Justice pour refroidir la planète

Publication_year: 
2009
RAPPORT ANNUEL : 
Yes
Summary: 
La récession mondiale actuelle risque d’être une bénédiction pour la planète, puisque le fléchissement de la croissance économique amoindrit la pression sur l'environnement et il s’avère essentiel de réduire les émissions de gaz. En effet, cette crise constitue une chance unique pour faire prévaloir la justice sociale et environnementale. Seule une situation plus juste favorisera la durabilité et, pour y parvenir, il est nécessaire de mettre en œuvre un plan d'aide financière capable d’éradiquer la pauvreté mondiale, de restaurer l'environnement et de stabiliser le climat. Néanmoins, cela ne sera possible qu’à condition que les riches changent leurs modalités de consommation et de production et qu’ils apprennent à vivre dans des limites garantissant la durabilité. De même, les pays en voie de développement il faut éviter de suivre les pas des pays industrialisés et entamer, dès aujourd’hui, le chemin de la production et de la consommation écologiques.

Isagani R. Serrano
PRRM/Social Watch Filipinas

La récession mondiale actuelle risque d’être une bénédiction pour la planète, puisque le fléchissement de la croissance économique amoindrit la pression sur l'environnement et il s’avère essentiel de réduire les émissions de gaz. En effet, cette crise constitue une chance unique pour faire prévaloir la justice sociale et environnementale. Seule une situation plus juste favorisera la durabilité et, pour y parvenir, il est nécessaire de mettre en œuvre un plan d'aide financière capable d’éradiquer la pauvreté mondiale, de restaurer l'environnement et de stabiliser le climat. Néanmoins, cela ne sera possible qu’à condition que les riches changent leurs modalités de consommation et de production et qu’ils apprennent à vivre dans des limites garantissant la durabilité. De même, les pays en voie de développement il faut éviter de suivre les pas des pays industrialisés et entamer, dès aujourd’hui, le chemin de la production et de la consommation écologiques.

Les empreintes laissées par l'humanité sur le changement climatique actuel sont évidentes. La Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CMNUCC)1 et le Protocole de Kyoto2, montrent la façon de défaire ce qui a déjà été fait afin d’éviter la catastrophe. Pourtant, bien qu'il soit nécessaire de prendre des mesures, la confrontation entre les pays industrialisés et ceux en voie de développement semble être un conflit sans solution apparente. Dans le même temps, même les meilleurs scientifiques paraissent sous-estimer la vitesse réelle des changements climatiques. Par exemple, le Quatrième rapport d'évaluation du Groupe Intergouvernemental d'Experts sur les Changements Climatiques (IPCC) avait prévu que des glaces éternelles persisteraient dans l'océan Arctique jusqu'en 20503, Or, par la suite il a été démontré que l’on avait considérablement sous-estimé le degré de réduction des glaces marines et il est prévu que l'océan perde sa glace marine estivale bien avant4.

Il devient donc urgent de passer à l’action avant que les changements climatiques ne soient irréversibles. Mais aucune des deux parties ne veut céder du terrain. D’une part, les pays riches se sentent trop contraints à atteindre des objectifs difficiles et exigeants avant que les pays pauvres ne démarrent leurs propres actions. D’autre part, les pays pauvres ne veulent pas céder parce qu'ils considèrent qu'on exige d’eux les mêmes objectifs que les pays riches sans avoir la possibilité de les rattraper.

Assistons-nous à la fin de la partie ?

Dans les années 1880, dès que nous avons commencé à utiliser des combustibles fossiles et que nous avons installé la société industrielle actuelle, la concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans l'atmosphère était équivalente à 280 parties par millions (ppm). Pendant les années 1950 elle avait atteint 315 ppm. Lorsqu’à la fin des années 80, le scientifique de la NASA James Hansen a donné l’alerte pour la première fois à propos des changements climatiques, il a fixé à 350 ppm le niveau maximal « si l'humanité désire préserver une planète qui ressemble à celle où se sont développées les civilisations et à celle à laquelle est adaptée la vie sur la Terre » 5.

