Victime des relations de pouvoir asymétriques

Publication_year: 
2010
Summary: 
La crise financière mondiale a généré un chômage endémique, un déficit budgétaire croissant et une augmentation de la dette. Le Gouvernement doit mettre en oeuvre une politique fiscale visant à stabiliser l’économie et modifiant le montant et la structure des impôts et des dépenses, ainsi que la distribution de la richesse. Il doit également garantir une attribution efficace des ressources publiques et une transformation sociale à tous les niveaux. D’autre part, le financement du développement doit être accompagné de la réforme démocratique. Le processus devrait défier la logique centralisatrice du pouvoir, naissant d’un débat public soucieux d’équité et de dignité.

Prof. Edward Oyugi, P. Thigo, J.Kipchumbah, A. Matunga, Social Development Network (SODNET)
Oduor Ong’wen, SEATINI KENYA
Vitalice Meja, Kenya Debt Relief Network (KENDREN)
Rebecca Tanui, BEACON
Don Bonyo, Daraja - Civic Initiatives Forum
James Maina Mugo, Social Watch/Futa Magendo Chapters
Opiata Odindo,  Elimu Yetu Coalition
James Kamau, Kenya Treatment Access Movement (KETAM)

La crise financière mondiale a généré un chômage endémique, un déficit budgétaire croissant et une augmentation de la dette. Le Gouvernement doit mettre en oeuvre une politique fiscale visant à stabiliser l’économie et modifiant le montant et la structure des impôts et des dépenses, ainsi que la distribution de la richesse. Il doit également garantir une attribution efficace des ressources publiques et une transformation sociale à tous les niveaux. D’autre part, le financement du développement doit être accompagné de la réforme démocratique. Le processus devrait défier la logique centralisatrice du pouvoir, naissant d’un débat public soucieux d’équité et de dignité.

La crise actuelle du néo-libéralisme offre aux acteurs des politiques de développement la possibilité de relancer le débat sur les politiques publiques et de reprendre les pourparlers sur le genre de développement souhaité et la manière de le financer de façon durable.  De même, elle nous oblige à repenser les conditions financières nécessaires au développement dans le contexte de la réduction des entrées financières publiques et privées, du poids de la dette plus lourd chaque jour et d’une augmentation du déficit budgétaire. Cette nouvelle analyse doit reconnaître avant tout qu’à l’échelle aussi bien mondiale que nationale, les finances sont davantage un outil intervenant dans le relations de pouvoir qu’une ressource neutre. Il faut commencer à considérer l’argent en tant que valeur, ainsi que les institutions qui le gèrent, fondamentalement les corporations, les institutions financières et les agences gouvernementales qui abordent les fonctions essentielles de la règlementation, du budget, des dépenses et des audits.

Depuis son adoption en 2002 en tant que cadre politique pour le  financement du développement à travers la coopération internationale, le Consensus de Monterrey est devenu le point de référence le plus important en ce qui concerne la mobilisation des ressources financières pour le développement des économies du Sud. Les six domaines analysés dans le consensus s’appuient sur des méthodes traditionnelles basées sur le marché destiné à recueillir des fonds pour le développement, incluant l’engagement formel vis-à-vis du processus et de la mise en oeuvre. Cependant, la Conférence internationale de suivi sur le financement du développement (FdD) qui s’est tenue à Doha en 2008, n’est pas parvenue à donner l’élan nécessaire. Le problème des contradictions entre le capitalisme financier, en pleine frénésie spéculative, et les impératifs éthiques du développement social équitatif n’a pas été abordé. Il faut absolument arriver à un nouvel accord basé sur de nouvelles perspectives.

La recherche d’un lien entre le financement et le développement

Les perspectives majoritaires du financement du développement se sont trop ciblées sur les outils du financement, sur le volume des ressources mobilisées – aussi bien nationales qu’internationales – sur la durabilité de la dette et sur des affaires systémiques et de cohérence. Tous ces aspects détournent l’attention de l’impératif réel : le besoin de créer un lien durable entre le financement et le développement.

Au cours des 20 dernières années, le Kenya a essayé de rédiger une nouvelle Constitution afin de redéfinir les relations de pouvoir entre les citoyens et leur gouvernement. Ce processus de révision constitutionnelle a été pris en otage par les rivalités tribales autour du pouvoir. Aujourd’hui, alors que le conflit ethnique constitue une véritable menace, les autorités du Kenya n’ont pas l’intention de divulguer à la population les effets nocifs de la crise financière mondiale sur l’économie nationale.

