quelques-uns, sur la propriété et le contrôle de la grande majorité des richesses de la société par un minuscule secteur de la population. Il est impossible de réformer ou de réparer le système capitaliste avec des mesures de sécurité sociale éphémères qui laissent intact le noyau de sa logique sociétale. Seule la transformation totale de la société, centrée sur une nouvelle logique, peut mener à un monde où la priorité serait de satisfaire les besoins des êtres humains et non pas les profits des entreprises.

[1] Pour davantage d’information sur ce sujet, voir F. William Engdahl, Financial Tsunami: The End of the World as We Knew It, Global Research, 30 septembre 2008.

[2] Bob Deacon con Michelle Hulse y Paul Stubbs, Global Social Policy: International Organizations and the Future of Welfare, Londres : Sage, 1997.

[3] Kenya – Rapport préliminaire du pays, Banque mondiale, 2008.

[4] Pour plus d’information à ce sujet, voir : Andy Norton, Team Conway y Mick Foster, Social Protection Concepts and Approaches: Implications for Policy and Practice in International Development 
Document de travail 143, Institut pour le développement d’outre-mer (ODI, en anglais), Londres, 2001; Stephen Devereux, Social Protection and the Global Crisis, Brighton: IDS,2009); Charles Knox, Response to ‘Social Protection and Global Crisis’  le 14mai 2009. Disponible sur : <www.wahenga.net/sites/default/files/Response_to_Social_protection_and_the_global_crisis.pdf>.

[5] Chalmers Johnson, Going Bankrupt: The US’s Greatest Threat  Asia Times Online, 24 janvier 2008. Disponible sur : <www.atimes.com/atimes/Middle_East/JA24Ak04.html>.

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Le genre en temps de crise: un nouveau paradigme de développement est nécessaire

Publication_year: 
2010
RAPPORT ANNUEL : 
Yes

Social Watch Gender Working Group[1]

Malgré certains progrès, la mise en œuvre des engagements pour l’égalité des sexes est encore loin. Les progrès inégaux vers les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), qui ont tous des dimensions de genre, ainsi que la pauvreté et les inégalités croissantes, ne sont pas dûs seulement aux impacts et aux crises externes, mais à des déséquilibres structurels sous-jacents. Les autorités pertinentes doivent repenser la macroéconomie et reconnaître que le développement économique dépend d’une ample économie des soins (care economy) dans laquelle la main d’œuvre est majoritairement féminine. Il est temps d’appliquer un nouveau paradigme de développement offrant les mêmes droits et les mêmes chances à tous et à toutes. ONU Femmes, la nouvelle agence de l’ONU  pour l’égalité des sexes, sera-t-elle  capable de catalyser ce changement ?

En 1979, beaucoup de gouvernements du monde ont assumé des engagements juridiques pour les droits des femmes en signant la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW, en anglais). Seize ans plus tard, en 1995, la IVe Conférence mondiale sur les femmes a adopté un plan d’action global pour parvenir à l’égalité des sexes : la Plate-forme pour l’action de Beijing. En septembre 2010, les leaders du monde se sont réunis à New York lors du Sommet sur les OMD pour mesurer les progrès vers ces objectifs, qui comprennent la réduction de la pauvreté et l’inégalité, et pour discuter des moyens d’accélérer ces progrès face aux crises répétitives qui affectent le climat, les aliments, l’énergie, les finances et l’économie.

Malgré certains progrès, les engagements pris à Beijing et par la CEDAW sont loin d’être pleinement en vigueur, et l’égalité des sexes n’est pas toujours une composante des programmes de développement économique et social durable. De toutes les  perspectives, y compris celle de l’Index d’Equité de genre (IEG) de Social Watch, des progrès urgents sont nécessaires dans ce domaine car les gouvernements souscrivent rapidement aux instruments internationaux mais sont lents dans leur mise en œuvre.

L’augmentation de la pauvreté et les progrès irréguliers dans la réalisation des OMD, qui ont tous des dimensions de genre, ne sont pas seulement dûs aux impacts et aux crises externes, mais aussi aux déséquilibres structurels sous-jacents. En temps de crise, ce sont les femmes qui portent le poids de la diminution des fonds pour le développement, car elles doivent trouver les moyens de nourrir et de soigner leurs enfants et autres personnes à charge lorsque les revenus du foyer diminuent, et elles doivent réaliser davantage de travaux non rémunérés lorsque les aides sociales disparaissent. Les pauvres (et les femmes sont les plus pauvres parmi les pauvres) n’ont pas de réserve pour affronter la crise. Cependant, ces mêmes pays qui ne trouvent pas d’argent pour le développement ont mobilisé des milliards de dollars pour sauver des banques et des entreprises.

À la recherche d’un nouveau paradigme de développement

Des crises telles que celles qui ont affecté les produits alimentaires, les carburants et les finances ne sont pas neutres à l’égard du genre. Leurs impacts exacerbent les inégalités existantes et mettent en évidence les effets négatifs sur les femmes et sur les économies qui en dépendent. Cependant, rares sont les mesures prises par les pays en réponse à la crise qui ont donné la priorité à l’emploi et aux moyens de subsistance des femmes. À moins qu’on ne prenne des mesures spécifiques, les femmes pauvres resteront en dehors du système et devront accepter des emplois précaires à faible productivité, avec de maigres revenus et sans protection sociale. Parmi elles beaucoup deviendront plus vulnérables à la traite des personnes et accepteront des travaux dangereux, voire illégaux.

Il est essentiel d’établir des mesures pour protéger les femmes contre les pires effets des crises. Cependant, il y a aussi un grand besoin de politiques de développement social qui assument le genre comme une étape décisive vers une plus grande égalité et vers le bien-être des personnes. Comme on le voit dans les crises précédentes en Asie et en Amérique Latine, les indicateurs sociaux mettent le double de temps pour sortir de la crise et ils doivent être suivis de près, de même que la croissance économique qui n’est plus une mesure valable du bien-être humain et social. Nous avons besoin d’un changement de paradigme qui doit se refléter dans la pratique. Il ne s’agit pas de prendre comme but la croissance et de formuler quelques politiques pour les femmes ou pour les familles pauvres, mais de concevoir et de mettre en œuvre un nouveau paradigme de développement avec les mêmes droits et les mêmes chances pour tous et pour toutes.

Malgré les progrès dans les cadres politiques et juridiques pour l’égalité de sexes, les mouvements des femmes dans le monde entier ont été frustrés parce que les États n’ont pas mis en œuvre ces décisions et n’ont pas respecté leurs engagements. Comme l’a signalé Norah Matovu Wing, directrice exécutive du Réseau de développement et de communication des femmes africaines (FEMNET) : « Le changement qui a eu lieu dans le statut politique, social et économique et pour la situation des femmes africaines est indéniable. Toutefois, nous sommes préoccupées par le fait que jusqu’à présent seule une minorité profite de ces avantages »[2]. Les changements dans la vie quotidienne des femmes sont rares, notamment pour celles qui habitent en zones rurales et pour celles qui sont obligées de se déplacer à l’intérieur de leur propre pays ou d’émigrer à l’étranger.

Impacts de la crise économique sur le genre

La crise économique de 2008 et les plans ultérieurs de récupération au niveau national, régional et international n’ont pas pu reconnaître, comprendre, analyser et corriger l’impact de la crise financière sur le genre. Le refus persistant de cet impact, ainsi que le manque d’inclusion des femmes dans la recherche d’une solution, impliquent le risque d’un retour à une stratégie de récupération « comme d’habitude » qui dans le long terme aura des conséquences préjudiciables pour la réalité des femmes, des hommes et des enfants ainsi que pour l’environnement.

La crise économique actuelle est différente des récessions précédentes parce qu’il s’agit d’une récession qui a eu et continuera à avoir un impact beaucoup plus grand, bien que différent, sur les femmes.
Par rapport à des périodes précédentes de ralentissement économique, actuellement les femmes « représentent la force la plus importante (et la moins reconnue) pour la croissance économique sur la planète », du moins selon The Economist, qui a suggéré que pendant ces dernières décennies les femmes ont davantage contribué à l’expansion économique mondiale que les nouvelles technologies ou les marchés émergents de la Chine et de l’Inde[3]. Toutefois, on ne tient pas compte de cette réalité. En outre, le nombre sans précédent de femmes présentes sur le marché du travail implique que les femmes contribuent au revenu du ménage comme jamais elles ne l’avaient fait auparavant. Par conséquent, l’intégration des femmes au marché du travail signifiera non seulement que la crise aura un plus grand impact direct sur les femmes elles-mêmes mais aussi sur les ménages, où les revenus seront considérablement affectés par la perte d’emploi des femmes.

Mais, ce qui est plus important encore, la situation économique des femmes au début de la récession n’était en aucune manière égale à celle des hommes. Dans des modèles de travail caractérisés par la séparation  des marchés selon le genre, par l’écart salarial entre hommes et femmes, par des niveaux plus élevés d’emploi à temps partiel et par une forte concentration dans le secteur dit informel, à faible revenu et avec peu ou pas de protection sociale, les femmes sont défavorisées pour faire face à la crise.

Il est important de reconnaître les dimensions interdépendantes et polyfacétiques de la crise économique et financière pour comprendre son impact global sur les femmes et sur les relations des genres à l’heure actuelle et dans l’avenir. En général, on a ignoré les dimensions de genre de cette crise. Par exemple, en Europe, les prévisions officielles des chiffres de chômage sont similaires pour les femmes et pour les hommes. Toutefois, ces estimations ne tiennent pas compte du fait que la proportion de femmes employées à temps partiel, un domaine qui reste hors des statistiques de chômage, est excessive. En 2007, le pourcentage de femmes travaillant à temps partiel dans l’Union Européenne (UE) était de 31,2 %, c’est à dire, quatre fois plus élevé que celui des hommes[4]. Les femmes sont également les principaux fournisseurs de services publics et représentent jusqu’à deux tiers de la main d’œuvre dans les domaines de l’éducation, de la santé et des services sociaux ; par conséquent, le chômage des femmes risque d’augmenter de façon disproportionnée à cause de la réduction des dépenses du secteur public.

Pour comprendre les effets des réductions des dépenses publiques sur les femmes, à court et à long terme, il faudrait faire une analyse de l’impact de genre avant de les mettre en oeuvre. Les réponses des États à la crise se sont focalisées sur les secteurs dominés par la présence masculine (par exemple, l’industrie de l’automobile et le secteur du bâtiment), mais les réductions des dépenses publiques auront sans doute comme conséquence que des services comme la prestation de soins retomberont sous la responsabilité des femmes, ce qui limitera encore davantage leur capacité à participer pleinement à tous les aspects de la vie. De même, l’impact des réductions des dépenses sur les services d’assistance fournis dans les milieux socioéconomiques les plus défavorisés se traduira par une plus grande dépendance des femmes tant au sein des familles que dans la communauté en général.

Partout dans le monde, les taux de chômage des femmes sont en train d’augmenter en raison de conceptions de genre périmées et des réductions des dépenses publiques, alors que, dans le même temps, la participation des femmes à l’économie informelle et au « travail bénévole » a augmenté dans la mesure où les interventions d’assistance sociale ont été éliminées et on attend des femmes qu’elles remplissent ces vides.

Enjeux mondiaux : aperçu général

En Asie, en Afrique, en Europe, en Amérique Latine et au Moyen-Orient, les mouvements pour les droits des femmes ont reconnu les effets positifs des accords internationaux sur la vie des femmes et des filles. Toutefois, dans certaines régions on a remarqué une montée de l’extrémisme religieux et/ou le conservatisme de droite associés à la perpétuation et la diffusion de lois discriminatoires à l’égard des femmes. De nombreux États et partis politiques manipulent le droit des personnes à la diversité culturelle et religieuse comme un prétexte pour violer les droits fondamentaux des femmes, des filles, des personnes porteuses de VIH/SIDA et des personnes aux orientations sexuelles différentes [5]. L’oppression politique des femmes et le refus de leurs droits sont renforcés par les conflits armés et le recours excessif à la militarisation plutôt qu’au bien-être humain comme moyen de garantir la sécurité.

Des variantes de ce phénomène peuvent être observées en Afrique et dans d’autres régions en développement où la crise est arrivée par le biais de divers canaux de transmission. Il est également devenu nécessaire d’utiliser une perspective de genre pour décoder les situations qui se produisent au sein des ménages, puisque les gens qui partagent un même toit entretiennent des relations de pouvoir asymétriques[6]. Par ailleurs, malgré les changements en cours dans les rôles sociaux, la division du travail ménager selon le genre est encore très rigide. Les limites que cette division du travail impose aux femmes et les hiérarchies sociales fondées sur cette division déterminent une position d’inégalité dans trois systèmes étroitement liés : le marché du travail, le système de bien-être ou de prestations sociales et le ménage.

L’Amérique Latine et les Caraïbes : manque de politiques d’égalité

En Amérique latine, les principaux impacts négatifs de la crise économique mondiale sont la baisse des échanges commerciaux (autant en volume qu’en valeur), la diminution des envois de fonds et l’aggravation du chômage, ajoutés à une augmentation de la pauvreté. Plus de 2 millions de personnes ont perdu leur emploi en 2009 et, malgré les prévisions d’une croissance économique plus forte en 2010, il sera difficile de récupérer ces emplois perdus[7]. Cette situation est aggravée par les résultats d’un rapport de la Commission économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPAL) : en 2009, les exportations ont chuté de 24 % à la suite de la crise[8].

Pour l’instant, les réponses à la crise dans la région ont mis l’accent sur la stabilisation du secteur financier et sur des mesures visant à soutenir la demande, l’emploi et l’assistance aux populations vulnérables. Cependant, très peu de mesures prises par les gouvernements d’Amérique Latine et des Caraïbes tiennent compte des femmes, bien que la récession exerce davantage d’impact sur elles tant en ce qui concerne le chômage qu’en  termes d’emplois plus précaires à faible productivité et faisant l’objet de moins de protection sociale. Il est nécessaire que ces politiques prennent en compte l’inégalité des sexes, car l’accumulation du profit est basée non seulement sur l’exploitation des ressources naturelles, mais aussi sur la main-d’œuvre bon marché, et la main-d’œuvre féminine est la moins chère de toutes.

Bien que cela ne soit pas formellement reconnu, le processus de production impose un double fardeau pour les femmes : au sein du ménage (ou travail « bénévole ») et dans des emplois mal rémunérés pour augmenter les revenus. Au cours des dernières décennies, les salaires ont diminué dans la plupart des pays de la région, notamment à cause de l’entrée de davantage de femmes sur le marché du travail.

Lors de la Xe Conférence régionale sur les femmes d’Amérique latine et des Caraïbes, tenue en août 2007, 33 gouvernements ont accordé le Consensus de Quito exigeant l’adoption de toutes les mesures d’action positive et de tous les mécanismes nécessaires, y compris des réformes législatives et des mesures budgétaires, pour assurer la participation et les droits des femmes[9]. L’incapacité à mettre en œuvre les engagements pris à Quito montre les lacunes des politiques d’égalité des sexes, liées à la faiblesse des États, pour adopter et mettre en œuvre des mécanismes de promotion de la femme et à la prévalence de politiques de « bien-être » biaisées, plus proches de la charité que des droits humains.

Lors de la récente XIe Conférence régionale sur les femmes d’Amérique Latine et des Caraïbes, qui s’est tenue en juillet 2010 à Brasilia (Brésil), la CEPAL a présenté un document analysant les réalisations en matière d’égalité des sexes et les enjeux auxquels les femmes de la région doivent encore faire face[10]. Cet organisme propose un nouveau pacte social pour redistribuer la charge de travail totale (travail rémunéré et non rémunéré) entre les hommes et les femmes, afin de faciliter l’accès des femmes au marché du travail[11].

La région africaine : une goutte dans l’océan

Malgré les progrès dans la législation axée sur l’égalité des sexes et le processus judiciaire, les femmes africaines ont exprimé leur désillusion à l’égard de leurs gouvernements, qui ont souscrit aux instruments des droits humains et ont soutenu rapidement différentes politiques internationales et régionales, mais qui sont extrêmement lents à respecter leurs engagements.

Le Rapport parallèle des ONG africaines sur Beijing +15 a constaté que « les mesures concrètes prises au cours des cinq dernières années représentent une goutte d’eau dans l’océan par rapport aux nombreuses promesses faites par les gouvernements africains sur les questions fondamentales de l’égalité des sexes, de l’équité et de l’autonomisation des femmes. En bref, les dirigeants africains sont en train de trahir les attentes des femmes africaines »[12].