“ En Colombie, il existe près de 84 tribus indigènes bien différenciées qui vivent dans les régions frontalières de la Colombie, du Pérou et du Brésil, précisément là où se trouvent les réserves de ressources naturelles les plus convoitées. Nous luttons pour défendre notre territoire et préserver notre culture. En raison de cette lutte, plus de 1.400 de nos leaders ont été assassinés depuis les années 70. Actuellement, de nombreuses régions indigènes sont militarisées et celles qui ne le sont pas ont des forces paramilitaires sur place. Le Gouvernement essaie de déplacer nos communautés pour pouvoir négocier avec des compagnies transnationales l’exploitation dans ces zones des ressources naturelles, telles que le bois ou le pétrole. Les peuples indigènes de Colombie s’opposent aux accords de libre échange parce que ces traités provoquent un déplacement plus important de nos communautés et, au lieu d’ouvrir les marchés, ils augmentent juste la frange de pouvoir des États-Unis »

Jesús Avirama (Conseil Régional Indigène du Cauca, Colombie)

Or, nous avons déjà dépassé cette limite. Nous sommes maintenant à 380 ppm et le niveau de CO2 dans l'air augmente de deux ppm par an. En fait, il n’existe pas encore de consensus sur le seuil de sécurité. Il y en a qui affirment qu'il se situe à 450 ppm. D'autres pensent qu'il devrait être bien plus bas.  Lors de la Conférence des Parties tenue à Poznan en décembre 2008, l’ancien vice-président des Etats-Unis, Al Gore, a vainement tenté de parvenir à un consensus autour de 350 ppm. Rajendra Pachauri, président de CMNUCC/IPCC, a dit que, si l’on n'adoptait pas de réformes de base d’ici 2012, on pourrait assister à la désintégration du système climatique. En outre, il a insisté sur le fait que les émissions mondiales de CO2  doivent commencer à se réduire vers 20506.

L'IPCC évite toutefois les prescriptions et il se contente de présenter aux autorités une série de scénarios possibles. Depuis 1990, il a élaboré 40 scénarios basés sur quatre canevas fondamentaux. Ces scénarios sont catégorisés selon deux contextes futurs ; tout d’abord un contexte avec prééminence du développement économique (appelé A) ou environnemental (B) ; puis, établir si ce développement sera orienté vers le plan mondial (numéro 1) ou régional (numéro 2). C’est ainsi que A1 signifie économique/mondial, A2 économique/régional, B1 environnemental/mondial et B2 environnemental/régional. Le scénario A1 comporte, à son tour, trois subdivisions : l'utilisation intensive de combustibles fossiles (A1F1), intermédiaire entre l'utilisation de fossiles et non fossiles (A1B) ; et la transition vers les combustibles non fossiles (A1T). Le scénario sans changement (ESC) – ne pas prendre de mesures pour réduire l'émission de gaz à effet de serre (GES) – est, évidemment, inadmissible.

Dans le même temps, il y a de plus en plus d’indices indiquant que le pire des scénarios possibles pourrait se produire plus tôt qu’on ne se l’imaginait. Les phénomènes extrêmes tels que les orages, les inondations et la sécheresse ont des conséquences dévastatrices sur les ressources hydriques, la sécurité alimentaire, l'agriculture, les écosystèmes, la biodiversité et la santé humaine. En août 2003, l’Europe a connu une vague de chaleur qui a provoqué la mort de presque 15.000 personnes en France et 35.000 autres dans neuf autres pays européens. Des incendies forestiers se sont récemment produits en Californie, aux Etats-Unis et en Australie, avec des inondations sans précédent dans d'autres régions. Ces phénomènes ont été prévus par toutes les études d'évaluation de l'IPCC. Cependant, de nos jours, ils sont monnaie courante partout et surviennent lorsqu’on s’y attend le moins. Les sécheresses prolongées dans des pays producteurs d'aliments pourraient provoquer une diminution dans la production d'aliments de 20 % à 40 % en 2009. Des maladies que l’on croyait contrôlées, comme la tuberculose, la malaria et la fièvre dengue réapparaissent dans de nombreuses régions. La déforestation, représentant 17 % environ des émissions de GES, s’est vue récemment aggravée à cause de la demande croissante de biocarburants. Entre 2000 et 2005, environ six millions d'hectares de forêts vierges ont été perdues par an et, dans la même période, la biodiversité n’a pas cessé de décliner.

