La crise mondiale multiplie les défis du dévéloppement : choix de politiques dans la région arabe.

Publication_year: 
2009
RAPPORT ANNUEL : 
Yes
Summary: 
La crise économique mondiale survient à un moment où les pays et citoyens de la région arabe tentent de s’adapter aux prix incontrôlés des aliments et des combustibles. De plus, la région ressent de plus en plus les effets du changement climatique : la désertification et le niveau des eaux littorales augmentent, on assiste aussi à une plus grande pénurie en eau potable. La confluence de cette crise laisse apparaître les faiblesses explosives de toute la région, dont les éléments centraux sont la pauvreté et le chômage. D’où la nécessité d’intervention des différents groupes engagés, alors que les réponses à la crise économique doivent prendre en compte le besoin d’aborder les autres crises. Les Gouvernements arabes doivent renforcer la coordination, permettre la participation des citoyens au moment de fixer les priorités de développement et orienter les politiques sociales en vue d’une baisse de la pauvreté qui soit durable et équitable.

Kinda Mohamadieh
Arab NGO Network for Development
Oliver Pearce
Christian Aid1

La crise économique mondiale survient à un moment où les pays et citoyens de la région arabe tentent de s’adapter aux prix incontrôlés des aliments et des combustibles. De plus, la région ressent de plus en plus les effets du changement climatique : la désertification et le niveau des eaux littorales augmentent, on assiste aussi à une plus grande pénurie en eau potable. La confluence de cette crise laisse apparaître les faiblesses explosives de toute la région, dont les éléments centraux sont la pauvreté et le chômage. D’où la nécessité d’intervention des différents groupes engagés, alors que les réponses à la crise économique doivent prendre en compte le besoin d’aborder les autres crises. Les Gouvernements arabes doivent renforcer la coordination, permettre la participation des citoyens au moment de fixer les priorités de développement et orienter les politiques sociales en vue d’une baisse de la pauvreté qui soit durable et équitable.

La crise économique et financière mondiale arrive à un moment où les pays et citoyens de la région arabe tentent de s’adapter aux prix incontrôlés des aliments et des combustibles.Comme dans d’autres parties du monde, la région connaît une baisse de son activité économique, des taux de pauvreté et de chômage en hausse, des services sociaux davantage sollicités, une insécurité économique rénovée et des violations des droits économiques et sociaux qui se multiplient.

Les crises économiques du passé ont eu des impacts disproportionnés sur les pauvres et, dans ce sens, la crise actuelle n’est pas différente. Ceci se traduit par un stress plus important pour les communautés qui subissent déjà le changement climatique et les fluctuations des prix de l’énergie et de l’alimentation. Les pays arabes sont particulièrement exposés aux conséquences de la crise mondiale, les améliorations récentes des indicateurs du développement humain sont fragiles et ne bénéficient pas du soutien des politiques gouvernementales à long terme qui aideraient à les protéger et les pérenniser. Par ailleurs, les conflits et l’instabilité politique sont généralisés et leur aggravation est probable en raison de la détérioration économique.

Défis clé pour le développement de la région.

Le nombre de personnes vivant dans la pauvreté augmente

La région arabe a expérimenté une sensible diminution des niveaux de pauvreté depuis les années 1980 jusqu’au début des années 1990. Au milieu de cette décennie néanmoins, le pourcentage de personnes qui vivaient dans la pauvreté – en considérant les seuils de pauvreté les plus basiques d’1 USD et 2 USD par jour – a augmenté et, de façon générale, il a stagné lors du passage au XXIème siècle, pour connaître un déclin très progressif. En prenant en ligne de compte le fait que la démographie de la région se développe en permanence, le nombre total de personnes vivant dans des conditions de pauvreté extrême a, en réalité, augmenté.

