Le genre en temps de crise: un nouveau paradigme de développement est nécessaire

Publication_year: 
2010
RAPPORT ANNUEL : 
Yes

Social Watch Gender Working Group[1]

Malgré certains progrès, la mise en œuvre des engagements pour l’égalité des sexes est encore loin. Les progrès inégaux vers les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), qui ont tous des dimensions de genre, ainsi que la pauvreté et les inégalités croissantes, ne sont pas dûs seulement aux impacts et aux crises externes, mais à des déséquilibres structurels sous-jacents. Les autorités pertinentes doivent repenser la macroéconomie et reconnaître que le développement économique dépend d’une ample économie des soins (care economy) dans laquelle la main d’œuvre est majoritairement féminine. Il est temps d’appliquer un nouveau paradigme de développement offrant les mêmes droits et les mêmes chances à tous et à toutes. ONU Femmes, la nouvelle agence de l’ONU  pour l’égalité des sexes, sera-t-elle  capable de catalyser ce changement ?

En 1979, beaucoup de gouvernements du monde ont assumé des engagements juridiques pour les droits des femmes en signant la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW, en anglais). Seize ans plus tard, en 1995, la IVe Conférence mondiale sur les femmes a adopté un plan d’action global pour parvenir à l’égalité des sexes : la Plate-forme pour l’action de Beijing. En septembre 2010, les leaders du monde se sont réunis à New York lors du Sommet sur les OMD pour mesurer les progrès vers ces objectifs, qui comprennent la réduction de la pauvreté et l’inégalité, et pour discuter des moyens d’accélérer ces progrès face aux crises répétitives qui affectent le climat, les aliments, l’énergie, les finances et l’économie.

Malgré certains progrès, les engagements pris à Beijing et par la CEDAW sont loin d’être pleinement en vigueur, et l’égalité des sexes n’est pas toujours une composante des programmes de développement économique et social durable. De toutes les  perspectives, y compris celle de l’Index d’Equité de genre (IEG) de Social Watch, des progrès urgents sont nécessaires dans ce domaine car les gouvernements souscrivent rapidement aux instruments internationaux mais sont lents dans leur mise en œuvre.

L’augmentation de la pauvreté et les progrès irréguliers dans la réalisation des OMD, qui ont tous des dimensions de genre, ne sont pas seulement dûs aux impacts et aux crises externes, mais aussi aux déséquilibres structurels sous-jacents. En temps de crise, ce sont les femmes qui portent le poids de la diminution des fonds pour le développement, car elles doivent trouver les moyens de nourrir et de soigner leurs enfants et autres personnes à charge lorsque les revenus du foyer diminuent, et elles doivent réaliser davantage de travaux non rémunérés lorsque les aides sociales disparaissent. Les pauvres (et les femmes sont les plus pauvres parmi les pauvres) n’ont pas de réserve pour affronter la crise. Cependant, ces mêmes pays qui ne trouvent pas d’argent pour le développement ont mobilisé des milliards de dollars pour sauver des banques et des entreprises.

À la recherche d’un nouveau paradigme de développement

Des crises telles que celles qui ont affecté les produits alimentaires, les carburants et les finances ne sont pas neutres à l’égard du genre. Leurs impacts exacerbent les inégalités existantes et mettent en évidence les effets négatifs sur les femmes et sur les économies qui en dépendent. Cependant, rares sont les mesures prises par les pays en réponse à la crise qui ont donné la priorité à l’emploi et aux moyens de subsistance des femmes. À moins qu’on ne prenne des mesures spécifiques, les femmes pauvres resteront en dehors du système et devront accepter des emplois précaires à faible productivité, avec de maigres revenus et sans protection sociale. Parmi elles beaucoup deviendront plus vulnérables à la traite des personnes et accepteront des travaux dangereux, voire illégaux.

Il est essentiel d’établir des mesures pour protéger les femmes contre les pires effets des crises. Cependant, il y a aussi un grand besoin de politiques de développement social qui assument le genre comme une étape décisive vers une plus grande égalité et vers le bien-être des personnes. Comme on le voit dans les crises précédentes en Asie et en Amérique Latine, les indicateurs sociaux mettent le double de temps pour sortir de la crise et ils doivent être suivis de près, de même que la croissance économique qui n’est plus une mesure valable du bien-être humain et social. Nous avons besoin d’un changement de paradigme qui doit se refléter dans la pratique. Il ne s’agit pas de prendre comme but la croissance et de formuler quelques politiques pour les femmes ou pour les familles pauvres, mais de concevoir et de mettre en œuvre un nouveau paradigme de développement avec les mêmes droits et les mêmes chances pour tous et pour toutes.