Bien qu’aujourd’hui, les politiques d’État reflètent certains éléments des cadres d’« égalité des sexes », en général elles ne parviennent pas à aborder les questions relatives à l’autonomisation des femmes et, en particulier, à la santé et aux droits sexuels et reproductifs.

Dans le contexte de la crise économique et financière mondiale, les premières personnes qui ont perdu leur emploi dans le secteur formel en Afrique appartenaient aux couches défavorisées, formé d’une majorité de femmes. Les femmes restent largement invisibles dans l’économie formelle, et leur travail non rémunéré n’est toujours pas reconnu mais il augmente ; parallèlement les femmes doivent assumer le poids de l’impact économique et social des politiques macro-économiques.

Des économistes féministes ont souligné à maintes reprises que la crise mondiale exerce de plus en plus d’effets liés au genre car ils se produisent dans un contexte politique qui affecte la charge de travail des femmes et les oblige à assumer davantage de tâches de prestation de soins dans la mesure où les services publics ou privés deviennent moins accessibles. Ce contexte inclut également des taux de chômage plus élevés pour les femmes, leur marginalisation accrue dans le secteur informel et une possible détérioration de leurs conditions de travail[13].

La région arabe : l’autonomisation économique des femmes

En opposition au mythe d’un « monde musulman » unifié et homogène, différents groupes de femmes dans la région arabe ont encouragé des changements au sein de leurs communautés en luttant contre les interprétations conservatrices de l’islam niant l’égalité des sexes et en luttant pour la justice de genre au niveau local. En dépit de leur culture commune, il existe des différences notables entre les pays arabes en termes de  mise en œuvre de la Plate-forme de Beijing. Cela est dû à plusieurs facteurs, parmi lesquels figure la façon dont les différents pays interprètent les textes religieux concernant les femmes, ce qui se reflète dans les lois relatives au statut personnel et aux responsabilités qu’elles sont autorisées à assumer en dehors des limites de la maison et la famille.

Bien que tous les États arabes aient signé et ratifié la CEDAW, cela a été fait avec tant de réserves que le but de la convention risque de ne pas être atteint. D’autres pays comme, par exemple, l’Afghanistan, ont ratifié la Convention mais n’ont jamais présenté de rapport au Comité de la CEDAW.

On a beaucoup parlé du rôle de la religion dans cette région, notamment en ce qui concerne la promotion des femmes. Il y a bien longtemps que les féministes de la région contestent l’utilisation du terme « fondamentalisme » pour faire référence aux interprétations conservatrices de l’islam[14], et actuellement, de nouvelles initiatives pour réformer le droit de la famille musulman sont en train d’émerger depuis l´intérieur[15]. Les différents groupes de femmes de la région admettent que le principal obstacle à une participation plus importante des femmes aux postes de leadership est dû au manque de volonté politique plutôt qu’à la tradition religieuse.

En décembre 2009, plusieurs organisations de femmes ont tenu une réunion régionale de consultation au Caire afin d’évaluer les réalisations et les enjeux dans la région arabe depuis l’adoption de la Plate-forme de Beijing. Cette rencontre régionale, à laquelle ont participé 235 femmes de 14 pays, des dirigeantes de mouvements pour les droits des femmes et des représentants de la société civile, s’est conclue par une indication des priorités futures pour la région arabe concernant la réalisation de la Plate-forme de Beijing[16].

Bien que la proportion de femmes dans la population active de la région ait augmenté, elle reste encore très faible en comparaison avec d’autres régions et il existe une grande dépendance économique avec toutes les conséquences sociales que cela implique. Il est fréquent que les femmes travaillent dans le secteur informel et que, lorsqu’elles sont propriétaires d’entreprises, elles ne les dirigent pas personnellement mais doivent en confier la direction à un homme de la famille. Bien que peu de pays collectent ces données, lorsque les femmes ont un emploi formel elles sont généralement moins rémunérées que leurs collègues masculins[17].

La région arabe a aussi reçu l’impact de la crise économique mondiale qui a entraîné un ralentissement économique et a affecté la capacité des individus à faire valoir leurs droits. Certains défenseurs des droits des femmes affirment que la crise actuelle a donné aux gouvernements l’occasion de modifier leurs politiques macro-économiques pour encourager l’investissement dans la promotion de l’égalité des sexes. D’autres ont remis en question cette stratégie en soulignant que dans le contexte musulman, les politiques et les programmes de soutien à l’autonomisation des femmes ne peuvent pas être efficaces si leur mise en œuvre est entravée par des forces qui se dressent entre les femmes et les institutions de l’État, telles que les coutumes et les pratiques traditionnelles et religieuses[18].

L’Asie et le Pacifique : des progrès accomplis et des questions en attente

En octobre 2009, les organisations et les réseaux de la région Asie et le  Pacifique représentant un large éventail de femmes et de filles se sont réunis au Forum des ONG sur Beijing +15 et ont réaffirmé leur confiance à la Plate-forme de Beijing considérée comme un document stratégique pour la promotion des femmes et des filles, des droits humains, de la paix, de la sécurité des personnes et d’un développement incluant les femmes. Le Forum a également identifié les crises parallèles du développement, telles que la dette, le changement climatique, la sécurité alimentaire, les conflits et les finances, et la violence croissante contre les femmes comme étant les éléments qui ont les conséquences les plus graves pour les droits des femmes et des filles de l’ensemble de la région[19].
Le Forum a également signalé la ratification de la CEDAW par tous les pays, à l’exception de Brunei Darussalam, Nauru, Palaos et Tonga, comme une démarche positive. En outre, plusieurs pays de la région, tels que la Thaïlande, le Cambodge et les Philippines dans le sud-est de l’Asie et l’Inde, le Népal et le Bangladesh dans le sud de l’Asie, possèdent actuellement des Plans d’action nationaux pour combattre la violence contre les femmes[20]. En ce moment, des lois et des politiques visant à renforcer la sécurité et les droits économiques des femmes dans des domaines clés, tels que le travail décent et l’accès au crédit et aux marchés sont en cours d’adoption. Certains pays, tels que l’Afghanistan, l’Indonésie et le Timor oriental, ont approuvé des quotas ou d’autres mesures d’action positive pour accroître la participation des femmes dans la prise de décisions politiques, tandis que d’autres pays ont pris des mesures pour améliorer les indicateurs de santé chez les femmes et les filles et pour mettre en œuvre des mécanismes visant à réduire les écarts de genre dans les domaines de l’alphabétisation et de l’enseignement primaire et secondaire.

Malgré ces progrès, le Forum a reconnu la complexité des nombreux enjeux que doivent encore affronter les femmes et les filles de la région et leur lutte pour faire face aux crises récurrentes. Des préoccupations particulières ont été signalées concernant l’impact de ces crises sur les droits des femmes, et l’intégration économique sous-régionale et la création de plans nationaux de développement basés sur les principes et les pratiques de la durabilité écologique, la souveraineté alimentaire, l’inclusion financière, la protection sociale universelle, la solidarité économique et le commerce équitable sont les revendications qui ont été exprimées.

Conclusion

À l’heure actuelle, les besoins des femmes et des filles vont au-delà de la promotion de la Plate-forme pour l’action de Beijing et la mise en œuvre de la CEDAW, et ils comprennent la planification d’un développement durable centré sur l’être humain. Les forums régionaux tels que le Forum des ONG d’Asie et du Pacifique indiquent qu’il faudrait une intégration économique sous-régionale et des plans nationaux de développement basés sur les principes et les pratiques de la durabilité écologique, la souveraineté alimentaire, la transparence financière, la protection sociale universelle, la solidarité économique et le commerce équitable.

La récession mondiale est le moment idéal pour créer un nouveau modèle de développement dans lequel l’égalité des sexes et l’inclusion sociale devraient être des priorités fondamentales. Il faut repenser les modèles macro-économiques qui sont fondés sur le maintien d’une inflation faible et sur le contrôle de la balance des paiements et reconnaître que la croissance économique exige un salaire minimum vital et la contribution de tous les êtres humains à la productivité économique. Pour cela il est également nécessaire de reconnaître qu’une économie productive dépend d’une ample économie de soins dans laquelle la main-d’œuvre est majoritairement féminine. Il est temps de mettre en pratique un nouveau paradigme de développement avec les mêmes droits et les mêmes chances pour tous.

La création d’ONU Femmes : sera-t-elle à la hauteur des enjeux ?

Genoveva Tisheva et Barbara Adams

Les organisations et les groupes de femmes du monde entier ont célébré la décision de l’Assemblée générale des Nations Unies adoptée le 2 juillet 2010  de créer l’agence de l’ONU pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes : ONU femmes. Cette nouvelle entité sera dirigée par une Secrétaire générale adjointe et consolidera et fusionnera les quatre entités existantes dédiées aux questions de genre, augmentera la capacité opérationnelle au niveau des pays et aura davantage d’autorité et de ressources pour stimuler l’autonomisation et la promotion de la femme.

Dans cette résolution, les paragraphes relatifs à l´importance de la participation de la société civile dans la nouvelle entité attirent spécialement l´attention. La nouvelle organisation étendra sa capacité opérationnelle dans les pays : entre autres, elle établira des liens avec des groupes de femmes et d´autres organisations de la société civile se consacrant a la promotion de l´égalité des sexes et l´autonomisation des femmes.

Cette résolution a été possible grâce à l’ensemble des activités de promotion et à l’engagement solide des mouvements de femmes et d’autres organisations de la société civile au cours de ces quatre dernières années. Cela a commencé par l’approbation du Rapport 2006 sur la Réforme de l’ONU du Panel sur la cohérence de tout le système, qui comprenait la recommandation de créer une nouvelle agence afin d’augmenter l’autorité, les ressources et la capacité de l’ONU dans son travail pour l’égalité des sexes. Sachant qu’un effort accru de la société civile était nécessaire pour la formation de cette nouvelle entité, plusieurs groupes se sont réunis dans la Réforme de l’architecture pour l’égalité des sexes ou Campagne GEAR (selon son acronyme en anglais). Charlotte Bunche, ancien directrice exécutive du Centre pour le leadership global des femmes, un des membres fondateurs de la campagne GEAR, a déclaré : « Nous avons de grandes attentes pour cette nouvelle agence : les groupes de femmes et les autres organisations qui se consacrent à la justice sociale et aux droits humains et les organisations de développement qui ont joué un rôle clé dans cet effort doivent maintenant faire en sorte que ce nouvel organisme reçoive les ressources humaines et financières nécessaires pour mener à bien sa mission ».

Cela dépend beaucoup de la personne que le Secrétaire général de l’ONU nommera à la tête de la nouvelle organisation au poste de Secrétaire générale adjointe. Selon un consensus général, cette personne doit réunir la vision, l’expérience et la détermination, non seulement pour prolonger le travail de l’entité de l’ONU pour l’égalité des sexes, mais aussi pour faire en sorte que les autres parties du système de l’ONU rendent compte de leurs efforts de promotion de l´égalité des sexes dans tous les pays. Ceci est particulièrement important en ce moment où autant la communauté internationale que les pays du monde entier accélèrent leurs efforts pour progresser vers la réalisation des OMD d’ici à 2015, tout en affrontant les effets persistants de la pire crise financière et économique mondiale de ces 40 dernières années.

Le premier enjeu majeur à relever par ONU Femmes est donc de savoir si elle adoptera le modèle traditionnel du multilatéralisme, dans lequel les décisions sont prises seulement par les gouvernements et où le processus politique a tendance à diluer les recommandations concernant la politique. Ce modèle n’a pas réussi à promouvoir le développement durable dans tous les pays ni à confronter les divergences entre les politiques macroéconomiques et les approches de justice de genre. Les partisans de l’égalité des sexes dans les Organisations de la société civile (OSC), les gouvernements et les agences de l’ONU devraient commencer à combler cet écart, et l’épreuve pour ONU Femmes est de savoir si elle pourra fournir la vision et le leadership nécessaires.

Divergences politiques

La crise financière et économique a non seulement mis en danger les ressources pour le développement mais aussi les politiques visant à les rendre inclusives et durables. Comme les gouvernements cherchent à réduire leurs budgets et leurs dépenses publiques en raison de la dette qu’ils ont créée pour faire face à la crise, ces compressions se feront sentir dans de nombreux domaines des services sociaux, tels que l’éducation et la santé, qui sont essentiels pour la promotion des femmes. Ceci menace l’autonomisation déjà acquise, non seulement parce que ces services seront plus limités et plus chers mais aussi parce que ces réductions budgétaires augmenteront le travail non rémunéré des femmes pour compenser l’absence de services par le biais de « l ’économie des soins » basée sur l’hypothèse incertaine selon laquelle les femmes sont naturellement plus aptes à fournir des soins et ont le temps et la capacité de le faire.

Dans le même temps, ce sont les secteurs où l’on trouve la plus forte concentration d’emplois féminins, ce qui contribue à la perte d’emploi pour les femmes, car on part du principe que si les gouvernements réduisent les dépenses en services publics et subventionnent les initiatives du secteur privé, ces services seront fournis par ce secteur contribuant ainsi à créer des emplois pour les femmes et pour les hommes. Ce concept présuppose non seulement une demande soutenue, malgré la réduction du revenu des ménages et la charge de nouvelles dépenses, mais aussi que la principale source de revenu du ménage est l’emploi de l’homme et que les revenus de la femme sont secondaires. Et cela à un moment où l’ONU a affirmé (et les objectifs de l’OMD le reflètent) que la stratégie clé pour réduire la pauvreté consiste à offrir le plein emploi, productif et décent, notamment aux femmes et aux jeunes. Dans de nombreux cas, les politiques en réponse à la crise économique contribuent à perpétuer ces hypothèses obsolètes et discréditées, défavorisent les femmes de manière disproportionnée et augmentent la divergence entre les politiques.

À l’instar d’autres articles, ce rapport signale qu’il faut donner aux gouvernements des pays en développement, qui n’ont pas été responsables de cette crise, un espace politique suffisant pour développer leurs politiques fiscales et répondre à la crise de manière à promouvoir l’emploi et à protéger les aides sociales. En réponse à cela, les institutions internationales de crédit, comme le FMI et la Banque mondiale, ont fait preuve de davantage de volonté pour soutenir des politiques fiscales plus souples et maintenir les dépenses sociales, au moins dans certains cas. Par conséquent, le plus urgent sont les efforts concertés de la société civile, y compris les organisations de femmes, pour s’assurer que les gouvernements occupent cet espace de manière à protéger les droits et à promouvoir le bien-être de tous les secteurs de la société. C’est dans cette nouvelle direction que l’entité de genre récemment créée, ONU Femmes, doit servir d’inspiration et offrir un leadership.

Le réseau GEAR d’organisations et de réseaux de femmes et de la société civile est en contact avec les représentants de l’ONU à tous les niveaux pour élaborer un processus de transition et assurer à la nouvelle Secrétaire générale adjointe qu’il a l’intention de soutenir la nouvelle entité dans la promotion de l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. « Nous savons que ce n’est que le début », a déclaré Rachel Harris de l’Organisation de femmes pour l’environnement et le développement (WEDO). « Nous devons continuer à veiller à la construction d’une ONU qui soit vraiment utile à toutes les femmes dans la vie réelle. Cela exige la participation active de toutes les parties prenantes ».

 

[1] Cet article est le résultat du travail du Social Watch Gender Working Group, basé sur l’information fournie par Social Watch 06, articles occasionnels, l’heure de l’économie de genre (mars 2010). Il a été rédigé par Enrique Buchichio et Amir Hamed, du Secrétariat de Social Watch.

[2] African Women NGO Review Beijing +15, novembre 2009. Disponible sur : <www.foroyaa.gm/modules/news/article.php?storyid=3913>.

[3] Ruth Sunderland, “ This mess was made by men. Now let the women have their say”. The Observer, 1er février 2009. Disponible sur : <www.guardian.co.uk/commentisfree/2009/feb/01/davos-global-recession-gender>.

[4] Lobby européen des femmes, Les femmes et la crise économique : l’urgence d’une perspective de genre, 2010. Disponible sur : <www.socialwatch.org/node/11611>.

[5] Voir, par exemple : Social Watch, L’heure de l’économie de genre – Quinze ans après la IVe  Conférence mondiale sur la femme, mars 2010. Disponible sur le site : <www.socialwatch.org/node/11578>.

[6] Équipe de recherche de Social Watch, Genre et pauvreté : un cas d’inégalités entrelacées, 2005. Disponible sur le site : <www.socialwatch.org/sites/default/files/pdf/en/genderpoverty2005_eng.pdf>.

