L’austerite n’est pas la solution

La crise économique et financière est aujourd’hui un fait établi, en atteste la forte dégradation en ce début d’année 2013 à la fois du déficit budgétaire qui atteint le niveau record de 7,1% par rapport au Produit intérieur brut (PIB) et de celui de la balance des paiements courants (8% du PIB).

Certes, cette détérioration des équilibres macroéconomiques est liée à des facteurs externes-crise de la zone euro et hausse du dollar-et internes-baisse des recettes fiscales et hausse des charges de compensation. Toutefois, on ne saurait passer sous silence le fait que ces déséquilibres sont aussi le révélateur des limites et des dysfonctionnements du modèle de croissance poursuivi par le Maroc durant les années 2000 , et dont l’actuel gouvernement a maintenu les principaux axes.

En effet, ce modèle était basé sur deux piliers : les plans sectoriels (Plan Maroc Vert, Plan Azur, Plan « Emergence industrielle », etc.) devant diversifier et développer l’offre productive à l’export et dont la réalisation devait être assurée par l’investissement privé, national et étranger. Ceci d’une part, d’autre part de grands chantiers publics étaient lancés par l’Etat en accompagnement de ces plans, mais également pour soutenir la demande interne. En théorie, ce modèle devait contribuer à réduire le déficit commercial et à impulser la croissance économique, générant ainsi des recettes fiscales suffisamment importantes pour compenser la baisse des droits de douane consécutive à la signature de multiples accords de libre-échange et réduire le déficit budgétaire à 3% du PIB, niveau considéré comme soutenable dans la mesure où il limiterait l’endettement public.En pratique, si ce modèle a permis d’ améliorer la croissance économique et, partant, de renflouer les caisses de l’Etat, la qualité d’une telle croissance laissait beaucoup à désirer : d’une part, l’ offre productive exportatrice ne s’est pas développée comme prévue; d’autre part, une telle croissance était en quelque sorte factice, ses ressorts ayant été les activités financières (avec une forte propension à la spéculation), le secteur du bâtiment et des travaux publics et les télécommunications, et non les activités productives telles que l’industrie manufacturière.

Elle a en outre contribué à aggraver la concentration des revenus au profit des couches aisées, réduisant ainsi les chances d’une croissance autoentretenue grâce à l’élargissement du marché intérieur. C’est dire qu’un tel modèle-y compris dans ses dimensions macro-économiques­était vulnérable au moindre choc interne ou externe. Survint alors la crise financière mondiale de 2008 dont le Maroc allait subir le contre-choc tant sur le plan budgétaire (baisse des recettes fiscales) qu’au niveau de l’économie réelle (recul des exportations, des investissements étrangers, des transferts des Marocains résidant à l’étranger, des recettes touristiques) et de la balance des paiements courants. Pour y faire face, le gouvernement décida de pratiquer une politique économique expansionniste, augmentant notamment l’investissement public consacré aux grands chantiers, ceci grâce à la marge budgétaire héritée de la période « faste » du milieu des années 2000. Si une telle politique a permis de compenser partiellement la baisse de la demande étrangère adressée au Maroc, son impact sur la croissance économique a été plutôt modeste du fait de la faible productivité des investissements publics.En revanche, elle a contribué à aggraver le déficit commercial du Maroc.

Cependant, l’aggravation de la crise de la zone euro, la hausse des prix du pétrole ainsi que les conséquences du printemps arabe dans sa version marocaine, vont réduire à zéro la marge budgétaire de l’Etat pour assumer son rôle économique et social. D’où la décision de recourir au FMI en vue de se prémunir contre tout nouvel choc et la mise en œuvre des premières conditions imposées par cet organisme international, notamment l’augmentation des prix à la pompe et la révision à la baisse de la politique des grands travaux.

En définitive, il s’avère donc que les ressorts profonds de la crise macro-économique actuelle sont intimement liés au modèle de développement exportateur dont le pari sur la conquête des marchés extérieurs et l’afflux d’investissements directs étrangers ne s’est pas réalisé.

Face à une telle situation, le gouvernement actuel s’est engagé auprès du FMI en faveur d’une politique d’austérité sur la période 2013/2017 dont les principaux axes sont la décompensation progressive des prix des produits de première nécessité,la limitation des embauches dans l’administration publique au remplacement des départs à la retraite et le gel des augmentations de salaires, la flexibilité du marché du travail ainsi que l’amélioration du climat des affaires.Parmi les mesures phare sur lesquelles insiste le FMI figure la nécessité de mettre en place une large campagne de sensibilisation en vue de convaincre l’opinion publique de l’ inéluctabilité des « réformes » et de la nécessité de faire des sacrifices pour en supporter le coût social et politique.

