Le temps (limité) du « bonus démographique »

Publication_year: 
2010
Summary: 
Le Gouvernement ne profite pas de l’opportunité historique de développement que le dénommé « bonus démographique » lui offre pour les deux prochaines décennies. Étant donné que les enfants et les adolescents constitueront un pourcentage de plus en plus important de la population totale, c’est le moment d’investir dans l’éducation des prochaines générations, ce qui permettrait d’augmenter les niveaux de revenus per capita. Les plans pour le développement doivent prioriser la dépense dans l’enseignement public et destiner à ce secteur au moins 7 % du Produit Intérieur Brut (PIB) durant les 10 prochaines années pour pouvoir atteindre les objectifs essentiels. Si le Nicaragua n’investit pas dans l’éducation maintenant, après il sera trop tard.

Coordinadora Civil[1]
Adolfo Acevedo

Le Gouvernement ne profite pas de l’opportunité historique de développement que le dénommé « bonus démographique » lui offre pour les deux prochaines décennies. Étant donné que les enfants et les adolescents constitueront un pourcentage de plus en plus important de la population totale, c’est le moment d’investir dans l’éducation des prochaines générations, ce qui permettrait d’augmenter les niveaux de revenus per capita. Les plans pour le développement doivent prioriser la dépense dans  l’enseignement public  et destiner à ce secteur au moins 7 % du Produit Intérieur Brut (PIB) durant les 10 prochaines  années pour pouvoir atteindre les objectifs essentiels. Si le Nicaragua n’investit pas dans l’éducation maintenant, après il sera trop tard. 

Le Nicaragua souffre d’énormes retards en ce qui concerne le niveau d’enseignement de sa population aussi bien en termes de couverture scolaire que de qualité. De tous les enfants en âge scolaire, seul 86 % sont inscrits dans l’enseignement primaire, et à peine 40 % des enfants inscrit en 1ère année du primaire arrive à la dernière année de ce cycle[2]. Uniquement 45 % des jeunes en âge d’assister au cycle secondaire s’y inscrivent et à peine 44 % des inscrits finissent leurs études[3]. Si l’on considère que le niveau minimal pour dépasser le seuil de pauvreté est le cycle secondaire complet, il n’y a qu’une conclusion possible : le Nicaragua ne prépare pas correctement sa population pour la vie qu’elle devrait avoir.

Cela implique des conséquences très négatives pour le développement du pays en prenant compte particulièrement de la problématique démographique actuelle. D’après le Recensement de la population de 2005[4] la population en âge de travailler (de 15 à 59 ans) est en train d’augmenter rapidement. Entre 1995 et 2005,  ce groupe de population a augmenté de manière inédite de 29,2 % et a maintenu une croissance annuelle de 2,6 %, sensiblement au dessus du 1,78 % de la moyenne de la population totale. En 1990, 46 % des nicaraguayens avaient moins de 15 ans, 49,3 % avaient l’âge de travailler et seulement 4,8 % avaient atteint l’âge de la retraite. Il y avait 1,1 personne en âge de travailler par enfant de moins de 15 ans.

Cependant, aujourd’hui le pourcentage des moins de 15 ans s’est réduit par rapport à la population totale, constituant une chute en termes absolus. En 2005 cela représentait seulement 34,6 %, la population. La population en âge de travailler avait atteint un pourcentage de 56,5 % et les personnes de plus de 60 ans, 5,6 % du total de la population. Cela veut dire qu’en  2005, pour chaque enfant de moins de 15 ans, il y avait 1,53 personne en âge de travailler.

Le plus marquant dans ce processus de changement démographique est la simultanéité de la diminution de la population infantile et de l'énorme augmentation des personnes en âge de s’intégrer au marché du travail.

Le « bonus démographique  » et la réduction de la pauvreté

On estime qu’en moyenne chaque année 118.000 jeunes atteignent l’âge de travailler, ce qui représente la croissance la plus élevée de la population en âge de travailler dans l’histoire du Nicaragua. Ce processus, connu comme « bonus »ou « dividende démographique » est observable aussi bien dans les zones urbaines que rurales, bien que dans ces dernières le processus soit un peu moins marqué.