Malgré les progrès dans les cadres politiques et juridiques pour l’égalité de sexes, les mouvements des femmes dans le monde entier ont été frustrés parce que les États n’ont pas mis en œuvre ces décisions et n’ont pas respecté leurs engagements. Comme l’a signalé Norah Matovu Wing, directrice exécutive du Réseau de développement et de communication des femmes africaines (FEMNET) : « Le changement qui a eu lieu dans le statut politique, social et économique et pour la situation des femmes africaines est indéniable. Toutefois, nous sommes préoccupées par le fait que jusqu’à présent seule une minorité profite de ces avantages »[2]. Les changements dans la vie quotidienne des femmes sont rares, notamment pour celles qui habitent en zones rurales et pour celles qui sont obligées de se déplacer à l’intérieur de leur propre pays ou d’émigrer à l’étranger.

Impacts de la crise économique sur le genre

La crise économique de 2008 et les plans ultérieurs de récupération au niveau national, régional et international n’ont pas pu reconnaître, comprendre, analyser et corriger l’impact de la crise financière sur le genre. Le refus persistant de cet impact, ainsi que le manque d’inclusion des femmes dans la recherche d’une solution, impliquent le risque d’un retour à une stratégie de récupération « comme d’habitude » qui dans le long terme aura des conséquences préjudiciables pour la réalité des femmes, des hommes et des enfants ainsi que pour l’environnement.

La crise économique actuelle est différente des récessions précédentes parce qu’il s’agit d’une récession qui a eu et continuera à avoir un impact beaucoup plus grand, bien que différent, sur les femmes.
Par rapport à des périodes précédentes de ralentissement économique, actuellement les femmes « représentent la force la plus importante (et la moins reconnue) pour la croissance économique sur la planète », du moins selon The Economist, qui a suggéré que pendant ces dernières décennies les femmes ont davantage contribué à l’expansion économique mondiale que les nouvelles technologies ou les marchés émergents de la Chine et de l’Inde[3]. Toutefois, on ne tient pas compte de cette réalité. En outre, le nombre sans précédent de femmes présentes sur le marché du travail implique que les femmes contribuent au revenu du ménage comme jamais elles ne l’avaient fait auparavant. Par conséquent, l’intégration des femmes au marché du travail signifiera non seulement que la crise aura un plus grand impact direct sur les femmes elles-mêmes mais aussi sur les ménages, où les revenus seront considérablement affectés par la perte d’emploi des femmes.

Mais, ce qui est plus important encore, la situation économique des femmes au début de la récession n’était en aucune manière égale à celle des hommes. Dans des modèles de travail caractérisés par la séparation  des marchés selon le genre, par l’écart salarial entre hommes et femmes, par des niveaux plus élevés d’emploi à temps partiel et par une forte concentration dans le secteur dit informel, à faible revenu et avec peu ou pas de protection sociale, les femmes sont défavorisées pour faire face à la crise.

Il est important de reconnaître les dimensions interdépendantes et polyfacétiques de la crise économique et financière pour comprendre son impact global sur les femmes et sur les relations des genres à l’heure actuelle et dans l’avenir. En général, on a ignoré les dimensions de genre de cette crise. Par exemple, en Europe, les prévisions officielles des chiffres de chômage sont similaires pour les femmes et pour les hommes. Toutefois, ces estimations ne tiennent pas compte du fait que la proportion de femmes employées à temps partiel, un domaine qui reste hors des statistiques de chômage, est excessive. En 2007, le pourcentage de femmes travaillant à temps partiel dans l’Union Européenne (UE) était de 31,2 %, c’est à dire, quatre fois plus élevé que celui des hommes[4]. Les femmes sont également les principaux fournisseurs de services publics et représentent jusqu’à deux tiers de la main d’œuvre dans les domaines de l’éducation, de la santé et des services sociaux ; par conséquent, le chômage des femmes risque d’augmenter de façon disproportionnée à cause de la réduction des dépenses du secteur public.