Justice climatique

Un monde plus équitable a de meilleures possibilités de survie et d’adaptation aux changements climatiques. Le monde serait plus résistant si l’on fixait des limites à la croissance (même si les limites redoutées ont déjà été dépassées) et si l'on établissait l'équité entre et au sein des pays et des communautés, entre les hommes et les femmes, entre les générations actuelles et futures.

Le principe de justice climatique découle directement de la CMNUCC, dont l'article 3.1 établit que les pays doivent agir « sur la base de l'équité et conformément à leurs responsabilités
communes mais différenciées et à leurs capacités respectives ». Deux principes supplémentaires viennent compléter la Déclaration de Rio de Janeiro sur l'Environnement et le Développement et l'Agenda 21, convenus lors du Sommet de la Terre en 1992 : le principe de précaution et le principe directeur selon lequel le pollueur doit payer. Le premier indique que si l’on n’a pas de certitude quant aux bénéfices et aux conséquences des mesures, celles-ci ne doivent pas être prises. Le deuxième est évident. La justice climatique est aussi mentionnée, explicitement ou implicitement, dans de nombreuses déclarations et accords de l'ONU.

Les changements climatiques n’épargnent ni les riches, ni les pauvres, mais ils ont des conséquences néfastes principalement sur les populations pauvres, bien que, dans ce cas, leur responsabilité soit moindre. Les pays en voie de développement, également connus comme ceux non compris dans l'Annexe I, ont produit bien moins d’émissions de GES que les pays développés ou appartenant à l'Annexe I, mais ils en souffriront davantage. Les pays moins développés (PMD), qui ont moins contribué à la pollution, seront ceux qui en souffriront davantage. De nombreux petits pays insulaires en voie de développement pourraient tout simplement disparaître de la planète.

Le travail partagé de stabilisation de la concentration de GES dans l'atmosphère, dans le scénario choisi pour la stabilisation des émissions (350 ppm, 450 ppm, 550 ppm, 650 ppm) devra être fondé sur une proportion différenciée de la responsabilité selon les conséquences déjà provoquées et qui continuent à se produire, et sur les différents niveaux de développement. Les pays et la population du monde peuvent être divisés en trois groupes : les gros émetteurs ou grands consommateurs ; les petits émetteurs ou sous-consommateurs ; et les sustentateurs ou ceux qui vivent dans les limites du soutenable. Ce classement correspond respectivement aux (a) pays industriels – les membres de l'Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) ; (b) aux pays moins développés, comprenant la plupart des pays africains ; et (c) les pays au développement avancé, tels que le Brésil, la Chine, l'Inde et d’autres pays de l'Est et du Sud-est asiatique.

Cependant, il y a dans tous les pays, riches ou pauvres, ceux qui n’entrent pas facilement dans les catégories mentionnées ci-dessus : un Philippin riche, par exemple, a un style de vie semblable (et, par conséquent, le même niveau d'émission de CO2) à celui de son homologue aux Etats-Unis. La classe moyenne en Chine et en Inde représente 600 millions de personnes riches ou qui ne sont pas pauvres et elle regroupe des sustentateurs et de gros consommateurs. Plus de 2.000 millions de personnes mal nourries, avec une éducation formelle insuffisante, au chômage, sans droit à la parole ni accès aux soins médicaux, sans eau ou sans assainissement, vivant dans une situation de précarité feraient partie de la catégorie des petits consommateurs ou émetteurs exclus. Ce sont eux qui doivent jouir en premier du droit au développement et devenir les principaux bénéficiaires des échanges de ressources au niveau national et international.

La solution pour éviter la catastrophe est claire et évidente : les riches des pays riches et des pays pauvres doivent céder davantage pour que les pauvres et nous tous, puissions vivre de manière durable.
 
L’atténuation, la base de la justice

De nombreuses propositions ont été formulées concernant notamment la stabilisation climatique parmi lesquels le principe « de la quote-part juste », les droits au développement écologique, la convergence commune mais différenciée, la contraction et la convergence pour 2050. 