En termes macroéconomiques, si cette force de travail bourgeonnante trouvait des emplois hautement productifs, il pourrait se produire une accélération du rythme de la croissance économique. Avec la croissance économique et la diminution du taux de croissance de la population, le revenu moyen ou per capita augmenterait en générant – puisqu’il y aurait de moins en moins d’enfants –  la possibilité d’augmenter l’investissement en enseignement par enfant. Ainsi, on combinerait la possibilité de stimuler la croissance économique et de réduire de manière significative la pauvreté.

Un exemple où cette politique a été appliquée avec succès est la Corée du sud. En 1950, ce pays était plus pauvre que la majorité des pays d´ Amérique latine, mais en quelques décennies il a pratiquement éradiqué la pauvreté.

Cependant, pour profiter du « bonus démographique » il ne suffit pas seulement d’avoir une forte croissance de la population en âge de travailler : il faut aussi qu’un important pourcentage de celle-ci s’incorpore effectivement au marché du travail. Une des plus importantes restrictions pour cela est la faible intégration des femmes sur le marché du travail, car elles se voient obligées à s’occuper de leur foyer et particulièrement des enfants. Seulement 36,7 % des femmes en âge de travailler s’intégrer sur le marché du travail[5]. Cela signifie que les 63 % qui restent ne possèdent aucune source de revenu, ce qui limite leur autonomie et la faculté d’influencer l’économie familiale.

Mais ce « bonus démographique » dont les pays du sud-est asiatique ont su profiter pour réduire leur pauvreté sur un laps de temps relativement court et qui leur a permis de se convertir en des pays avec des revenus per capita élevés, implique que les personnes en âge de travailler reçoivent une formation adéquate pour pouvoir occuper des postes de travail formels de haute productivité et bien rémunérés. Et d’un autre côté, que le marché de l’emploi leur offre effectivement ces emplois. 

Bonus ou catastrophe sociale ?

Au Nicaragua, les personnes qui se trouvent déjà actuellement sur le marché du travail ou qui sont en passe de l’intégrer, ont reçu, dans la plupart des cas, un niveau de formation extrêmement faible et déficient. Ceci est observable par la quantité moyenne d’années de scolarisation de la population au delà de 15 ans, qui oscille entre 3,2 y 5,1 années pour les couches sociales ayant les revenus les plus bas[6].

Soixante pour cent des foyers les plus pauvres accueillent 76 % des moins de 18 ans, c.-à-d., la plupart des jeunes du pays. Cela signifie que la plupart des jeunes qui habitent dans les foyers à moindre revenu ont des niveaux de scolarité extrêmement bas. Si nous prenons en compte la forte corrélation existante entre le niveau moyen d’études et le revenu professionnel, la majorité de ces personnes travailleront dans des emplois précaires et informels tout au long des 50 ans de leur vie d’adulte, ce qui les  maintiendra sous le seuil de pauvreté.

Selon le dernier « Rapport sur la pauvreté » de la Banque mondiale pour le Nicaragua, les personnes qui n’ont pas terminé le cycle secondaire, c.-à-d., qui ont moins de 11 ans de scolarisation, sont très certainement condamnées à vivre sous le seuil de pauvreté[7]. C’est lorsqu’elles atteignent 11 ans de scolarité, avec le cycle secondaire complet, que leur salaire dépasse (à peine) le seuil de pauvreté.

L’analyse de la structure du marché du travail montre que 70 % des emplois sont précaires dans le secteur informel. Aujourd’hui, les indépendants ou les personnes travaillant dans des petites unités économiques individuelles ou familiales, urbaines ou rurales, sans aucun accès aux ressources, constituent 65 % des emplois. Ces petites structures occupent 1 à 5 personnes et elles reflètent fréquemment le besoin d’une grande partie des foyers à entreprendre avec leurs moyens, un type d’activité économique pour survivre.

