RDC: Contre le projet d’électricité de la Banque Mondiale

Un Projet de Loi sur l’électricité est en débat au niveau du Sénat après avoir franchi l’étape de l’Assemblée Nationale.

Ce projet de Loi nous inquiète TERRIBLEMENT car le secteur d’électricité est un domaine social essentiel qui,  s’il est mal mené,  il conduit à des conséquences fâcheuses sur plusieurs plans : les soins de santé, la production des biens et services, la scolarité, l’alimentation, la sécurité, etc.

Ce qui nous INTERPELLE par rapport à cette Loi :

  • Ce projet de Loi consacre la libéralisation profonde du secteur d’électricité, un secteur social essentiel dans un pays où le pouvoir d’achat de la population demeure faible mais où les privés ne rechignent pas sur les voies et moyens qu’ils décident pour la faire payer des lourdes factures pourvu que lesdits privés se retrouvent dans leurs affaires. Donc, avec la libéralisation du secteur il y a réelle menace sur la stabilité des ménages qui ne sauront pas accéder facilement à l’électricité
  • Le principe énoncé par la loi sous examen au Sénat de créer des entreprises périurbaines et rurales d’électricité ne tien en rien compte des intérêts publics de l’Etat et de la population . Aucune disposition ne permet aux communautés locales de  se constituer en entreprises
  • Ce projet de Loi relative au secteur de l’électricité en RDC, actuellement en discussion au Sénat, ne fait que venir compléter l’arsenal des textes consacrant l’effectivité de la privatisation de l’électricité balisant ainsi le chemin pour le secteur privé dans le domaine.
  • L’énorme pression de la Banque Mondiale et d’autres institutions financières internationales pour son adoption. Cette pression, pensons-nous, n’est que la conséquence de la volonté acharnée des bailleurs des fonds de concrétiser rapidement le projet de Inga III qui ne servira en rien la population congolaise. Inga III nous inquiète aussi sur le flou en rapport avec l’énormité des financements attendus et de la nouvelle dette que va contracter la RDC sans réelle transparence et dialogue avec la population. Un accord vient d’être signer à Paris par le Ministre des ressources Hydrauliques et Electricité sans que le Parlement et la population en soient avertis préalablement.
  • Le gouvernement justifie son changement de politique nationale en matière de production, de transport et de la distribution d’énergie électrique par les faiblesses observées dans le chef de la SNEL d’une part et par la nécessité de garantir (art 48 de la constitution) l’accès à l’électricité aux populations tout en assurant sa disponibilité aux opérateurs économiques d’autre part.
  • Il est toutefois vrai que le taux de desserte nationale est faible (moins de 10%) mais il n’est pas moins vrai que les causes de ce faible niveau d’accès à l’électricité résulte de la mauvaise gouvernance par l’Etat lui-même. En effet, son interventionnisme dans le marché de la SNEL, le manque de sanction vis-à-vis des mandataires et même le refus de payer la facture des administrations publiques sont autant des maux qui ont précipité dans le gouffre la plupart des anciennes entreprises publiques dont la SNEL.
  • La libéralisation du Secteur d’électricité menace bien la SNEL car au vu du  décret n°09/12 du 24 Avril 2009 établissant la liste des entreprises publiques transformées en sociétés commerciales, établissements publics et services publics, la Société Nationale d’Electricité (SNEL) devient société commerciale     avec l’Etat congolais comme Actionnaire unique jusque-là. Mais nul n’ignore que l’Etat va vite ouvrir ses capitaux aux privés et se fera remplacer progressivement. En plus la SNEL, comme beaucoup d’entreprises étatiques, est une des rares entreprises avec un personnel avec contrat à durée indéterminée et bénéficiant de la sécurité sociale. La privatisation voudra mettre un grand nombre en chômage technique ou carrément à la porte avec toutes les conséquences sociales qui s’en suivront
  • La poursuite de la  logique du libéralisme économique comme système convenu avec les Institutions Financières Internationales, le Gouvernement de la République a pris un deuxième décret  le 15 Janvier 2013 (Décret n°13/002 du 15 Janvier 20131 portant organisation de la représentation de l’Etat-Actionnaire unique au sein de l’Assemblée Générale d’une entreprise publique transformée en société commerciale et en en même temps qu’il publiait le décret n°13/003 du 15 Janvier relatif aux conditions et modalités de cession des parts sociales ou actions de l’Etat aux personnes physiques ou morales de nationalité congolaise et/ou aux salariés.

