Nancy Baroni
Canadian Feminist Alliance for International Action
Mirjana Dokmanovic, PhD
Association Technology and Society, Serbia y Women in Development Europe (WIDE)
Genoveva Tisheva
Bulgarian Gender Research Foundation y Bulgarian-European Partnership Association
Emily Sikazwe
Women for Change
L’égalité entre femmes et hommes doit être un élément essentiel dans le développement de mesures et de politiques pour lutter contre la crise financière alors que celle-ci commence à s’installer dans les secteurs où dominent les femmes et que le taux de violence contre les femmes augmente. Une analyse de genre est nécessaire afin de comprendre la profondeur et la portée de la crise et de pouvoir élaborer les réponses adéquates. Cependant, bien que la crise oblige à relever ces défis, elle représente aussi une occasion de renforcer le pouvoir et le leadership des femmes, comme cela s’est déjà vu dans certains pays où celles-ci ont surgi comme dirigeantes.
L’inégalité de genre n’est pas un phénomène nouveau ; cependant, la crise économique a aggravé les inégalités de genre partout dans le monde. Comme la récession mondiale persiste, les gouvernements et l’industrie discutent des sauvetages et des prêts de capitaux ; de plus en plus de services publics sont privatisés pour « protéger » les fonds gouvernementaux et les impôts corporatifs sont réduits au profit des grandes entreprises et des riches. Il est de plus en plus clair que les femmes sont profondément touchées par la récession mondiale et par les réponses nationales à la crise.
D’après l’ONU, si au début le chômage augmentait plus rapidement chez les hommes que chez les femmes, le taux masculin est maintenant en train de ralentir alors que pour les femmes il continue à augmenter ; le taux mondial de chômage pour les femmes pourrait atteindre 7,4 % par rapport à 7,0 % pour les hommes1. Mais bien que la crise financière aux États-Unis et en Europe ait d’abord touché les secteurs financiers et industriels, composés surtout par des hommes, ses effets commencent à s’aggraver dans les secteurs où les femmes sont majoritaires, comme l’industrie des services et le petit commerce.
Les femmes des pays en développement sont les plus touchées par la crise financière. Leur contrôle sur la propriété et les ressources est plus faible, elles sont majoritaires dans les travaux les plus vulnérables ou au forfait, elles gagnent moins et leur protection sociale est plus faible ; c’est pourquoi les femmes, et leurs enfants, sont les plus vulnérables face à la crise. En conséquence de quoi elles se trouvent dans une situation sociale et économique beaucoup plus faible que celle des hommes pour faire face à la récession. Elles doivent généralement travailler davantage d’heures et trouver du travail supplémentaire, tandis qu’elles continuent à s’occuper des responsabilités primaires du ménage.
« La crise économique a manifestement frappé le Bénin. Aujourd’hui de nombreuses familles ne peuvent se permettre qu’un repas par jour. Les mariages forcés ont augmenté car les familles vendent leurs filles pour faire face à la crise. Les progrès réalisés pour éliminer la violence envers les femmes en sont réduits à néant. Les impacts de la crise creusent les écarts entre les sexes, par exemple, l’inscription scolaire des filles baisse, de même que la présence de la femme sur le marché du travail formel. Les femmes sont les premières à perdre leur emploi, et doivent généralement s’occuper de leur famille sans aucune aide sociale.» Sonon Blanche (Social Watch Bénin) |
Le Groupe de travail des femmes sur le financement du développement a signalé que la crise financière offre une occasion cruciale de modifier la structure financière mondiale avec pour objectif d’adhérer à des principes équitables et fondés sur les droits. Le groupe demande une alternative à la décision du G-20 de repositionner le Fonds monétaire international. Cette décision ne ferait que perpétuer les échecs des politiques économiques néolibérales, aggraverait les inégalités structurelles du passé et augmenterait l’endettement des pays en développement. Cette situation maintient l’approche dépassée et injuste selon laquelle un petit nombre de nations riches décident pour beaucoup de nations qui se trouvent dans des situations différentes. Le Groupe de travail des femmes exige des solutions et des mesures pour la crise financière qui soient issues d’un large processus, consultatif et inclusif, dans le cadre des Nations Unies – et non pas dans celui du FMI – où les droits humains des femmes sont préservés et où chaque état membre a une voix à la table des débats2.
