Le traité de Lisbonne et les nouvelles perspectives sur la politique de développement de l’Union européenne.

Publication_year: 
2010
RAPPORT ANNUEL : 
Yes

Mirjam van Reisen, EEPA
Simon Stocker, Eurostep

Le traité de Lisbonne contient des dispositions pour faire face à la pauvreté et à l’exclusion sociale dans l’Union européenne. Ceci est particulièrement important cette année 2010 déclarée Année européenne de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, alors que 16 % de la population européenne est pauvre. Les fonds européens de coopération au développement ont continué d’augmenter ces dernières années. Cependant, les apports pour le secteur social des pays en développement, particulièrement en Afrique subsaharienne, ont été considérablement réduits. La diminution drastique de l’apport de la Commission européenne pour l’éducation et la santé dans les pays en développement est inacceptable et cette situation doit être modifiée.

On attendait du traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, qu’il permette à l’Union européenne (UE) de disposer d’« institutions modernes et de meilleures méthodes de travail » en vue de relever efficacement les enjeux du monde d’aujourd’hui[1] . Le traité a introduit des modifications clairement nécessaires au sein de l’Union européenne visant à la simplification des méthodes de travail et à la transparence et il a établi de nouvelles règles démocratiques. En ce qui concerne la politique extérieure, les objectifs politiques et la création de nouveaux instruments diplomatiques ont été soulignés, pour faire face aux enjeux de notre monde qui évolue rapidement et placer l’UE en tant qu’acteur sur la scène mondiale.

Après la ratification du Traité de Lisbonne par tous les États membres de l’UE, l’objectif de la politique de coopération au développement a été clairement défini. Le traité établit que tous les efforts des politiques seront orientés vers « la réduction et, à terme, l’éradication de la pauvreté » (Art. 208).

Le traité contient aussi des dispositions spécifiques pour faire face à la pauvreté et l’exclusion sociale dans l’Union européenne. Selon l’article 9,
« dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l'Union prend en compte les exigences liées à la promotion d'un niveau d'emploi élevé, à la garantie d'une protection sociale adéquate, à la lutte contre l'exclusion sociale ainsi qu'à un niveau élevé d'éducation, de formation et de protection de la santé humaine ». De plus, l’article 3 établit clairement que l’Union « combat l'exclusion sociale et les discriminations, et favorise la justice et la protection sociales » [2]. L’année 2010 a été déclarée Année européenne de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Ceci est particulièrement important en 2010 puisque l’Europe est en train de définir la réponse aux enjeux de la stabilité financière de l’euro, qui ont défié toute l’Union européenne entière.

Le Parlement européen a été doté de nouveaux pouvoirs pour approuver les accords commerciaux ; désormais le Parlement européen dispose d’un comité de commerce pour garantir plus de contrôles dans la surveillance des relations commerciales de l’Union avec les pays tiers. De plus, le Parlement européen a négocié un rôle plus important dans le domaine des relations extérieures et la baronne Catherine Ashton, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, s’est engagée à présenter des rapports réguliers au Parlement européen.

Relations de l’Union avec les pays en développement

Les relations de l’Union avec les pays en développement se fondent sur le principe de non-discrimination et un objectif essentiel est l’éradication de la pauvreté. Le traité identifie aussi quatre éléments clés : cohérence, consistance, complémentarité et coordination. Le principe de « cohérence » est d’une importance capitale pour atteindre les objectifs de la coopération pour le développement puisque « l'Union tient compte des objectifs de la coopération au développement dans l’application des politiques susceptibles d'affecter les pays en développement » (Traité de Lisbonne, article 208). Cet objectif s’applique à toutes les institutions de l’Union, même au Service européen pour l’action extérieure (SEAE). En novembre 2008, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un jugement par lequel les opérations de la Banque européenne d’investissement (BEI) dans les pays en développement doivent prioriser le développement avant tout autre objectif économique ou politique.