Pour comprendre les effets des réductions des dépenses publiques sur les femmes, à court et à long terme, il faudrait faire une analyse de l’impact de genre avant de les mettre en oeuvre. Les réponses des États à la crise se sont focalisées sur les secteurs dominés par la présence masculine (par exemple, l’industrie de l’automobile et le secteur du bâtiment), mais les réductions des dépenses publiques auront sans doute comme conséquence que des services comme la prestation de soins retomberont sous la responsabilité des femmes, ce qui limitera encore davantage leur capacité à participer pleinement à tous les aspects de la vie. De même, l’impact des réductions des dépenses sur les services d’assistance fournis dans les milieux socioéconomiques les plus défavorisés se traduira par une plus grande dépendance des femmes tant au sein des familles que dans la communauté en général.

Partout dans le monde, les taux de chômage des femmes sont en train d’augmenter en raison de conceptions de genre périmées et des réductions des dépenses publiques, alors que, dans le même temps, la participation des femmes à l’économie informelle et au « travail bénévole » a augmenté dans la mesure où les interventions d’assistance sociale ont été éliminées et on attend des femmes qu’elles remplissent ces vides.

Enjeux mondiaux : aperçu général

En Asie, en Afrique, en Europe, en Amérique Latine et au Moyen-Orient, les mouvements pour les droits des femmes ont reconnu les effets positifs des accords internationaux sur la vie des femmes et des filles. Toutefois, dans certaines régions on a remarqué une montée de l’extrémisme religieux et/ou le conservatisme de droite associés à la perpétuation et la diffusion de lois discriminatoires à l’égard des femmes. De nombreux États et partis politiques manipulent le droit des personnes à la diversité culturelle et religieuse comme un prétexte pour violer les droits fondamentaux des femmes, des filles, des personnes porteuses de VIH/SIDA et des personnes aux orientations sexuelles différentes [5]. L’oppression politique des femmes et le refus de leurs droits sont renforcés par les conflits armés et le recours excessif à la militarisation plutôt qu’au bien-être humain comme moyen de garantir la sécurité.

Des variantes de ce phénomène peuvent être observées en Afrique et dans d’autres régions en développement où la crise est arrivée par le biais de divers canaux de transmission. Il est également devenu nécessaire d’utiliser une perspective de genre pour décoder les situations qui se produisent au sein des ménages, puisque les gens qui partagent un même toit entretiennent des relations de pouvoir asymétriques[6]. Par ailleurs, malgré les changements en cours dans les rôles sociaux, la division du travail ménager selon le genre est encore très rigide. Les limites que cette division du travail impose aux femmes et les hiérarchies sociales fondées sur cette division déterminent une position d’inégalité dans trois systèmes étroitement liés : le marché du travail, le système de bien-être ou de prestations sociales et le ménage.

L’Amérique Latine et les Caraïbes : manque de politiques d’égalité

En Amérique latine, les principaux impacts négatifs de la crise économique mondiale sont la baisse des échanges commerciaux (autant en volume qu’en valeur), la diminution des envois de fonds et l’aggravation du chômage, ajoutés à une augmentation de la pauvreté. Plus de 2 millions de personnes ont perdu leur emploi en 2009 et, malgré les prévisions d’une croissance économique plus forte en 2010, il sera difficile de récupérer ces emplois perdus[7]. Cette situation est aggravée par les résultats d’un rapport de la Commission économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPAL) : en 2009, les exportations ont chuté de 24 % à la suite de la crise[8].

Pour l’instant, les réponses à la crise dans la région ont mis l’accent sur la stabilisation du secteur financier et sur des mesures visant à soutenir la demande, l’emploi et l’assistance aux populations vulnérables. Cependant, très peu de mesures prises par les gouvernements d’Amérique Latine et des Caraïbes tiennent compte des femmes, bien que la récession exerce davantage d’impact sur elles tant en ce qui concerne le chômage qu’en  termes d’emplois plus précaires à faible productivité et faisant l’objet de moins de protection sociale. Il est nécessaire que ces politiques prennent en compte l’inégalité des sexes, car l’accumulation du profit est basée non seulement sur l’exploitation des ressources naturelles, mais aussi sur la main-d’œuvre bon marché, et la main-d’œuvre féminine est la moins chère de toutes.

Bien que cela ne soit pas formellement reconnu, le processus de production impose un double fardeau pour les femmes : au sein du ménage (ou travail « bénévole ») et dans des emplois mal rémunérés pour augmenter les revenus. Au cours des dernières décennies, les salaires ont diminué dans la plupart des pays de la région, notamment à cause de l’entrée de davantage de femmes sur le marché du travail.

