La FAO accusée de « promouvoir la destruction de l'agriculture paysanne et familiale »

FAO directeur général José
Graziano da Silva.
(Photo: Ozan Kose/FAO)

Des importants groupes environnementaux et de paysans se sont déclarés « stupéfiés et offensés » parce que le Directeur Général de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et le Président de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD), ont appelé les gouvernements  à adopter le secteur privé comme « moteur principal » de la  croissance de la production alimentaire globale. Dans une déclaration collective, les organisations de la société civile, ont déclaré que la FAO abandonne sa mission en promouvant « la destruction de l’agriculture paysanne et l'agriculture familiale » et  « l’accaparement des terres ».

L'appel au secteur privé à doubler leurs investissements « dans la terre [...], dans les équipements et les semences » dans « une vaste partie du territoire qui s'étend de Mongolie en Asie Centrale, au Maroc, en Afrique du Nord » a été faite par José Graziano da Silva, directeur général de la FAO et Suma Chakrabarti, président de la BERD, dans un article publié dans le journal de Wall Street  le 6 septembre.

« La simple vérité est que le monde a besoin de plus de nourriture, et cela signifie plus de production. Il y a beaucoup de place pour la croissance agricole dans les zones dans lesquelles la BERD [...] Le secteur privé peut être le principal moteur de cette croissance, » ont écrit Da Silva et Chakrabarti.

« Le secteur privé doit doubler l’investissement dans les terre elles-mêmes et dans les équipements et les semences. Les investissements dans le stockage, le transport et les infrastructures commerciales sont essentielles non seulement pour s'assurer que la nourriture atteint sa destination prévue mais aussi pour construire les tampons contre les chocs négatifs et les sécheresses. Une partie de l'investissement en infrastructure pouvait être fait conjointement avec les gouvernements dans les entreprises correctement structurés, » ils ont ajouté.

La Via Campesina GRAIN Les Amis de la Terre International (FoEI) Coordinadora Latinoamericana de Organizaciones del Campo (CLOC) Marche mondiale des femmes (MMM) - ETC Group Latin American Articulation of Movements Toward ALBA  ont averti, dans une déclaration commune, que « les dirigeants de ces deux influents organismes internationaux font un appel clair à une augmentation dans le monde entier des investissements du secteur privé et l'accaparement des terres ».

Da Silva et Chakrabarti ont dit « que le secteur privé est efficace, » et, en même temps, ils «écartent les paysans ainsi que les quelques politiques qui les protègent, sous prétexte qu'ils constituent des fardeaux empêchant tout développement agricole, c'est pourquoi ils devraient être éliminés. » selon les organisations de la société civile.

Dans leur article, les deux agents ont mentionné le cas de la Turquie, un pays qui « pourrait mieux faire » s’il s’occupait des « questions qui l’empêchent », comme « les niveaux relativement élevés de protection, le manque d’une  irrigation correcte, les petites fermes de taille peu économique  et un accès limité aux capitaux d'intrants pour la production moderne. »

« Leur article fût publié dans le contexte d'une conférence tenue conjointement par la FAO et la BERD à Istanbul le 13 septembre 2012, événement qu'ils décrivent comme étant la rencontre la plus grande et la plus importante des compagnies et décideurs en matière d'agroalimentaire.
Dans leur article, Graziano da Silva et Chakrabarti font un nombre d'allégations biaisées […] qui occultent la réalité concernant l'agriculture et l'alimentation. Ils présentent la Russie, l'Ukraine et le Kazakhstan comme des exemples où des compagnies agroalimentaires « ont réussi à transformer les terres dévastées des années 1990 (…) pour faire de ces pays les plus grands exportateurs de céréales actuels ». Mais ils ne mentionnent pas que les statistiques officielles de ces trois pays montrent que les petits producteurs et les paysans et paysannes sont plus productifs que les grandes compagnies agroalimentaires » déclarent les organisations.

Selon leur évaluation, «les paysans et les petits producteurs, y compris les femmes, sont responsables de plus de la moitié de la production agricole de la Russie, tout en occupant seulement le quart des terres agricoles. En Ukraine, ils produisent 55% de la production agricole et ce, sur seulement 16% des terres agricoles, alors qu'au Kazakhstan, c'est 73% de la production agricole qui est produite par les paysans et fermiers sur la moitié du territoire du pays. Le fait est que ces pays sont nourris par leurs paysans et paysannes »

Les groupes ont signalé que ce fait est aussi vrai à travers le monde. Partout où les données officielles sont disponibles, comme aux États-Unis, en Colombie et au Brésil, ou dans les études conduites en Asie, en Afrique et en Amérique Latine, l'agriculture paysanne se révèle plus efficace que les larges industries agroalimentaires.