L’application du Traité de Lisbonne prévoit l’établissement du SEAE, dont les objectifs ont fait l’objet de grandes discussions. L’établissement du SEAE représente un changement considérable par rapport au modèle actuel de la politique européenne pour le développement. Son objectif principal est de doter l’Union européenne d’un seul service diplomatique qui soutiendra la baronne Ashton. Daniel R. Merkonen signale dans une opinion légale pour Eurostep que : « l’Union européenne a besoin d’un système d’aide au développement et à la coopération qui contienne ce système de contrôles. En tant que partenaire qui déclare les critères de bonne gouvernance dans ses relations avec les autres, particulièrement avec les partenaires les plus faibles, l’Union européenne se trouvera en meilleure position si elle peut plaider pour une bonne gouvernance non seulement comme principe mais aussi dans la pratique » [3]. Il existe un accord général sur le rôle du SEAE dans la promotion de la cohérence des politiques de développement, étant donné que le Traité de Lisbonne – qui fixe l’éradication de la pauvreté comme objectif central des relations de l’Union européenne avec les pays en développement – s’applique à ses compétences.

La communication de la Commission européenne au sujet de la
« Cohérence des politiques pour le développement – Accélération de la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement » a souligné le fait que l’aide en elle-même est insuffisante pour atteindre les OMD[4]. Cette approche s’applique dans douze domaines d’intervention : le commerce, l’environnement, le changement climatique, la sécurité, l’agriculture, les accords de pêche bilatéraux, les politiques sociales (emploi), la migration, la recherche et l’innovation, les technologies de l’information, le transport et l’énergie. Ce document sur la cohérence des politiques souligne que le commerce et l’agriculture sont les domaines où doivent être appliquées les améliorations du Système européen de préférences généralisées et le modèle révisé de production agricole.

Il est surprenant que cette liste de priorités ne fasse aucune mention du changement climatique, étant donné la préoccupation des citoyens européens pour cette question. Selon l’Eurobaromètre, le système d’enquêtes de l’Union européenne, 63 % des citoyens considèrent que le changement climatique est un problème très grave et 24 %, assez grave. La majorité des européens (62 %) croit que le changement climatique n’est pas inévitable ; seulement 10 % ne le considère pas comme un problème grave et 3 % ne sait pas. De plus, 47 % des enquêtés considèrent que le changement climatique est un des problèmes les plus graves auquel le monde doit faire face. Il est intéressant de remarquer que seulement la pauvreté préoccupe davantage, puisque 69 % des enquêtés l’ont placée parmi les deux problèmes les plus graves. C’est pourquoi une approche d’ensemble de la protection de l’environnement/changement climatique et de la pauvreté est particulièrement attrayante et pertinente. Il est accepté que le développement durable est une composante clé pour l’éradication de la pauvreté, mais il est urgent de stimuler une vue d’ensemble de l’Union européenne et des pays en développement qui intègre de bons exemples et des occasions qui montrent la façon d’appliquer les principes.

Selon la communication de la CE, en mai 2010 le Parlement européen a approuvé une résolution sur la Cohérence des politiques pour le développement (CPD) comptant plus de 70 recommandations. La résolution a remarqué que :

  • Les « questions de Singapour »[5] , telles que la libéralisation des services, l’investissement et la passation des marchés, les nouvelles règles de concurrence et un plus grand respect des droits de propriété intellectuelle, n’aident pas à atteindre les huit OMD.

 

  • Les subventions de l’Union européenne pour l’exportation de produits agricoles européens ont un effet désastreux sur la sécurité alimentaire et le développement d’un secteur agricole viable dans les pays en développement.
  • Les contributions financières de l´UE dans le cadre des Accords de partenariat conclus dans le secteur de la pêche (APP) n’ont pas contribué à la consolidation des politiques de pêche des pays associés, en bonne mesure à cause du manque de suivi de l’application de ces accords, de la lenteur pour fournir l’aide et, même, de la non utilisation de cette aide.

 

  • En tant que l’un des grands exportateurs d’armes, l’Union européenne exporte ou facilite l’envoi d’armes aux mêmes pays où sont dépensés des millions pour l’aide au développement ; l’UE-15 dépense quelque EUR 70 milliards par an dans l’aide au développement, alors que le montant des exportations d’armes de l’UE représente quelque EUR 360 milliards par an.
  • « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée » , un document qui résume la stratégie commerciale de l’Union européenne, montre que les stratégies des accords de libre commerce bilatéraux et régionaux favorisent l’accès de l’UE aux marchés de matières premières des pays en développement, y compris les produits agricoles de base, en les ouvrant aux grandes entreprises de l’UE au détriment des petits agriculteurs et des industries naissantes.