De plus, si on élève légèrement le seuil de pauvreté – pour passer, par exemple, d’1 USD à 2 USD par jour ou de 2 USD à 3 ou 4 USD par jour – les chiffres augmentent considérablement. En effet, en rehaussant le seuil de pauvreté de 2 USD à 3 USD par jour, on double le nombre total de personnes vivant dans la pauvreté, il passe de 45 millions à 92 millions. En Egypte, plus de 70 % de la population vit avec 3 USD par jour ou moins, mais cette proportion passe à plus de quatre personnes sur cinq si le seuil est élevé à 4 USD par jour2.

Les mesures liées aux seuils de pauvreté très élevés sont particulièrement importantes maintenant que les familles de la région ont dû faire face aux coûts très élevés des biens élémentaires, comprenant l’alimentation et le carburant qui représente une part importante de leurs dépenses. A l’ONU on affirme qu’en raison de la crise, ce sont environ 31 millions de personnes dans les pays arabes qui souffrent de la faim (environ 10 % de la population totale). Par rapport à 1992, ceci reflète une hausse de 6 millions de personnes souffrant de la faim, avec des chiffres record au Soudan et au Yémen3, précisément sur une période au cours de laquelle, en général, les indicateurs de développement humain ont été en amélioration continue. En effet, la crise liée aux prix des denrées alimentaires a mis en évidence les faiblesses d’une région qui importe plus de 50 % des aliments qu’elle consomme.

Les Gouvernements arabes ont mis en place une série de mesures en réponse à la crise alimentaire comprenant souvent la fourniture directe de produits alimentaires de base ou l’augmentation des subventions pour l’alimentation. Ces mesures – associées au contrôle des exportations – ont permis peu à peu de garantir que les prix n’augmentent pas excessivement dans l’avenir ou, plus important encore, que les approvisionnements en produits de base soient suffisants. Il est nécessaire d’attirer l’attention sur les questions essentielles qui n’ont pas été suffisamment abordées comme par exemple l’augmentation de la production de denrées alimentaires, la possibilité pour les petits producteurs de vendre leurs produits et d’avoir accès aux marchés, la garantie de l’approvisionnement de denrées accessibles aux consommateurs les plus pauvres et le traitement de la question des déséquilibres du système de commerce mondial et les accords sur l’agriculture.

Des inégalités qui persistent et qui s’aggravent

Le niveau élevé d’inégalités entre les pays, ainsi que les inégalités persistantes dans nombre de ces pays est un autre caractère notable de la région à prendre en compte. L’augmentation de la richesse de ces dernières années ne s’est pas traduite par davantage d’équité et, comme les privilégiés ne partagent pas, une grande partie de la population de la région vit actuellement en-dessous du seuil de pauvreté ou sur ce même seuil. De plus, les pays en guerre comme l’Iraq, le Liban, le Soudan et les territoires occupés de Palestine n’ont pas connu la tendance à la croissance qu’ont pu expérimenter de nombreux pays de la région.

Chômage chronique

Une des raisons de la forte proportion de pauvreté dans la région est le chômage chronique. En effet, même lors des années de croissance économique et où les revenus personnels affichaient aussi une tendance à la hausse, le chômage était élevé et allait en augmentant. D’autres facteurs qui font que la pauvreté soit au centre des préoccupations majeures à la lumière de la crise mondiale, sont : (1) Le taux de natalité élevé et les populations relativement jeunes dans la région, ce qui signifie que de nombreux nouveaux diplômés et de jeunes quittant l’école vont entrer sur le marché du travail avec moins de perspectives pour trouver du travail et que (2) la concentration de l’activité économique sur des secteurs où les possibilités de création d’emplois sont réduites, comme l’immobilier et les finances4.

« Nous devons former une coalition de vigilance internationale pour contrôler ce qu’il advient des séries de programmes de relance et être capables de réagir rapidement si les gouvernements n’utilisent pas à bon escient cet argent. Pour en finir avec la crise, nous devons concevoir des approches commerciales et financières basées sur les droits, surtout pour mettre en place des réseaux de sécurité dans le Nord et le Sud. Nous ne voulons pas simplement “retoucher” le modèle économique pour l’améliorer, mais le rebâtir complètement. Pour y arriver, nous devons profiter des événements politiques, comme la Conférence de l’ONU ou le Forum social mondial, pour réunir les personnes et les mouvements sociaux au moment critique ».