La crise financière mondiale a débouché sur une situation de chômage endémique, une aggravation du déficit budgétaire et une augmentation du portefeuille de la dette. En 2008, le taux de croissance est descendu à 2,1 %. Au  premier trimestre 2009, il est monté à 4 %, mais il est redescendu à 2,1 % au deuxième trimestre. Ce ralentissement de la croissance économique a réduit l’emploi et augmenté la pauvreté[1]. Afin d’en atténuer les effets, le Gouvernement a mis en place une série de mesures telles que le Plan de relance économique visant différents secteurs de l’économie. Il semblerait cependant que les répartitions des fonds d’aide aient été décidées sans tenir compte des priorités sectorielles : la stratégie mise en œuvre a été élaborée sans aucune consultation généralisée de la base. Concevoir une stratégie efficace supposerait la redéfinition des relations de pouvoir afin de les centrer sur l’équité, sur la dignité, sur la participation et sur la délégation. Cela rendrait possible l’établissement d’un contrat social capable de constituer le cadre d’un processus de financement du développement stimulé par l’ensemble des citoyens.
 
Pauvreté transgénérationnelle

L’ordre constitutionnel actuel du Kenya est l’héritage du gouvernement colonial. Il perpétue une culture de suprématie politique et économique des secteurs privilégiés de la société et soumet grande partie de la population qui, de génération en génération, vit dans la misère malgré les changements illusoires des élections successives. Dans une société en soi pacifique, la soudaine explosion de violence suite aux élections, ainsi que les épisodes violents de conflits précédents surgissent des disputes tribales briguant l’autorité patrimoniale dans les républiques post-coloniales successives du pays.
 
Malgré ces difficultés, le pays jouit d’un rendement fiscal élevé, puisque le rapport impôts/PIB dépasse 20 %. Il est capable de financer une bonne partie du budget ; les dons externes financent une portion bien moindre que dans les autres pays de la région. En ce qui concerne les revenus, le Gouvernement poursuit ses efforts pour mobiliser les ressources internes afin de réduire la pauvreté ; l’assiette des impôts a été augmentée grâce à des réformes de la politique fiscale et à la modernisation de l’administration interne des impôts et des douanes. Cependant, l’efficacité mise dans la génération de revenus et la collecte des impôts n’ont pas suffi pour garantir la réduction de la pauvreté.

Le Gouvernement nécessite une politique fiscale qui stabilise l’économie et qui établisse des contrôles sur le montant et la structure des impôts et des dépenses, et qui encourage à la fois la redistribution de la richesse. Il doit également garantir une adjudication efficace des ressources publiques, ceci étant fondamental pour le développement économique et la transformation sociale à tous les niveaux.  La génération de revenus ne doit pas se limiter à l’administration, au respect et au suivi du système fiscal. Les citoyens doivent exiger la transparence et la justification des comptes sur l’utilisation des ressources publiques destinées à l’amélioration des prestations des services publics. Le Tableau 1 reflète le degré d’asymétrie de la composition des revenus.

La Loi relative au Fonds de développement des circonscriptions : la cimentation des structures de pouvoir

On a essayé plusieurs fois de dévier le noyau du pouvoir vers les bases. Ce mouvement adhère au concept de subsidiarité pour justifier le glissement de pouvoir du Gouvernement central aux sphères locales de l’autorité publique. Cependant, la mise en œuvre de ce concept n’a pas eu le succès attendu. Il en a été ainsi de l’introduction des fonds d’apport et, plus précisément des Fonds de développement des circonscriptions (CDF, d’après son sigle en anglais), établis par la Loi de CDF de 2003[2]. Cette législation propose d’affirmer les droits, les rôles et les responsabilités des citoyens, notamment en ce qui concerne les bases, la définition des priorités et le financement du développement. Au départ, elle était prévue et a été élaborée pour aborder les injustices historiques ayant trait à la répartition des ressources par le Gouvernement central, surtout à l’époque des présidents Jomo Kenyatta et Daniel Moi (de 1963 à 2002), lorsque la distribution des ressources se basait sur la loyauté au régime politique. À ses débuts en 2003, après la déroute du régime de Moi, le CDF fut acclamé pour l’audace que représentait le glissement de la planification des priorités de développement du Gouvernement central aux domaines des circonscriptions locales. Il est devenu un pilier fondamental du processus de réforme qui devait en principe contrôler la démocratie néo-libérale et renforcer la logique et les principes de la subsidiarité.

Le CDF a été établi pour venir en aide aux sous-régions dont le financement du développement avait été fortement restreint comme mesure de répression et pour contrôler le déséquilibre du développement régional généré par la politique partisane. En dernier ressort, il n’a fait que cimenter l’emprise des élites gouvernantes sur les moyens de subsistance et sur la vie de la communauté. Dans la plupart des cas, les fonds d’apport ont permis aux parlementaires chargés d’administrer ce fonds commun colossal de se convertir en membres du parlement à vie. Il échoit aux parlementaires, en tant que promoteurs des fonds, le pouvoir de nommer les Commissions des Fonds de développement des circonscriptions, ainsi que les commissaires comptables[3]. Ce pouvoir absolu sur la distribution des ressources au niveau des bases, est un reflet du paradigme actuel de la démocratie néo-libérale, qui se fonde sur la prétendue efficacité des forces du marché[4]. Dans la pratique, il garantit aux parlamentaires la détention du pouvoir et les ressources pour maintenir une culture de parrainage et de clientélisme et, par extension, il perpétue la culture de parrainage des régimes précédents, qui refusaient à leurs adversaires politiques et aux zones de l’opposition les fonds de développement si nécessaires.