[7] OIT, 2009 Panorama du marché du travail de l’Amérique Latine et des Caraïbes, Genève, janvier 2010.

[8] CEPAL, Le commerce international en Amérique Latine et aux Caraïbes en 2009 : crise et récupération. Janvier 2010. Disponible sur le site : <www.eclac.org/publicaciones/xml/6/38276/Crisis_recuperacion_2009.pdf>.

[9]  “Latin American and Caribbean countries approve Quito consensus”, 14 août 2007. Disponible sur : <www.caribbeanpressreleases.com/articles/2200/1/Latin-American-and-Caribbean-countries-approve-Quito-consensus/Page1.html>.

[10] CEPAL, Quel État et pour quelle égalité ? juillet 2010. Disponible sur : <www.eclac.org/publicaciones/xml/6/40116/Que_Estado_para_que_igualdad.pdf>.

[11] Pour davantage de détails sur cette région, voir : Social Watch, “ LAmérique Latine et les Caraïbes : il n’y a pas de solution à la crise sans politiques de genre”, 2010. Disponible sur : <www.socialwatch.org/node/11615>.

[12] FEMNET, “The Africa Women’s Regional Shadow Report on Beijing + 15”, 10. Disponible sur : <www.unngls.org/IMG/pdf_1272966511_196.200.26.62_Africa_NGO_Report-_Beijing_15_FINAL-ENG.pdf>.

[13] Development Alternatives with Women for a New Era (DAWN),  “Re-imagining Feminist Politics and Strategies in the Global South”. Disponible sur : <www.dawnnet.org/resources-news.php?id=92>.

[14] Pour plus d’information, voir Anita Nayar : “Pour réfléchir sur les fondamentalismes au sein de Social Watch”, “La région Arabe : 30 ans de la CEDAW”, 2010. Disponible sur : <www.socialwatch.org/node/11599>.

[15] Voir Musawah : For equality in the family, <www.musawah.org>.

[16] Regional Beijing+15 NGO Shadow Report Issued by Women’s Rights Experts, El-Karama, 2010. Disponible sur : <www.el-karama.org/content/regional-beijing15-ngo-shadow-report-issued-women%E2%80%99s-rights-experts>.

[17] Mona Chemali Khalaf, Women’s control over economic resources and access to financial resources, UN Economic and Social Commission for Western Asia (ESCWA), 31 août 2009. Disponible sur : <www.escwa.un.org/information/publications/edit/upload/ecw-09-2-e.pdf>.

[18] Vivienne Wee, Farida Shaheed et al., “Women empowering themselves : A framework that interrogates and transforms”, Women’s Empowerment in Muslim Contexts, 2008. Disponible sur : <www.wemc.com.hk/web/rf/3_WEMC_Research_Framework.pdf>.

[19] Final Declaration of the Asia Pacific NGO Forum on Beijing +15. Disponible sur : <apww.isiswomen.org/index.php?option=com_content&view=article&id=65:final-declaration-of-the-asia-pacific-ngo-forum-on-beijing-15&catid=2:ap-ngo-forum-15&Itemid=25>.

[20] Noeleen Heyzer, discours principal, Forum d’ONG d’Asie et du Pacifique sur Beijing +15, Manille, octobre 2009.

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Le traité de Lisbonne et les nouvelles perspectives sur la politique de développement de l’Union européenne.

Publication_year: 
2010
RAPPORT ANNUEL : 
Yes

Mirjam van Reisen, EEPA
Simon Stocker, Eurostep

Le traité de Lisbonne contient des dispositions pour faire face à la pauvreté et à l’exclusion sociale dans l’Union européenne. Ceci est particulièrement important cette année 2010 déclarée Année européenne de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, alors que 16 % de la population européenne est pauvre. Les fonds européens de coopération au développement ont continué d’augmenter ces dernières années. Cependant, les apports pour le secteur social des pays en développement, particulièrement en Afrique subsaharienne, ont été considérablement réduits. La diminution drastique de l’apport de la Commission européenne pour l’éducation et la santé dans les pays en développement est inacceptable et cette situation doit être modifiée.

On attendait du traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, qu’il permette à l’Union européenne (UE) de disposer d’« institutions modernes et de meilleures méthodes de travail » en vue de relever efficacement les enjeux du monde d’aujourd’hui[1] . Le traité a introduit des modifications clairement nécessaires au sein de l’Union européenne visant à la simplification des méthodes de travail et à la transparence et il a établi de nouvelles règles démocratiques. En ce qui concerne la politique extérieure, les objectifs politiques et la création de nouveaux instruments diplomatiques ont été soulignés, pour faire face aux enjeux de notre monde qui évolue rapidement et placer l’UE en tant qu’acteur sur la scène mondiale.

Après la ratification du Traité de Lisbonne par tous les États membres de l’UE, l’objectif de la politique de coopération au développement a été clairement défini. Le traité établit que tous les efforts des politiques seront orientés vers « la réduction et, à terme, l’éradication de la pauvreté » (Art. 208).

Le traité contient aussi des dispositions spécifiques pour faire face à la pauvreté et l’exclusion sociale dans l’Union européenne. Selon l’article 9,
« dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l'Union prend en compte les exigences liées à la promotion d'un niveau d'emploi élevé, à la garantie d'une protection sociale adéquate, à la lutte contre l'exclusion sociale ainsi qu'à un niveau élevé d'éducation, de formation et de protection de la santé humaine ». De plus, l’article 3 établit clairement que l’Union « combat l'exclusion sociale et les discriminations, et favorise la justice et la protection sociales » [2]. L’année 2010 a été déclarée Année européenne de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Ceci est particulièrement important en 2010 puisque l’Europe est en train de définir la réponse aux enjeux de la stabilité financière de l’euro, qui ont défié toute l’Union européenne entière.

Le Parlement européen a été doté de nouveaux pouvoirs pour approuver les accords commerciaux ; désormais le Parlement européen dispose d’un comité de commerce pour garantir plus de contrôles dans la surveillance des relations commerciales de l’Union avec les pays tiers. De plus, le Parlement européen a négocié un rôle plus important dans le domaine des relations extérieures et la baronne Catherine Ashton, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, s’est engagée à présenter des rapports réguliers au Parlement européen.

Relations de l’Union avec les pays en développement

Les relations de l’Union avec les pays en développement se fondent sur le principe de non-discrimination et un objectif essentiel est l’éradication de la pauvreté. Le traité identifie aussi quatre éléments clés : cohérence, consistance, complémentarité et coordination. Le principe de « cohérence » est d’une importance capitale pour atteindre les objectifs de la coopération pour le développement puisque « l'Union tient compte des objectifs de la coopération au développement dans l’application des politiques susceptibles d'affecter les pays en développement » (Traité de Lisbonne, article 208). Cet objectif s’applique à toutes les institutions de l’Union, même au Service européen pour l’action extérieure (SEAE). En novembre 2008, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un jugement par lequel les opérations de la Banque européenne d’investissement (BEI) dans les pays en développement doivent prioriser le développement avant tout autre objectif économique ou politique.

L’application du Traité de Lisbonne prévoit l’établissement du SEAE, dont les objectifs ont fait l’objet de grandes discussions. L’établissement du SEAE représente un changement considérable par rapport au modèle actuel de la politique européenne pour le développement. Son objectif principal est de doter l’Union européenne d’un seul service diplomatique qui soutiendra la baronne Ashton. Daniel R. Merkonen signale dans une opinion légale pour Eurostep que : « l’Union européenne a besoin d’un système d’aide au développement et à la coopération qui contienne ce système de contrôles. En tant que partenaire qui déclare les critères de bonne gouvernance dans ses relations avec les autres, particulièrement avec les partenaires les plus faibles, l’Union européenne se trouvera en meilleure position si elle peut plaider pour une bonne gouvernance non seulement comme principe mais aussi dans la pratique » [3]. Il existe un accord général sur le rôle du SEAE dans la promotion de la cohérence des politiques de développement, étant donné que le Traité de Lisbonne – qui fixe l’éradication de la pauvreté comme objectif central des relations de l’Union européenne avec les pays en développement – s’applique à ses compétences.

La communication de la Commission européenne au sujet de la
« Cohérence des politiques pour le développement – Accélération de la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement » a souligné le fait que l’aide en elle-même est insuffisante pour atteindre les OMD[4]. Cette approche s’applique dans douze domaines d’intervention : le commerce, l’environnement, le changement climatique, la sécurité, l’agriculture, les accords de pêche bilatéraux, les politiques sociales (emploi), la migration, la recherche et l’innovation, les technologies de l’information, le transport et l’énergie. Ce document sur la cohérence des politiques souligne que le commerce et l’agriculture sont les domaines où doivent être appliquées les améliorations du Système européen de préférences généralisées et le modèle révisé de production agricole.

Il est surprenant que cette liste de priorités ne fasse aucune mention du changement climatique, étant donné la préoccupation des citoyens européens pour cette question. Selon l’Eurobaromètre, le système d’enquêtes de l’Union européenne, 63 % des citoyens considèrent que le changement climatique est un problème très grave et 24 %, assez grave. La majorité des européens (62 %) croit que le changement climatique n’est pas inévitable ; seulement 10 % ne le considère pas comme un problème grave et 3 % ne sait pas. De plus, 47 % des enquêtés considèrent que le changement climatique est un des problèmes les plus graves auquel le monde doit faire face. Il est intéressant de remarquer que seulement la pauvreté préoccupe davantage, puisque 69 % des enquêtés l’ont placée parmi les deux problèmes les plus graves. C’est pourquoi une approche d’ensemble de la protection de l’environnement/changement climatique et de la pauvreté est particulièrement attrayante et pertinente. Il est accepté que le développement durable est une composante clé pour l’éradication de la pauvreté, mais il est urgent de stimuler une vue d’ensemble de l’Union européenne et des pays en développement qui intègre de bons exemples et des occasions qui montrent la façon d’appliquer les principes.

Selon la communication de la CE, en mai 2010 le Parlement européen a approuvé une résolution sur la Cohérence des politiques pour le développement (CPD) comptant plus de 70 recommandations. La résolution a remarqué que :

  • Les « questions de Singapour »[5] , telles que la libéralisation des services, l’investissement et la passation des marchés, les nouvelles règles de concurrence et un plus grand respect des droits de propriété intellectuelle, n’aident pas à atteindre les huit OMD.

 

  • Les subventions de l’Union européenne pour l’exportation de produits agricoles européens ont un effet désastreux sur la sécurité alimentaire et le développement d’un secteur agricole viable dans les pays en développement.
  • Les contributions financières de l´UE dans le cadre des Accords de partenariat conclus dans le secteur de la pêche (APP) n’ont pas contribué à la consolidation des politiques de pêche des pays associés, en bonne mesure à cause du manque de suivi de l’application de ces accords, de la lenteur pour fournir l’aide et, même, de la non utilisation de cette aide.

 

  • En tant que l’un des grands exportateurs d’armes, l’Union européenne exporte ou facilite l’envoi d’armes aux mêmes pays où sont dépensés des millions pour l’aide au développement ; l’UE-15 dépense quelque EUR 70 milliards par an dans l’aide au développement, alors que le montant des exportations d’armes de l’UE représente quelque EUR 360 milliards par an.
  • « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée » , un document qui résume la stratégie commerciale de l’Union européenne, montre que les stratégies des accords de libre commerce bilatéraux et régionaux favorisent l’accès de l’UE aux marchés de matières premières des pays en développement, y compris les produits agricoles de base, en les ouvrant aux grandes entreprises de l’UE au détriment des petits agriculteurs et des industries naissantes.

 

  • La libéralisation financière, qui comprend les flux spéculatifs et volatils sur lesquels les pays en développement ont peu de contrôle, a produit une considérable instabilité sur le plan international avec des effets désastreux pour les économies des pays en développement[6] .

Le Parlement européen a conclu qu’il existe beaucoup plus de cas d’incohérence qui ont un effet négatif pour la réalisation des OMD et que la Commission européenne devrait les examiner.

L’impact de la crise financière sur la pauvreté dans l’UE

Le Traité de l’Union européenne établit un cadre juridique clair pour l’éradication de la pauvreté aussi bien au sein de l’Union qu’en dehors ; mais en réalité, la pauvreté a augmenté en Europe et dans les pays en développement à cause de la crise financière. Les statistiques d’Eurostat montrent que les effets de la crise sur le marché du travail européen sont loin d’être dissipés. En fait, en 2009 le chômage a augmenté de plus de 5 millions de personnes et a atteint quelque 21,4 millions dans l’Union. Ceci est dû en bonne mesure aux emplois perdus pendant les 12 derniers mois[7] . Selon l’Union, quelque 80 millions de personnes – 16 % de la population – vivent aujourd’hui dans la pauvreté[8] .

La crise des prêts hypothécaires à haut risque et ses importantes conséquences défavorables pour les banques, les marchés financiers et l’économie réelle dans le monde entier, révèle l’inefficacité des règlements de l’UE et de sa capacité de prendre les mesures adéquates pour protéger l’euro de la spéculation. Après l’effet initial de la crise en Europe et l’effondrement financier de la Grèce, l’Union a renforcé son approche commune pour avoir plus de contrôle sur les budgets nationaux européens. Les gouvernements d’Europe ont été menacés par la possibilité de sanctions contre la gestion de leurs économies ; les dirigeants européens ont souligné leur intention d’être plus stricts dans l’application du Pacte de stabilité et de croissance qui fixe une limite au déficit excessif et à la dette des états membres.

Cependant, à part le renforcement des contrôles sur les budgets nationaux et l’établissement d’une « surveillance préventive », l’Union ne possède pas de plan pour protéger les citoyens pauvres de l’Union européenne des conséquences des mesures d’austérité, ni une politique pour la protection des secteurs sociaux d’Europe. Tel que l’a souligné Làzlo Andor, commissaire européen pour l’emploi et les affaires sociales, « nous devrions tous nous rendre compte que nous sommes encore dans une étape fragile de récupération ». Andor a souligné que jusqu’à ce qu’il voie « une croissance solide dans tous les états membres » sa préoccupation sera que « l’austérité prématurée puisse nuire aussi bien à la récupération économique qu’à l’augmentation d’emplois » [9].

Vraisemblablement de nouvelles formes institutionnelles qui ne sont pas prévues dans le Traité de Lisbonne sont en train d’apparaître. Un bon exemple en est qu’Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, est à la tête d’un groupe de travail sur les affaires économiques européennes formé par presque tous les ministres des finances des 27 états membres et les représentants des institutions de l’Union européenne (tel que Jean Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne). Bien que le groupe travaille sur la stabilité fiscale et la discipline budgétaire la plus sévère, une des ses priorités est « le besoin de renforcer l’ensemble de nos règles fiscales : le Pacte de stabilité et de croissance », tel que l’a annoncé Van Rompuy[10] . Le cadre institutionnel évolue donc vers les politiques d’austérité.

On craint que le refus d’une approche néo-keynésienne de mesures anticycliques pour faire face à la récession conduise à l’augmentation de la pauvreté dans les pays européens et qu’il approfondisse la récession économique en Europe. Lors d’un discours récent devant des investisseurs, Van Rompuy a souligné la force de l’Union européenne grâce à la combinaison d’une économie solide et d’un système d’aide sociale bien développé, qui comprend une population parfaitement formée, en plus de
« l’attraction que représente l’Europe pour les investisseurs et les entrepreneurs… En fait, c’est cette double attraction qui rend notre continent exceptionnel. Le message de l’Europe pour le monde est qu’il est possible d’avoir les deux choses. Croissance économique et justice sociale. Décisions politiques efficaces et responsabilité démocratique. Adaptation à l’époque et conservation du patrimoine propre. Un bon endroit pour investir et pour vivre ».

Le président de l’Union européenne a remarqué aussi que les compressions dans les domaines de l’éducation, le climat et l’inclusion sociale ne seront pas acceptées : « On s’accrochera à cinq objectifs principaux, tous quantifiables. Recherche, développement et innovation, éducation, emploi, climat et inclusion sociale. (…) On doit préserver ce genre de dépenses (par exemple pour l’éducation) et déductions fiscales en temps de compression budgétaire. Ce n’est pas un choix facile »[11] .

Répercussions en dehors de l’Union européenne

En temps de crise économique, les pays en développement ont besoin plus que jamais du soutien de l’Union. Il est évident que la Commission européenne et les états membres seront responsables des partenariats. Pour les pays en développement, le fait que les états membres européens répondent à la crise par une austérité économique aura des effets négatifs très forts sur leurs économies déjà atteintes. Selon la Banque mondiale :
« dans les pays pauvres, la récession a produit la réduction brutale des revenus publics. A moins que les donateurs ne viennent en aide, les autorités de ces pays se verront obligées de réduire l’assistance sociale et humanitaire juste au moment où elle est le plus nécessaire » [12] .