Tanya Dawkins (Global-Local Links Project, Miami)

En diminuant la production au niveau mondial, il est probable que le fossé entre les emplois disponibles et la quantité de main d’œuvre s’élargisse brusquement. Le retour au pays de citoyens qui travaillaient à l’étranger comme des émigrés économiques sera une pression supplémentaire sur le marché du travail. De même, la diminution de l’activité économique dans les pays du Conseil de Coopération du Golf (CCG) aura des répercussions sérieuses sur ces pays les plus pauvres5. Il est donc important que les Gouvernements et autres institutions dont dépendent les communautés pauvres et vulnérables – comme les familles installées à l’étranger, les associations d’aide et les banques – soient capables de colmater les brèches lorsque les revenus individuels sont soumis à une telle pression.

Des outils gouvernementaux de politique économique et sources de revenus

Les économies de la région arabe se sont développées sur la base de modèles semi-rentiers et rentiers. On trouve entre autres des pays producteurs de pétrole, pour lesquels la majeure partie du PIB et les revenus du Gouvernement proviennent des exportations de produits pétroliers, et des pays non-pétroliers, qui dépendent des différents types de revenus, principalement des envois de fonds de l’étranger, de l’aide extérieure et des prêts bilatéraux et multilatéraux6.

Depuis le milieu des années 1980, les Gouvernements arabes ont mené des réformes économiques à la suite de la baisse des revenus du pétrole soumis à fluctuation et à la diminution des envois de fonds. Les réformes ont également été imposées de l’extérieur ; les programmes prescrits par des institutions comme le FMI et la Banque Mondiale donnaient des recommandations en faveur des politiques cycliques, des coupes dans les dépenses du Gouvernement, des privatisations ainsi que la libéralisation du commerce, les politiques d’intérêt et les taux de change7. En même temps, les politiques sociales se sont de plus en plus marginalisées.

En assumant différents choix politiques et en élaborant des mesures, les Gouvernements des pays non-pétroliers ont donné de plus en plus la priorité aux circuits d’aide, à l’Investissement Étranger Direct (IED), à la libéralisation commerciale et aux remises, alors que les pays producteurs de pétrole ont continué à se concentrer sur la rentabilité des exportations de pétrole8. Ils ont néanmoins expérimenté des déficits budgétaires croissants et les déficits sur le compte courant en 2008 se sont élevés à 1 % du PIB en Égypte, 2,7 % en Syrie, 13,5 % au Liban et 18 % en Jordanie9. Le FMI a signalé un déficit de compte courant situé entre 1 et 2,6 % pour les pays du Maghreb en 2008, il s’attend à une aggravation jusqu’en 2012. Parallèlement à la diminution des opportunités d’exportation, on s’attend à ce que les déficits budgétaires augmentent – surtout en raison de la chute de la demande du marché européen qui absorbait la majeure partie des exportations de la zone arabe et de la demande des pays du Golfe qui absorbaient les exportations d’autres pays arabes avec une main d’œuvre abondante. Par ailleurs on s’attend à ce que les recettes fiscales diminuent suite à la crise tout comme les salaires, les envois de fonds et les transferts du Gouvernement. Par conséquent, la diminution des recettes publiques et privées met sérieusement en danger les récentes conquêtes de développement ce qui entraînera certainement une hausse de l’incidence et de la gravité de la pauvreté et du chômage à moins que l’on ne prenne des mesures et des actions spécifiques et décisives.

La crise a exposé la nature fluctuante de l’aide et des envois de fonds mais aussi des avantages limités de la libéralisation commerciale. Ces choix politiques ne peuvent être considérés comme des facteurs stables sur lesquels on peut bâtir une politique de croissance durable à long terme. Ces instruments politiques devraient être considérés comme complémentaires d’une politique plus stable qui a besoin d’être développée dans la région, qui donne surtout la priorité au soutien des cycles de production intra-régionaux, au commerce, à la consommation et à la production nationales ainsi qu’intra-régionales.