« Contrairement à ce que le Directeur Général de la FAO prétend, ceux qui ont réellement la capacité de nourrir le monde sont les paysans et les paysannes du monde entier. L'expansion de l'agroalimentaire n'a fait qu'exacerber la pauvreté, détruire la possibilité de vivre dignement en milieu rural, augmenter la pollution et la destruction environnementales, et ramener le fléau de l'esclavage ainsi que de récents épisodes de crises alimentaires et climatiques. » ont averti les organisations.

“Pour les mouvements sociaux et les paysans et paysannes du monde entier, il est inacceptable et même incompréhensible qu'un Directeur Général de la FAO promeuve de la sorte la destruction de l'agriculture paysanne ainsi qu'une augmentation de l'accaparement des terres. Ces allégations sont d'autant plus troublantes qu'elles arrivent après trois ans de travail prudent et acharné par La Via Campesina et d'autres organisations en vue de l'élaboration des directives volontaires de la FAO protégeant les communautés contre les accaparement des terres. » ont ajouté.

Les groupes rappellent aussi que da Silva avait, durant sa campagne pour la direction de la FAO, « assuré à plusieurs répétitions aux organisations paysannes  qu'il s'engageait à promouvoir et valider l'importance de l'agriculture paysanne ainsi que le rôle critique que les petites fermes doivent jouer dans la production alimentaire ».

« Le langage utilisé par Graziano da Silva et Chakrabarti »  dans leur article « est choquant » selon eux et ont remarqué  des phrases comme « fertiliser la planète avec de l’argent » ou « faciliter la vie de tous ceux qui souffrent de la faim ». Ces appels remettent en question la capacité de la FAO de maintenir la rigueur nécessaire ainsi que l'indépendance face aux grandes industries agroalimentaires en vue d'accomplir son travail et remplir le mandat des Nations unies d'éradiquer la faim et d'améliorer les conditions de vie des populations rurales. »

Lorsque son Da Silva déclare que les obstacles ralentissant l'expansion de la production agricole sont « le niveau relativement élevé de protectionnisme, le manque d’irrigation correcte, et les petites fermes de taille peu économique », il découvre ainsi que  « l'asservissement de la FAO aux demandes et aux intérêts des cupides investisseurs » que « minent tout le travail de conciliation mené durant ces dernières années entre les organisations paysannes » et l’agence. 

“Nous nous demandons où iront les familles paysannes si ces plans de transformation de leurs terres en méga-fermes industrielles se réalisent? Se demandennt les groupes.

« Au-delà de l'enjeu de la FAO abandonnant sa mission, nous exprimons également une profonde préoccupation concernant le rôle actif que joue la BERD dans la promotion, et les bénéfices qu'elle retire, d'investissements dans les accaparements de terres et la prise en charge de l'agriculture par les grandes compagnies agroalimentaires. La position de la BERD est encore plus dangereuse maintenant qu'elle a élargit sa zone d'opération en Afrique du Nord » déclarent dans leur article.

« Ce qui est aujourd'hui nécessaire pour l'agriculture et la planète est tout à l'opposé de ce que proposent Chakrabarti et Graziano da Silva. » ont dit les organisations.  « L'humanité et ceux souffrant de la faim ont besoin que des zones rurales et agricoles, où vit la moitié de la population mondiale, soient protégées et promues—parce que l'agriculture paysanne est plus efficace et productive, parce qu'elle produit au moins la moitié de la production alimentaire globale ainsi que la majorité des emplois en zones rurales, et finalement parce qu'elle refroidit la planète. » ont ajouté les groupes.

« Les moyens de subsistance des paysans, paysannes et peuples indigènes, ainsi que leurs systèmes de production alimentaire, ne peuvent pas être détruits pour créer une nouvelle source de profits gigantesques pour un groupe restreint d'élites. Nous avons besoin de réformes agraires complètes et efficaces qui remettent les terres et territoires aux mains des populations rurales. La marchandisation et l'accaparement des terres doivent être arrêtés et renversés. Nous n'avons pas besoin d'industries agroalimentaires; nous avons besoin d'un plus grand nombre de communautés de familles paysannes et autochtones vivant en pleine dignité et dans le respect. Les paysans et les paysannes nourrissent le monde ! Les industries agroalimentaires se l'accaparent ! » termine la déclaration

Sources
Hungry for Investment (The Wall Street Journal): http:// on.wsj.com/Spb9ti.  (en anglais)
GRAIN: http://bit.ly/U0q9x2