 

La résolution sur la Cohérence des politiques pour le développement a pour objectif principal que l’Union européenne applique sa norme pour équilibrer le domaine économique et social comme une mesure de progrès aussi bien à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Union. La Commission européenne et le SEAE devront donner l’exemple, principalement parce qu’ils représenteront de plus en plus toute l’Union européenne à l’extérieur. La diminution drastique des apports de la Commission européenne pour la santé et l’éducation dans les pays en développement est inacceptable et doit être modifiée.

 

[1] Texte complet disponible sur : <www.europa.eu/lisbon_treaty/full_text/index_fr.htm>.

[2] Versions consolidées du Traité sur l’Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Disponible sur : <register.consilium.europa.eu/pdf/en/08/st06/st06655.en08.pdf>.

[3] Daniel R Mekonnen, "The draft council decision on the establishment of the European External Action Service and its compliance with the Lisbon Treaty - Legal Opinion Drafted for European Solidarity Towards Equal Participation of People",Eurostep, mai 2010. Disponible sur :  <www.eurostep.org/wcm/dmdocuments/Mekonnen_Legal_Opinion_100511.pdf>.

Disponible sur : <www.eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2005:0134:FIN:FR:PDF>.

[5] Référence aux quatre groupes de travail établis lors de la Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce en 1996 à Singapour.

[6] Commission du développement du Parlement, Report on the EU Policy Coherence for Development and the ‘Official Development Assistance plus’ concept: explanatory statement, 2009, 17. Disponible sur : <www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=REPORT&reference=A7-2010-0140&language=EN#title2>.

[7] Remko HIJMAN, "Population and social conditions", Eurostat Statistics in Focus, 79/2009, 1. Disponible sur : <epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_OFFPUB/KS-SF-10-013/EN/KS-SF-10-013-EN.PDF>.

[8] Comité des régions, Local and regional responses to poverty and social exclusion, juin 2010.

[9] European Voice, "Andor warns of hasty austerity measures", le 24 juin 2010, 2.

[10] Discours d’ouverture de Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, lors de la Conférence mondiale d’investissements, "Europe's Attractiveness in a Changing World", La Baule, France, le 2 juin 2010, 3. Disponible sur : <www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_Data/docs/pressdata/en/ec/114883.pdf>.

[11] Ibid.

[12] Banque mondiale, Global Economic Prospects 2010: Crisis, Finance, and Growth, Washington, DC, 2010. Disponible sur : <siteresources.worldbank.org/INTGEP2010/Resources/GEP2010-Full-Report.pdf>.

[13] Mirjam Van Reisen, ed., The EU’s Contribution to the Millennium Development Goals: Keeping the goals alive (Prague : Alliance 2015, 2010).

[14] European Public Health Alliance, “European Court of Auditors slams EC development health financing”. Disponible sur : <www.epha.org/a/3373>.

[15] Lu, C. et al., “Public financing of health in developing countries: A cross-national systemic analysis”, The Lancet, le 9 avril 2010.

[16] Alliance 2015, op cit., 21, tableau 2.1.

[17] Ibid., tableau 2.2.

[18] "Alliance 2015 calls on the EU to agree to binding aid targets to reach MDGs", le 2 juin 2010.  Disponible sur : <www.alliance2015.org/index.php?id=25&no_cache=1&tx_ttnews[tt_news]=69&tx_ttnews[backPid]=9>.

[19] Ibid.

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Region: 
left

Les Pays arabes et les OMD: pas de progrès sans justice sociale

Publication_year: 
2010
RAPPORT ANNUEL : 
Yes

Ziad Abdel Samad, Directeur exécutif [1]
Arab NGO Network for Development (ANND) 

Si les avancées continuent à progresser au rythme actuel, la région arabe n’atteindra pas les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) pour l’année 2015. Cette lenteur est due principalement au faible soutien de la communauté internationale envers l’Objectif 8 en matière de partenariat mondial pour le développement et au peu d’intérêt politique démontré pour que la justice sociale et économique dans la région soit un fait. D’autres obstacles régionaux importants empêchent que les objectifs s’accomplissent comme le manque d’engagement envers les Droits de l´Homme  et le principe de bonne gouvernance, sans compter la fragile stabilité politique, la démocratie médiocre et l’absence d’un cadre pacifique et durable limitant l’action.

L’année 2010 est très importante pour le processus de réalisation des OMD parce qu’elle marque les dix ans depuis l’adoption de la Déclaration du Millénaire et les cinq ans avant la date butoir de la période d’exécution proposée. En juin 2010 l’ONU a organisé des réunions avec des groupes de la société civile pour un suivi préparatoire, et tout le processus sera analysé par l’Assemblée générale de l’ONU en septembre.

Le moment est donc propice pour effectuer un bilan fidèle des efforts fournis pour atteindre les objectifs, pour évaluer les processus et faire des recommandations concrètes pour reconduire les efforts de la meilleure façon possible et pour inclure les différentes parties intéressées à la réalisation des progrès effectifs. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui que presque tous les rapports nationaux, même les plus optimistes, affirment qu’il est peu probable que les objectifs soient atteints en 2015, du moins au rythme actuel de la progression et compte tenu des retombées de la crise économique mondiale.

Le partenariat mondial convenu dans l’Objectif 8 est une claire reconnaissance du besoin de renforcer les engagements mondiaux afin de compléter les efforts nationaux et locaux des pays en développement. Cependant, jusqu’à présent ces engagements mondiaux ne se sont pas traduits par des décisions concrètes et explicites ni par des politiques à mettre en oeuvre. Tout d’abord, on perçoit clairement dans la diminution de l’Aide publique au développement (APD) le manque uniforme de volonté politique. De fait, malgré les donations promises, l’APD reste très en deçà de la cible visée. Les chiffres les plus optimistes montrent qu’elle ne dépasse pas 0,31% du Produit Intérieur Brut (PIB)[2] . Pour les pays les moins avancés (PMA)[3] , le pourcentage atteint est de 0,09 % au lieu du taux convenu[4] de 0,15 % - 0,20 %. Deux autres cibles essentielles de l’Objectif 8 n’ont pas non plus abouti : les politiques de commerce équitable et l’allègement de la dette.

Ce qui s’avère plus problématique encore, c’est l’étroitesse de point de vue adopté par les pays du G-8, par certaines agences de l’ONU et par d’autres institutions internationales, réduisant les débats sur la progression des OMD à une discussion sur l’argent et sur l’aide, ce qui reflète une vision très controversée des enjeux du développement. L’objectif principal devrait être, en revanche, la capacité des pays à se développer. Mais il n’y a pas non plus, à l’échelle nationale, ni la vision ni la capacité nécessaires pour adopter des politiques économiques intégrées et inclusives aux budgets transparents, reflétant une mobilisation correcte des ressources locales et une meilleure façon de les utiliser. L’idéal serait que le renforcement des capacités des pays leur offre des options supplémentaires, leur permette d’améliorer leur savoir-faire et d’assurer leurs progrès en matière de développement, et leur garantisse également un meilleur usage de leurs ressources.

Le Sommet des membres du G-8 qui s’est tenu à Gleneagles en 2005, s’est conclu par l’engagement de verser USD 150 milliards pour lutter contre la pauvreté. Cependant, les crises alimentaires, de carburants et financières, ainsi que la préoccupation croissante pour le changement climatique, sont autant de prétextes invoqués pour se délier de cet engagement. Ces crises sont une conséquence du système de mondialisation actuel qui n’arrive pas : d’une part, à obtenir des corporations multinationales qu’elles justifient leur gestion et qu’elles assument des responsabilités et d’autre part, à adopter et mettre en pratique des solutions transcendantes et effectives aux défis que posent dans le monde entier la pauvreté, le développement et l’injustice. Ce système s’occupe davantage de mettre en place des mesures d’urgence pour surmonter l’impact immédiat des crises plutôt que d’assumer des interventions à long terme abordant dans leur intégralité les causes fondamentales du chômage, de la pauvreté en hausse et de la marginalisation politique, sociale et économique.

Fin 2008, les chefs d’État réunis à Doha pour la Conférence du suivi sur le financement du développement ne sont pas arrivés à une vision globale pour l’atteinte des OMD. Au lieu d’aborder les problèmes fondamentaux qui sont à l’origine de la crise financière et économique mondiale, ces dirigeants ont réitéré les décisions « d’urgence » du G-20 qui se centrent sur la façon d’affronter les impacts immédiats des crises. Les groupes de la société civile qui ont participé à la Conférence de Doha ont critiqué les résultats et ont exigé de remplacer le Consensus de Washington par une nouvelle alliance qui se basera sur une révision complète des politiques mondiales actuelles par les institutions internationales et le G-8. L’effort réalisé par l’Assemblée Générale de l’ONU pour aborder ce sujet, avec la Commission Stiglitz, puis la Conférence des Nations Unies sur la crise financière et économique mondiale et son incidence sur le développement en juin 2009, s’est également enlisé, ce qui démontre que la communauté internationale est incapable de se mettre d’accord sur une stratégie globale du développement et préfère protéger les intérêts des corporations multinationales.

Les enjeux des OMD dans la région arabe
 
Le Rapport arabe sur le développement humain 2009[5] , qui aborde le concept de la sécurité humaine, révèle que les indicateurs de développement de la région sont très en dessous de ce qui avait été promis. Il souligne les enjeux économiques et insiste sur le fait que la dépendance des pays arabes vis-à-vis de la production pétrolière rend leurs économies très vulnérables aux fluctuations internationales du prix du brut. Leur dépendance de l’investissement étranger représente un autre enjeu économique important, car elle accroît considérablement leur vulnérabilité face aux crises économiques mondiales, comme celle de ces dernières années. En plus, les économies arabes s’orientent vers les services, ce qui signifie que leurs secteurs productifs s’affaiblissent chaque fois plus.

Le chômage reste un enjeu essentiel. L’Organisation arabe du travail signale qu’en 2008 le chômage était monté à 14,4 % contre 6,3 % du taux global, soit plus du double. Bien que le taux varie d’un pays arabe à un autre, le chômage chez les jeunes est très élevé, car ils représentent plus de 50 % des demandeurs d’emploi. Le chômage moyen des jeunes de la région est de 25,5 %[6] , le taux le plus élevé du monde. De plus, le taux de chômage est supérieur chez les femmes à cause de l’éternelle discrimination dont elles font l’objet sur le marché du travail.

Un autre problème impératif lui aussi est la pauvreté cumulée sur l’ensemble de la région dépassant 39 %, ce qui veut dire que pratiquement 140 millions de citoyens  arabes vivent en deçà du seuil de pauvreté et n’ont pas droit à un niveau de vie décent[7] . Les rapports nationaux sur les OMD préparés par les gouvernements grâce à l’assistance technique du PNUD, indiquent que la région ne parviendra pas à résoudre le problème de la faim généralisée. En 2004, les calculs indiquaient que 25,5 millions de personnes souffraient de la faim et de malnutrition ; le nombre de personnes vivant dans cette situation a donc considérablement augmenté par rapport à 1994[8] . Le rapport préparé par le PNUD et la Ligue arabe sur les enjeux que présente le développement dans cette région montre que, malgré les progrès enregistrés en Syrie et au Soudan pour l’autosuffisance en céréales, la sécurité alimentaire n’a pas connu d’amélioration tangible depuis 1990[9] .

ANND: l’évaluation des OMD

En 2000, 22 dirigeants arabes ont adhéré à la Déclaration du Millénaire et se sont engagés à atteindre les OMD pour l’année 2015. Au cours de la dernière décennie, de nombreux évènements politiques, économiques et sociaux ont affecté les processus de réforme dans les pays arabes. La « Guerre contre le terrorisme », qui a commencé par l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan en 2001, l’invasion et l’occupation de l’Iraq en 2003, la guerre israélienne contre le Liban en 2006, la détérioration régulière des conditions de vie du peuple palestinien, surtout après le siège de la Bande de Gaza en 2007, ainsi que les conflits internes qui ont surgi dans des pays comme l’Algérie, le Liban, la Somalie, le Soudan et le Yémen, sont des faits qui s’inscrivent parmi ceux qui ont le plus contribué à déstabiliser la zone. La situation a empiré à cause des effets dévastateurs de la crise alimentaire, du changement climatique et de la fluctuation des prix du pétrole, dont les effets négatifs nuisent aux efforts des pays pour atteindre les objectifs du développement.

Néanmoins et en dépit de ces enjeux, la responsabilité de la réalisation des objectifs de développement incombe aussi aux systèmes et aux institutions nationales existantes, et plus précisément aux régimes et aux autorités qui détiennent le pouvoir. L’évaluation des OMD réalisée par l’ANDD (Réseau des ONG arabes pour le développement) a donc étudié les objectifs financiers et de développement, les problèmes concernant l’égalité des sexes et la transversalité des objectifs dans les politiques nationales.

Pour ce qui est de financer et de mobiliser des ressources pour le développement et les OMD, les pays arabes, pour la plupart, ne sont pas parvenus à obtenir de ressources locales ou régionales car leurs politiques visant à attirer les investissements, l’aide et les prêts étrangers s’avèrent inefficaces [10] .  Mais les investissements étrangers n’ont pas encore produit les effets positifs attendus ; l’APD n’a pas été affectée en fonction des besoins humains élémentaires et, du point de vue quantitatif, elle n’a pas suffi à encourager les gouvernements à faire les progrès nécessaires pour atteindre les objectifs. Qui plus est, les pays n’ont pas d’administrations publiques capables de gérer les ressources disponibles. Et finalement, le recours aux emprunts pour investir dans les secteurs et dans des activités économiques non productives s’est soldé pour de nombreux pays arabes par une augmentation du service de la dette et, de fait, s’est traduit par un revers concernant la réalisation des objectifs.

Un léger progrès a été obtenu quant à la transversalité des OMD dans la formulation des politiques nationales et dans l’évolution générale vers la réalisation des OMD à l’échelle nationale, notamment l’inclusion des différentes parties intéressées et des organisations de la société civile. Ceci dit, les processus manquent encore de mécanismes adéquats pour une participation effective. Il n’y a pas de résultats réels en raison de l’absence d’institutions démocratiques opérationnelles, des grandes dépenses militaires, du poids de l’évolution démographique et des politiques économiques qui ont fait que les écarts se creusent chaque fois plus au niveau de la distribution de la richesse et du chômage massif. Vu ce contexte, les gouvernements de la région arabe n’ont pas intégré les cibles des OMD dans leurs plans de développement nationaux. De plus, les politiques globales ont contribué à réduire leur espace politique, en limitant encore plus les efforts nationaux en matière de développement.

En ce qui concerne la transversalité de la dimension de genre dans le processus de réalisation des OMD, il convient de signaler que les femmes de la région arabe restent en bonne partie exclues de la vie politique et économique. Cette exclusion prend sa source dans la structure patriarcale des sociétés arabes et dans l’influence exercée par les normes et les valeurs traditionnelles et religieuses. La quantité de réserves émises par tous les pays arabes qui ont ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), affaiblissant ainsi son application, illustrent parfaitement la situation. L’exclusion des femmes des  processus destinés à atteindre les OMD représente un gaspillage des ressources et des chances de progrès.

En ce sens, les modèles économiques que suivent les pays arabes ainsi que les stratégies nationales inadéquates qu’ils ont adoptées pour le développement social sont les deux facteurs principaux de leur manque de progression vers les OMD. Par conséquent, la recommandation pour l’avenir est de créer des institutions adéquates et d’entreprendre une vaste réforme du système de gouvernance politique dans toute la région afin d’obtenir une plus grande transparence, la reddition des comptes et plus de responsabilité.

Observations au niveau national [11]

L’observation de la situation des OMD au niveau national révèle clairement que les gouvernements négligent leurs engagements au moment de les respecter. Bien que les positions officiellement déclarées arborent une attitude positive envers les OMD et soulignent le besoin de les atteindre, ces positions s´en tiennent aux déclarations purement verbales et ne se traduisent pas par des politiques effectives du gouvernement ni par des stratégies ou des plans d’action nationaux concrets.