Aide et investissement étranger direct (IED)

Pour quelques pays arabes, l’aide constitue une part significative du PIB, en particulier les pays touchés par des conflits comme l’Iraq, le Liban et les territoires occupés de Palestine, même si les montants fluctuent énormément. L’aide officielle au développement (AOD) nette attribuée à 22 pays arabes par tous les donateurs a atteint 17,1 milliards d’USD en 2006. Ceci correspondait pratiquement à 20 % de l’AOD totale délivrée par les donateurs aux pays en voie de développement10.

Cette augmentation s’est focalisée sur quelques pays et elle tend à refléter les évènements géopolitiques et militaires de la région ainsi que les stratégies sous-jacentes des principaux acteurs internationaux. En effet, les pays les moins développés de la région (comme les Comores, Djibouti, la Mauritanie, la Somalie et le Yémen) ont reçu seulement 25,3 % de l’AOD perçue entre 2000 et 2006. D’autre part, 46 % de l’aide perçue sur cette période était destinée à l’Iraq. En général, l’Iraq, les territoires occupés de Palestine et le Soudan ont reçu 63 % de l’aide totale11. Il est évident qu’il existe une nette différence entre l’orientation de l’aide qui circule dans la région et les priorités de développement humain12.

Par rapport à l’IED totale, la participation arabe au cours de la décennie 1990 – 2000 a été d’à peine 2,1 % (1 % entre 1990 et 1999). Elle a par la suite augmenté drastiquement, passant de 6 milliards d’USD sur la période 1995-1999 à plus de 24 milliards d’USD en 200613. Environ 34 % de l’IED des pays provient d’autres pays arabes. De 1996 à 2006, la participation en pourcentage de l’IED à la formation du PIB a représenté 1 à 1,7 % pour toute la région (en excluant l’Iraq). Dans les pays aux revenus les plus faibles et à la main d’œuvre abondante, l’IED a considérablement augmenté de 2,4 % à 8 %, dans les pays riches et où la main d’œuvre abondante a été de 0,2 % à 0,9 % et dans les pays riches qui importent la main d’œuvre elle a diminué de 0,7 % à 0,3 %.

Ces affluences, concentrées sur l’Égypte, la Jordanie, le Liban, le Maroc, la Tunisie et les Émirats Arabes Unis, sont encouragées par la conclusion d’importants accords de privatisation et une augmentation des investissements dans le secteur de l’énergie. Par exemple, l’IED en Égypte a augmenté de 6,1 milliards d’USD depuis 2006 en raison d’une licence de télécommunications et à la privatisation du secteur bancaire. Ceci laisse entendre que les flux de l’IED n’ont pas été conçus en fonction des priorités de développement humain et n’ont pas donné la priorité à la valeur sociale ajoutée.

Il est raisonnable de penser que l’AOD tout comme l’IED peuvent ne pas être versées au vu des projections antérieures en raison de la contraction des budgets au niveau mondial. Ceci se traduira par moins d’investissement par personne puisque la chute des revenus liés aux hydrocarbures et aux impôts donne déjà lieu à des ajustements budgétaires. Ceci exercera aussi une plus forte pression sur les budgets des pays ayant peu de revenus et une main d’œuvre abondante et qui dépendent à l’heure actuelle de l’IED pour plus de 8 % de leur PIB.

Commerce

La libéralisation commerciale a constitué une des principales recommandations politiques encouragées et adoptées dans la région comme outil pour une plus forte croissance et pour attirer plus d’IED. Les pays arabes ont élargi et approfondi des traités commerciaux entre eux puis ils ont ouvert considérablement leurs économies au commerce, investissements et aux flux de capitaux avec des pays appartenant à d’autres régions. Malgré toutes les réformes, le commerce pris dans sa globalité en 2005 n’a représenté dans les pays arabes que 4 % du commerce mondial. De plus, malgré l’exportation massive d’hydrocarbures et la libéralisation commerciale, la région ne pèse que 5,5 % des exportations mondiales, dont 90 % de pétrole 14.