« Le Gouvernement bulgare a admis récemment que le pays a été touché par la crise en février de cette année. Jusqu’à cette date, 44.000 personnes, dont 96 % sont des femmes, ont perdu leur emploi à cause de la crise. Beaucoup d’industries affectées – telles que l’habillement, la chaussure, la restauration et l’administration publique –emploient essentiellement des femmes. La crise a aussi un impact sur la violence envers les femmes. Normalement, dans ma ville, de 17 à 19 cas par an en moyenne sont saisis par les tribunaux ; depuis le début de l’année, 42 ont déjà été saisis. Dans bien des cas les hommes abandonnent leurs femmes et enfants quand celles-ci perdent leur travail ; ces familles doivent donc survivre avec les 50 EUR ou moins des allocations chômage. Parmi les femmes interrogées beaucoup avaient été harcelées au travail et avaient des difficultés à se faire embaucher dans le secteur formel. » Milena Kadieva (Gender Research Foundation, Bulgarie) |
Les approches gouvernementales pour lutter contre la crise économique et financière ne sont en général pas fondées sur les principes d’égalité ou des droits humains. Beaucoup de pays du Nord ont négocié d’énormes renflouements pour les principales industries en utilisant les deniers publics. Beaucoup de pays investissent aussi dans des projets d’infrastructure destinés principalement à des activités qui emploient surtout des hommes (la construction, les transports, etc.), au lieu de le faire dans les secteurs qui traditionnellement favorisent les femmes (les soins médicaux, le soin des enfants, les allocations familiales, etc.). Les programmes d’assurance chômage, là où ils existent, couvrent généralement les travailleurs à temps complet et rarement ceux qui travaillent à temps partiel, qui le plus souvent sont des femmes. Le nombre de rapports sur la violence exercée sur les femmes augmente ; en raison du manque de sécurité économique et sociale, elles ont plus de difficultés pour échapper à des situations de violence.
Le rapport du Département d’état des États-Unis3 qui vient de paraître sur le trafic humain, signale que la crise économique mondiale contribue au trafic du travail et au trafic sexuel, puisque l’augmentation du chômage et de la pauvreté rend les personnes plus vulnérables face aux trafiquants et qu’il existe une demande croissante de biens et de services bon marché. Le rapport prévoit que la crise économique provoquera le passage à l’irrégularité de nombreuses activités afin d’alléger la charge fiscale et d’éviter les lois de protection du travail en embauchant de la main d’œuvre non syndicalisée, ce qui augmentera le travail forcé, bon marché et le travail des enfants par les entreprises multinationales en manque d’argent.
Pour Amnesty International, la crise économique aggrave les problèmes des droits humains existants et certains problèmes très importants – comme la pauvreté, les droits reproductifs et la violence exercée sur les femmes – ne trouvent pas l’attention et les ressources nécessaires. Les gouvernements investissent pour redresser les marchés, mais ceux-là ne tiennent pas compte des problèmes des droits humains. Dans le passé les gouvernements utilisaient la sécurité comme excuse pour diminuer l’importance des droits humains ; maintenant que la crise impose aux gouvernements d’autres priorités, les droits humains sont à nouveau ignorés.
Les réactions face à la crise économique supposent la réduction du financement pour les mécanismes d’égalité de genre et la mise en pratique des lois sur la matière, ce qui mettra en danger les réussites obtenues et renforcera inévitablement les stéréotypes existants. En même temps le soutien aux organisations de femmes, partie essentielle du mouvement mondial des femmes, diminue.
Lors d’une conférence de la Commission européenne sur l’« Egalité entre les hommes et les femmes en période de changement » (les 15 et 16 juin 2009) certaines tendances régionales de l’impact de genre de la crise économique ont été identifiées. Ces problèmes sont similaires aux tendances mondiales : en Europe les femmes sont majoritaires dans les emplois incertains, à mi-temps et à court terme, en grande partie à cause de leurs responsabilités disproportionnées pour la charge du ménage. En dépit des normes de l’Union européenne sur l’emploi et l’égalité de genre, les problèmes de salaires inégaux et du besoin d’équilibrer le travail avec la vie en famille sont toujours d’actualité. Bien que la crise en Europe ait touché autant les femmes que les hommes, elle l’a fait de façon différente.
