Négligés: la pauvreté et l’environnement

Publication_year: 
2010
Summary: 
Le changement de gouvernement survenu à la suite des élections de 2009 n’a pas encore agi au bénéfice des pauvres et des autres victimes de la crise financière. On ne détecte aucun changement de stratégie dans le marché du travail ni au niveau des politiques sociales, et l’appauvrissement de larges secteurs de la société se poursuit. D’autre part, les questions environnementales ont joué un rôle très secondaire dans la réponse du Gouvernement à la crise. Selon le Fonds mondial pour la nature, seulement 6 des 32 mesures de relance économique ont eu un impact positif sur l’environnement, et à peine 13 % d’entre elles peuvent être considérées durables.

Social Watch Allemagne
Uwe Kerkow

Le changement de gouvernement survenu à la suite des élections de 2009 n’a pas encore agi au bénéfice des pauvres et des autres victimes de la crise financière. On ne détecte aucun changement de stratégie dans le marché du travail ni au niveau des politiques sociales, et l’appauvrissement de larges secteurs de la société se poursuit. D’autre part, les questions environnementales ont joué un rôle très secondaire dans la réponse du Gouvernement à la crise. Selon le Fonds mondial pour la nature, seulement 6 des 32 mesures de relance économique ont eu un impact positif sur l’environnement, et à peine 13 % d’entre elles peuvent être considérées durables.

Malgré les mesures de soutien du Gouvernement de EUR 480 milliards pour les  banques et pour l’industrie et les mesures de relance économique de EUR 107 milliards, la crise financière a nettement imprimé sa marque dans l’économie allemande. Il est vrai qu’il y a eu moins de licenciements qu’on ne le craignait, mais ceux qui ont aujourd’hui un emploi  doivent se débrouiller avec moins d’argent. En 2009, pour la première fois en plus de 60 ans d’histoire de la République Fédérale, les employés ont dû accepter une réduction de 0,4 % sur leurs salaires et sur les salaires bruts journaliers réels (environ EUR 100) [1]. Cette baisse des revenus par habitant est due principalement à la prolifération du travail à mi-temps et à la réduction des heures supplémentaires. Le secteur manufacturier a été tout particulièrement touché, avec une baisse des revenus par habitant de 3,6 % (même si une augmentation de 4,4 % a été observée sur la base des salaires horaires).

Dégradation progressive des conditions sociales

Près de 6,5 millions de personnes – plus d’un employé sur cinq – travaillent pour des tarifs horaires qui se situent en dessous du salaire minimum , d’après le rapport de l’Institut pour le travail, la qualification et la formation de l’Université de Duisburg-Essen[2]. Le pourcentage d’employés ayant une formation professionnelle et qui se retrouvent dans l’obligation de travailler dans le secteur des bas salaires a aussi considérablement augmenté. Les travailleurs réellement non qualifiés représentent seulement 20 % environ de ce secteur.

L’aggravement des conditions touche tous les groupes défavorisés de la société : au milieu de l’année 2009, le nombre de bénéficiaires de l’aide offerte par la fédération des banques alimentaires Tafel est monté pour la première à plus d’un million[3]. Les initiatives d’aide sociale de Tafel sont mises en place dans la plupart des villes allemandes, et reçoivent des dons d’aliments du secteur commercial et, grâce au soutien d’environ 40 000 bénévoles, elle distribue des aliments de base aux personnes qui ne peuvent pas subvenir à leurs besoins quotidiens. Le président de la fédération Deutsche Bundesverband, Tafel e.V., Gerd Häuser, a prié instamment le Gouvernement de nommer un Commissaire à la Lutte contre la pauvreté,     « doté de larges pouvoirs pour coordonner les activités des quatre ministères fédéraux[4] responsables de la réduction de la pauvreté, et pour servir de point de contact aux organisations privées telles que les initiatives de Tafel ou les associations de bien- être social[5] ».

