Récupérer l’esprit original des OMD

Publication_year: 
2010
Summary: 
L’accomplissement des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) exige que tous les États démontrent leur volonté politique d’agir, tant pour améliorer les indicateurs spécifiques que pour élaborer des politiques mondiales. La nouvelle stratégie de développement devrait retrouver l’esprit original des OMD et se concentrer sur les besoins de la population, l’amélioration de sa qualité de vie, la capacité d’atteindre les plus pauvres, l’égalité entre les sexes et la notion selon laquelle le bien-être et une meilleure qualité de vie sont des valeurs indissociables

Organisations françaises de la société civile, ONG, syndicats et collectivités territoriales[1]

L’accomplissement des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) exige que tous les États démontrent leur volonté politique d’agir, tant pour améliorer les indicateurs spécifiques que pour élaborer des politiques mondiales. La nouvelle stratégie de développement devrait retrouver l’esprit original des OMD et se concentrer sur les besoins de la population, l’amélioration de sa qualité de vie, la capacité d’atteindre les plus pauvres, l’égalité entre les sexes et la notion selon laquelle le bien-être et une meilleure qualité de vie sont des valeurs indissociables

Comme ce fut le cas récemment avec le plan de sauvetage des banques, la véritable lutte contre la pauvreté et les inégalités est avant tout une question de courage et de volonté politique des dirigeants français et européens. En 2005, les organisations civiques et les collectivités territoriales françaises soutenaient dans leurs discours qu’il n’y avait plus d’excuses pour que la France ne respecte pas ses engagements. En 2010, cinq ans après la date fixée pour l’accomplissement des OMD, ces mêmes organisations exigent que leurs dirigeants assument enfin leurs responsabilités en s’engageant dans trois domaines complémentaires : le respect des droits de l´Homme, la solidarité avec la population et l’inclusion de toutes les parties prenantes dans les plans de développement et dans leur mise en œuvre.

Respecter et faire respecter les droits de l´Homme

La lutte contre la pauvreté et l’inégalité n’est pas seulement une question humanitaire, mais implique également le respect de la dignité des personnes et, par conséquent, le respect de leurs droits fondamentaux. Les OMD devraient donc faire partie d’une approche fondée sur l’indivisibilité et l’interdépendance de tous les droits de l´Homme, condition indispensable pour leur accomplissement. Pour cela, la France doit :

  • Signer et ratifier le protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux Droits économiques, sociaux et culturels (DESC). La ratification de ce document permettra de soutenir les efforts visant à obtenir une plus grande reconnaissance des DESC par la législation nationale et dans les tribunaux. Jusqu´à présent, le Protocole facultatif a été signé par 32 pays. La France a soutenu l’élaboration de ce protocole, et par ce fait s’est engagée à mettre en œuvre ces droits, mais elle ne fait pas encore partie des États signataires. Sans un nombre suffisant de ratifications, ce Protocole sera lettre morte ; pour que ces droits soient mis en œuvre, le document doit être ratifié par 10 États. Les pays du Sud attendent avec impatiente cette ratification, car cela permettrait à leurs peuples d’exiger la mise en œuvre de leurs droits.
  • Signer et ratifier la Convention internationale sur les droits de tous les travailleurs migrants et leurs familles (CTM) afin de lui conférer une portée nationale, européenne et internationale. Les immigrants sont souvent utilisés comme des boucs émissaires face au chômage, au terrorisme et à l’intolérance raciale et religieuse. Une des priorités établies par la CTM est que tous les travailleurs migrants et les membres de leurs familles aient des droits fondamentaux, quel que soit leur statut juridique dans le pays d’accueil. La Convention garantit la protection des droits supplémentaires pour les travailleurs migrants en situation régulière en vue de leur intégration dans la société d’accueil, afin qu’ils l’enrichissent sans perdre les liens avec leur lieu d’origine.
  • Soutenir l’initiative de l’Organisation internationale du Travail (OIT) pour mettre en œuvre le Programme pilote pour un travail digne. Dans une nouvelle étude sur les différents aspects du travail forcé dans le monde, l’OIT souligne que, dans une situation de crise « ce sont les plus vulnérables qui souffrent le plus. Dans ce contexte, il est indispensable de veiller à ce que les ajustements ne se fassent pas au détriment des garanties offertes pour prévenir le travail forcé et les abus liés à la traite des êtres humains »[2].
  • Veiller à ce que les entreprises respectent les droits fondamentaux. Selon les recommandations du représentant spécial auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, les États ont le devoir de protéger les droits de l´Homme ce qui suppose l’application de recours juridiques pour défendre les victimes des violations commises par les filiales établies dans les pays du Sud ou dans les chaînes d’approvisionnement des entreprises européennes. En outre, les États doivent veiller à ce que les entreprises qui reçoivent une aide publique (financement, crédit à l’exportation) respectent les droits de l´Homme, les conventions relatives à la consultation des populations, les droits fondamentaux des travailleurs et la protection de l’environnement.