 

  • La libéralisation financière, qui comprend les flux spéculatifs et volatils sur lesquels les pays en développement ont peu de contrôle, a produit une considérable instabilité sur le plan international avec des effets désastreux pour les économies des pays en développement[6] .

Le Parlement européen a conclu qu’il existe beaucoup plus de cas d’incohérence qui ont un effet négatif pour la réalisation des OMD et que la Commission européenne devrait les examiner.

L’impact de la crise financière sur la pauvreté dans l’UE

Le Traité de l’Union européenne établit un cadre juridique clair pour l’éradication de la pauvreté aussi bien au sein de l’Union qu’en dehors ; mais en réalité, la pauvreté a augmenté en Europe et dans les pays en développement à cause de la crise financière. Les statistiques d’Eurostat montrent que les effets de la crise sur le marché du travail européen sont loin d’être dissipés. En fait, en 2009 le chômage a augmenté de plus de 5 millions de personnes et a atteint quelque 21,4 millions dans l’Union. Ceci est dû en bonne mesure aux emplois perdus pendant les 12 derniers mois[7] . Selon l’Union, quelque 80 millions de personnes – 16 % de la population – vivent aujourd’hui dans la pauvreté[8] .

La crise des prêts hypothécaires à haut risque et ses importantes conséquences défavorables pour les banques, les marchés financiers et l’économie réelle dans le monde entier, révèle l’inefficacité des règlements de l’UE et de sa capacité de prendre les mesures adéquates pour protéger l’euro de la spéculation. Après l’effet initial de la crise en Europe et l’effondrement financier de la Grèce, l’Union a renforcé son approche commune pour avoir plus de contrôle sur les budgets nationaux européens. Les gouvernements d’Europe ont été menacés par la possibilité de sanctions contre la gestion de leurs économies ; les dirigeants européens ont souligné leur intention d’être plus stricts dans l’application du Pacte de stabilité et de croissance qui fixe une limite au déficit excessif et à la dette des états membres.

Cependant, à part le renforcement des contrôles sur les budgets nationaux et l’établissement d’une « surveillance préventive », l’Union ne possède pas de plan pour protéger les citoyens pauvres de l’Union européenne des conséquences des mesures d’austérité, ni une politique pour la protection des secteurs sociaux d’Europe. Tel que l’a souligné Làzlo Andor, commissaire européen pour l’emploi et les affaires sociales, « nous devrions tous nous rendre compte que nous sommes encore dans une étape fragile de récupération ». Andor a souligné que jusqu’à ce qu’il voie « une croissance solide dans tous les états membres » sa préoccupation sera que « l’austérité prématurée puisse nuire aussi bien à la récupération économique qu’à l’augmentation d’emplois » [9].

Vraisemblablement de nouvelles formes institutionnelles qui ne sont pas prévues dans le Traité de Lisbonne sont en train d’apparaître. Un bon exemple en est qu’Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, est à la tête d’un groupe de travail sur les affaires économiques européennes formé par presque tous les ministres des finances des 27 états membres et les représentants des institutions de l’Union européenne (tel que Jean Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne). Bien que le groupe travaille sur la stabilité fiscale et la discipline budgétaire la plus sévère, une des ses priorités est « le besoin de renforcer l’ensemble de nos règles fiscales : le Pacte de stabilité et de croissance », tel que l’a annoncé Van Rompuy[10] . Le cadre institutionnel évolue donc vers les politiques d’austérité.

On craint que le refus d’une approche néo-keynésienne de mesures anticycliques pour faire face à la récession conduise à l’augmentation de la pauvreté dans les pays européens et qu’il approfondisse la récession économique en Europe. Lors d’un discours récent devant des investisseurs, Van Rompuy a souligné la force de l’Union européenne grâce à la combinaison d’une économie solide et d’un système d’aide sociale bien développé, qui comprend une population parfaitement formée, en plus de
« l’attraction que représente l’Europe pour les investisseurs et les entrepreneurs… En fait, c’est cette double attraction qui rend notre continent exceptionnel. Le message de l’Europe pour le monde est qu’il est possible d’avoir les deux choses. Croissance économique et justice sociale. Décisions politiques efficaces et responsabilité démocratique. Adaptation à l’époque et conservation du patrimoine propre. Un bon endroit pour investir et pour vivre ».