C’est donc dans ce contexte d’incertitude que la Société Civile Congolaise réunie dans une Coalition dénommée CORAP (Coalition ; Réformes et Actions publiques) s’appuyant sur les articles 48, 53, 54, 56, 58 et 59 de la constitution et appuyant  l’action menée par le CENADEP (Centre National d’Appui au Développement et à la Participation Populaire) à travers sa déclaration relative au projet de loi sur l’électricité en RDC publiée la 10/04/2013, a pris l’initiative de s’organiser davantage à travers une série d’actions afin d’amener les décideurs à intégrer les préoccupations sociales dans ce projet de loi sur l’électricité.

Remarques sur la loi.

  • L’article 1er : Littera a) déclare la libéralisation effective du secteur de l’électricité ; en d’autres termes il s’agit de la privatisation d’ailleurs confirmée par la littera e) qui évoque la garantie d’une « concurrence loyale »
  • Dans les articles 4, 5, et 6, parlant du service public de l’électricité et de ses missions, le législateur reconnait au Pouvoir Central (Pouvoirs Publics) la mission régalienne de faire bénéficier à la population le bienfait de l’électricité dans les normes (art.5)

Quant à l’article7, le service public de l’électricité semble ne pas répondre à sa vraie définition dès lors qu’il est assuré par l’instauration d’un régime de concurrence c’est-à-dire l’implication des privés.

C’est une contradiction dans la mesure où le privé ne peut en aucun cas travailler pour faire du social. Or c’est ça la raison d’être d’un service public.

  • L’article 11 évoque l’étude d’impact comme préalable à tout projet de développement, d’ouvrage ou installation électrique. Ce qui est une bonne chose mais l’érection des barrages hydroélectriques a toujours produit des impacts sur l’environnement par la destruction de la biodiversité.

A titre d’exemple, les poissons ne pourront plus migrer naturellement.

  • L’article 17 : L’on sous entend l’existence d’un opérateur public qui représente l’Etat dans un cas de figure. S’agit-il de l’autorité de régulation évoquée à l’article 72 du cadre institutionnel ou de l’Etablissement public défini à l’article 81 de la présente loi ?
  • A propos des innovations introduites par la nouvelle loi, la déclaration de tout site inaliénable et d’utilité publique soulève la question foncière avec le risque de voir la population riveraine habitant le site pousser au déguerpissement et à l’expropriation.
  • Le financement du fonds national d’électricité va renforcer négativement le système fiscal et le peuple en prendra le coût en tant que consommateur final (art.86) alors que la TVA figure sur les factures de consommation d’électricité.

L e Chapitre 2. Des règles tarifaires

Il est clair que le principe de vérité des prix sera appliqué dès lors que la privatisation sera effective. Mais ce que l’on peut redouter à juste titre c’est le faible pouvoir d’achat des populations qui serait à la base de leur exclusion du bienfait de l’électricité. Comment alors garantir ce droit au peuple Congolais  tel que dit à l’article 48 de la constitution ?

Aucune disposition dans cette loi n’est prévue pour la revendication de la population alors que la constitution lui garantit le droit de jouissance (Cfr les articles 58 et  59). 

Considérations générales

La loi sous examen au parlement une fois promulguée, aura des effets négatifs sur la population à cause de ses faibles revenus  ne lui permettant de payer  le vrai coût de l’électricité. Comme elle peut nuire à l’écosystème si l’on ne se conforme pas aux principes de développement durable.

La législation du travail  va certainement être affectée par l’application de cette loi en ce qu’elle provoquera  la révision des accords sociaux entre SNEL et les syndicats de travailleurs notamment la convention collective d’entreprise. Celle-ci garantit jusqu’à présent un certains nombre d’avantages au personnel tout en lui assurant la protection de la carrière.

Ce qui va déboucher sur des licenciements massifs et illégaux sans oublier la suppression de certains emplois aggravant du coup le taux de chômage Il faut craindre enfin des contrats léonins si jamais SNEL devait ouvrir son capital social aux tiers tel que le prévoit le décret n°13/003 du 15 Janvier 2013.

Encore que faut-il exiger un audit sur l’utilisation des fonds reçus des bailleurs de fonds (la Banque Mondiale notamment) depuis 2003 à ce jour pour la réhabilitation des parcs de production, des réseaux de transport et de distribution de l’énergie électrique dont le montant total serait de ±800 millions de Dollars Américains ?

Le principe énoncé par la loi sous examen au Sénat de créer des entreprises périurbaines et rurales d’électricité tient-il compte réellement des intérêts publics de l’Etat et de la population ? Apparemment non dans la mesure où la problématique de financement pourra empêcher la réalisation de ces projets.

Kinshasa, le 11 juin 2013

Danny SINGOMA
Directeur Général du CENADEP
Administrateur Délégué du PRODDES
Secrétaire Permanent du Forum Social Congolais