Sur le front régional, malgré le lancement de l’Accord de Libre Échange Arabe (ACLA) en 1997 et la suppression à ce jour des taxes sur les mouvements de biens entre 19 des 22 pays arabes, le commerce entre ces pays varie aujourd’hui entre 10 et 13 % de son chiffre d’affaire total, soit une légère augmentation par rapport au 9 % obtenu en 1997. A l’heure actuelle, un des principaux obstacles auxquels doit faire face l’ACLA est le manque d’accord par rapport aux règles d’origine sur les produits qui sont importants depuis un point de vue commercial intra-régional.

En élargissant les traités commerciaux régionaux et bilatéraux15, les tarifs commerciaux se sont considérablement réduits dans pratiquement tous les pays de la région : la majorité des barrières non-tarifaires ont été éliminées ou réduites significativement. En général, la région se classe à la deuxième position parmi les régions en voie de développement pour ce qui est des réformes tarifaires entreprises depuis 2000, après seulement l’Europe et l’Asie Centrale.

Tous les pays arabes – qu’ils soient exportateurs de pétrole ou non – ressentiront le contrecoup de la crise sur leurs comptes commerciaux. Alors que les premiers sont touchés par les fluctuations du prix du pétrole et la chute de la demande, les seconds observeront une baisse de leurs exportations vers l’Europe et les pays du Golfe en raison de la diminution de la demande, ils devront tous limiter leurs importations. En marge des coûts relatifs élevés de la majeure partie des importations nécessaires, comme les produits alimentaires, l’impact sur la balance commerciale de la région sera dramatique.

Envois de fonds depuis l’étranger
Les envois de fonds qui ont dépassé les 30 milliards d’USD, ont un impact supérieur à celui de l’aide à la région arabe et elles ont une répercussion énorme sur les familles et les communautés. Une proportion sensible des foyers aux revenus les plus faibles dépendent de ceux-ci. Les pays aux revenus les plus bas et à la main d’œuvre abondante – comme Djibouti, l’Égypte, la Jordanie, le Liban, le Maroc, la Tunisie et les territoires occupés de Palestine – ont vu leurs envois de fonds passer de 8 milliards d’USD en 1996-1999 à 13 milliards d’USD en 200616. De façon tout à fait similaire, dans les pays riches en ressources et en main d’œuvre, comme l’Algérie et la Syrie, les envois de fonds sont passés respectivement d’1 milliard d’USD à 2,5 milliards d’USD et de 500 millions d’USD à 900 millions d’USD sur la même période17. En 2007, l’affluence d’envois de fonds a représenté environ 9 % du PIB au Maroc, 5 % en Tunisie et 2,2 % en Algérie18.

La Banque Mondiale a pronostiqué que les envois de fonds, après avoir augmenté de pratiquement 8 % en 2008, allaient diminuer en 2009. L’amplitude de la diminution est difficile à évaluer même si le pire des pronostics, élaboré l’année dernière, calcule une diminution de 5 % pour 2009 en comparaison à 2008 et une nouvelle diminution pour 2010.

Politiques sociales

Les pays arabes présentent un déficit flagrant en termes de politiques sociales. Ceci reflète, en partie, un niveau insatisfaisant par rapport à la participation au processus d’élaboration de réponses politiques ou de plans de sauvetage par les différents groupes concernés – parmi eux, les organisations de la société civile. Ceci reflète aussi les capacités limitées des institutions officielles à développer des politiques économiques et sociales complètes. Des services sociaux de qualité et accessibles manquent, de même, les mesures de protection sociale disponibles pour plusieurs groupes sociaux ont une portée limitée19.