Cette situation est le résultat d’un modèle de développement basé sur les
« avantages comparatifs » qui a prévalu dans le pays depuis deux décennies, dans lequel, même si la force de travail est comparativement abondante, elle est aussi très faiblement qualifiée, ce qui se traduit par des salaires très bas. Voici donc le mécanisme fondamental à travers lequel opère la reproduction intergénérationnelle de la pauvreté et des inégalités.

La plus importante croissance de la population en âge de travailler de l’histoire du Nicaragua constitue l’opportunité démographique qui pourrait lui permettre de surmonter la pauvreté dans une période relativement courte. Mais cette opportunité n’est pas exploitée, en premier lieu, parce que la plupart des jeunes rentrent sur le marché du travail avec des niveaux de formation très bas, ce qui les condamne à avoir de mauvais jobs. En second lieu, parce que seulement 53 % de la population active intègre le marché du travail. Le facteur déterminant de cela est la faible incorporation des femmes. 

Les répercussions de cette négligence vis-à-vis du bonus démographique vont au-delà des conséquences immédiates ou à moyen terme. Le Nicaragua n’est pas seulement en train de gâcher cette opportunité, mais aussi en train de semer une future catastrophe sociodémographique.

Du bonus au désavantage démographique

Au Nicaragua, seulement 20 % de la force de travail est inscrite à la Sécurité Sociale. Ainsi, 80 % des personnes actives qui arrive à l’âge de la retraite, ne dispose d’aucune épargne. Ces personnes âgées dépendront pour survivre de l’assistance de leur famille ou de l’État. Cette dépendance pourrait s’accroître à cause du système de répartition appliqué par l’Institut Nicaraguayen de Sécurité Sociale (INSS), où le paiement des pensions est financé essentiellement par les apports des affiliés actifs. Cependant, dans les prochaines années, le nombre de retraités et le montant des pensions va augmenter jusqu’au point où les cotisations des affiliés actifs ne pourront plus les couvrir.

Selon les informations disponibles (limitées), à partir de 2016 environ, l’INSS ne sera plus capable de faire face à ses obligations de paiement avec ses revenus actuels, ce qui causera un déficit des paiements qui ne fera qu’augmenter progressivement. L’INSS devra alors avoir recours aux réserves techniques accumulées pour faire face à ses engagements, mais on estime que ces réserves seront épuisées au début des années 2020. Il a été proposé de « réformer les paramètres » mais dans le meilleur des cas ceci permettra à l’INSS d’assumer ses obligations durant encore deux décennies.

Dès lors, si la situation ne change pas, dans 25 ou 30 ans, quand la phase de vieillissement de la population aura commencé, les personnes qui seront en âge de prendre leur retraite vont dépendre de plus en plus des personnes actives – dont la quantité aura commencé à diminuer – pour survivre et couvrir leurs besoins.  

En même temps, la plupart des personnes en âge de travailler le feront, très probablement, dans des emplois informels et précaires et seront donc condamnés à vivre dans la pauvreté. Dans ce cas, le « bonus démographique » se sera épuisé puisque le pourcentage des personnes actives, non seulement, ne continuera pas à augmenter par rapport aux non actives, mais le processus commencera à s’inverser : le nombre de non actifs (principalement les personnes âgées) va augmenter de plus en plus par rapport au nombre d’actifs. Cela provoquera une diminution progressive des revenus du travail par personne non active, ou ce qui revient au même, une diminution des revenus per capita des foyers, en raison de l’augmentation de la relation de dépendance, et la période de « bonus démographique » ouvrera la porte à une période de fort « désavantage démographique »

C´est le moment de changer l’avenir

En citant Jorge Campos, fonctionnaire du Fonds de la population des Nations Unies au Nicaragua: « L’opportunité démographique qui s’offre aujourd’hui à nous, sera unique et aura une durée limitée. Pour en profiter, il est impératif d’avoir dès maintenant, des flux d’investissement suffisants et bien dirigés. Il est également impératif d’établir des politiques publiques adéquates pour garantir que les jeunes puissent entrer sur le marché du travail et qu’ils le fassent avec un bon niveau d’enseignement, de formation et de santé. Si cela ne se fait pas à temps, c.-à- d. maintenant, l’opportunité se convertira en catastrophe sociale en raison des taux élevés de chômage, d’insécurité urbaine et d’émigration massive qui vont certainement s’intensifier »[8].