Lors de la Xe Conférence régionale sur les femmes d’Amérique latine et des Caraïbes, tenue en août 2007, 33 gouvernements ont accordé le Consensus de Quito exigeant l’adoption de toutes les mesures d’action positive et de tous les mécanismes nécessaires, y compris des réformes législatives et des mesures budgétaires, pour assurer la participation et les droits des femmes[9]. L’incapacité à mettre en œuvre les engagements pris à Quito montre les lacunes des politiques d’égalité des sexes, liées à la faiblesse des États, pour adopter et mettre en œuvre des mécanismes de promotion de la femme et à la prévalence de politiques de « bien-être » biaisées, plus proches de la charité que des droits humains.

Lors de la récente XIe Conférence régionale sur les femmes d’Amérique Latine et des Caraïbes, qui s’est tenue en juillet 2010 à Brasilia (Brésil), la CEPAL a présenté un document analysant les réalisations en matière d’égalité des sexes et les enjeux auxquels les femmes de la région doivent encore faire face[10]. Cet organisme propose un nouveau pacte social pour redistribuer la charge de travail totale (travail rémunéré et non rémunéré) entre les hommes et les femmes, afin de faciliter l’accès des femmes au marché du travail[11].

La région africaine : une goutte dans l’océan

Malgré les progrès dans la législation axée sur l’égalité des sexes et le processus judiciaire, les femmes africaines ont exprimé leur désillusion à l’égard de leurs gouvernements, qui ont souscrit aux instruments des droits humains et ont soutenu rapidement différentes politiques internationales et régionales, mais qui sont extrêmement lents à respecter leurs engagements.

Le Rapport parallèle des ONG africaines sur Beijing +15 a constaté que « les mesures concrètes prises au cours des cinq dernières années représentent une goutte d’eau dans l’océan par rapport aux nombreuses promesses faites par les gouvernements africains sur les questions fondamentales de l’égalité des sexes, de l’équité et de l’autonomisation des femmes. En bref, les dirigeants africains sont en train de trahir les attentes des femmes africaines »[12].

Bien qu’aujourd’hui, les politiques d’État reflètent certains éléments des cadres d’« égalité des sexes », en général elles ne parviennent pas à aborder les questions relatives à l’autonomisation des femmes et, en particulier, à la santé et aux droits sexuels et reproductifs.

Dans le contexte de la crise économique et financière mondiale, les premières personnes qui ont perdu leur emploi dans le secteur formel en Afrique appartenaient aux couches défavorisées, formé d’une majorité de femmes. Les femmes restent largement invisibles dans l’économie formelle, et leur travail non rémunéré n’est toujours pas reconnu mais il augmente ; parallèlement les femmes doivent assumer le poids de l’impact économique et social des politiques macro-économiques.

Des économistes féministes ont souligné à maintes reprises que la crise mondiale exerce de plus en plus d’effets liés au genre car ils se produisent dans un contexte politique qui affecte la charge de travail des femmes et les oblige à assumer davantage de tâches de prestation de soins dans la mesure où les services publics ou privés deviennent moins accessibles. Ce contexte inclut également des taux de chômage plus élevés pour les femmes, leur marginalisation accrue dans le secteur informel et une possible détérioration de leurs conditions de travail[13].

La région arabe : l’autonomisation économique des femmes

En opposition au mythe d’un « monde musulman » unifié et homogène, différents groupes de femmes dans la région arabe ont encouragé des changements au sein de leurs communautés en luttant contre les interprétations conservatrices de l’islam niant l’égalité des sexes et en luttant pour la justice de genre au niveau local. En dépit de leur culture commune, il existe des différences notables entre les pays arabes en termes de  mise en œuvre de la Plate-forme de Beijing. Cela est dû à plusieurs facteurs, parmi lesquels figure la façon dont les différents pays interprètent les textes religieux concernant les femmes, ce qui se reflète dans les lois relatives au statut personnel et aux responsabilités qu’elles sont autorisées à assumer en dehors des limites de la maison et la famille.

Bien que tous les États arabes aient signé et ratifié la CEDAW, cela a été fait avec tant de réserves que le but de la convention risque de ne pas être atteint. D’autres pays comme, par exemple, l’Afghanistan, ont ratifié la Convention mais n’ont jamais présenté de rapport au Comité de la CEDAW.