Les pays à fortes émissions doivent s’engager à réduire leurs émissions de GES de manière radicale, profonde et contraignante, par rapport aux niveaux de 1990, et à assister les pays en voie de développement avec de l’argent « flexible » et de la technologie propre. La contraction exigée est énorme quel que soit le scénario de stabilisation d’émissions convenu. Il est prévu une variation entre 25 % et 50 % de réduction ou plus entre 2020 et 2050. La réduction comprend les six gaz inclus au Protocole de Kyoto : CO2, méthane (CH4), oxyde d'azote (N2O), hydrofluorocarbones (HFC), perfluorocarbones (PFC) et hexafluorure de soufre (SF6) – traduits en tonnes de CO2 équivalent (t CO2e) sur les inventaires de GES de chaque pays.

Il est vrai que les pays en voie de développement ont droit au développement mais pas pour autant à polluer l'environnement. Le droit au développement selon le principe de justice climatique concerne non seulement la croissance de l'économie mais, plus important encore, il concerne également la satisfaction des besoins de base menant à un niveau digne de sécurité et de bien-être pour tous. Les auteurs de Greenhouse Development Rights Framework (Cadre des Droits au Développement à Effet de serre) suggèrent un revenu de 9.000 USD annuels par personne comme niveau de convergence de tous les pays7. Ce qui signifie que les pays en voie de développement, tous en dessous de ce seuil, devraient avoir le droit de recevoir des transferts (APD, technologie, etc.) leur permettant ainsi d'augmenter leurs émissions de gaz à effet de serre en vue d’atteindre ce revenu.

« La crise actuelle est globale, par conséquent les politiques élaborées pour en venir à bout doivent être globales mais aussi reliées aux mouvements locaux. Nous pensons qu’il faudrait investir les séries de programmes de relance dans des choses comme une infrastructure écologique et sociale qui permette la création de travail écologique, une reconnaissance des impacts disproportionnés de la crise sur les travailleuses et la reprise de l’économie du soin. Ce genre de politiques vient en détail dans le Pacte mondial pour l’emploi de l’OIT. L’ONU est le seul endroit où les pays qui supportent le plus grand poids de la crise peuvent avoir une voix représentative. Le mouvement ouvrier travaille dans le cadre de l’ONU à diffuser l’Agenda du travail décent et des emplois écologiques. Il ne s’agit pas seulement d’accroître l’aide au développement et d’être un petit peu plus généreux, comme voudraient le prétendre certains pays industrialisés. La transformation sociale s’impose. Les institutions multilatérales doivent être réformées de façon systématique et des mécanismes spécifiques sont nécessaires pour être sûrs d’avoir des solutions durables à la crise économique et financière ».

Gemma Adaba (Confédération Syndicale Internationale)

Quelle est la quantité de carbone équivalente à 9.000 USD en PIB par habitant ? Probablement, environ neuf tonnes de CO2 par personne. Même si les pays riches accédaient à réduire les émissions à ce niveau et que les pays pauvres parvenaient à l'atteindre, et même si nous utilisions tous des combustibles fossiles et de l’énergie renouvelable, la quantité de carbone et d’énergie serait encore très élevée, compte tenu des projections de la population mondiale de 7,6 milliards d’habitants en 2020 et 9,1 milliards en 2050.

Face à ce niveau de revenus, les objectifs fixés par les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) semblent encore insuffisants même s'ils étaient atteints d’ici à 2015 (objectif impossible à atteindre au rythme actuel). Il faut absolument que les pays en voie de développement évitent le chemin de non durabilité choisi par les pays industrialisés. Plut tôt seront mis en place des modèles de production et de consommation utilisant des énergies propres, mieux ce sera pour la planète et pour toute la population mondiale. La mise en place de plans agricoles et de pêche durables, pour la conservation de l'eau et les ressources forestières, pour le développement des énergies renouvelables et la réduction de la pauvreté et de l'inégalité, permettra de s’adapter au changement climatique. Une authentique révolution verte appliquée à la pêche et à l’agriculture ainsi que la non contribution à la déforestation peuvent aider à capturer du carbone et à réduire son empreinte écologique.