Les politiques économiques et sociales manquent d’une vision intégrée qui s’appuie sur les droits humains. La mauvaise gouvernance est l’un des principaux facteurs que sous-tend généralement l’usage inefficace des ressources. De plus, les contextes nationaux montrent le peu de volonté politique à satisfaire les besoins humains de base et à offrir de plus amples garanties au respect des droits humains élémentaires. En revanche, il apparaît clairement que les différents groupes détenant le pouvoir établissent leur rapport avec la population sur la base du népotisme et de l’exploitation des inégalités de pouvoir, ceci étant renforcé par sa nature totalitaire et autoritaire. On peut observer dans différents contextes nationaux quatre éléments fondamentaux qui semblent être directement ou indirectement responsables des situations nationales problématiques :

  • Un manque uniforme de démocratie, de participation et de bonne gouvernance. Ceci se traduit par une faible participation politique, des systèmes politiques opaques et sans reddition de comptes, et des fonctions publiques peu compétentes, inefficaces et improductives. Ce sont là des entraves importantes qui empêchent les pays arabes de mobiliser et d’utiliser correctement les ressources nationales, qu’elles soient naturelles, financières ou humaines.
  • Les enjeux systématiques liés au manque de transparence et d’intégrité dans les politiques publiques et dans l’offre des services sociaux. Le concept des Droits de l´Homme est absent de la formulation des politiques nationales, ce qui mène à une interprétation erronée de  « l’État de droit ». Il faut que la protection sociale et le bien-être de la population soient considérés comme des droits intrinsèques aux droits humains et non pas comme un cadeau des puissances politiques dénaturant le rapport entre les citoyens et l’État.
  • Un manque continuel de stabilité, de sécurité et de paix dans la région a contribué à l’instabilité structurelle et à la confusion dans les politiques de développement. Ce contexte instable a fait diminuer l’intérêt des investisseurs étrangers pour la région arabe, et a favorisé le gaspillage des ressources et des moyens destinés au développement et les faibles taux de productivité causés par la mauvaise gestion du temps et des ressources.
  • Le manque constant d’une orientation fondée sur les droits humains lors de l’élaboration des politiques contribue à l’absence de stratégies nationales intégrées pour le développement social.

De plus, la région présente un contraste considérable entre les indicateurs économiques et les indicateurs de développement. La plupart des pays arabes producteurs de pétrole ont traversé une période de croissance économique relative en raison de la hausse des prix. Cela a eu une répercussion indirecte sur l’ensemble de la région qui a vécu une des plus fortes croissances économiques du monde. Cependant, cet élan ne s’est pas traduit par des avancées en termes de développement, car la plupart des pays continue à montrer des résultats de développement humain très faibles. De fait, étant donné que les OMD et les objectifs de développement en général n’ont pas été une priorité pour les dirigeants arabes, il n’y a pas eu de politique adéquate pour la distribution des richesses entre les pays ni au sein des pays de la région.

Malgré ces contextes problématiques, de nombreux rapports officiels sur  les OMD ont tenté de refléter une situation plus positive. C’est pourquoi ils n’ont pas formulé d’indicateurs concrets et mesurables des stratégies de gouvernement, se limitant souvent à émettre des recommandations abstraites et normatives pour l’avenir. En général, la plupart des rapports officiels ont essayé de faire une démonstration truquée de l’engagement du Gouvernement quant à l’affectation de ses ressources aux cibles de développement et aux OMD. Ils ont également essayé de se montrer confiants quant à la réalisation des objectifs en 2015. Ce faisant, ils ont omis de divulguer les faiblesses manifestes de nombreux contextes nationaux.

Alors que majoritairement les rapports mentionnent l’inclusion des différentes parties intéressées dans le processus d’évaluation des OMD, on ne sait pas trop dans quelle mesure cette participation a été effective ni quels sont les critères qui ont été adoptés pour les inclure. Le plus probable, c’est que cette tendance à inclure des acteurs non gouvernementaux du monde académique et de la société civile, obéisse davantage aux exigences de l’ONU et de ses partenaires donateurs qu’aux points de vue nationaux réellement participatifs.

Nombreux sont les rapports qui exagèrent la responsabilité des donateurs, dénonçant le niveau inadéquat ou le caractère conditionnel de leur aide au développement, sans dénoncer à la fois les problèmes nationaux intervenant dans l’élaboration de politiques et le savoir-faire des institutions. Les rapports officiels sur les OMD de l’Égypte ou du Yémen en sont la preuve.

D’autre part, le rapport officiel de l’Arabie saoudite sur les OMD se centre seulement sur les succès, sans signaler convenablement les enjeux et les faiblesses qui subsistent et sans faire non plus de recommandations pour l’avenir. Le rapport de Bahreïn, quant à lui, évite même de parler des cibles, sous prétexte que Bahreïn n’est pas un pays en voie de développement           « typique » alors qu’il s’est engagé clairement à relever les enjeux mentionnés dans son rapport national. L’évaluation indépendante, neutre et objective du processus de suivi des OMD est rarement mentionnée, à la seule exception du rapport de la Palestine, qui a réussi à brosser un tableau plus réaliste de la situation.

Les rapports nationaux officiels de Bahreïn, du Liban, de la Jordanie, du Soudan, du Yémen et de l’Autorité Palestinienne, indiquent que les OMD et les processus correspondants de présentation de rapports son inclusifs. En fait, ces rapports sont pour la plupart le résultat du travail d’une commission technique supervisée par les ministères nationaux de planification (ou des organismes similaires) avec l’assistance technique et financière des bureaux nationaux de l’ONU, et même de toutes les agences pertinentes. Cependant, les rapports nationaux de l’Égypte, de la Tunisie et de l’Arabie saoudite ont été rédigés par les gouvernements avec le seul soutien du PNUD. Ceci jette des doutes sur la neutralité relative, sur la précision de la collecte et de la présentation des données et sur l’authenticité des tentatives des gouvernements pour progresser en thèmes de développement.

Observations issues du processus d’Examen Périodique Universel
Dans la région arabe les états violent constamment les Droits de l´Homme, comme l’ont signalé des dizaines de rapports, dont ceux publiés par l’ONU et diverses Organisations Non Gouvernementales (ONG) internationales telles que Human Rights Watch et Amnistie Internationale. Cependant, les pays arabes insistent pour maintenir les réserves émises vis-à-vis des conventions  internationales de Droits de l´Homme, empêchant ainsi toute matérialisation d’un progrès réel de leur développement.

Un problème particulier réside dans le fait que dans de nombreux pays arabes les droits sociaux et économiques ne sont pas abordés de façon adéquate par les gouvernements. Un résumé analytique des résultats des Examens Périodiques Universels de différents pays arabes, réalisé sous l’auspice du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, confirme ces observations.

De graves violations du droit à un niveau de vie décent, à l’accès au logement et à l’eau potable sont observées par exemple en Égypte, en Irak et au Yémen. Les examens ont conclu qu’il faudrait affecter davantage de ressources à l’amélioration des mesures de développement économique et social, grâce à des politiques conçues pour lutter contre la pauvreté et à faire respecter les droits humains.

Quant au droit au travail dans des conditions adéquates, de graves violations sont observées dans la plupart des pays arabes, spécialement envers des groupes de travailleurs vulnérables tels que celui des femmes et des émigrés. Le travail des enfants continue à être un enjeu, ainsi que le taux de chômage chez les jeunes, très élevé en comparaison avec les taux mondiaux.

En matière de droit à l’éducation, malgré les efforts effectués, beaucoup de pays arabes montrent un accès limité à l’éducation élémentaire et présentent des taux élevés d’analphabétisme. Si tant est que certains pays ont légèrement amélioré leurs indicateurs quantitatifs quant à l’éducation, la qualité de celle-ci au regard des besoins du marché du travail continue à être préoccupante.

Dans le domaine du droit à la santé, bien que les gouvernements aient intensifié leurs efforts pour améliorer l’accès aux services publics de la santé, les indicateurs ne confirment pas de progrès dans ce sens. Ceci est dû, probablement, à ce que, dans cette région, le secteur de la santé en général préfère établir des réseaux de sécurité et cibler des groupes spécifiques, excluant un grand nombre de personnes des programmes et des services des soins de santé.

Conclusions

Pour atteindre les OMD en 2015, de grands efforts supplémentaires sont nécessaires, ainsi qu’une volonté politique pour renforcer l’adoption et la mise en œuvre de politiques de développement. À cette fin, les cibles concrètes et mesurables peuvent servir d’outil d’évaluation des avancées.

Accroître l’efficacité des administrations publiques reste un enjeu fondamental, et exige différentes mesures concrètes. Les fonctionnaires publics devraient recevoir une formation qui s’aligne sur les droits humains, pour apprendre à traiter avec davantage de respect les personnes et leurs besoins. Une démarche également importante aux fins d’améliorer la mise en oeuvre de politiques publiques et de stratégies nationales consiste à renforcer les autorités publiques en les nantissant d’un pouvoir basé sur des règlements que les citoyens devront respecter.

Un engagement politique sincère, se reflètant dans des politiques publiques concrètes et des plans de mise en oeuvre du développement, devrait être fondé sur l’intégrité et la transparence. La participation des citoyens grâce à des organisations de la société civile et autres groupes d’intérêt est un facteur important pour obtenir de bons résultats. Cela exige de la part du système administratif une réforme endiguant la corruption systématique qui l’affaiblit. À ce sujet, il est bon de signaler que l’adoption et l’application de la Convention des Nations Unies contre la corruption contribuerait à réformer le système d’élaboration des politiques publiques.

Suivre ces recommandations sans des engagements politiques explicites n’est pas tâche facile. Les recommandations mentionnées font état de trois conditions indispensables : la démocratie pour garantir une participation adéquate, la reddition de comptes et la responsabilité ; la bonne gouvernance pour garantir une mobilisation et un investissement adéquats des ressources ; et la justice sociale pour obtenir des politiques intégrées et inclusives. Malheureusement, ces conditions indispensables étant encore inexistantes, il devient évident que la région sera incapable d’atteindre les OMD pour l’année 2015.

 

[1] L’auteur remercie Marc Van de Weil pour son aide précieuse.

[2] Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), L'aide au développement a augmenté en 2009 et la plupart des donateurs atteindront les objectifs d'aide pour 2010. Disponible en français sur : <www.oecd.org/document/11/0,3343,fr_2649_34447_44995507_1_1_1_1,00.html >.

[3] Cinq  pays arabes sont considérés PMA : les Comores, Djibouti, la Somalie, le Soudan et le Yémen.

[4] Majed Azzam, Assessing the MDGs in the Arab region: A Survey of Key Issues, Arab NGO Network for Development (ANND), 2009.

[5] PNUD, Bureau régional pour les États arabes, Arab Human Development Report 2009: Challenges to Human Security in the Arab Countries, New York, 2009. 

[6] Organisation arabe du travail, 2003. Voir : <www.alolabor.org/>.

[7] PNUD, Bureau régional pour les États arabes et Ligue des États arabes, Development Challenges in the Arab States: A Human Development Approach, New York, Mai 2009.

[8] PNUD, Bureau régional pour les États arabes, op. cit.

[9] PNUD, Bureau régional pour les États arabes et Ligue des États arabes, op. cit.

[10]Voir : Ayah Mahgoub,  2009. Disponible sur : <blogs.cgdev.org/global_prosperity_wonkcast/2010/03/09/cash-on-delivery-aid-ayah-mahgoub-on-cod-in-education>.

[11] Cette section se fonde sur les rapports des membres de l’ANND sur le processus pour l’atteinte des OMD à Bahreïn, en Égypte, en Jordanie, au Liban, au Soudan, en Tunisie et au Yémen, d’un point de vue centré sur les enjeux nationaux et sur la pertinence des politiques adoptées, et qui ont mis en exergue un ensemble de recommandations de la société civile visant la promotion des OMD.

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left

Participation actionnaire critique: comment s’appuyer sur les finances pour promouvoir les droits humains et l’environnement

Publication_year: 
2010
RAPPORT ANNUEL : 
Yes

Andrea Baranes – Campagna per la Riforma della Banca Mondiale (CRBM)
Mauro Meggiolaro – Fondazione Culturale de Responsabilità Etica

Dans plusieurs pays les organisations et les réseaux de la société civile ont commencé à acheter des actions d’entreprises accusées de produire des impacts sociaux et environnementaux négatifs, particulièrement  dans les pays du Sud, de façon à participer activement à la vie de l’entreprise. C’est une nouvelle sorte de plaidoyer et un nouvel outil de campagne : la participation actionnaire critique. La critique retombe sur les entreprises sélectionnées pour leur mauvaise gouvernance démocratique et leurs comportements polémiques en matière de durabilité et de procédés. Si les acteurs et les administrateurs financiers continuent à vouloir investir dans des entreprises non durables, qui violent les droits humains et nuisent à l’environnement, jouant à une économie de casino, mettons-leur les choses au clair : nous ne voulons pas être leurs complices et nous ne les laisserons pas jouer avec nos jetons.

Le « Pioneer Fund », créé à Boston en 1928 est habituellement considéré comme étant le premier cas où un investisseur institutionnel a pris en compte des paramètres non économiques dans ses stratégies d’investissement. Le fonds a encouragé l’investissement qui s’aligne sur des croyances religieuses, excluant les  « actions pécheresses » des entreprises qui opéraient dans des secteurs tels que le tabac, le jeu et l’armement.

À la fin des années 60 une nouvelle conception des fonds éthiques surgit aux États-Unis au moment où les droits civils d’abord, et les protestations contre la guerre ensuite, commencèrent à se généraliser. En 1968, les étudiants de l’Université de Cornell ont exigé au conseil de se défaire des actions des entreprises  commerçant avec l’Afrique du Sud. Quelques années plus tard le « Pax World Fund » a été créé ; il excluait les entreprises impliquées dans la guerre du Vietnam.

Les motifs excluant certains investissements ont été élargis et des critères sociaux ont commencé à intervenir. Plus important encore, c’est que dès la fin des années 60, non seulement certains secteurs ont été exclus tels que l’armement et les jeux de hasard, mais également les entreprises et les banques qui participaient à ces activités. Plus tard, de nouveaux facteurs ont commencé à être pris en compte, concrètement les comportements historiques des entreprises en matière de respect des droits humains et de l’environnement.  Ceci s’est avéré une méthode particulièrement puissante de boycott des entreprises qui faisaient commerce avec des régimes racistes (comme par exemple l’Afrique du Sud aux temps de l’apartheid) ou avec des dictatures (comme celle de Pinochet au Chili).

Boycott ou participation

D’un point de vue historique, ces premiers cas ont revêtu une énorme importance car ils ont mis en relief le rôle que peuvent jouer les actionnaires pour influer sur le comportement d’une entreprise. Plusieurs cas de désinvestissement et de boycott à des entreprises spécifiques, à des pays ou à des secteurs ont obtenu des résultats impressionnants.  On sait fort bien, par exemple, que la campagne massive contre des entreprises qui entretenaient des rapports économiques et commerciaux avec le régime de l’apartheid en Afrique du Sud a joué au moins un certain rôle pour encourager un changement vers un système moderne et démocratique.

Cependant, le désinvestissement en actions d’une entreprise signifie couper tout lien avec elle et perdre à la fois toute possibilité d’intervenir éventuellement sur sa façon d’agir. Par contre, être actionnaire signifie posséder une partie de l’entreprise, fût-elle minime, et garder ainsi des liens et une participation active dans la vie de celle-ci pour essayer de changer son comportement social en général.

Le rôle des marchés financiers

Cette idée acquiert chaque fois plus d’importance dans le contexte des marchés financiers modernes. La portée et le rôle des finances se sont énormément accrus ces dernières années, comme on peut le voir dans la dite « financiarisation » de l’économie mondiale. En dehors de quelques exceptions, la plupart des actions des entreprises actuelles qui cotisent en bourse appartiennent aux fonds d’investissement, aux fonds de pensions et à des investissements institutionnels divers. Par conséquent, pour satisfaire les demandes et les attentes de ces institutions, la valeur quotidienne des actions de l’entreprise devient l’objectif principal de leurs directeurs, se substituant lentement mais sûrement à l’objectif à long terme du développement durable. Les options d’achat sur les actions et d’autres bénéfices pour la haute direction ont augmenté drastiquement cette tendance.

En termes plus généraux, « l’intérêt des actionnaires » est en train de remplacer rapidement  « l’intérêt des parties prenantes ». Certaines des pires conséquences des finances modernes, dont l’excessive volatilité et la spéculation, pourraient être liées en partie à ce changement. En même temps, l’énorme pouvoir du monde financier pourrait servir à défier le comportement social et environnemental des entreprises individuelles.