Entre autres choses, la conférence a conclu que : davantage de mesures d’encouragement sont nécessaires pour que les femmes participent au marché du travail, que l’égalité entre les femmes et les hommes doit être un élément essentiel dans le développement de mesures et de politiques pour lutter contre la crise, que la participation des femmes dans les postes cadres du secteur privé doit être encouragée, que les entreprises doivent adopter des politiques qui tiennent compte des familles, qu’il est essentiel d’investir dans leur éducation et leur formation continue. De plus, l’importance des lois et des mécanismes d’égalité de genre en période de crise ont été soulignés.
Renforcer les droits des femmes en période de crise
Récemment, le directeur général de l’Organisation Internationale du Travail, Juan Somavia, a annoncé une initiative importante : la création urgente d’un pacte mondial pour l’emploi, élaboré pour promouvoir une politique coordonnée en réponse à la crise mondiale du travail et à l’augmentation du chômage, des travailleurs pauvres et des emplois vulnérables4. Cette réponse cherche à éviter la récession sociale mondiale et à diminuer ses effets sur les gens. Le pacte permettra d’aider les plans de relance extraordinaires, entre autres politiques gouvernementales, à aborder en profondeur les besoins de ceux qui sont en manque de protection et de travail afin d’accélérer en même temps la récupération économique et l’emploi.
Récemment, Amnisty International a lancé une campagne dénommée « Exigeons la dignité » pour lutter pour les droits menacés par la crise économique et pour ceux qui ont été ignorés dans les réponses à la crise. La question fondamentale est de renforcer le pouvoir des pauvres. La campagne a pour but de renforcer leurs voix et aussi la transparence et la responsabilité publique des gouvernements, afin que les gens puissent exiger que les engagements sur l’égalité de genre et des droits de la femme soient tenus et puissent participer aux décisions qui touchent leur vie. La campagne insiste spécialement sur les droits et la participation des femmes dans les décisions qui les regardent.
En plus de ces initiatives, il faut spécialement fixer l’attention sur les défis et les occasions qu’offre la crise mondiale pour le renforcement du pouvoir et le leadership des femmes. Nous sommes témoins d’exemple positifs de femmes qui accèdent à des postes de haute responsabilité comme résultat de la crise économique et financière mondiale ; les cas les plus remarquables sont ceux de la première ministre d’Islande et de la présidente de Lituanie, qui ont été élues principalement en raison de la frustration des électeurs face aux échecs des politiques économiques qui ont contribué aux effets de la crise dans ces pays.
La crise en Europe de l’Est : les impacts de genre Les tendances globales de l’impact de la crise mondiale sur les femmes caractérisent aussi les pays de l’Europe de l’Est, comme le montrent les rapports nationaux compris dans cette publication. En République Tchèque, par exemple, les réformes des finances publiques, ainsi que la diminution des impôts pour les plus riches et la hausse de la taxe à la valeur ajoutée (TVA) pour les articles de base, ont taxé les plus pauvres y compris les femmes. Il en est de même avec l’introduction des tarifs des services et l’intention de diminuer les impôts sur l’assurance sociale, spécialement pour les contribuables les plus riches. Même avant la crise les salaires inégaux et la discrimination de genre et d’âge étaient des points importants. Les nouveaux problèmes d’égalité de genre en République Tchèque sont dûs à la politique conservatrice du gouvernement et au manque de soutien aux institutions consacrées à l’enfance. La crise a également eu comme conséquence l’exacerbation de la discrimination contre les étrangers, en particulier de provenance asiatique. En Hongrie, un des pays de l’Europe de l’Est les plus touchés par la crise, le gouvernement a engagé un plan qui comprend le recoupement des pensions, des primes pour le secteur public, le soutien à la maternité, les subventions hypothécaires, énergétiques et du transport public comme conditions du plan de sauvetage du FMI pour confronter l’impact de la crise. Toutes ces mesures affecteront les femmes de manière négative et augmenteront leurs responsabilités familiales ; il en sera de même avec certaines mesures additionnelles proposées qui comprennent la réduction des allocations et des bénéfices familiaux ainsi que l’aide aux jeunes couples avec enfants. En Pologne, la diminution des revenus des ménages comme conséquence de la crise menace d’appauvrir des groupes sociaux entiers, particulièrement les classes moyenne et basse. Il est fortement probable que ceci ait à la fois un impact plus significatif sur les femmes, puisqu’elles ont traditionnellement