Les pays non compris dans l'Annexe I ne sont pas tenus aux engagements d’atténuation, mais ils peuvent y contribuer en adoptant, par exemple, un impôt progressif sur le carbone appliqué aux consommateurs riches et s'engageant le plus tôt possible sur des voies de développement utilisant des énergies alternatives et à faible taux de carbone. Tous les pays doivent viser à ne pas dépasser leur capacité démographique8. Il est impératif que la stabilisation de la population à des niveaux soutenables devienne un véritable objectif dans des pays comme les Philippines, dont la population dépassera les 100 millions d’ici 2020 et qui atteindra, selon les prospectives, presque 150 millions en 2050.

Les pays gros émetteurs insistent sur le fait de favoriser les pays en voie de développement plus avancés, où le niveau d’émissions augmente rapidement. Lors de la 13ème Conférence des Parties en 2007 tenue à Bali, en Indonésie, on a suggéré que les objectifs contraignants de réduction des émissions devraient être également appliqués en Chine et en Inde. Il s’agit d’une question délicate et problématique qui en dit long sur les complexités de la « négociation » de la justice. Il est vrai que les émissions de la Chine augmentent rapidement du fait de son importante croissance économique et de sa dépendance au charbon sale. Mais la concentration actuelle de carbone dans l'atmosphère est la conséquence d'une accumulation constante au fil de nombreuses générations et la Chine comme l'Inde y ont relativement peu contribué (même si leur empreinte de carbone apparaîtra plus tard, étant donné l’importance de leur croissance actuelle).

En outre, le niveau d'émissions de la Chine est encore, en moyenne et proportionnellement à sa population, très inférieure à celui des Etats-Unis. La Chine utilise les matières premières dans le monde, mais elle accepte aussi de nombreux résidus que d'autres pays ne veulent pas introduire sur leurs territoires. Elle recycle les déchets mondiaux et applique l'agriculture durable et la plantation massive d'arbres. En fait, il est probable que la Chine possède la plus grande capacité démographique de la planète, puisqu'elle veille sur un membre de l’humanité sur six dans un espace comparativement restreint. Cependant, on pourrait se demander qui est-ce qui paie pour que la Chine puisse produire à des prix aussi bas. Une autre question à considérer est pourquoi Beijing ne peut pas adopter un système de production propre et commencer à produire davantage de biens durables. Si la Chine peut contribuer à sauver l'économie mondiale avec ses fonds excédentaires, pourquoi ne les utilise-t-elle pas à recycler ses déchets et n’adopte-t-elle pas une voie de développement à faible taux de carbone ?

Les émissions de carbone des Etats-Unis, 25 % du total mondial, sont encore très élevées. Le niveau d'émission de CO2 par habitant a connu une réduction faible ou nulle depuis 1990. Le Rapport mondial sur le développement humain 2006 : Equité et Développement a été quantifié à 19,8 tonnes par personne cette même année 9. L’Europe, le Japon et d'autres pays industrialisés ont réussi à réduire leurs niveaux, mais ils n'ont pas encore atteint le minimum fixé par le Protocole de Kyoto. En général, les émissions annuelles mondiales de CO2 n'ont pas diminué depuis 1990. Certains y voient un signe de prospérité, indiquant que les économies continuent leur croissance. Pour d'autres elle est néfaste, car nous nous approchons du point de non-retour. Les efforts de contraction et de convergence doivent empêcher que la moyenne des températures mondiales augmente de plus de 2 degrés Celsius d’ici 2050 : le seuil à respecter sous peine de mourir. Il est évident qu’il ne reste pas beaucoup de temps.

S'adapter ou mourir

Les pays pauvres ne peuvent pas se permettre d’attendre que l'on adopte des mesures radicales d’atténuation. Ils peuvent périr avant que justice ne soit faite. Avec ou sans assistance, ils doivent trouver la façon de s'adapter aux changements climatiques avant qu'il ne soit trop tard.

10

L'adaptation, définie dans le Troisième rapport d'évaluation de l'IPCC, et déjà comprise dans le mandat original de l'organisme en 1988, fait référence aux ajustements dans les systèmes écologique, social ou économique en réponse à des stimuli climatiques actuels ou prévus ainsi qu’à leurs effets ou à leurs conséquences11. Elle fait référence aux changements à réaliser au niveau des processus, des pratiques ou des structures en vue de modérer ou de compenser les dommages éventuels, ou bien pour profiter des opportunités liées aux changements climatiques. Ceci implique des ajustements afin de réduire la vulnérabilité des communautés et des régions due aux changements climatiques et à la variabilité.