On a beaucoup parlé du rôle de la religion dans cette région, notamment en ce qui concerne la promotion des femmes. Il y a bien longtemps que les féministes de la région contestent l’utilisation du terme « fondamentalisme » pour faire référence aux interprétations conservatrices de l’islam[14], et actuellement, de nouvelles initiatives pour réformer le droit de la famille musulman sont en train d’émerger depuis l´intérieur[15]. Les différents groupes de femmes de la région admettent que le principal obstacle à une participation plus importante des femmes aux postes de leadership est dû au manque de volonté politique plutôt qu’à la tradition religieuse.

En décembre 2009, plusieurs organisations de femmes ont tenu une réunion régionale de consultation au Caire afin d’évaluer les réalisations et les enjeux dans la région arabe depuis l’adoption de la Plate-forme de Beijing. Cette rencontre régionale, à laquelle ont participé 235 femmes de 14 pays, des dirigeantes de mouvements pour les droits des femmes et des représentants de la société civile, s’est conclue par une indication des priorités futures pour la région arabe concernant la réalisation de la Plate-forme de Beijing[16].

Bien que la proportion de femmes dans la population active de la région ait augmenté, elle reste encore très faible en comparaison avec d’autres régions et il existe une grande dépendance économique avec toutes les conséquences sociales que cela implique. Il est fréquent que les femmes travaillent dans le secteur informel et que, lorsqu’elles sont propriétaires d’entreprises, elles ne les dirigent pas personnellement mais doivent en confier la direction à un homme de la famille. Bien que peu de pays collectent ces données, lorsque les femmes ont un emploi formel elles sont généralement moins rémunérées que leurs collègues masculins[17].

La région arabe a aussi reçu l’impact de la crise économique mondiale qui a entraîné un ralentissement économique et a affecté la capacité des individus à faire valoir leurs droits. Certains défenseurs des droits des femmes affirment que la crise actuelle a donné aux gouvernements l’occasion de modifier leurs politiques macro-économiques pour encourager l’investissement dans la promotion de l’égalité des sexes. D’autres ont remis en question cette stratégie en soulignant que dans le contexte musulman, les politiques et les programmes de soutien à l’autonomisation des femmes ne peuvent pas être efficaces si leur mise en œuvre est entravée par des forces qui se dressent entre les femmes et les institutions de l’État, telles que les coutumes et les pratiques traditionnelles et religieuses[18].

L’Asie et le Pacifique : des progrès accomplis et des questions en attente

En octobre 2009, les organisations et les réseaux de la région Asie et le  Pacifique représentant un large éventail de femmes et de filles se sont réunis au Forum des ONG sur Beijing +15 et ont réaffirmé leur confiance à la Plate-forme de Beijing considérée comme un document stratégique pour la promotion des femmes et des filles, des droits humains, de la paix, de la sécurité des personnes et d’un développement incluant les femmes. Le Forum a également identifié les crises parallèles du développement, telles que la dette, le changement climatique, la sécurité alimentaire, les conflits et les finances, et la violence croissante contre les femmes comme étant les éléments qui ont les conséquences les plus graves pour les droits des femmes et des filles de l’ensemble de la région[19].
Le Forum a également signalé la ratification de la CEDAW par tous les pays, à l’exception de Brunei Darussalam, Nauru, Palaos et Tonga, comme une démarche positive. En outre, plusieurs pays de la région, tels que la Thaïlande, le Cambodge et les Philippines dans le sud-est de l’Asie et l’Inde, le Népal et le Bangladesh dans le sud de l’Asie, possèdent actuellement des Plans d’action nationaux pour combattre la violence contre les femmes[20]. En ce moment, des lois et des politiques visant à renforcer la sécurité et les droits économiques des femmes dans des domaines clés, tels que le travail décent et l’accès au crédit et aux marchés sont en cours d’adoption. Certains pays, tels que l’Afghanistan, l’Indonésie et le Timor oriental, ont approuvé des quotas ou d’autres mesures d’action positive pour accroître la participation des femmes dans la prise de décisions politiques, tandis que d’autres pays ont pris des mesures pour améliorer les indicateurs de santé chez les femmes et les filles et pour mettre en œuvre des mécanismes visant à réduire les écarts de genre dans les domaines de l’alphabétisation et de l’enseignement primaire et secondaire.

Malgré ces progrès, le Forum a reconnu la complexité des nombreux enjeux que doivent encore affronter les femmes et les filles de la région et leur lutte pour faire face aux crises récurrentes. Des préoccupations particulières ont été signalées concernant l’impact de ces crises sur les droits des femmes, et l’intégration économique sous-régionale et la création de plans nationaux de développement basés sur les principes et les pratiques de la durabilité écologique, la souveraineté alimentaire, l’inclusion financière, la protection sociale universelle, la solidarité économique et le commerce équitable sont les revendications qui ont été exprimées.