Renforcer la solidarité

Les gouvernements ont fait preuve de solidarité pour renflouer les banques et tenter de minimiser les dommages causés par les crises financières. Maintenant, nous revendiquons la même solidarité avec la population  en général afin d’éliminer la pauvreté et les inégalités.

Dans un monde où en 2006 la moitié des richesses était détenue par 2 % de la population[3], la redistribution des richesses et l’accès aux biens publics à l’échelle mondiale devraient être des objectifs prioritaires. La crise financière, alimentaire, sociale, environnementale et énergétique a été déclenchée par les politiques néolibérales des pays riches, mais ce sont les peuples, notamment ceux du Sud, qui paient les pots cassés. Il est temps que les responsables de ces politiques assument les conséquences de leurs décisions.

Les avancées vers la réalisation de certains OMD ne doivent pas faire perdre de vue le chemin qui reste a parcourir. Les OMD semblent beaucoup plus difficiles à atteindre s’ils ne sont pas associés à des mécanismes de solidarité financière et de redistribution des richesses qui assurent leur universalité. Par conséquent, les OMD ne seront pas atteints à moins qu’un véritable partenariat mondial pour le développement permette de libérer des ressources. En effet, les investissements des États du sud, souvent accablés par les services d’une dette insoutenable et un très faible accès aux bénéfices d’exploitation des ressources naturelles de leur pays, ne leur permettront pas de financer eux-mêmes leurs services publics. Il est donc important pour la France de :

  • Mettre en place l’Aide publique au développement (APD) et la diriger vers les secteurs sociaux des pays les plus pauvres. L’APD devrait faire l’objet d’un engagement budgétaire pluriannuel dans la prochaine loi de programmation triennale des finances publiques afin de concrétiser les engagements européens et internationaux de la France en matière d’APD pour atteindre 0,7 % du Revenu national brut (RNB ) en 2015. La France devrait assurer une répartition plus transparente et plus efficace des ressources de concert avec les pays bénéficiaires et avec d’autres donateurs afin de répondre aux exigences liées à l’efficacité de l’aide énoncées dans la Déclaration de Paris. Le pays doit fournir des subventions de manière prioritaire, notamment en ce qui concerne le soutien aux secteurs sociaux, une ressource de plus en plus importante et systématique pour des prêts qui peuvent conduire à une crise de ré-endettement dont la bulle spéculative naissante constitue un premier signe.
  • Mettre en oeuvre un mécanisme de redistribution de la richesse sous la forme de taxes sur les transactions financières. Ces taxes permettraient de libérer des ressources prévisibles complémentaires du financement public traditionnel pour lutter contre les inégalités et assurer la réalisation des OMD, l’adaptation au changement climatique et la préservation des biens publics mondiaux. Il s’agirait, dans une première étape, d’appliquer une taxe sur les transactions interbancaires d’échange qui inclurait les devises européennes (euro et livre sterling) partout dans le monde. Aujourd’hui, la viabilité technique d’une telle taxe est parfaitement démontrée. À court terme, un impôt européen est politiquement plus viable que les taxes mondiales sur toutes les transactions financières ; ces dernières pourraient être abordées dans une seconde étape. Il conviendrait de proposer l’assignation thématique et institutionnelle du produit de cette taxe à l’ONU, car cette organisation est la seule qui a une légitimité suffisante pour décider du financement des nécessités internationales prioritaires.
  • Annuler toutes les dettes illégitimes. Les pays du Sud doivent pouvoir investir pour promouvoir le développement social et économique de leurs habitants. Malheureusement, un grand nombre de pays pauvres sont toujours très endettés. Dans certains cas, les prêts ont été accordés il y a longtemps sans une véritable responsabilité de la part des créanciers et avec peu ou pas d’impact positif réel sur ceux qui étaient censés en être les bénéficiaires. Ces dettes sont illégitimes. Dans certains cas, parce que l’emprunt a été contracté par un régime despotique qui a volé l’argent pour augmenter ses capacités militaires ou pour opprimer la population (ce que l’on appelle la « dette odieuse »). Dans d’autres, parce que l’emprunt a été contracté pour réaliser des projets de développement très mal conçus ou contaminés par la corruption qui ont échoué ou qui n’ont jamais vu le jour. Il est essentiel de procéder à une réforme en profondeur des règles du jeu afin d’éviter des crises récurrentes provoquées par une dette insoutenable et illégitime. Nous pensons qu’aujourd’hui plus que jamais il est nécessaire d’établir un nouveau cadre de dette dans lequel les créanciers et les débiteurs arrivent à un accord commun qui mette l’accent sur la responsabilité mutuelle des deux parties. Ceci implique le respect des principes de transparence et de responsabilité. En cas de problèmes, les différends devraient être réglés par le biais de procédures justes et transparentes, fondées sur le partage des responsabilités entre créanciers et débiteurs. Par ailleurs, de nombreuses banques du Nord sont des véritables paradis pour les fonds volés par des dictateurs corrompus. Cette richesse illégitime et les biens qu’elle a permis d’acquérir doivent retourner dans le pays d’où ils proviennent.
  • Renforcer la transparence des entreprises en matière fiscale, sociale et environnementale. L’accomplissement des OMD, et principalement de l’objectif numéro 8, exige une plus grande transparence de la part des entreprises, notamment des compagnies multinationales. Cela présuppose aussi que les États soient dotés de dispositifs d’échange d’informations fiscales plus systématiques et plus efficaces. Dans ce sens, la France et l’Union européenne devraient promouvoir un cadre juridique approprié pour forcer les entreprises à rendre compte de l’impact que leurs activités exercent sur le développement. Cela devrait inclure un rapport complet de la répercussion sociale et environnementale dans chaque pays dans lequel ces compagnies exercent leurs activités conformément aux normes internationales de l’IASB (International Accounting Standards Board) et à la directive européenne sur l’obligation de transparence. Ce cadre devrait également faciliter l’échange automatique d’informations fiscales aux niveaux européen et international. Dans une première phase, les pays les plus pauvres ne seraient pas directement touchés par de telles mesures étant donné que leur application serait progressive, d’abord en Europe et plus tard dans les pays de l’OCDE, en contribuant ainsi à l’APD fournie par ces pays. Les ressources obtenues par ce biais pourraient renforcer les capacités des administrations fiscales des pays du Sud. Ainsi, ces pays pourraient améliorer le recouvrement d’impôts et la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale qui actuellement sont en train de miner leurs économies.