L'User' s Guidebook on the Adaptation Policy Framework (APF) (Guide de l’Utilisateur dans le Cadre des Politiques d'Adaptation) du Fonds pour l'Environnement Mondial du PNUD définit l'adaptation comme « un processus d’amélioration, de développement et de mise en place des stratégies efficaces pour ralentir et combattre les conséquences des changements climatiques – y compris la variabilité du climat »12.  L'APF inclut sept composants : la définition de la portée du projet, l’évaluation de la vulnérabilité actuelle, la caractérisation des risques pour l’avenir,le développement de la stratégie d'adaptation, la poursuite du processus d'adaptation, l’engagement des parties prenantes et l’amélioration de la capacité d’adaptation. Les décisions sur l’utilisation de ce cadre dépendront de l’étude préalable du pays, de ses besoins, de ses objectifs et de ses ressources.

Conformément à l'IPCC, les conditions nécessaires pour qu'un pays possède une capacité d'adaptation importante sont : une économie stable et prospère, un degré élevé d'accès à la technologie à tous les niveaux, des rôles et des responsabilités bien définis pour la mise en œuvre des stratégies d’adaptation, des systèmes mis en place pour la diffusion nationale, régionale et locale des informations sur les changements climatiques et l'adaptation et la distribution équitable de l'accès aux ressources. Dans une grande mesure, les pays ne figurant pas dans l'Annexe I sont exclus.

La préoccupation croissante concernant l'adaptation a été abordée par les décisions de la Conférence des Parties (COP). Les accords de Marrakech issus de la COP-7 ont tracé les instruments et les mécanismes de soutien à l'adaptation, y compris la création de trois fonds : (a) Fonds Spécial pour les Changements Climatiques sous le CMNUCC pour soutenir « la mise en œuvre d'activités d'adaptation là où l’information sera suffisante », (b) Fonds pour les PMA consacré à la préparation et à la mise en œuvre de programmes d'action nationaux aux fins de l'adaptation (PANA) qui « communiquera les activités prioritaires pour répondre aux besoins urgents et immédiats et aux préoccupations des PMA en matière d'adaptation aux effets néfastes des changements climatiques » et (c) Fonds d'Adaptation créé par le Protocole de Kyoto et les recommandations du Fonds pour l’Environnement Mondial (GEF) concernant ses activités.

« Au Salvador, ça fait des années que nous sommes confrontés aux impacts du changement climatique : inondations, sécheresses, ouragans, rivières principales à sec et abattement moral des communautés. Chaque année les coûts matériels sont élevés, la perte de vies humaines et l’émigration de nos gens aussi, surtout chez les jeunes. Nous devons oeuvrer pour une ère nouvelle où la jauge du développement sera le bien-être de l’humanité et la Terre mère, et pas seulement les richesses matérielles ».

Marta Benavides (Groupe de Travail Feminista GCAP, Le Salvador)

L'agriculture et la pêche durable, le reboisement et la gestion durable des bassins hydrographiques et la gestion écologique des ressources constituent des voies d'adaptation pouvant aider à refroidir la planète. La sécurité alimentaire exige un changement radical au niveau de l'agriculture, une position soutenue depuis longtemps par les mouvements de producteurs agricoles dans le monde entier. Ce qui a été fortement favorisé par l'Evaluation Internationale des Connaissances Agricoles, de la Science et de la Technologie pour le Développement (EICASTD) lors de la conférence tenue en avril 2008 à Johannesburg, en Afrique du Sud. L’EICASTD a admis les insuffisances de la technologie de la Révolution Verte et a reconnu le rôle essentiel des connaissances autochtones et de l'agriculture durable pour atteindre la sécurité alimentaire. Un rapport a été présenté indiquant que l'agriculture moderne devra changer radicalement face au modèle d’entreprise dominant si le monde veut éviter la décomposition sociale et l'effondrement environnemental13.