En Allemagne le droit à l’éducation conventionnelle des enfants handicapés n’est pas appliqué

Vernor Muñoz, Rapporteur spécial de l’ONU en matière de droit à l’éducation, s’est rendu en Allemagne en début d’année 2010 et il a émis de nouveau très clairement ses critiques concernant l’incapacité des autorités éducatives pour offrir des places en nombre suffisant dans les écoles conventionnelles aux enfants handicapés, les enfants trisomiques notamment. Bien que la scolarité d’intégration soit une exigence de la Convention de l’ONU relative aux Droits des personnes handicapées, ratifiée par l’Allemagne en 2007, environ 400.000 garçons et filles handicapés (85 %) sont inscrits dans des écoles spécialiséesA.

Muñoz avait déjà présenté un rapport au Conseil des Droits de l’Homme en 2007 sur sa mission en Allemagne l’année précédente. Il y avait exprimé sa conviction sur le fait que : « le processus de classement qui a lieu au niveau de l’enseignement secondaire du premier degré (…) n’évalue pas les élèves de façon correcte et au lieu d’inclure, il exclut »,  car lors de sa visite il a pu vérifier que, par exemple, les enfants pauvres et émigrants – ainsi que les enfants handicapés – sont négativement affectés par le système de classementB.

La réponse du Gouvernement à ce rapport se limite à quelques paragraphes qui n’abordent pas le fond des critiques : « L’assistance scolaire obligatoire concerne [les enfants handicapés] dans la même mesure que les enfants et les jeunes non handicapés. (…) Les élèves handicapés sont scolarisés aussi bien dans  des centres conventionnels, mélangés aux élèves non handicapés, que dans des écoles spéciales [Sonderschulen] ou dans des écoles pour enfants aux besoins éducatifs spéciaux [Förderschulen] »C. Cependant, l’affaire est traitée plus sérieusement que ce que la déclaration citée plus haut pourrait faire croire : en 2008, l’Institut allemand des droits humains a été chargé de surveiller la mise en œuvre de la Convention dans le pays D. Le financement de ce travail est fourni par le ministère fédéral du Travail et des affaires sociales et le budget annuel pour l’unité de surveillance atteint actuellement EUR.

A : Christian Füller, "Menschenrechte nicht für den Mond", taz.de, 9 juin 2009. Disponible sur : <www.taz.de/1/zukunft/wissen/artikel/1/menschenrechte-nicht-fuer-den-mond>.
B : Conseil des Droits de l’Homme, "Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’éducation", Vernor Muñoz. Adenddum : Mission en Allemagne, 13–21 février 2006,” A/HRC/4/29/Add.3.
C : Ministère fédéral de l’Éducation et de la recherche, "Bericht des UN-Sonderberichterstatters für das Recht auf Bildung." Disponible sur : <www.bmbf.de/de/7763.php>.
D : Voir :  <www.institut-fuer-menschenrechte.de/de/monitoring-stelle.html>.

L’environnement considéré sous un angle nominal

Les questions relatives à l’environnement n’ont joué qu’un rôle secondaire dans la réponse du Gouvernement à la crise financière. En revanche, les mesures de relance économique ont été orientées en grande partie vers le développement du transport privé. La mesure baptisée « prime à la casse » (cash for clunkers) est particulièrement polémique. Elle consistait en un paiement unique de EUR 2.500 EUR versé par l’État aux propriétaires de vieilles voitures pour qu’ils achètent des véhicules neufs et qu’ils emmènent le vieux à la casse. Le Verkehrsclub Deutschland (Club de transport allemand – VCD) a critiqué le concept, argumentant qu’on aurait pu faire bien plus pour protéger la nature si l’indemnisation s’était basée sur des critères environnementaux ou si les fonds avaient été investis dans des moyens alternatifs de transport. Qui plus est, selon l’opinion du VCD, promouvoir le transport public et moderniser la technologie environnementale aurait pu avoir une plus grande répercussion en termes de création d’emploi et d’amélioration du bilan général de l’environnement[6].

Une analyse complète des impacts environnementaux des mesures de relance économique, présentée par le Fonds mondial pour la nature, juge que seuls 6 des 32 mesures ont eu des effets bénéfiques. En termes des ressources financières mobilisées, à peine 13 % des mesures peuvent être considérées durables.