Garantir la participation de tous au développement

La crise offre une occasion unique de repenser les politiques et les stratégies pour la croissance et le développement étant donné qu’elle assigne aux personnes - à commencer par les secteurs les plus pauvres - un rôle central dans le processus de développement.

Les OMD ne peuvent être atteints que s’ils se recentrent sur les besoins les plus urgents des personnes et, en particulier, des secteurs les plus pauvres, en établissant une véritable égalité entre les hommes et les femmes et en respectant le principe fondamental qui soutient que le bien-être et l’amélioration de la qualité de vie sont des valeurs interdépendantes.

Les citoyens et la société civile, ainsi que les collectivités locales, les parlements et les entreprises, ont un rôle vital à jouer dans ce changement de perspective qui consiste à construire une nouvelle solidarité fondée sur le niveau local et impliquant non seulement chaque pays mais la relation entre les différentes nations. Pour ce faire, nous proposons :

  • Incorporer systématiquement la société civile et les populations vivant dans la pauvreté à l’élaboration des politiques publiques. Nous demandons au Gouvernement français que les politiques publiques, locales et nationales, élaborées dans la perspective de la réalisation des OMD, incorporent systématiquement les sociétés civiles dans toute leur diversité. En particulier, ces politiques doivent assurer la participation des organisations représentant les personnes vivant dans la pauvreté et l’exclusion sociale.
  • Promouvoir la participation des gouvernements locaux dans la mise en œuvre d’un partenariat mondial. Les administrations régionales réunies au Sommet mondial de Cités et Gouvernements locaux unis, tenu à Canton en novembre 2009, se sont engagées à l’unanimité à promouvoir l’accomplissement du 9e OMD par les gouvernements locaux. Ces gouvernements régionaux et leurs représentants devraient participer à l’élaboration de politiques publiques pertinentes. Sur la scène internationale, il faut que la France reconnaisse que les gouvernements régionaux ont un rôle important à jouer en tant qu’acteurs du développement et qu’elle encourage des actions décentralisées et des investissements gérés localement.
  • Promouvoir le contrôle des engagements des gouvernements par le parlement. Comme principe général, un parlement devrait recevoir une information complète et des données solides permettant à ses membres d’évaluer et de surveiller les engagements de son gouvernement pour atteindre les OMD. La France, en particulier, devrait veiller à ce que son Parlement surveille les politiques de coopération pour le développement comme un moyen de garantir qu’elles soient compatibles avec les objectifs de développement et avec la lutte contre la pauvreté.

 

[1] OMD 2015 : Il est encore temps d’agir. Disponible en français sur : <www.ODM2015.fr>.

[2] OIT, "Le coût de la coaction" Genève, 2009. Disponible.

[3] ONU, "La moitié du patrimoine mondial est détenu par 2% de la population". Disponible en français sur le site : <www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=13315&Cr=UNU&Cr1>.

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