Le rapport – avec l'opposition de l'Australie, du Canada et des Etats-Unis – a aussi critiqué la modification génétique (MG) et la conversion des terres agricoles pour les destiner à la production de biocarburants. Le rapport signale que la technologie appelée MG n'était pas le chemin à suivre pour nourrir les pauvres du monde, et que la culture des agro carburants destinés aux transports, dans des terres qui devraient être labourées pour nourrir la population aggravera sans doute la faim au niveau mondial et la situation, déjà fragile, de la sécurité humaine14.

« Alors que les pays industrialisés du Nord sont les principaux responsables (quant au calcul per capita surtout) des émissions à effet de serre qui provoquent le changement climatique ; les pays du Sud, et en particulier les pauvres et les femmes, sont ceux qui accusent plus fortement les effets du changement climatique et ses impacts socio-économiques. On compte parmi ces effets le déplacement des populations qui vivent dans les zones côtières basses ; la perte des moyens de vie ; l’insécurité alimentaire et un moindre accès à l’eau. Du point de vue de la dette écologique, les pays riches et industrialisés ont non seulement la responsabilité de réduire radicalement les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi l’obligation éthique et morale d’offrir un financement compensatoire et réparateur aux pays en développement pour que ceux-ci puissent assurer les coûts des efforts d’adaptation et de mitigation du changement climatique ».

Athena Peralta (Conseil mondial des Églises)

Bien que l'adaptation soit apparue comme une question politique clé dans les négociations sur les changements climatiques, le sujet n'a pas encore été abordé à tous les niveaux de planification du développement de politiques. Le renforcement de la capacité d'adaptation, ou le respect des objectifs des OMD est bien différent de la croissance de l'économie ou du travail pour le développement de la manière habituelle. Il s’agit de faire prévaloir la justice sociale et environnementale, une condition sine qua non pour assurer le chemin vers la durabilité. 

Justice dans les échanges financiers et technologiques

La CMNUCC signale que les pays riches sont tenus de procéder à des virements de fonds aux pays en voie de développement, mais aucun d’eux ne devrait jouer le rôle de mendiant. Si les agriculteurs pauvres adoptaient l'agriculture organique ou si les pêcheurs locaux géraient de manière adéquate leurs ressources côtières, ils le feraient non seulement pour eux-mêmes mais pour l'humanité toute entière. Si un pays pauvre veille à sa biodiversité, il rend également un grand service au monde entier. Ces efforts méritent une rétribution ou une réciprocité à travers, par exemple, un impôt sur le carbone pour les riches, APD sans conditions, un allègement inconditionnel de la dette, des conditions commerciales plus équitables, de la technologie ou d'autres formes de transferts de ressources.

Le financement de la stabilisation climatique exige d'énormes investissements. Oxfam International15 a dit que le coût de l'adaptation des pays en voie de développement atteindra au moins 50 milliards d’USD par an, outre le niveau actuel d'APD, qui inclut déjà un engagement financier pour la réalisation des OMD. Toutefois, lors de la présentation du Quatrième Rapport d'Evaluation à Bali, le président de l'IPCC, M. Pachauri, a dit que « en réalité, le coût de l’atténuation n'est pas aussi élevé », puisque l'on calcule qu'il représente annuellement moins de 1 % du PIB mondial. Les pays riches tirent d’affaire les banques qui ont provoqué l'actuel problème financier mondial. Il est juste que les pays en voie de développement demandent une aide équivalente pour l'éradication de la pauvreté mondiale, la réadaptation de l'environnement et la stabilisation du système climatique.

Bien que les parties de l'Annexe I conviennent que les changements climatiques constituent la menace la plus grave contre le développement durable, leurs actions jusqu'à présent ont été tout simplement décevantes. Les décisions vraiment importantes pour éradiquer la pauvreté et remédier aux inégalités mondiales prennent beaucoup de temps et elles terminent fréquemment en transferts nets insuffisants, voire même en refus, avec de fortes conditions. En outre, les riches doivent aussi commencer à changer radicalement leur conception du monde et leurs modes de production et de consommation. Autrement dit, ils doivent abandonner leur style de vie non durable.
           