Le président de l’Union européenne a remarqué aussi que les compressions dans les domaines de l’éducation, le climat et l’inclusion sociale ne seront pas acceptées : « On s’accrochera à cinq objectifs principaux, tous quantifiables. Recherche, développement et innovation, éducation, emploi, climat et inclusion sociale. (…) On doit préserver ce genre de dépenses (par exemple pour l’éducation) et déductions fiscales en temps de compression budgétaire. Ce n’est pas un choix facile »[11] .

Répercussions en dehors de l’Union européenne

En temps de crise économique, les pays en développement ont besoin plus que jamais du soutien de l’Union. Il est évident que la Commission européenne et les états membres seront responsables des partenariats. Pour les pays en développement, le fait que les états membres européens répondent à la crise par une austérité économique aura des effets négatifs très forts sur leurs économies déjà atteintes. Selon la Banque mondiale :
« dans les pays pauvres, la récession a produit la réduction brutale des revenus publics. A moins que les donateurs ne viennent en aide, les autorités de ces pays se verront obligées de réduire l’assistance sociale et humanitaire juste au moment où elle est le plus nécessaire » [12] .

 

La résolution sur la Cohérence des politiques pour le développement a pour objectif principal que l’Union européenne applique sa norme pour équilibrer le domaine économique et social comme une mesure de progrès aussi bien à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Union. La Commission européenne et le SEAE devront donner l’exemple, principalement parce qu’ils représenteront de plus en plus toute l’Union européenne à l’extérieur. La diminution drastique des apports de la Commission européenne pour la santé et l’éducation dans les pays en développement est inacceptable et doit être modifiée.

 

[1] Texte complet disponible sur : <www.europa.eu/lisbon_treaty/full_text/index_fr.htm>.

[2] Versions consolidées du Traité sur l’Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Disponible sur : <register.consilium.europa.eu/pdf/en/08/st06/st06655.en08.pdf>.

[3] Daniel R Mekonnen, "The draft council decision on the establishment of the European External Action Service and its compliance with the Lisbon Treaty - Legal Opinion Drafted for European Solidarity Towards Equal Participation of People",Eurostep, mai 2010. Disponible sur :  <www.eurostep.org/wcm/dmdocuments/Mekonnen_Legal_Opinion_100511.pdf>.

Disponible sur : <www.eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2005:0134:FIN:FR:PDF>.

[5] Référence aux quatre groupes de travail établis lors de la Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce en 1996 à Singapour.

[6] Commission du développement du Parlement, Report on the EU Policy Coherence for Development and the ‘Official Development Assistance plus’ concept: explanatory statement, 2009, 17. Disponible sur : <www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=REPORT&reference=A7-2010-0140&language=EN#title2>.

[7] Remko HIJMAN, "Population and social conditions", Eurostat Statistics in Focus, 79/2009, 1. Disponible sur : <epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_OFFPUB/KS-SF-10-013/EN/KS-SF-10-013-EN.PDF>.

[8] Comité des régions, Local and regional responses to poverty and social exclusion, juin 2010.

[9] European Voice, "Andor warns of hasty austerity measures", le 24 juin 2010, 2.

[10] Discours d’ouverture de Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, lors de la Conférence mondiale d’investissements, "Europe's Attractiveness in a Changing World", La Baule, France, le 2 juin 2010, 3. Disponible sur : <www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_Data/docs/pressdata/en/ec/114883.pdf>.

[11] Ibid.

[12] Banque mondiale, Global Economic Prospects 2010: Crisis, Finance, and Growth, Washington, DC, 2010. Disponible sur : <siteresources.worldbank.org/INTGEP2010/Resources/GEP2010-Full-Report.pdf>.

[13] Mirjam Van Reisen, ed., The EU’s Contribution to the Millennium Development Goals: Keeping the goals alive (Prague : Alliance 2015, 2010).

[14] European Public Health Alliance, “European Court of Auditors slams EC development health financing”. Disponible sur : <www.epha.org/a/3373>.

[15] Lu, C. et al., “Public financing of health in developing countries: A cross-national systemic analysis”, The Lancet, le 9 avril 2010.

[16] Alliance 2015, op cit., 21, tableau 2.1.

[17] Ibid., tableau 2.2.

[18] "Alliance 2015 calls on the EU to agree to binding aid targets to reach MDGs", le 2 juin 2010.  Disponible sur : <www.alliance2015.org/index.php?id=25&no_cache=1&tx_ttnews[tt_news]=69&tx_ttnews[backPid]=9>.

[19] Ibid.

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