Conclusion

À l’heure actuelle, les besoins des femmes et des filles vont au-delà de la promotion de la Plate-forme pour l’action de Beijing et la mise en œuvre de la CEDAW, et ils comprennent la planification d’un développement durable centré sur l’être humain. Les forums régionaux tels que le Forum des ONG d’Asie et du Pacifique indiquent qu’il faudrait une intégration économique sous-régionale et des plans nationaux de développement basés sur les principes et les pratiques de la durabilité écologique, la souveraineté alimentaire, la transparence financière, la protection sociale universelle, la solidarité économique et le commerce équitable.

La récession mondiale est le moment idéal pour créer un nouveau modèle de développement dans lequel l’égalité des sexes et l’inclusion sociale devraient être des priorités fondamentales. Il faut repenser les modèles macro-économiques qui sont fondés sur le maintien d’une inflation faible et sur le contrôle de la balance des paiements et reconnaître que la croissance économique exige un salaire minimum vital et la contribution de tous les êtres humains à la productivité économique. Pour cela il est également nécessaire de reconnaître qu’une économie productive dépend d’une ample économie de soins dans laquelle la main-d’œuvre est majoritairement féminine. Il est temps de mettre en pratique un nouveau paradigme de développement avec les mêmes droits et les mêmes chances pour tous.

La création d’ONU Femmes : sera-t-elle à la hauteur des enjeux ?

Genoveva Tisheva et Barbara Adams

Les organisations et les groupes de femmes du monde entier ont célébré la décision de l’Assemblée générale des Nations Unies adoptée le 2 juillet 2010  de créer l’agence de l’ONU pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes : ONU femmes. Cette nouvelle entité sera dirigée par une Secrétaire générale adjointe et consolidera et fusionnera les quatre entités existantes dédiées aux questions de genre, augmentera la capacité opérationnelle au niveau des pays et aura davantage d’autorité et de ressources pour stimuler l’autonomisation et la promotion de la femme.

Dans cette résolution, les paragraphes relatifs à l´importance de la participation de la société civile dans la nouvelle entité attirent spécialement l´attention. La nouvelle organisation étendra sa capacité opérationnelle dans les pays : entre autres, elle établira des liens avec des groupes de femmes et d´autres organisations de la société civile se consacrant a la promotion de l´égalité des sexes et l´autonomisation des femmes.

Cette résolution a été possible grâce à l’ensemble des activités de promotion et à l’engagement solide des mouvements de femmes et d’autres organisations de la société civile au cours de ces quatre dernières années. Cela a commencé par l’approbation du Rapport 2006 sur la Réforme de l’ONU du Panel sur la cohérence de tout le système, qui comprenait la recommandation de créer une nouvelle agence afin d’augmenter l’autorité, les ressources et la capacité de l’ONU dans son travail pour l’égalité des sexes. Sachant qu’un effort accru de la société civile était nécessaire pour la formation de cette nouvelle entité, plusieurs groupes se sont réunis dans la Réforme de l’architecture pour l’égalité des sexes ou Campagne GEAR (selon son acronyme en anglais). Charlotte Bunche, ancien directrice exécutive du Centre pour le leadership global des femmes, un des membres fondateurs de la campagne GEAR, a déclaré : « Nous avons de grandes attentes pour cette nouvelle agence : les groupes de femmes et les autres organisations qui se consacrent à la justice sociale et aux droits humains et les organisations de développement qui ont joué un rôle clé dans cet effort doivent maintenant faire en sorte que ce nouvel organisme reçoive les ressources humaines et financières nécessaires pour mener à bien sa mission ».

Cela dépend beaucoup de la personne que le Secrétaire général de l’ONU nommera à la tête de la nouvelle organisation au poste de Secrétaire générale adjointe. Selon un consensus général, cette personne doit réunir la vision, l’expérience et la détermination, non seulement pour prolonger le travail de l’entité de l’ONU pour l’égalité des sexes, mais aussi pour faire en sorte que les autres parties du système de l’ONU rendent compte de leurs efforts de promotion de l´égalité des sexes dans tous les pays. Ceci est particulièrement important en ce moment où autant la communauté internationale que les pays du monde entier accélèrent leurs efforts pour progresser vers la réalisation des OMD d’ici à 2015, tout en affrontant les effets persistants de la pire crise financière et économique mondiale de ces 40 dernières années.