Ralentir pour refroidir la planète

Quel scénario pourra refroidir une planète surchauffée et nous épargner la catastrophe : 350 ppm ou 450 ppm ? Quelque soit la réponse, l'action devrait être la même : il faut que nous allions tous plus lentement.  A la rigueur, les scénarios ne sont pas des prévisions ; ils constituent une gamme de possibilités pouvant mener à d’autres avenirs. Puisque l’avenir est par nature imprévisible, il n'existe pas de certitudes sur le résultat de l'action de tant de personnes. Cependant, les scénarios sont utiles parce que l'une des causes de l'imprévisibilité et de l'incertitude est justement l'action humaine (ou sa probabilité) pour changer le cours des événements. L’avenir est façonné par ce que nous croyons qu'il deviendra et par ce que nous faisons pour y parvenir.

Paradoxalement, la récession mondiale actuelle pourrait s’avérer être une bénédiction. Si cette récession est durable et profonde, ce sera peut-être mieux pour tous. Moins de croissance implique moins d'émissions de gaz et moins de pression sur l'environnement. Une production plus propre et la réduction universelle de la consommation par habitant impliquent une diminution de l’empreinte de carbone et – pourquoi pas – un mode de vie plus sain. Il est possible qu'un changement puisse se produire indépendamment des conclusions auxquelles on arrivera lors des négociations climatiques à Copenhague ou de décisions ultérieures.

Avons-nous encore du temps pour nous sauver ? Peut-être oui, peut-être pas. En tout cas, notre génération a suffisamment lutté pour faire prévaloir la justice.

 

 

1 Nations Unies. Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques. 1992. En vigueur depuis 1994. Disponible sur : <unfccc.int/resource/docs/convkp/conveng.pdf>.

2 Nations Unies. « Protocole de Kyoto à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques. » 1998. Disponible sur : <unfccc.int/resource/docs/convkp/kpeng.pdf>.

3 IPCC. “Climate Change 2007 : Synthesis Report.” Quatrième rapport d'évaluation du Groupe Intergouvernemental d'Experts sur les Changements Climatiques. Genève : Groupe Intergouvernemental d'Experts sur les Changements Climatiques.

4 Lovett, R. “Arctic Ice Melting Much Faster Than Predicted.” National Geographic News, le 1er mai 2007. Disponible sur : <news.nationalgeographic.com/news/2007/05/070501-arctic-ice.html>.

5 Hansen, J. Témoignage devant le Congrès des Etats-Unis, le 23 juin 1988.

6 McKibben, B. “Think Again: Climate Change.” Foreign Policy, janvier/février2009.Disponible sur : <www.foreignpolicy.com/story/cms.php?story_id=4585>.

7 Baer, P., Athanasiou, T., Kartha, S. et Kemp-Benedict, E. The Greenhouse Development Rights Framework :The Right to Development in a Climate Constrained World. 2ème édition. Berlin : Heinrich Böll Foundation, 2008. Disponible sur : <www.ecoequity.org/docs/TheGDRsFramework.pdf>.

8 Le nombre de personnes pouvant être maintenues dans un territoire donné dans les limites des ressources naturelles et sans dégrader l'environnement naturel, social, culturel et économique pour les générations actuelles et futures. Voir : www.carryingcapacity.org.

9 La Banque Mondiale. Rapport mondial sur le développement 2006 : Equité et Développement. Washington, DC, 2006.

10 Voir : maps.grida.no/go/graphic/projected-impact-of-climate-change.

11 IPCC. “Climate Change 2001: Impacts, Adaptation, and Vulnerability.” Apport du Groupe de Travail II au Troisième Rapport d'Evaluation du Groupe Intergouvernemental d'Experts sur les Changements Climatiques. Cambridge : Cambridge University Press.

12 Dougherty, B. et Spanger-Siegfried, E. User’s Guidebook on the Adaptation Policy Framework.Boston : Stockholm Environment Institute US et le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), 2005.

13 IAASTD. Agriculture at the Crossroads :Global Report. Washington, DC : Island Press. 2008.

14 Vidal, J. “Change in Farming Can Feed World – Report.” The Guardian, le 16 avril 2008.

15 Oxfam International. “Adapting to Climate Change : What’s Needed in Poor Countries and Who Should Pay.” Oxfam Briefing Paper 104, mai 2007. Disponible sur : <www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/adapting%20to%20climate%20change.pdf>.

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