Les problèmes de politiques sociales sur le marché du travail sont liés au manque de services sociaux de qualité et accessibles. Un autre problème est la portée des mesures de protection sociale disponibles pour les différents groupes sociaux. Il est indispensable de mettre en place des politiques sociales intégrales pour amortir les effets d’un éventuel malaise social, en particulier lorsque les réponses gouvernementales ne sont pas à la hauteur face aux impacts négatifs de la crise. Ces politiques doivent s’étendre au-delà des réseaux de protection sociale traditionnels qui existaient avant la crise et qui se limitaient souvent à des subventions pour les aliments et l’électricité, des virements en numéraires et un soutien aux plans de microfinancement. Les politiques sociales intégrales doivent également comprendre le secteur informel qui emploie d’ores et déjà un segment important de la population dans les pays arabes et qui, en raison de la crise, va encore certainement se développer.

Manque persistant de coordination et élaboration de politiques intégrales

Les différentes capacités et la nature des économies des pays arabes impliquent que les réponses apportées à la crise varient ainsi que les marchés temporaires. Au niveau régional, aucun plan de coopération ou réponse commune n’a été entrepris. On ne note, en général, aucun critère d’urgence, pas même une vision globale qui veillerait spécialement aux politiques sociales.

Les réponses des pays du CCG (Conseil de Coopération du Golfe) sont apparues plus rapidement et de façon plus étendue. Au niveau sous-régional, ils ont décidé de coordonner leurs politiques fiscales, monétaires et financières et de mettre en place des mesures afin d’améliorer les taux d’intérêts interbancaires et d’ajouter de nouvelles régulations à leurs bourses de valeurs. Au niveau national, on a pu observer un assouplissement de la politique monétaire et l’instauration de politiques fiscales plus expansives dans certains secteurs. Dans d’autres pays de la région, les réponses ont été plus lentes, de nombreux gouvernements ont insisté pendant les premiers mois de la crise sur le fait que leurs pays resteraient isolés des impacts. Vu que les politiques fiscales laissaient peu de marge de manœuvre, ces pays ont été prudents au moment de la prise de décision sur les politiques expansionnistes et leurs interventions n’ont pas été planifiées, elles se sont concentrées sur la stabilisation à court terme.

Regarder vers l’avant : considérations politiques pour faire face à la crise

Il est évident que les gouvernements arabes doivent donner la priorité aux changements structurels à long terme et aborder les besoins à courts termes à la lumière de la crise. En procédant de la sorte, ils peuvent gagner de la valeur (1) en travaillant  ensemble et en capitalisant leurs compétences et la coopération régionale pour faire face à la crise, (2) en protégeant davantage les droits économiques et sociaux des communautés pauvres et vulnérables et (3) en encourageant la création d’espaces pour la participation active des différents acteurs sociaux dont la société civile et les groupes de femmes en vue de l’élaboration de cadres économiques et de gouvernance.

Ceci devrait représenter une chance permettant d’examiner les hypothèses qui sous-tendent les processus d’élaboration de politiques liées à la réforme sociale et économique, comprenant une révision des rapports existant entre économie, finances et modèles de consommation et de production. Il est donc nécessaire de donner la priorité au développement durable et à l’équité sociale, au travail décent, à l’égalité hommes-femmes et à la durabilité environnementale. Est également inclus le soutien à la croissance stable à long terme des secteurs de production et au développement de politiques intégrales destinées à éradiquer la pauvreté. La création d’emploi devrait être le noyau des politiques à court et long terme avec une approche des opportunités de travail décent dans des secteurs de production durables.

Étant donné que la crise économique est liée à la crise alimentaire et climatique, les réponses doivent les prendre en ligne de compte toutes les deux. Au cours de la période antérieure aux discussions de Copenhague de décembre 2009, les gouvernements arabes devraient assumer un rôle plus efficace et proactif en coordination avec d’autres pays en voie de développement. Sur l’ensemble des discussions visant à réformer le mode de développement, il faudrait inclure les nouvelles formes de production et de consommation ainsi que le commerce durable pour l’environnement.