Les principes de la participation actionnaire critique

Dans divers pays, les organisations  et les réseaux de la société civile ont commencé à mettre en place un nouveau plaidoyer et un nouvel outil pour faire campagne : la « participation actionnaire critique ». L’idée est toute simple : acheter quelques actions des entreprises accusées d’avoir un impact social et environnemental négatif, particulièrement en ce qui concerne leurs investissements dans les pays du Sud, afin de participer activement à la vie des entreprises. En général, les entreprises sont choisies en fonction de leurs comportements historiques négatifs au niveau social, environnemental et du non respect des droits humains, pour leur impact polémique sur les processus de développement locaux et nationaux, pour leur manque de transparence et leur faible gouvernance démocratique, ainsi que pour l’absence totale de reddition des comptes.

La participation actionnaire critique vise au minimum un triple but :

Premièrement, elle offre la possibilité de faire entendre directement la voix des communautés du Sud et des organisations internationales de la société civile aux directoires et aux actionnaires de l’entreprise. Trop de projets menés par des entreprises transnationales du Nord produisent un impact négatif sur la vie et sur les droits fondamentaux des groupes locaux dans les pays du Sud. Ceux-ci n’ont pas la possibilité de faire entendre leur voix dans le pays où l’entreprise mère a son siège. L’initiative de participation actionnaire critique peut donc être un outil efficace pour tenter de faire parvenir cette voix jusqu’aux directoires, administrateurs et actionnaires de l’entreprise. Du point de vue de la campagne et étant donné le rôle principal des marchés financiers et de la valeur des actions, la démarche directe en tant qu’actionnaire attirera davantage l’attention de l’entreprise. Ceci est particulièrement vrai pour les hautes sphères de la direction, dont les revenus annuels dépendent chaque fois plus des options d’achat sur les actions et des autres bénéfices directement liés au comportement de l’entreprise sur le marché des valeurs. Ce genre d’engagement peut servir, par conséquent, à mettre en évidence la stratégie sociale et environnementale de l’entreprise afin d’amoindrir les principales répercussions négatives sur le développement et d’encourager un dialogue plus actif entre la compagnie et tous les actionnaires.

Deuxièmement, en ce qui concerne la culture financière générale, la participation actionnaire critique est un instrument de « démocratie économique » qui accroît les connaissances et la participation des petits actionnaires et du public en général vis-à-vis des questions financières. Être actionnaire ne signifie pas rechercher simplement les bénéfices et les dividendes les plus élevés dans les délais les plus brefs. La crise actuelle a mis en exergue les menaces d’un système financier fondé sur la maximisation des bénéfices à court terme. Être actionnaire implique des droits et des devoirs, tels que la participation active dans la vie de l’entreprise, ce qui est considéré fondamental dans tout processus de développement aussi bien au nord qu’au sud, étant donné le rôle de choix que remplit le secteur privé dans la plupart des sociétés.

Pour terminer, du point de vue des investisseurs, la participation actionnaire critique renforce la représentation des petits actionnaires dans la vie de l’entreprise. Un rapport de 2009 de l’OCDE signale qu’un des motifs principaux de la crise est dû à la mauvaise planification de la gouvernance corporative de nombreuses compagnies[1]. Ce même rapport de l’OCDE s’engage à augmenter la participation des petits actionnaires dans la vie et dans les prises de décisions des entreprises. La participation actionnaire critique va précisément dans ce sens et peut contribuer à l’augmentation de la démocratisation et de la reddition de comptes du secteur privé.

Réseaux internationaux et résultats initiaux

Dans différents pays européens, de même qu’aux États-Unis, l’engagement actif des actionnaires est devenu une pratique habituelle. Les interventions et les propositions des petits actionnaires actifs ont aidé dans bien des cas à optimiser la responsabilité environnementale et sociale, la gouvernance, la reddition des comptes et la durabilité à long terme des entreprises. Cette stratégie a déjà été utilisée lors de campagnes orientées vers la responsabilité des corporations du nord, en solidarité envers les communautés affectées dans le Sud du globe, afin de promouvoir leur droit au développement.

Le pionnier dans les pratiques de participation actionnaire est indubitablement l’Interfaith Center on Corporate Responsibility (Conseil Interreligieux pour la Responsabilité des Entreprises, ou ICCR (sigle en anglais) siégeant à New York[2]. En tant que coalition de 275 ordres religieux, catholiques, évangéliques et juifs, l’ICCR implique des compagnies des États-Unis dans lesquelles elle investit, présentant et votant des résolutions dans les Assemblées générales annuelles (AGA) des entreprises et tenant des réunions avec les directeurs et les administrateurs de ces mêmes entreprises. La première de ces résolutions a été présentée au début des années 70 : elle demandait aux entreprises telles que la General Motors de retirer leur soutien financier et commercial à l’Afrique du Sud de l’apartheid. Les résolutions de l’ICCR concernant l’Afrique du Sud, présentées par l’Église épiscopale, n’ont jamais obtenu plus de 20 % des voix des actionnaires, mais elles ont cependant contribué à peser sur l’opinion publique et à mettre en garde les marchés financiers sur l’apartheid. Pendant les années précédant la fin de l’apartheid (1994), les investissements directs des entreprises des États-Unis en Afrique du Sud ont diminué de 50 % et, pour reprendre les mots de Timothy Smith, l’un des premiers directeurs de l’ICCR :
« Sans les initiatives de participation actionnaire responsables la lutte contre l’apartheid aurait été bien moins efficace ».

La mission d’entreprise de l’ICCR énonce que : « Nous pensons que les investissements devraient offrir autre chose qu’un retour financier acceptable… au lieu de vendre les actions des entreprises qui ne respectent ni l’environnement, ni les droits humains, ni la bonne gouvernance, nous préférons agir en tant qu’actionnaires et faire pression pour obtenir un changement ». À partir de 2010 l´ICCR a présenté plus de 200 résolutions différentes dans les  AGA des compagnies américaines concernant des questions telles que les compensations excessives pour les directeurs, les substances chimiques toxiques composant les produits, l’expérimentation animale, l’utilisation de l’espace à des fins militaires ou les ventes d’armement à l’étranger. De nombreuses résolutions ont été retirées avant même la célébration des assemblées générales parce que les compagnies ont accepté de négocier avec les membres de l’ICCR. Le pourcentage d’actionnaires qui ont soutenu par leur vote les résolutions de  l’ICCR varie de presque 40 % - dans les résolutions présentées dans les AGA de la Bank of America, du Citigroup et de la Goldman Sachs, demandant plus de transparence dans les transactions sur les dérivés financiers – au taux record de 97,9 % pour les résolutions concernant le VIH/SIDA présentées lors de l’AGA de Coca Cola en 2004 demandant à la multinationale de divulguer un rapport sur les répercussions économiques possibles du VIH/SIDA et autres  pandémies sur le bilan et les stratégies commerciales de la compagnie dans les pays en développement. À la suite de la résolution, destinée à conscientiser Coca Cola à l’émergence du VIH/SIDA dans l’Est de l’Afrique, la compagnie a commencé à publier un rapport détaillé, comme l’avaient demandé les actionnaires actifs, et à investir dans la prévention et dans les soins de santé pour ses employés dans les pays pauvres.

Des résolutions similaires de l’ICCR ont convaincu le géant de l’habillement des États-Unis, The Gap, de dévoiler la liste complète de ses sous-traitants dans les pays en développement et d’effectuer une évaluation des risques sociaux et environnementaux pour chacun d’eux.

Mais les investisseurs religieux ne sont pas les seuls à mettre sous les projecteurs les entreprises lors des assemblées des actionnaires. Au cours des dix dernières années les grands fonds de pensions ont aussi commencé à élever leur voix. Aux États-Unis le plus connu est Calpers (Caisse de retraite des employés publics de Californie). Calpers, qui a plus de 1,4 million de membres et pratiquement USD 200 milliards  en administration, a commencé à utiliser ses investissements en actions comme moyen de pression pour que les corporations des États-Unis s’engagent. Les campagnes de Calpers, destinées  principalement à condamner les mauvaises pratiques de gouvernance (par exemple, des compensations excessives versées aux directeurs) ont remporté un succès énorme et inespéré, à tel point que Sean Harrigan, président de Calpers jusqu’en 2004, a dû démissionner en raison de la pression croissante des multinationales des États-Unis. En septembre 2006, le gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger, qui soutenait le Groupe de travail pour le désinvestissement au Soudan, a adopté une politique de désinvestissement dans les compagnies opérant au sud du Soudan (où la guerre civile se poursuit au Darfour) pour la Caisse de retraite des employés publics de Californie (Calpers) et pour la caisse de retraite des maîtres de l’État de Californie (Calstrs) et il a décidé de compenser pour cette action les conseils d’ administration de ces deux fonds.

En plus de Calpers et Calstrs, bien d’autres fonds de pension pour les employés publics ont commencé à exercer une pression sur les entreprises des États-Unis dans les AGA, y compris le Fonds de retraite communautaire de l’État de New York, les Plans de retraite et de fidéicommis du Connecticut et le Bureau du contrôleur de la ville de New York. D’après une enquête menée par le Forum d’investissement social des États-Unis, « ces dernières années  ces fonds ont présenté des dizaines de résolutions sociales fondées sur les Conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), sur des questions liées au changement climatique ou à l’égalité des chances ».

Au Canada la prise en charge des fonds de pension pour les affaires sociales et environnementales est stimulée par Batîrente, les fonds de pension de la Caisse d’économie Desjardins dont le siège est au Québec (une banque créée et totalement contrôlée par les syndicats) [3]. Batîrente administre près de EUR 350 millions, elle compte sur plus de 20 000 membres et choisit les actions dans lesquelles elle investit conformément aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. « Au début nous soutenions les résolutions présentées par d’autres fonds ou d’autres organisations », dit Daniel Simard, coordinateur de Batîrente, « mais ces dernières années nous avons commencé à présenter nos propres résolutions ». Conjointement à Oxfam, Batîrente a convaincu Metro, un magasin dans lequel le fonds investit, pour qu’il vende du café de commerce équitable, tout en convainquant Sears, une autre chaîne de vente au détail, de publier un rapport social s’alignant sur les préceptes de la GRI (Initiative mondiale pour l’élaboration de rapports).

Hormis la Grande Bretagne, où certaines institutions financières comme la Banque coopérative, Hermès ou F&C Asset Management ont encouragé la participation actionnaire, en Europe cette pratique est encore marginale et fait rarement la une des journaux. Sur le continent du capitalisme familial et bancaire, les bourses des valeurs n’ont jamais joué un rôle important. Et par conséquent, les activistes ont préféré d’autres moyens de pression envers les entreprises. Mais quelque chose est en train de changer en Europe continentale aussi. La nouvelle la plus intéressante nous parvient de Suisse. Elle a pour nom Ethos. Née en 1997 sur l’initiative de deux fonds de pensions publiques, la Fondation Ethos pour l’investissement durable administre actuellement EUR 500 millions au nom d’environ  90 fonds de pension publiques en Suisse. Les fonds de pension délèguent à Ethos l’exercice du droit de vote (relié aux actions dans lesquelles le fonds investit) dans les AGA des compagnies suisses. Les rémunérations excessives des gérants, la réputation et la mauvaise gestion des directeurs, et la rare transparence au moment de négocier avec des produits financiers « toxiques », sont les principaux problèmes présentés par Ethos. Les objectifs sont pour la plupart des sociétés financières ou pharmaceutiques, comme UBS ou Roche. Dans certains cas les propositions d’Ethos sont secondées aussi par d’autres investisseurs ou par des actionnaires ordinaires et elles arrivent à obtenir plus de 50 % des votes des actionnaires, comme cela a été le cas cette année à l’Assemblée générale annuelle de l’UBS, où le directoire a proposé que les membres du directoire précédent soient absous de toute responsabilité dans le collapsus financier de l’entreprise. Ethos a voté contre, et la plupart des actionnaires ont fait de même ; ceux-ci envisagent aujourd’hui d’entreprendre des poursuites contre l’entreprise pour sa mauvaise gestion et les dommages financiers infligés à leurs clients. Ethos vote dans plus de 100 assemblées générales de compagnies suisses tous les ans. Pour les entreprises non suisses, elle délègue auprès de ses partenaires  internationaux qui appartiennent à l’European Corporate Governance Service (ECGS, Service européen de gouvernance corporative).

Dans certains cas  la participation des actionnaires est associée aux stratégies traditionnelles de campagne. En mars 2010, une coalition de syndicats du Royaume-Uni, d’ONG et d’investisseurs ont essayé d’obtenir  que des milliers de membres des plans de pension s’unissent à une campagne de bombardement de courriers électroniques destinée à forcer  les géants du pétrole BP et Royal Dutch Shell à reconsidérer leurs investissements dans l’exploitation, polémique du point de vue environnemental, des sables bitumeux dans la province d’Alberta, au Canada. La coalition comprenait UNISON, le syndicat du secteur public le plus grand du Royaume-Uni et d’Europe, qui compte sur plus de 1,3 million de membres et le Public and Commercial Services Union (PCS, Syndicat des Services publics et commerciaux), le cinquième syndicat par ordre de grandeur du Royaume-Uni. Au cours de ce qu’elle a qualifié  de « mobilisation publique sans précédents », la coalition a demandé aux épargnants d’envoyer des courriers électroniques aux gérants de leurs fonds de pension pour les obliger à seconder les résolutions des actionnaires contre les projets des sables bitumeux qui devaient être votés pendant les AGA de BP et de Shell en mai. D’autres membres de la coalition incluaient Greenpeace, la World Wildlife Foundation et le groupe de la banque coopérative. Plus de 140 plans de pensions, d’administrateurs des fonds et d’investisseurs privés ont uni leurs forces à celles de FairPensions, un groupe de pression siégeant à Londres, pour présenter une résolution des actionnaires lors de l’assemblée générale de Shell le 18 mai.

En Italie, la Fondazione Culturale Responsabilità Etica (Fondation culturelle de responsabilité éthique, FCRE), contrôlée par la banque éthico-écologique Banca Etica, a elle aussi décidé de combiner les outils traditionnels des campagnes des ONG à une nouvelle forme de participation à travers l’investissement dans de grandes compagnies[4]. Déjà en 2008, FCRE avait acheté quelques  actions  d’entreprises pétrolières et de services publics italiennes (Eni et Enel, respectivement) dans le but de participer aux Assemblées générales annuelles, et de donner le droit de parole aux ONG environnementales et sociales, comme Greenpeace Italie et CRBM, dont le siège est en Italie et dans des pays en développement. Ces trois dernières années, la Fondation a remis en question les comportements d’ordre social et environnemental de ces deux compagnies secondée par une série d’associations au Nigeria, au Chili, au Congo-Brazzaville, au Kazakhstan et dans d’autres pays où l’Eni et l’Enel maintiennent une activité, ainsi que leurs opérations subsidiaires dans des pays signalés comme étant des paradis fiscaux.

La participation actionnaire critique en tant qu’outil de campagne

Bien que la participation active des petits actionnaires ait porté ses fruits, on ne peut sous-estimer certains aspects critiques. Tout d’abord, force est de reconnaître que le dialogue avec une entreprise ne passe pas exclusivement par la possession d’actions. Ce principe renforcerait précisément l’idée que les actionnaires gagnent  de plus en plus de poids face au reste des parties prenantes. Être investisseur permet de garantir des droits, certes, mais cela ne doit en aucun cas se substituer à d’autres voies de dialogue ou à d’autres moyens de pression sur les entreprises. C’est d’autant plus vrai quand le dialogue ou la confrontation avec l’entreprise porte sur un thème aussi fondamental que celui des droits humains.

Au contraire, la participation actionnaire critique doit être considérée comme un outil qui s’ajoute à toute une série d’autres instruments à mettre en marche pendant une compagne, et bons à utiliser dans leur ensemble pour renforcer l’action des autres outils de la campagne.

Qui plus est, ce n’est pas parce qu’ils participent à certaines assemblées que les petits actionnaires doivent s’attendre à des résultats fabuleux et à des changements dans le comportement des entreprises. La participation  actionnaire critique est un instrument qui pourrait porter ses fruits à long terme, à force de s’obstiner à soutenir d’année en année un dialogue difficile avec l’entreprise et les autres investisseurs.

Un autre aspect critique important réside dans la difficulté de réunir l’information juste sur des entreprises ou des projets spécifiques, d’autant plus que l’affluence des informations à traiter est considérable. La majeure partie de l’information recueillie sur la compagnie, et qui est remise aux investisseurs et aux médias spécialisés, provient habituellement de l’entreprise elle-même.