Le premier enjeu majeur à relever par ONU Femmes est donc de savoir si elle adoptera le modèle traditionnel du multilatéralisme, dans lequel les décisions sont prises seulement par les gouvernements et où le processus politique a tendance à diluer les recommandations concernant la politique. Ce modèle n’a pas réussi à promouvoir le développement durable dans tous les pays ni à confronter les divergences entre les politiques macroéconomiques et les approches de justice de genre. Les partisans de l’égalité des sexes dans les Organisations de la société civile (OSC), les gouvernements et les agences de l’ONU devraient commencer à combler cet écart, et l’épreuve pour ONU Femmes est de savoir si elle pourra fournir la vision et le leadership nécessaires.

Divergences politiques

La crise financière et économique a non seulement mis en danger les ressources pour le développement mais aussi les politiques visant à les rendre inclusives et durables. Comme les gouvernements cherchent à réduire leurs budgets et leurs dépenses publiques en raison de la dette qu’ils ont créée pour faire face à la crise, ces compressions se feront sentir dans de nombreux domaines des services sociaux, tels que l’éducation et la santé, qui sont essentiels pour la promotion des femmes. Ceci menace l’autonomisation déjà acquise, non seulement parce que ces services seront plus limités et plus chers mais aussi parce que ces réductions budgétaires augmenteront le travail non rémunéré des femmes pour compenser l’absence de services par le biais de « l ’économie des soins » basée sur l’hypothèse incertaine selon laquelle les femmes sont naturellement plus aptes à fournir des soins et ont le temps et la capacité de le faire.

Dans le même temps, ce sont les secteurs où l’on trouve la plus forte concentration d’emplois féminins, ce qui contribue à la perte d’emploi pour les femmes, car on part du principe que si les gouvernements réduisent les dépenses en services publics et subventionnent les initiatives du secteur privé, ces services seront fournis par ce secteur contribuant ainsi à créer des emplois pour les femmes et pour les hommes. Ce concept présuppose non seulement une demande soutenue, malgré la réduction du revenu des ménages et la charge de nouvelles dépenses, mais aussi que la principale source de revenu du ménage est l’emploi de l’homme et que les revenus de la femme sont secondaires. Et cela à un moment où l’ONU a affirmé (et les objectifs de l’OMD le reflètent) que la stratégie clé pour réduire la pauvreté consiste à offrir le plein emploi, productif et décent, notamment aux femmes et aux jeunes. Dans de nombreux cas, les politiques en réponse à la crise économique contribuent à perpétuer ces hypothèses obsolètes et discréditées, défavorisent les femmes de manière disproportionnée et augmentent la divergence entre les politiques.

À l’instar d’autres articles, ce rapport signale qu’il faut donner aux gouvernements des pays en développement, qui n’ont pas été responsables de cette crise, un espace politique suffisant pour développer leurs politiques fiscales et répondre à la crise de manière à promouvoir l’emploi et à protéger les aides sociales. En réponse à cela, les institutions internationales de crédit, comme le FMI et la Banque mondiale, ont fait preuve de davantage de volonté pour soutenir des politiques fiscales plus souples et maintenir les dépenses sociales, au moins dans certains cas. Par conséquent, le plus urgent sont les efforts concertés de la société civile, y compris les organisations de femmes, pour s’assurer que les gouvernements occupent cet espace de manière à protéger les droits et à promouvoir le bien-être de tous les secteurs de la société. C’est dans cette nouvelle direction que l’entité de genre récemment créée, ONU Femmes, doit servir d’inspiration et offrir un leadership.

Le réseau GEAR d’organisations et de réseaux de femmes et de la société civile est en contact avec les représentants de l’ONU à tous les niveaux pour élaborer un processus de transition et assurer à la nouvelle Secrétaire générale adjointe qu’il a l’intention de soutenir la nouvelle entité dans la promotion de l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. « Nous savons que ce n’est que le début », a déclaré Rachel Harris de l’Organisation de femmes pour l’environnement et le développement (WEDO). « Nous devons continuer à veiller à la construction d’une ONU qui soit vraiment utile à toutes les femmes dans la vie réelle. Cela exige la participation active de toutes les parties prenantes ».