Face à l’aggravation du déficit budgétaire en début d’année et àl’hésitation du gouvernement à réduire les dépenses de compensation, ce dernier a opté pour la compression des dépenses d’équipement programmées au titre de l’année 2013, ceci dans l’attente de nouvelles mesures d’économies budgétaires.

La question qui mérite d’être posée à ce sujet est de savoir si la volonté du gouvernement d’appliquer une sévère politique d’austérité en vue de réduire le déficit budgétaire est la bonne décision à prendre dans le contexte sociopolitique actuel. Le problème est que ce type de politiques économiques est d’une efficacité limitéecomme en attestent plusieurs expériences historiques.Ainsi, l’application scrupuleuse des fameux « plans d’ajustement structurel » par les pays endettés du Sud durant les années 1980 n’a rétabli ni croissance économique ni emploi, alors que la crise financière de 1997/1998 a failli anéantir tous les progrès réalisés par les pays d’Asie de l’Est pour sortir du sous­développement.Plus près de nous, plusieurs pays de la zone euro sont en train de payer un lourd tribut aux politiques d’austérité poursuivies.Les dégâts causés par ces politiques sont immenses : taux de chômage de 55% parmi les jeunes en Espagne,dépenses d’éducation en baisse de 7% en Italie,recul de 15% de l’emploi en Irlande,perte de pouvoir d’achat de 23% et baisse des dépenses de santé de 28% en Grèce !

Dans le cas marocain, plusieurs mécanismes risquent de s’enclencheret induire des conséquences néfastes pour l’économie et la société.D’abord la réduction des dépenses d’investissement au titre du budget 2013 ne manquera pas d’affecter négativement le taux de croissance économique pour les années à venir étant donné le rôle stimulant de l’activité économique que joue l’investissement public. L’impact de cette baisse se fera sentir à court terme vu que des pans entiers de l’économie, notamment le secteur du BTP, évoluent au rythme des commandes publiques. Cette réduction de l’investissement public hypothèquera également les chances d’amélioration du classement du Maroc sur l’échelle de l’Indice de développement humain, notre pays occupant toujours la peu enviable 130ème place !.

Ensuite, le gel des salaires et des recrutements affectera négativement la consommation intérieure, rendant ainsi inopérant un ressort important de la dynamique économique qu’a connu le Maroc durant les dernières années.Enfin, la décompensation, même partielle, des produits de première nécessité entrainera une hausse des prix des produits et services, notamment du fait de la répercussion des hausses prévues des prix du pétrole et du gaz.Elle contribuera également à la paupérisation des couches moyennes, impactant ainsi négativement la croissance économique.D’après les analystes de BMCE Capital Bourse, une baisse de 5% de la consommation finale des ménages pourrait avoir un impact négatif de près de 1,5 point de croissance économique.C’est donc le risque de stagflation qui se profile à l’horizon, induisant moins de recettes fiscales, et donc la persistance du déficit budgétaire !

En définitive, il s’avère que la politique d’austérité que le gouvernement est en train de mettre en œuvre avec la bénédiction du FMI n’augure rien de bon pour l’économie marocaine et les couches moyennes et appauvries de la population.Seul un changement de cap en matière de modèle de développement garantira la paix sociale et permettra la relance de l’économie sur de nouvelles bases.Mettre au cœur de la stratégie de développement les droits économiques et sociaux, la justice sociale et l’égalité des sexes exige d’abord de mobiliser les ressources intérieures.Cela passe par la mise en œuvre d’une profonde réforme fiscale alliant justice sociale et efficacité économique, à travers notamment l’imposition des grosses fortunes, la progressivité de l’impôt sur le revenu, la suppression des niches fiscales, la lutte résolue contre la fraude et l’évasion fiscales et la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité. L’émission d’un emprunt international faisant appel au patriotisme de la diaspora marocaine pour financer des projets de développement créateurs d’emplois est également à envisager.

La baisse de la TVA sur les produits et services de première nécessité devrait faire partie d’une démarche cohérente de réhabilitation du marché intérieur (hausse des salaires en fonction de la productivité du travail, extension de la protection sociale, amélioration des revenus de la population rurale, etc.) et de promotion des activités productives (industrie manufacturière, agriculture familiale...)destinées à la satisfaction des besoins essentiels de la population.Une des conséquences de cette réorientation est la nécessité de revoir les différents Plans sectoriels en vue de les rendre moins dépendants d’une Europe en pleine crise économique et sociale.

Autrement dit, ce dont a réellement besoin notre pays, c’est d’un vrai débat national autour du modèle de développement à même de répondre aux immenses attentes de la majorité de la population en matière de dignité humaine, de justice sociale et de participation à la prise de décision, et non d’ une simple consultation sur le prétendu « partage » des sacrifices qui résulteraient de la « réforme » de la Caisse de Compensation !

Par Mohamed Saïd Saadi, économiste.

Source: Arab NGO Network for Development