Presque toutes les entreprises qui cotisent en bourse ont développé de fortes politiques de responsabilité sociale corporative afin de démontrer leur comportement irréprochable et se définissent souvent elles-mêmes comme étant « vertes » et « durables ».  En outre, le rôle important et croissant joué par les agences spécialisées dans la qualification des entreprises en fonction de leurs politiques sociale et environnementale historiques ne devrait pas être sous-estimé. Le fait d’être définitivement inclus dans certains indicateurs, comme l’indicateur de durabilité Dow Jones ou le FTSE, est souvent brandi comme un argument transcendental pour « démontrer » l’engagement pris envers la durabilité. De fait, bien que différents indicateurs et plusieurs de ces agences qualificatives aient été critiqués pour ne pas offrir d’analyse sérieuse entre les compagnies et pour ne pas enquêter à fond le comportement général, ils représentent une source importante de renseignements pour la communauté financière.

Pour venir à bout de ce flux d’information, les activités devraient donc être menées en étroite collaboration avec les communautés affectées. En termes généraux, un travail d’enquête sérieux est nécessaire pour obtenir des résultats.

Conclusions

La plupart des compagnies qui cotisent en bourse appartiennent en général à de multiples actionnaires : des investisseurs institutionnels, des fonds d’investissement, des fonds de pension et des actionnaires minoritaires. Cette fragmentation extrême accorde, entre autres, un énorme pouvoir aux groupes financiers qui ont juste une petite participation dans différentes compagnies. Un problème associé se pose avec les hauts directeurs qui détiennent un pouvoir excessif  par rapport aux actionnaires. D’autre part, cette même multiplicité de petits actionnaires ouvre de nouvelles possibilités. Au cours des dernières années, des millions de femmes et d’hommes du monde entier ont commencé à s’orienter vers une consommation plus responsable. Chaque jour les gens sont plus conscients d’exercer leur « droit de vote à travers leur caddy au supermarché ».   On peut choisir les produits de certaines compagnies et pas d’autres, suivant leur comportement. Le mouvement pour un commerce équitable a prouvé à quel point la consommation critique est devenue importante. C’est là un changement culturel essentiel, qui a débuté il y a quelques décennies et qui poursuit son évolution.

Il faut maintenant qu’un changement culturel semblable se produise par rapport à notre argent et à nos investissements. Combien de personnes seraient-elles prêtes à laisser de l’argent à quelqu’un pour financer une affaire d’armement antipersonnel ou de bombes  à sous-munitions ? Combien de personnes prêteraient-elles de l’argent à quelqu’un qui voudrait le miser au casino ? D’autre part, combien sommes-nous à demander à nos banques, à nos fonds de pension ou d’investissements ce qu’ils font de notre argent ? Pour résumer, notre argent, canalisé à travers des investissements financiers, possède un immense pouvoir et peut influencer en grande mesure, de façon positive ou négative, le comportement social et environnemental des entreprises et des banques.

Une alliance solide est nécessaire pour assumer le contrôle de ce pouvoir. Les investisseurs responsables ont la capacité technique d’intervenir dans la participation actionnaire critique. Les ONG connaissent les communautés affectées par les investissements des corporations transnationales et sont en contact avec elles. Les moyens de communication ont la possibilité d’informer les petits investisseurs et les travailleurs sur l’usage qui pourrait être fait de leurs épargnes. Potentiellement, on pourrait mobiliser une énorme quantité de personnes et de capital pour des activités de participation actionnaire critique, ce qui provoquerait des changements concrets dans le comportement des plus grandes compagnies du monde.

La participation des actionnaires active a déjà donné des résultats dans plusieurs cas, et elle a abouti à une meilleure gouvernance corporative et à une plus ample participation des petits actionnaires. En même temps, il faut obtenir une plus grande implication et coordination de la société civile, des investisseurs socialement responsables et des petits actionnaires, et obtenir ainsi des améliorations concrètes dans le comportement social et environnemental des entreprises à moyen terme.

Pour finir, et c’est le plus important, la participation actionnaire critique ne signifie pas seulement améliorer le comportement social et environnemental des entreprises qui cotisent en bourse. La promotion d’une « démocratie économique » va bien en delà. La récente crise financière a démontré que nos épargnes ont été mises en danger dans une économie de casino. Nous devons récupérer le contrôle de notre argent et de nos investissements. À travers la participation actionnaire critique on peut accroître la culture financière des petits investisseurs. Il ne s’agit pas seulement d’améliorer le comportement d’une entreprise. Une nouvelle culture financière s’impose aussi.

Récapitulons brièvement l’impact de la crise financière : premièrement, notre argent n’a pas été employé pour promouvoir une meilleure économie ; deuxièmement, on l’a mis en danger ; troisièmement, l’investissement dans le casino financier a contribué à faire exploser la bulle et à précipiter la crise financière ; quatrièmement, la crise a eu un impact terrible sur la vie des personnes du monde entier ; cinquièmement, d’énormes opérations de sauvetage ont été lancées pour sauver le système financier, celui-là même qui a causé la crise. En définitive, ces sauvetages seront financés par l’argent de nos impôts.

Ça commence à bien faire. Si les acteurs financiers et les cadres veulent continuer à investir dans des entreprises non durables, à violer les droits humains et à nuire à l’environnement, s’ils insistent encore à utiliser notre argent pour le jouer dans une économie de casino, élevons nos voix pour leur dire clairement que nous ne voulons pas être leurs complices et empêchons-les de jouer nos jetons à la roulette.

[1] Kirkpatrick, Grant, The corporate governance lessons from the financial crise. OCDE, 2009.  Disponible sur : <www.oecd.org/dataoecd/32/1/42229620.pdf>.

[2] Pour plus de renseignements voir : <www.iccr.org>.

[3] Voir: <www.batirente.qc.ca>.

[4] Voir: <www.fcre.it>.

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Privatisation des finances pour le développement: le rôle de la Banque européenne d’investissement

Publication_year: 
2010
RAPPORT ANNUEL : 
Yes

Antonio Tricarico (coordonnateur)
Campagna per la Riforma della Banca Mondiale (CRBM)

L’architecture des finances de l’Union Européenne (UE) pour le développement doit être renouvelée en raison des changements engendrés par la crise mondiale. La société civile a exprimé ses préoccupations au sujet de l’ambiguïté fondamentale concernant le statut d’institutions publiques comme la Banque européenne d’investissement (BEI), qui n’est manifestement pas une banque de développement régional bien qu’elle prétende financer le développement à travers des opérations d’investissement accessibles. Le risque existe que le débat destiné à repenser le rôle de l’aide de l’UE et le rôle encore plus complexe du financement pour le développement soit influencé par les approches des corporations.

Les finances européennes pour le développement se trouvent devant un dilemme. L’impact de la crise économique et financière sur les finances publiques dans la plupart des États membres de l’UE est en train d’inverser la tendance de la dernière décennie qui consistait à augmenter l’Aide publique au développement (APD)[1]. Bien que les gouvernements européens soient encore les principaux donateurs et fournissent plus de la moitié de l’APD mondiale, il est de plus en plus clair que l’UE dans son ensemble n’atteindra pas ses objectifs d’ici à 2015. Il existe également le risque que les efforts destinés à accroître la qualité et l’efficacité de l’aide, fortement soutenus par les donateurs européens dans les forums internationaux, s’avèrent vains[2].

Dans ce contexte négatif un discours nouveau et opportuniste fait son apparition dans les milieux officiels de Bruxelles et d’autres capitales européennes axé sur la nécessité d’une approche plus « holistique » de la coopération internationale et du financement pour le développement. Cette conception vise à élargir la définition de finances pour le développement afin d’inclure les activités commerciales et d’investissement, et de prioriser l’implication du secteur privé comme moteur de la croissance économique et, éventuellement, du développement en général.

À première vue, cette approche peut sembler une reformulation du type de « l’effet de ruissellement » du Consensus de Washington. Cependant, malgré le biais idéologique en faveur des marchés privés, une nouvelle perspective et une stratégie se référant à l’association entre la sphère privée et la sphère publique et des rôles réciproques de ces deux secteurs est en train de se développer. Le financement du développement n’est pas simplement considéré comme un instrument destiné à promouvoir la réforme de la politique macroéconomique dans les pays du Sud (comme cela s’est produit au cours de ces dernières décennies), mais de plus en plus comme un levier du secteur public pour mobiliser les capitaux privés. Dans le contexte de la crise économique et de l’importance renouvelée assignée par le G20 au financement pour le développement et aux institutions financières internationales comme instruments fondamentaux des finances publiques internationales, cette approche contribue également de manière décisive à soutenir le commerce européen dans le monde alors que l’activité des marchés de capitaux privés a ralenti.

Ainsi, le financement européen pour le développement court le risque de se transformer en une partie intégrale d’un plan de sauvetage à long terme visant à bénéficier le commerce européen, qui est accusé « d’assistance corporative », au lieu d’aider les pauvres des pays du Sud, qui ne sont pas responsables de la crise mais qui en souffrent l´ impact.

Participation du secteur privé

Le financement du secteur privé par les banques multilatérales de développement[3] (BMD) a décuplé depuis 1990, passant de moins de USD 4 milliards à plus de USD 40 milliards par an. Les finances du secteur privé représentent actuellement une partie importante du portefeuille global de nombreux organismes multilatéraux et constituent près de la moitié de l’APD.

Depuis le Consensus de Monterrey en 2002, les principales institutions de développement ont mis en œuvre le principe selon lequel le financement du développement devrait provenir de plus en plus des marchés internationaux de capitaux avec un rôle de plus en plus résiduel et secondaire joué par l’aide au renforcement des institutions et des compétences, en favorisant ainsi un environnement favorable aux investissements privés, tant nationaux qu’étrangers. Ces idées ont été réaffirmées lors de la Conférence de révision du financement pour le développement à Doha en décembre 2008.

Évidemment, le développement est bien supérieur aux dépenses d’aide et le secteur privé peut être un moteur essentiel pour le développement durable, mais les entreprises privées peuvent également avoir un impact négatif sur la pauvreté, les droits humains et l’environnement, notamment dans le contexte de l’investissement privé international. En outre, il convient de préciser quel secteur privé, étranger ou national, à but lucratif ou quel autre acteur doit recevoir principalement le peu d’aide publique internationale pour atteindre les objectifs de développement et dans quelles conditions cette aide doit être octroyée.

La société civile internationale a récemment souligné que l’approche des BMD concernant le secteur privé et le développement n’a pas toujours été suffisamment axée sur la promotion du développement durable et sur la réduction de la pauvreté[4]. Autant la sélection des projets par les BMD que leurs procédures de suivi et d’évaluation ont tendance à donner la priorité aux profit commercial face aux améliorations sociales ou environnementales. La croissance rapide de l’investissement du secteur financier sur le marché à travers des intermédiaires comme les banques privées ou les entreprises à capitaux privés est considérée comme particulièrement préoccupante. Les résultats de recherches récentes montrent que plusieurs intermédiaires soutenus par les BMD opèrent par le biais de centres financiers dans des paradis fiscaux et peuvent contribuer à la fuite de capitaux des pays du Sud vers le Nord[5].

Nouvelle approche

Cette tendance a abouti au niveau de l’UE à la proposition pour une approche de « l’ensemble de l’Union »[6] inspirée de l’idée promue en 2009 par le G8 sous la présidence de l’Italie d’une « approche pour l’ensemble d’un pays » Cela signifie que les contributions de l’UE au développement incluraient non seulement l’APD mais aussi les crédits à l’exportation, les garanties d’investissement et les transferts de technologie. Les instruments de promotion de l’investissement et du commerce seraient utilisés pour les investissements étrangers privés dans les pays en voie de développement comme le principal moteur du développement.

Ce type d’approche est basé sur des changements qui ont déjà eu lieu au sein du financement européen pour le développement. La « banque domestique » de l’UE, la BEI, qui depuis 1980 a augmenté lentement mais sûrement son volume d´opérations hors de l’UE, est devenue un acteur du financement pour le développement comparable à l’aide de la Commission européenne (CE) et un des principaux donateurs bilatéraux européens. La BEI peut être considérée comme une « Corporation financière internationale européenne », étant donné que son mandat consiste  à assigner des prêts dans la plupart des cas directs au secteur privé pour la mise en œuvre de projet. Dans le même temps, des institutions similaires de type bilatéral, connues comme les Institutions européennes de financement pour le développement (IEFD), offrent un soutien financier principalement aux opérations du secteur privé des pays membres à l’étranger au nom du développement et sont en train d’étendre actuellement leurs opérations et leur champ d'activités.

Les gouvernements européens ont déjà tourné leur attention vers la façon de promouvoir ce mécanisme, plutôt que vers la manière de repenser l’infrastructure de l’APD à travers des mécanismes financiers pour le développement. Une telle importance donnée au soutien de l’investissement international comme moteur principal du développement à un moment où l’UE est en train d’évaluer sa politique générale d’investissement[7] affaiblit les chances d’activer la mobilisation des ressources intérieures. Cette approche serait la solution la plus durable à long terme pour le développement de par sa capacité à réduire la dépendance des pays en voie de développement envers l’aide et l’investissement étranger et de protéger ces pays contre l’impact des crises et les chocs externes.

L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne à la fin de l’année 2009 a établi de façon structurelle les objectifs du développement, notamment la réduction de la pauvreté et son éradication à long terme, la protection des droits humains et la promotion de la démocratie, comme étant les principales cibles de l’action extérieure générale de l’UE[8]. Toutefois, la mise en œuvre du nouveau traité a ouvert une discussion plus large sur la manière de rendre opérationnelles les questions de développement dans le nouveau service d’action extérieure de l’UE, avec le rôle de conseil du Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et les politiques de sécurité récemment nommé. Par conséquent, cela a ouvert un débat sur la façon de subordonner les politiques et les objectifs de développement, définis dans le Consensus européen pour le développement[9] de 2005, aux priorités plus larges concernant le commerce, la sécurité et la géopolitique régionale. Dans ce contexte, l’utilisation à l’échelle européenne d’une partie du budget limité pour le nouveau service étranger est devenu un sujet politiquement controversé[10].

Dans ce nouveau contexte politique, l’évaluation du prêt extérieur de la BEI, qui a commencé en 2009 et devrait être achevée en 2011, a donné lieu à un débat beaucoup plus large que l’avenir des prêts bancaires aux pays en développement et a provoqué une nouvelle réflexion sur la nécessité de modifier l’architecture européenne du financement pour le développement. Il est très probable que cela devienne un motif de discorde entre la société civile et les institutions européennes (entre autres intéressés) dans les années à venir et dans les étapes qui précèdent la définition du nouveau budget de l’UE pour la période 2013-2020. Il faudrait s’intéresser davantage au débat actuel et faire des propositions audacieuses sur la façon d’éviter la privatisation croissante de la coopération européenne pour le développement en termes d’objectifs et de pratiques.

La Banque européenne d’investissement : un cas d’étude

La tâche de la BEI est de contribuer à l’intégration, au développement équilibré et à la cohésion sociale et économique des États membres de l’UE[11]. Hors de l’UE, la BEI opère sous des mandats divers. En décembre 2006, le Conseil européen a approuvé un nouveau Mandat de prêts extérieurs (MPE) de la BEI pour la période 2007-2013. Ce mandat octroie jusqu’à EUR 27,8 milliards en garanties de l’UE, c’est-à-dire une augmentation de plus de EUR 7 milliards par rapport au mandat précédent, pour assigner des prêts à des pays extra-européens, à l’exception des pays de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP).

En termes d’ACP, la BEI opère conformément à l’Accord de Cotonou entre l’UE et les 79 pays ACP qui octroie EUR1,7 milliard des fonds propres  et EUR 2 milliards à travers le Mécanisme d’investissement, un fonds financé par le Fonds européen de développement (constitué de contributions des États membres de l’UE, administré  par la CE) et géré par la BEI.

Les organisations de la société civile qui contrôlent les prêts de la BEI ont soulevé des préoccupations au cours des dix dernières années sur l’ambiguïté fondamentale concernant le statut de cette banque publique qui n’est manifestement pas une banque de développement régional, puisqu’elle finance des opérations d’investissement censées être accessibles pour le développement sans respecter les politiques et les objectifs européens de développement conformément à la loi. En bref, les prêts en dehors de l’UE se sont centrés principalement sur le financement conjoint d’opérations d’infrastructures et de projets énergétiques à grande échelle orientés vers l’augmentation de la sécurité énergétique pour l’UE et sur des interventions de développement du secteur privé, y compris le secteur financier privé des pays du Sud, de manière que la plupart des prêts ont bénéficié les entreprises européennes et les exportateurs au lieu de satisfaire les besoins des communautés locales.