 

[1] Cet article est le résultat du travail du Social Watch Gender Working Group, basé sur l’information fournie par Social Watch 06, articles occasionnels, l’heure de l’économie de genre (mars 2010). Il a été rédigé par Enrique Buchichio et Amir Hamed, du Secrétariat de Social Watch.

[2] African Women NGO Review Beijing +15, novembre 2009. Disponible sur : <www.foroyaa.gm/modules/news/article.php?storyid=3913>.

[3] Ruth Sunderland, “ This mess was made by men. Now let the women have their say”. The Observer, 1er février 2009. Disponible sur : <www.guardian.co.uk/commentisfree/2009/feb/01/davos-global-recession-gender>.

[4] Lobby européen des femmes, Les femmes et la crise économique : l’urgence d’une perspective de genre, 2010. Disponible sur : <www.socialwatch.org/node/11611>.

[5] Voir, par exemple : Social Watch, L’heure de l’économie de genre – Quinze ans après la IVe  Conférence mondiale sur la femme, mars 2010. Disponible sur le site : <www.socialwatch.org/node/11578>.

[6] Équipe de recherche de Social Watch, Genre et pauvreté : un cas d’inégalités entrelacées, 2005. Disponible sur le site : <www.socialwatch.org/sites/default/files/pdf/en/genderpoverty2005_eng.pdf>.

[7] OIT, 2009 Panorama du marché du travail de l’Amérique Latine et des Caraïbes, Genève, janvier 2010.

[8] CEPAL, Le commerce international en Amérique Latine et aux Caraïbes en 2009 : crise et récupération. Janvier 2010. Disponible sur le site : <www.eclac.org/publicaciones/xml/6/38276/Crisis_recuperacion_2009.pdf>.

[9]  “Latin American and Caribbean countries approve Quito consensus”, 14 août 2007. Disponible sur : <www.caribbeanpressreleases.com/articles/2200/1/Latin-American-and-Caribbean-countries-approve-Quito-consensus/Page1.html>.

[10] CEPAL, Quel État et pour quelle égalité ? juillet 2010. Disponible sur : <www.eclac.org/publicaciones/xml/6/40116/Que_Estado_para_que_igualdad.pdf>.

[11] Pour davantage de détails sur cette région, voir : Social Watch, “ LAmérique Latine et les Caraïbes : il n’y a pas de solution à la crise sans politiques de genre”, 2010. Disponible sur : <www.socialwatch.org/node/11615>.

[12] FEMNET, “The Africa Women’s Regional Shadow Report on Beijing + 15”, 10. Disponible sur : <www.unngls.org/IMG/pdf_1272966511_196.200.26.62_Africa_NGO_Report-_Beijing_15_FINAL-ENG.pdf>.

[13] Development Alternatives with Women for a New Era (DAWN),  “Re-imagining Feminist Politics and Strategies in the Global South”. Disponible sur : <www.dawnnet.org/resources-news.php?id=92>.

[14] Pour plus d’information, voir Anita Nayar : “Pour réfléchir sur les fondamentalismes au sein de Social Watch”, “La région Arabe : 30 ans de la CEDAW”, 2010. Disponible sur : <www.socialwatch.org/node/11599>.

[15] Voir Musawah : For equality in the family, <www.musawah.org>.

[16] Regional Beijing+15 NGO Shadow Report Issued by Women’s Rights Experts, El-Karama, 2010. Disponible sur : <www.el-karama.org/content/regional-beijing15-ngo-shadow-report-issued-women%E2%80%99s-rights-experts>.

[17] Mona Chemali Khalaf, Women’s control over economic resources and access to financial resources, UN Economic and Social Commission for Western Asia (ESCWA), 31 août 2009. Disponible sur : <www.escwa.un.org/information/publications/edit/upload/ecw-09-2-e.pdf>.

[18] Vivienne Wee, Farida Shaheed et al., “Women empowering themselves : A framework that interrogates and transforms”, Women’s Empowerment in Muslim Contexts, 2008. Disponible sur : <www.wemc.com.hk/web/rf/3_WEMC_Research_Framework.pdf>.

[19] Final Declaration of the Asia Pacific NGO Forum on Beijing +15. Disponible sur : <apww.isiswomen.org/index.php?option=com_content&view=article&id=65:final-declaration-of-the-asia-pacific-ngo-forum-on-beijing-15&catid=2:ap-ngo-forum-15&Itemid=25>.

[20] Noeleen Heyzer, discours principal, Forum d’ONG d’Asie et du Pacifique sur Beijing +15, Manille, octobre 2009.

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