Los citoyens doivent être impliqués

Ne pas impliquer les citoyens dans la mobilisation et la distribution des ressources dans les sphères locales risque d’avoir des retombées négatives sur les systèmes de subsistance des communautés au niveau des foyers. Les parlementaires sont connus pour leur propension à affecter des ressources, comme les fonds de développement pour l’infrastructure, à leurs propres régions et à leurs bastions politiques, et pour avoir transféré des fonds destinés aux bourses d’étude à leurs propres supporters politiques[5]. Les Commissions des CDF ont la charge d’administrer le fonds commun, mais elles se composent de parents et d’amis. Par exemple, l’enquête pour la transparence internationale dans la province côtière a démontré que 73 % des personnes enquêtées n’avaient aucune idée de la façon dont ces fonds étaient gérés. Cette même enquête révèle que 60 % des habitants de la zone attribuent leur manque de participation aux projets du CDF à leur affiliation politique[6]. En sept ans d’affectation de fonds, et malgré une croissance économique de 6 %[7] pendant les cinq premières années qui ont suivi l’époque de Moi, la pauvreté a non seulement augmenté, mais elle s’est également approfondie et a empiré ces derniers temps : plus de 56 % de la population de Kenya vit en dessous du seuil de pauvreté, ce qui constitue une forte augmentation par rapport au 42 % de l’année 2007[8].
 
La décentralisation des ressources sans une décentralisation du pouvoir de décision sur l’usage réservé à ces ressources, c’est là une simple prolongation du paradigme actuel du développement dans des pays comme le Kenya et ceux du Sud global qui fait douter de l’existence d’un intérêt véritable pour que les communautés gagnent en autonomie et contrôlent leur propre destin.

Les politiques des partenaires occidentaux qui soumettent le financement de l’aide au développement à la réforme démocratique, n’édifient pas de nouvelles structures de pouvoir qui pourraient déboucher sur l’utilisation équitable et efficace des ressources destinées à améliorer la vie des communautés. De fait, cette sorte de financement du développement, notamment quand il se canalise à travers les organisations de la société civile d’encouragement au développement local, est lié à un paradigme d’aide qui, dans presque tous les cas, n’est qu’une tentative d’évasion du pouvoir vers des compagnies et des gouvernements étrangers.
 
Il faut remodeler le paradigme actuel du FdD pour qu’il défie la logique centralisatrice du pouvoir et qu’il le décentralise vers les communautés et les collectifs. La logique centralisatrice du concept de la démocratie libérale dérive implicitement vers la marginalisation et l’oppression des majorités. Il faut un nouveau paradigme qui aspire à créer un monde favorisant l’épanouissement des individus et des collectifs, au lieu d’un monde de profits et de rendements.
 
Ce nouveau paradigme du FdD devra être établi à partir d’un débat populaire qui fera intervenir les valeurs d’équité et de dignité.  Il faudra demander à tous les hommes, les femmes, les jeunes et les enfants de contribuer à cette démarche et d’aider à définir les objectifs du développement. Le nouveau paradigme issu de ce processus peut générer des niveaux de pouvoir décentralisé qui incluront une nouvelle logique de développement basée sur les besoins de croissance sociale de tous les citoyens.  

[1] Francis M. Mwega, Paper 17: Kenya ("Document 17: Kenya"), Overseas Development Institute, Global Financial Discussion Series (Institut de Développement d’outremer, Série sur l’analyse financière mondiale). Voir sur : <www.odi.org.uk/resources/download/4723.pdf>.

[2]  Loi de CDF, Kenya Gazette Supplement No. 107.

[3]  Ibid.

[4]  Corinne Kumar. South Wind, Towards A New Political Imaginary (Vent du sud; vers un nouvel imaginaire politique) in Dialogue and Difference, (Londres; Palgrave Macmillan, 2005).

[5]  George Ochieng, CDF Social Audit Report-Nyanza (Rapport CDF d’audit social-Nyanza), 2009.

[6]  Pwani Coalition on Good Governance (Coalition Pwani sur la bonne gouvernance), Citizen’s Monitoring Report 2010 (Rapport de suivi des citoyens 2010).

[7]  Discours sur le budget du ministre de l’Économie, 2007. Voir sur : <www.treasury.go.ke> (visité le 20 février 2010).

[8]  Voir sur : <www.kbc.co.ke/story.asp?ID=62203>.

Fichier attachéTaille
kenya2010_fran.pdf267.5 KB
Region: 
left