Lors de l’adoption du nouveau MPE en 2006, pour la première fois sous la pression de quelques États membres de l’UE, une disposition spécifique a été incluse pour faire une évaluation à moyen terme de l’application du mandat [12]. Ces pays ont exprimé leur préoccupation au sujet du déplacement croissant du rôle de la BEI à travers l’expansion souvent inconsistante et peu claire du champ d’activités de la Banque à l’extérieur de l’UE.

Le processus de révision a également introduit deux évaluations externes dont la plus importante a été menée par un comité de direction ad hoc de « conseillers » établi par la Banque et la CE et présidé par Michel Camdessus, ancien directeur du FMI. Parmi les recommandations du rapport final[13], des préoccupations ont été exprimées concernant le fait que les politiques de l’UE ne se traduisent que de façon très limitée dans les stratégies de prêts et dans l’analyse économique et sectorielle des besoins des pays par la BEI ; que les efforts de la BEI destinés à suivre la mise en œuvre des projets, à assurer la présence locale et à faire un suivi des aspects environnementaux et sociaux semblent encore insuffisants et que la capacité de la BEI pour répondre aux exigences de son mandat dans le domaine du développement est seulement indirecte[14].

Toutefois, le rapport Camdessus rétablit finalement le soutien au secteur privé comme objectif principal de la Banque et, de façon contradictoire, il demande même une expansion significative du rôle de la BEI concernant les finances pour le développement. Pour ce faire, il a augmenté le plafond de son mandat de EUR 2 milliards (USD 2,5 milliards)  pour un nouveau mandat de financement pour le climat,  pour augmenter les investissements de la Banque au-delà de la garantie de l’UE (y compris les secteurs sociaux) et la gamme d’instruments financiers offerts et mettant en pratique des prêts à des conditions favorables avec les fonds de la BEI combinés aux subventions de l’UE.

Assistance corporative et déceptions du développement

La BEI a été fondée en tant que banque d’investissement. Il est difficile de transformer cette institution en une banque de développement en raison des difficultés à changer de culture, comme l’a clairement démontré l’exemple du FMI pendant ces dix dernières années[15].

Toutefois, un rôle important a été assigné à la BEI dans l’approche pour « l’ensemble de l’Union » depuis 2009 dans le contexte de la crise économique et financière. Étant donné le plus grand besoin de ressources et le refus des États membres d’augmenter leurs contributions à l’APD, la BEI était la seule institution capable de prêter davantage grâce à l’émission d’obligations sur les marchés de capitaux et à l’augmentation du régime de garantie communautaire pour ses emprunts à l’étranger. La société civile est très préoccupée par la proposition visant à ce que la Banque assume la responsabilité dans le domaine du développement que les États membres de l’UE n’ont pas pu assumer dans le contexte de la crise[16]. La BEI prête à des taux presque commerciaux et génère ainsi une nouvelle dette extérieure dans les pays en voie de développement. En outre, en tant que banque d’investissement, la Banque n’est pas bien placée pour donner aux pays en voie de développement une réponse holistique et significative en temps de crise. Cela est particulièrement vrai pour les pays à faible  revenu qui dépendent de subventions pour couvrir les besoins créés par la crise et qui, au pire, devraient recevoir des prêts à des conditions favorables et certainement pas des prêts à des taux commerciaux[17].

Bien que les Investissements directs étrangers (IDE) puissent contribuer aux processus de développement endogènes, cela n’est vrai que dans une certaine mesure et sous certaines conditions très spécifiques, comme cela est documenté en détail dans la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (UNCTAD)[18]. Les interventions financières anticycliques dans le contexte de la crise nécessitent une approche beaucoup plus ambitieuse qu’un simple effet de levier des finances de la BEI dans le Sud. Les tentatives actuelles visant à limiter les impacts environnementaux et sociaux négatifs sur les communautés locales sont les bienvenues, mais elles sont un piètre substitut au renforcement d’autres mécanismes plus efficaces d’aide au développement dans le cadre de l’aide européenne. Ces principes s’appliquent également en cas de la promotion des biens publics globaux, comme les finances, pour atténuer le climat général et les mesures d’adaptation. Bien que les financements pour le climat doivent rester nettement séparés de l’aide, il faut tenir compte d’une série de leçons apprises sur la façon de canaliser et de fournir l’aide pour la rendre plus efficace.

Le fait de forcer la transformation de certains prêts de la BEI en instruments financiers adéquats pour le développement par le biais de la création de liens opérationnels avec le système d’aide de l’Union européenne - Fonds européen de développement, instrument de Financement de la coopération au développement (FCD) et EuropeAid - peut-être très risqué si cela est fait à la hâte et sans garanties suffisantes prouvant que la Banque pourra se conformer aux normes de l’aide de l’UE. La nature intrinsèquement différente de ces institutions et de ces mécanismes pourrait mettre en péril les progrès encore limités réalisés grâce à l’effort au sein de l’Europe pour la mise en œuvre des priorités clés liées à l’efficacité de l’aide (parmi lesquelles se trouvent l’aptitude du pays bénéficiaire, l’alignement sur les stratégies du pays bénéficiaire et la transparence).

La BEI ne doit pas étendre son rôle à d’autres domaines du financement pour le développement, comme l’assistance technique. Dans un rapport de 2007, la Cour des comptes de l’Union a conclu que l’assistance technique de l’UE reste très inefficace[19]. Des études récentes ont montré que cette assistance est avant tout un véhicule pour soutenir des entreprises occidentales et qu’elle n’incite pas à la mobilisation des ressources efficaces dans le Sud. Au contraire, l’assistance technique doit être au moins fondée sur la demande, adaptée aux besoins du pays bénéficiaire et avoir une forte composante de renforcement des compétences[20].

À court terme, il faut appliquer des politiques strictes et non nocives pour aligner les prêts de la BEI sur les objectifs transversaux de l’UE pour le développement et sur les droits humains qui devraient guider toutes les actions extérieures de l’UE  et minimiser l’impact négatif du développement sur le terrain. Les ressources générées par la BEI, qui peuvent être alliées à des subventions, devraient être transférées à d’autres mécanismes européens existants ou à d’autres institutions financières internationales (IFI).

Architecture des finances de l’UE pour le développement

Cette recommandation implique à moyen terme la nécessité de redéfinir l’architecture globale des finances de l’UE pour le développement. Cette approche est conforme à la priorité essentielle du plan d’efficacité de l’aide pour réduire la fragmentation et les doublons entre les institutions dirigées par les donateurs.

Dans ce sens, le comité de direction des « conseillers » est allé au-delà de la compétence de son travail et a formulé des suggestions précises concernant l’intégration de la BEI dans l’architecture renouvelée des finances européennes pour le développement.
Ce comité a identifié la nécessité de développer une filiale de la BEI pour pouvoir gérer les prêts extérieurs de la Banque et en même temps agir comme « plate-forme de l’UE pour la coopération extérieure et le développement », et fournir un mécanisme de coordination intégrale fondée sur un modèle optimal pour combiner les subventions et les prêts selon le principe de confiance mutuelle entre les institutions financières.
Le comité doit être ouvert à la participation de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), du Conseil de la Banque européenne de développement et des institutions financières bilatérales européennes (notamment les IEFD) et s’assurer de l’engagement adéquat des bénéficiaires. Ce mécanisme permettrait d’accélérer les besoins identifiés par le Conseil européen à la fin de 2008[21] en ce qui concerne les directives communes pour combiner des subventions avec des prêts au niveau européen et promouvoir ainsi des ressources supplémentaires pour financer le développement.

En même temps, en ce qui concerne le moyen terme et la prochaine période budgétaire de l’UE, le rapport Camdessus met en exergue deux solutions possibles qui, alignées aux développements à court terme, vont changer profondément l’architecture des finances européennes pour le développement : la mise en place d’une « Agence européenne pour le financement extérieur » qui ferait partie des activités de financement extérieur de la BEI et des activités de financement liées aux investissements extérieurs gérées par la Commission (en excluant ainsi la plus grande partie du budget de développement de l’UE) ou la création d’une Banque européenne pour la coopération et le développement qui serait un outil très important en Europe pour mettre les activités de la Banque sous un même parapluie actionnaire avec les activités extérieures du CE et de la BERD.

Jusqu’à présent, les institutions européennes ont discuté de ces propositions de manière interne, sans prendre position publiquement. Toutefois, il existe un intérêt croissant à utiliser la BEI comme principal véhicule d’un service plus étendu d’action extérieure du CE, éventuellement en combinaison avec des ressources supplémentaires tout en préservant la centralité de l’aide financière pour le développement du secteur privé au sein de l’action globale. Pendant ce temps, les IEFD ont déclaré leur intérêt à coopérer étroitement avec la BEI et à promouvoir l’idée d’une plate-forme commune avec quelques activités pilotes dans le domaine du financement pour le climat.

La société civile estime que l’UE n’a pas besoin d’établir sa propre banque de développement[22], et n’a pas non plus besoin d’ajouter une autre BMD à celles qui existent aux niveaux mondial et régional quand il reste encore beaucoup à faire pour les réformer et améliorer leur efficacité. Jusqu’à présent, la signature d’un accord entre la BEI et les IFI a donné des résultats limités. En revanche, l’UE pourrait envisager de transférer davantage de ressources aux IFI existantes en mettant en pratique les réformes adéquates. En ce sens, les IFI doivent fixer des normes strictes de financements responsables et les gouvernements européens doivent répondre par des actions plus coordonnées et plus efficaces dans leurs commissions.

En ce qui concerne la proposition de création d’une agence, on peut se demander si l’UE aura une meilleure structuration et si elle augmentera la dimension des prêts du secteur privé pour le financement du développement en ayant recours à une partie de son budget de développement afin d’octroyer des prêts à conditions favorables au secteur privé si elle ne réalise pas un effort similaire pour améliorer la base même de l’architecture du financement du développement et ses instruments de coopération au développement.

L’avenir des finances de l’UE pour le développement

Il faudrait repenser l’architecture des finances de l’UE pour le développement à la lumière des changements importants provoqués par la crise, de la possibilité que les Objectifs du millénaire pour le développement ne se réalisent pas et des nouveaux enjeux posés par la coopération internationale et la promotion de biens publics mondiaux.

Dans cette perspective, il est essentiel de s’attaquer à la transformation de la BEI afin de canaliser les finances de l’UE pour le développement dans la bonne direction. À court terme, la BEI ne doit être qu’un véhicule d’investissement même si la portée de ses actions en dehors de l’UE devrait être limitée (autant au sens géographique que sectoriel). L’action extérieure de la BEI doit s’aligner strictement sur les objectifs généraux de l’UE pour le développement et les droits humains. En outre, les principes de l’efficacité du développement vont au-delà de l’aide et devraient également s’appliquer aux activités bancaires d’investissement bénéficiant d’un soutien public dans les pays en développement, y compris celles promues par les IEFD.

Par ailleurs, la BEI devra veiller à ce que tous les investissements aient des résultats clairs pour le développement, notamment dans les secteurs où elle est le plus active, tels que l’infrastructure, l’énergie et les industries d’extraction. En tant qu’institution publique, la BEI doit également garantir que les entreprises et les investissements qu’elle soutient respectent les normes financières les plus strictes afin de mettre fin à l’évasion fiscale et à la fuite des capitaux vers l’UE et de contribuer à ce que les actifs volés retournent dans leurs pays d’origine.

Cependant, à long terme et en commençant par la nouvelle période budgétaire 2013-2020, il faudrait trouver des alternatives institutionnelles plus efficaces que celle offerte par cette banque concernant les prêts à l’extérieur de l’UE. Notamment, il faudrait interrompre les prêts à l’Asie et à l’Amérique latine et prioriser l’augmentation de l’aide pour le développement des pays à faible revenu dans ces régions par le biais des mécanismes existants dans l’UE (FCD), les IFI et les nouvelles institutions régionales. En ce qui concerne les prêts pour l’Asie centrale, la BEI ne devrait financer que les interventions de soutien décidées par la BERD, à condition que la BEI soit déjà un actionnaire de la BERD avec la CE et les États membres de l’UE. En ce qui concerne les prêts aux régions voisines (à l’est et au sud), en tant que banque d’investissement, la BEI doit adopter une approche rigoureuse du développement et des droits de l’homme et avoir des priorités claires en ligne avec les objectifs généraux et horizontaux de l’UE pour le développement et les droits humains dans les actions extérieures.

L’efficacité des actions de la BEI et son rapport avec l’Instrument européen de voisinage et de partenariat dans ces régions doivent être réévalués avant d’adopter un nouveau mandat externe en 2013. Finalement, en ce qui concerne les prêts des pays ACP, dans le cadre de l’évaluation des mécanismes de l’investissement en 2010, la CE et les États membres devraient examiner toutes les alternatives possibles après 2013 pour gérer les ressources du Fonds européen de développement actuellement gérées par la BEI, y compris les IFI régionales, les mécanismes existants dans l’UE et d’autres mécanismes pouvant être mis en place[23].

[1] CONCORD, "Broken EU aid promises push Millennium Development Goals out of reach, says CONCORD as OECD announces aid figures", communiqué de presse, Bruxelles, 14 avril 2010.

[2] Organisation de coopération et de développement économique/Comité d’assistance au développement (OCDE/CAD), Development Cooperation Report (Paris, 2010).

[3] Agences intergouvernementales internationales ou régionales telles que la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement.

[4] Action Aid, Bretton Woods Project, Christian Aid, CRBM, European Network on Debt and Development (Eurodad) y Third World Network (TWN), Bottom Lines, Better Lives? Multilateral Financing to the Private Sector in Developing Countries – Time fora New Approach, mars 2010. Disponible sur : <www.brettonwoodsproject.org/doc/private/privatesector.pdf>.

[5] Richard Murphy, "Investment for development : derailed to tax havens",  rapport préliminaire sur l’utilisation des paradis fiscaux par les institutions financières pour le développement, préparé par IBIS, NCA, CRBM, Eurodad, Forum Syd et Tax Justice Network, avril 2010.

[6] Commission des communautés européennes, "Supporting Developing Countries in Coping with the Crisis",  Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Bruxelles, 8 avril 2009.

[7] Seattle to Brussels Network, "Reclaiming public interest in Europe's international investment policy", déclaration de la société civile sur l´avenir de la politique d´investissement international en Europe. Bruxelles, 12 mai 2010.

[8] Treaty on the Functioning of the European Union. Disponible sur : <eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2008:115:0047:0199:EN:PDF>.

[10] Cidse, Eurostep, CONCORD et Aprodev, "Lawyers reveal Ashton’s EEAS proposal breaches EU law",déclaration de presse, Bruxelles, 26 avril 2010.

[12] "Council Decision of 19 December 2006",  Official Journal of the European Union, 30 décembre 2006. Disponible sur : <www.eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2006:400:0243:0271:EN:PDF>.

[13] Michael Camdessus et al., "European Investment Bank's external mandate 2007–2013 Mid-Term Review : Report and recommendations of the steering committee of wise persons",  février 2010. Disponible sur : <www.eib.org/attachments/documents/eib_external_mandate_2007-2013_mid-term_review.pdf>.

[14] Ibid, 26.

[15] Eurodad and Counter Balance coalition, "Joint submission of the European Network on Debt and Development and the Counter Balance coalition to the Wise Persons Panel in the context of the mid-term review of the European Investment Bank's external mandate",  Bruxelles, 28 janvier 2010.

[16] Alex Wilks, Corporate welfare and development deceptions. Why the European Investment Bank is failing to deliver outside the EU (Bruxelles : Counter Balance, février 2010).

[17] Eurodad and Counter Balance coalition, op. cit.

[18] UNCTAD, "Economic development in Africa. Rethinking the role of foreign direct investment" (New York et Genève: Nations Unies, 2005) Disponible sur : <www.unctad.org/en/docs/gdsafrica20051_en.pdf>.

[19] "Special Report 6/2007 of the European Court of Auditors on the effectiveness of technical assistance in the context of capacity development",  Journal officiel de l’Union européenne, 21 décembre 2007. Disponible sur : <www.eca.europa.eu/portal/pls/portal/docs/1/673583.PDF>.

[20] Eurodad and Counter Balance coalition, op. cit.

[21] Conseil de l’Union européenne, "Framework on loans and grants blending mechanisms in the context of external assistance",  Groupe de travail des conseillers financiers, 11 décembre 2008.

[22] Eurodad and Counter Balance coalition, op. cit.

[23] Ibid.

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