la responsabilité de la famille. Pour certains analystes la crise pourrait également étendre l’économie polonaise informelle, puisque beaucoup d’entrepreneurs, surtout les petits, essayeront de minimiser les charges sociales et d’éviter le paiement d’impôts, ainsi que les autres coûts associés à l’emploi formel. En conséquence de quoi il est vraisemblable que l’augmentation de l’économie informelle touchera davantage les femmes puisqu’elles travaillent le plus souvent mal payées, surtout dans le secteur privé des services (par exemple le petit commerce). Les autres problèmes de l’égalité de genre sont : la contraction du secteur du vêtement, majoritairement féminin, et la limitation de la mobilité du marché du travail à cause de la hausse des loyers, surtout dans les zones défavorisées des petites villes. En Bulgarie les ONG et les syndicats ont été en désaccord avec ce qu’ils considèrent un changement de politique du gouvernement vers l’acceptation du besoin de réduire les charges sociales en temps de crise. Ces charges étaient déjà faibles lorsque le contrôle monétaire a instauré et toute autre réduction pourrait briser la paix sociale dans le pays. Le chômage augmente (il faut signaler que le nombre de chômeurs non inscrits est égal – voire même supérieur – à celui des inscrits) et touchera surtout les plus jeunes qui manquent d’expérience de travail, les travailleurs non qualifiés, les plus âgés, les handicapés et les femmes. En Serbie les syndicats ont accepté de repousser la mise en place du contrat collectif général et de différer certaines obligations financières des patrons envers les travailleurs, parmi elles le paiement des avantages des travailleurs, « pour aider le secteur privé à sortir de la crise ». Les droits des travailleurs sont ouvertement bafoués avec comme excuse le maintien de la stabilité économique, alors que les grandes compagnies et les magnats sont libres de ne pas payer d’impôts, de salaires et autres bénéfices. Il a été annoncé récemment que le maintien du nouvel accord stand-by avec le FMI, pour une somme de 3,96 milliards USD, produira le recoupement des pensions, de l’éducation et des soins de la santé, aggravant davantage la position sociale de la femme. En Slovaquie malgré les premiers pronostics qui épargnaient le pays de la crise, les évaluations officielles du chômage dépassent les 30.000 personnes en avril 2009. Dans ces conditions, la discrimination contre les femmes sur le marché du travail persiste. En général, dans tous les pays de la région les femmes constituent le plus grand nombre de travailleurs à temps partiel, saisonniers et embauchés ainsi que les non qualifiés, qui en général ne possèdent pas d’assurance chômage formelle ou de protection sociale. Ainsi que l’indique la mise en garde du rapport de juillet 2009 de Development & Transition, il est probable que la crise touche les femmes dans les secteurs de l’emploi et des réseaux de protection sociale, des tâches non rémunérées, de l’éducation, de la migration et de la violence de genre. Par exemple, au Kazakhstan, l’accès limité aux ressources financières nécessaires pour les activités économiques formelles pousse la population vers les activités commerciales indépendantes et à petite échelle dans le secteur informel. La vulnérabilité des femmes pourrait bien s’approfondir au fur et à mesure que la crise avance. L’ampleur de la migration des femmes à la recherche de travail n’est pas connue exactement ni non plus l’impact sur les familles qui dépendent de leurs salaires pour subsister. Par ailleurs, les femmes pourraient se trouver dans une situation plus vulnérable à leur retour au foyer, rejetées par leurs communautés et leurs familles qui les considéreraient comme des prostituées7. |
Les impacts de genre de la crise en Afrique subsaharienne Alors que les pays industrialisés ont renfloué leurs entreprises, dans le Sud la crise a conduit à l’augmentation des privatisations et à la chute des revenus des investisseurs étrangers. Dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne, les entreprises ont profité de la situation et ont bloqué les salaires, licencié les effectifs, voire même fermé leurs portes avec l’excuse de réduire leurs frais généraux. En Zambie, par exemple, pour lutter contre les effets de la crise, le gouvernement a d’abord éliminé les impôts sur les bénéfices éventuels de l’industrie minière, pour essayer d’éviter que les investisseurs du secteur ne cessent leurs activités. Toutes ces mesures ont limité la perception de revenus. En conséquence de quoi les gouvernements du Sud continuent de recouper les services sociaux tel que l’éducation et la santé. La diminution des dépenses pour la santé a augmenté la charge des femmes pour les soins des malades, spécialement pour ceux atteints du VIH/SIDA ; les femmes continuent à être les premières au chômage et sont de plus en plus restreintes aux activités informelles de vente de légumes à petite échelle comme moyen de subsistance. De même l’augmentation du chômage produit davantage de cas de violence de genre. L’absence de la voix des femmes est ce qui inquiète le plus dans la résolution de la crise. Pour la résoudre, les décisions continuent à avoir une tournure masculine qui priorise les intérêts des hommes. Il est donc nécessaire d’augmenter la voix et la participation des femmes dans les prises de décisions afin que leurs problèmes soient compris dans les mesures nationales envisagées pour surmonter la crise. |