Le seul sujet à avoir eu une transcendance directe vis-à-vis de l’environnement, selon le rapport, c’est l’investissement en améliorations énergétiques dans le secteur du logement. Il n’y avait aucune trace « des propositions innovatrices en vue de la réduction de la circulation et de la promotion de produits efficaces dans l’utilisation de l’énergie et des méthodes de production efficaces dans l’utilisation des ressources ». En réalité, 8 % des mesures de relance se sont avérées nuisibles à l’environnement, et les aspects environnementaux sont à peine intervenus dans les critères régissant l’affectation des fonds[7].

Une politique de développement confuse et contradictoire

L’Allemagne ne pourra probablement pas atteindre, loin s’en faut, l’objectif intermédiaire concernant l’augmentation en 2010 de son Aide publique au développement (APD) à 0,51 % du Produit national brut (PNB). Fin 2009, le nouveau ministre fédéral du Développement, Dirk Niebel, a commenté lors d’une interview : « Le plan d’action évolutif de l’UE est une déclaration d’intention, pas une obligation en vertu du droit international. Avec une position de départ de 0,38 %, il nous serait impossible d’atteindre en un an seulement le pourcentage d’APD de 0,51 % » [8]. En 2009, les contributions d’APD allemandes représentèrent USD 11 982 milliards , chiffre inférieur aux USD 13 981 milliards  réunis en 2008. Cette chute de presque USD 2 milliards est due principalement à l’achèvement des amortissements dans le budget d’allègement de la dette et elle correspond à un resserrement du rapport APD/PNB de 0,38 % à 0,35 %[9]. Cependant, la chancelière fédérale Angela Merkel a déclaré que : « Nous maintenons notre engagement et nous restons impliqués dans la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement vis-à-vis de l’Afrique. Nous maintenons notre engagement d’atteindre le but fixé : destiner 0,7 % de notre revenu national brut au développement pour 2015. C’est également une responsabilité morale » [10].

Pour atteindre cet objectif, l’APD allemande devrait augmenter d’environ EUR 2 milliards par an, avec des effets immédiats. En 2010 cependant, le budget du ministère fédéral de Coopération économique et de développement (BMZ), qui  représente environ 54 % de l’APD allemande, ne s’est accru que de EUR 256 millions, soit un chiffre total de EUR 6,07 milliards [11]. En tout, l’APD allemande atteindra approximativement 0,4 % du PNB en 2010[12].

Ce qui fait actuellement particulièrement défaut à la coopération du développement allemande, c’est un engagement ambitieux envers la protection du climat. Avant la Conférence de l’ONU sur le Changement climatique à Copenhague, l’Allemagne avait affecté EUR 420 millions pour la protection internationale du climat[13]. Au début du mois de mars 2010, cependant, tout porte à croire que juste une sixième partie de cette somme – soit EUR 70 millions - est en réalité de « l´argent frais »[14].

La coopération civilo-militaire est un aspect chaque fois plus prédominant dans la politique de développement. En Afghanistan surtout, où l’armée fédérale, la Bundeswehr, offre une partie de sa force d’intervention, un effort supplémentaire est effectué pour encadrer les services allemands de développement dans les stratégies militaires. L’organisation d’aide Welthungerhilfe décrit le problème dans les termes suivants :

Mêler les militaires aux opérations de reconstruction a causé de graves préjudices. Étant donné que l’Aide au développement apportée par les équipes provinciales de reconstruction fait désormais partie de la stratégie militaire, les forces de l’opposition attaquent maintenant aussi ceux qui travaillent pour le développement, bien qu’ils soient politiquement neutres et ne soient obligés que par les principes qui gouvernent l’offre d’aide humanitaire[15].

L’aide totale du BMZ destinée à la stabilisation et au développement en Afghanistan en 2009 tournait autour de EUR 144 millions[16], ce qui faisait de l’Afghanistan le majeur bénéficiaire de l’aide allemande au développement[17]. « Nous allons utiliser à cette fin un financement de EUR  1  milliard pour la période s’étendant jusqu’en 2013 », selon un communiqué de presse émis par le BMZ[18]. En comparaison, en 2009 et 2010 le Service civil pour la paix (mis en place par l’Allemagne en 1999 en tant que nouvel instrument de consolidation de la paix et la prévention de crises) a reçu EUR 30 millions par an pour ses activités[19].