Il est nécessaire d’investir au moins l’équivalent de 7 % du Produit interne brut (PIB) dans le système d’éducation publique[9], de manière à atteindre une série de buts fondamentaux dans le domaine de l’enseignement :

  • 100% d’inscriptions en primaire.
  • Au moins 80 % de réussite du cycle primaire complet.
  • Au moins 75 % d’inscriptions pour le cycle secondaire.
  • Atteindre un niveau moyen de scolarisation d’au moins 9 ans.

 

Pour atteindre un investissement public pour l’éducation à hauteur de 7 % du PIB, il est nécessaire de doubler l’actuel budget du ministère de l’Éducation, ou bien d’arriver à 6 % du PIB au minimum. Mais les projections budgétaires officielles indiquent que le budget de ce ministère, qui a atteint 4 % du PIB en 2009[10] , ne va pas augmenter mais plutôt se réduire dans les années qui viennent, pour atteindre 3,55 % du PIB en 2013. Cette situation lamentable se produira à peine deux ans avant le délai pour l’accomplissement des Objectifs du millénaire pour le Développement (ODM).

Les OMD  prévoyaient qu’en 2015 tous les enfants arriveraient à terminer le cycle complet de l’éducation primaire. A présent, ce délai est discutable mais il faut faire un gros effort d’investissement dans l’enseignement pour changer ce sort. Malheureusement, cette situation semble presque inévitable vu que le pays ne fait pas le nécessaire pour la changer.

Etant donné que la proportion de jeunes est en train de diminuer, il n’y aura plus autant d’enfants et d’adolescents en lesquels investir pour qu´ils puissent sortir le pays de la pauvreté. Le moment d’investir dans la jeunesse et de changer les perspectives de futur est là, sinon il sera trop tard.

 

[1] La Coordinadora Civil (Coordination Civile) réunit près de 600 Organisations non gouvernementales (ONG), réseaux et individus dans tout le Nicaragua.

[2] IPS, "A la caza del último analfabeto" (À la chasse au dernier analphabète), 20 juillet 2007. Disponible sur : <www.ipsnoticias.net/nota.asp?idnews=41582>.

[3] La Prensa, "Nicaragua con bajo acceso a educación secundaria" ("Le Nicaragua avec un faible accès à l’enseignement secondaire"), 14 mars 2010. Disponible sur : <www.laprensa.com.ni/2010/03/14/economia/19086>.

[4] Institut national de statistiques et recensements (INEC), VIII Censo de Población y IV de Vivienda ( "VIII Recensement de la population et IV du logement" ), mai 2006. Disponible.

[5] La Prensa, "Nicaragua desperdicia sus mejores años" ("Le Nicaragua gâche ses meilleures années" ), 16 juillet 2010. Disponible sur : <www.laprensa.com.ni/2010/07/16/nacionales/31702>.

[6] Adital, "Nicaragua en la encrucijada de la ‘transición demográfica" ("Le Nicaragua à la croisée de la ‘transition démographique"), 3 novembre 2009. Disponible sur : <www.adital.com.br/site/noticia.asp?lang=ES&cod=42527>.

[7] El Nuevo Diario, "7% del PIB a Educación nos sacará de la pobreza" ("Un 7 % du PIB pour l’éducation nous sortira de la pauvreté" ), 12 mars 2010. Disponible sur: <www.impreso.elnuevodiario.com.ni/2010/03/12/nacionales/120649>.

[8] Adital, op. cit.

[9] El Observador Económico, "Sociedad Civil demanda 7% del PIB para Educación" ("La société civile demande 7 % du PIB pour l’Education"), 4 septembre 2009. Disponible sur : <www.elobservadoreconomico.com/articulo/846>.

[10] Ibid.

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