D’après le Groupe de travail des femmes sur le financement du développement, une réponse à la crise fondée sur les droits requiert, inter alia, la réforme immédiate de l’architecture financière mondiale afin de gérer efficacement le manque de liquidité et les déséquilibres de la balance des paiements et de garantir que les réponses politiques ne transfèrent pas la charge du bien-être familial et la prestation de services à l’économie des soins. Le Groupe de travail des femmes agit pour établir des mesures et des processus nationaux, régionaux et internationaux qui respectent l’espace de la politique nationale et qui soient compatibles avec les normes et les engagements internationaux, y compris ceux concernant les droits de la femme et l’égalité de genre. Les politiques et les accords commerciaux devraient permettre aux pays d’éviter les déséquilibres du régime de l’OMC et de l’échec du cycle de Doha. En plus, ces mesures devraient être accompagnées de l’annulation des dettes illégitimes des pays en développement et de la création d’un mécanisme de restructuration des dettes avec la participation des gouvernements débiteurs, les groupes des droits de la femme et d’autres organisations de la société civile.
Lors de la conférence de haut niveau de l’ONU sur la crise financière et économique mondiale et son incidence sur le développement (24-26 juin 2009), le Groupe de travail des femmes a rappelé aux états membres de l’ONU que les femmes ne peuvent plus attendre et que c’est le moment d’agir sur la réforme fondamentale de l’architecture financière mondiale5. En dépit de l’appel à l’action unanime des organisations de la société civile, le document final de la conférence n’a pas comblé les attentes. Afin de sauvegarder un consensus fragile, les états membres n’ont montré qu’un engagement faible sur la réforme de la structure financière, alors que le rôle central de l’ONU (dénommée le « G-192 ») dans la gouvernance économique s’est presque évaporé.
Les défenseurs des droits de la femme ont apprécié dans le document la reconnaissance du fait que les femmes doivent faire face à « une plus grande insécurité financière et doivent assumer des responsabilités familiales plus lourdes » (point 3) et que les femmes et les enfants se sont particulièrement appauvris en raison de la crise (point 7). Le document reconnaît aussi que les réponses à la crise doivent contenir une perspective de genre (point 10), que les mesures de soulagement doivent prendre en compte, entre autres, l’égalité de genre (point 21) et que les désignations de postes dans les Institutions financières internationales (IFI) doivent considérer l’équilibre de genre (point 49). La grande déception a été le manque d’un engagement ferme pour le suivi de la question. La référence constante tout au long du texte à un « système des Nations Unies pour le développement » représente une limitation du rôle de l’ONU en faveur de l’aide humanitaire et de la coopération au développement. Les groupes de la société civile sont arrivés à la conclusion que le document final représente une tentative claire d’exclure le G.192 du système de gouvernance économique mondial.
Cependant, pour l’avenir, le groupe de travail des femmes insiste sur le fait qu’elles continueront d’exiger la justice économique et de genre au sein de l’ONU, en dépit de la résistance persistante des IFI et du G-20 à centrer le développement sur les gens au lieu de le faire sur les bénéfices. Malgré l’échec démontré de leurs recettes politiques néolibérales et du système de gouvernance financière irresponsable, le FMI et la Banque mondiale continuent de promouvoir leurs politiques viciées et d’imposer leurs conditions aux pays en développement, en agissant non pas comme des agences spéciales de l’ONU sinon comme si l’ONU était leur agence spéciale. Dans le système de l’ONU, dans lequel tous les états membres devraient être égaux, certains –maintenant élargis à 20 – sont plus égaux que le reste des 172 autres. La déclaration du Groupe de travail des femmes affirme sa forte opposition à ces agissements et exige que tous les états membres aient le même pouvoir de vote, les mêmes droits et les mêmes obligations dans la prise de décisions.