Progresser

Le Gouvernement doit mettre davantage l’accent sur des mesures de relance qui soient durables et qui abordent le problème du nombre croissant de personnes vivant dans la pauvreté. Garantir aux gens qu’ils peuvent subvenir à leurs besoins quotidiens c’est, selon Social Watch, le rôle et une des fonctions élémentaires de l’État dans les pays industriellement avancés.

Quant à la coopération au développement, l’Allemagne doit être à la hauteur de ses obligations envers l’APD, et dédier un budget plus conséquent à la protection du climat. En ce qui concerne l’Afghanistan, Welthungerhilfe a demandé une stricte séparation des mandats, de sorte que les Bundeswehr se chargent de la sécurité et que les travailleurs du développement s’occupent du développement. Au vu de l’envergure financière de l’aide apportée dans ce pays, cette requête est en train de prendre corps.

[1] Office Fédéral de la Statistique, "Évolution des revenus pendant la crise économique de 2009", Communiqué de presse No. 117, 25 mars 2010.

[2] Institut Arbeit und Qualifikation, "IAQ-Report 2009-05", Juillet 2009.

[3] ARD, "Zahl der Tafel-Empfänger auf eine Million gewachsen", 12 juin 2009. Disponible sur : <www.tagesschau.de/inland/tafeln106.html>.

[4] Ministère fédéral du Travail et des affaires sociales ; ministère fédéral de la Famille, des personnes âgées, de la femme et de la jeunesse ; ministère fédéral de la Santé; et ministère fédéral des Finances.

[5] ARD, 12 juin 2009, ibid.

[6] VCD, information sur les antécédents. Disponible sur : <www.vcd.org/konjunkturpaket_ii.html>.

[7] Von Sebastian Schmidt, Florian Prange, Kai Schlegelmilch, Jacqueline Cottrell and Anselm Görres, "Sind die deutschen Konjunkturpakete nachhaltig?" Étude réalisée à la demande du WWF (Budget Vert Allemagne, 12 juin 2009).

[8] "EU-Stufenplan ist keine völkerrechtliche Verpflichtung",  Domradio online, 18 novembre 2009.

[9] Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), "L'aide au développement a augmenté en 2009 et la plupart des donneurs atteindront les objectifs d'aide pour 2010",  communiqué de presse, 14 avril 2010, disponible sur : <http://www.oecd.org/document/0,3343,fr_2649_34447_44995507_1_1_1_1,00.html> (visité le 19 septembre 2010).

[10] Gouvernement fédéral "Regierungserklärung von Bundeskanzlerin Merkel im Wortlaut", déclaration de politique, 10 novembre 2009.

[11] BMZ, "In Spite of Difficult Environment, Germany’s Development Ministry Takes Germany’s Commitments Seriously", communiqué de presse, 19 mars 2010.

[12] UE, "Where is the EU in Terms of Financing for Development and Where Should the EU Go?" communiqué de presse, 21 avril 2010.

[13] Focus online, "Deutschland zur Zahlung von 420 Millionen für Klimaschutz bereit", 11 décembre 2009.

[14] Spiegel online, "Regierung Knausert bei Klimaschutz-Zahlungen an Arme Länder", 5 mars 2010.

[15] Welthungerhilfe, "Entwicklungshelfer in Afghanistan: Nie war die Sicherheitslage so explosiv wie jetzt". Disponible sur : <www.welthungerhilfe.de/afghanistan-sicherheit-entwicklungshelfer.html> (visité le 12 avril 2010).

[16] BMZ,  "Additional Funds for Stabilisation Measures in Afghanistan and for Fostering Good Governance in Pakistan", communiqué de presse, 24 novembre 2009. Disponible sur : <www.bmz.de/en/press/pm/2009/november/pm_20091124_103.html>.

[17] Terres des Hommes and Welthungerhilfe, "Kurs auf Kopenhagen", Die Wirklichkeit der Entwicklungshilfe, 17 (2009), 57. Disponible sur : <www.tdh.de/content/themen/weitere/entwicklungspolitik/shadow-dac/index.htm>.

[18] BMZ, "Civilian Reconstruction in Afghanistan to Be Strengthened", communiqué de presse, 28 janvier 2010. Disponible sur : <www.bmz.de/en/press/pm/2010/january/pm_20100128_15.html>.

[19] Ibid, 55.

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