Les organisations de la société civile, y compris les organisations et les réseaux de femmes, demandent une approche du développement fondée sur les droits. Une révision de la mise en œuvre de cette approche par les agences de l’ONU montre qu’elle pourrait être efficace pour l’éradication de la pauvreté, le développement de la démocratie et des droits humains et le soutien aux groupes les plus vulnérables, en particulier les femmes, pour qu’elles participent dans les prises de décisions6. L’application de cette approche contribue à ce que les états membres tiennent les engagements issus de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et de la plateforme d’action de Beijing.
Cependant il est nécessaire d’améliorer cette approche afin d’aborder efficacement les besoins des femmes et d’améliorer les rapports d’égalité de genre. Il existe plusieurs défauts dérivés de la généralisation excessive, des faibles mécanismes de mise en oeuvre et de l’application insuffisante du concept des droits humains. L’approche du développement fondé sur les droits se base sur les principes de participation, de responsabilité, de non-discrimination, d’égalité, d’attention spéciale aux groupes vulnérables, de renforcement de pouvoir, de rapport aux normes des droits humains, de non régression et de l’état de droit. Cependant cette approche de développement ne vise pas au démantèlement des rapports sociaux, économiques et politiques fondés sur la discrimination et la distribution inégale de la richesse, du pouvoir et des ressources. Le cadre des droits humains est insuffisant en lui-même pour changer l’idéologie néolibérale qui ruine considérablement la réalisation des droits humains et de la femme, puisque la plupart des normes des droits humains ne sont pas obligatoires et qu’il n’existe jusqu’à présent pas de mécanismes qui obligent les états à tenir leurs engagements.
Une étude de genre montre que cette approche suppose l’élaboration d’instruments d’analyse appropriés pour comprendre les inégalités inhérentes aussi bien à l’économie de marché néolibérale qu’aux rapports de genre. Les économistes féministes ont analysé les inégalités de genre dans l’élaboration des politiques macroéconomiques et ont développé des instruments tels que des indicateurs spécifiques, un budget et des statistiques sensibles au sujet du genre pour être utilisés conjointement avec une approche fondée sur les droits, renforçant le pouvoir des femmes dans le processus de développement et permettant d’exiger la responsabilité corporative des IFI.
1 Voir: Organisation internationale du travail. Global Employment Trends for Women. Genève: OIT, 2009.
2 Le Groupe de travail des femmes sur le financement du développement est coordiné par Development Alternatives with Women for a New Era (DAWN) et comprend les organisations et les réseaux suivants: African Women’s Development and Communication Network (FEMNET), Arab NGO Network for Development (ANND), Association for Women’s Rights in Development (AWID), Feminist Task Force-Global Call to Action against Poverty (FTF-GCAP), Global Policy Forum (GPF), International Counsil for Adult Education (ICAE), International Gender and Trade Network (IGTN), International Trade Union Confederation (ITUC), Network for Women’s Rights in Ghana (NETRIGHT), Red de Educación Popular entre Mujeres para América Latina y el Caribe (REPEM), Third World Network-Africa (TWN-Africa), Women’s Environment and Development Organization (WEDO), et Women in Development Europe (WIDE).
3 Département d’Etat des États-Unis. Trafficking in Persons Report. Washington DC, 2009. Disponible sur: <www.state.gov/g/tip/rls/tiprpt/2009>.
4 Les projections de l’OIT sur les travailleurs pauvres dans le monde entier montre qu’il existe 200 millions de travailleurs qui risquent de faire partie des personnes vivant avec moins de 2 USD par jour entre 2007 et 2009. Voir : OIT. “Global Employment Trends Update”, mai 2009.
5 Groupe de travail des femmes sur le financement du développement. “Time to Act: Women Cannot Wait. A call for rights based responses to the global financial and economic crisis”. Juin 2009.
6 Inter-Agency Standing Committee (2002). Growing the Sheltering Tree ;UNICEF. Protecting Rights through Humanitarian Action, Programmes & Practices Gathered from the Field ; Moser, C. y Norton, A. (2001). To Claim Our Rights: Livelihood Security, Human Rights and Sustainable Development. Londres: Overseas Development Institute ; OECD (2006). Integrating Human Rights into Development: Donors approaches, experiences and challenges ; OHCHR (2002). Draft Guidelines: A Human Rights Approach to Poverty Reduction Strategies. ONU, le 10 septembre.
7 Sperl, L. “The Crisis and its consequences for women”, en Development & Transition, No. 13, 2009.
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