 Concernant les politiques sociales

Les priorités sociales, comprenant le renfort des éléments de stabilisation macroéconomiques automatiques et des systèmes d’assurance sociale, devraient être fixées grâce à la participation et à la représentation des différents groupes engagés, comme les organisations de la société civile. Les systèmes d’assurance sociale devraient encourager les personnes à travailler ou à avoir une reconnaissance pour leur travail au sein du foyer, auprès de la famille et de la communauté. Les programmes de politiques sociales ciblés devraient s’employer à limiter les impacts du chômage croissant et de la pauvreté grandissante sur de nombreuses communautés.

Concernant  le commerce

Il est nécessaire d’évaluer et, si nécessaire, d’analyser les résultats de la libéralisation entreprise suite à l’adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et aux accords de libre échange régionaux et bilatéraux. Les politiques commerciales devraient être menées dans le contexte de stratégies de développement intégrales, bâties sur des évaluations de durabilité et d’impacts sur les droits de l’homme. Les gouvernements devraient assurer que l’application du programme de l’OMC de Doha garantisse un traitement particulier et différent aux pays en voie de développement, comprenant un plus grand accès aux marchés des pays développés par la baisse des subventions.

De plus, les gouvernements des pays arabes devraient prendre en ligne de compte des mesures afin d’examiner les accords de commerce et d’investissement qui limitent l’espace des politiques et peuvent empêcher leur capacité à répondre efficacement à la crise, surtout dans le domaine des flux de capitaux et de libéralisation des services financiers.

La coopération commerciale et économique intra-régionale devrait en général être menée sur la base d’un traitement et d’options spéciales et différentielles par les pays ; les limites et barrières qui empêchent la coopération commerciale et économique entre les pays arabes devraient être supprimées, résultant de la participation superposée de ces pays en blocs économiques régionaux multiples. Ceci englobe la coordination et l’harmonisation urgente des politiques d’intégration économique.

Concernant l’aide et l’IED

Les gouvernements devraient déterminer des politiques claires permettant d’orienter l’aide et l’IED vers les domaines et secteurs qui contribuent directement à éradiquer la pauvreté, vers une augmentation des créations d’emploi, l’égalité hommes-femmes et les priorités du développement humain.

Par ailleurs, les ressources financières régionales doivent être mobilisées en faveur du développement durable, en particulier l’accès à l’infrastructure économique et sociale de base et de qualité. Les pays arabes devraient donc œuvrer pour augmenter les liquidités par des canaux régionaux. Les accords régionaux de coopération peuvent s’avérer particulièrement efficaces en raison d’une meilleure reconnaissance des externalités frontalières et leur plus forte sensibilité par rapport aux conditions particulières des pays voisins.

Comment aborder la diminution  des recettes du gouvernement

Les Gouvernements arabes pourraient augmenter leurs recettes stables par un système d’imposition juste, efficace et progressif à compléter par des systèmes pratiques de gestion des finances publiques efficaces, transparentes et responsables mis en place par des mécanismes participatifs. L’évasion fiscale devrait être abordée en apportant un soutien pour plus de transparence sur les paiements d’impôts, un standard d’information pays par pays pour les corporations multinationales et un accord réellement multilatéral pour l’échange automatique d’informations fiscales.

Concernant la coopération régionale

La crise étant mondiale, aucun pays ne peut faire face aux différentes formes de cette crise de façon individuelle d’où la nécessité de fournir un effort collectif sur la région, tant au niveau gouvernemental que privé. Repenser la coopération régionale comme une solution à la crise peut donner un puissant coup d’accélérateur à la construction d’un projet de développement alternatif davantage durable et équitable. Une telle coopération permettrait d’améliorer la coordination des politiques du travail, entre autres priorités. Dans ce contexte, il est nécessaire de décider des mécanismes de mise en place avec des délais fixés pour mener à bien les décisions prises lors du Sommet Arabe de Développement Économique et Social20.

A la lumière d’une telle orientation, il est nécessaire de revoir et réformer les mandats et mécanismes des institutions régionales existantes, entre autres les banques de développement régionales. Une telle réforme devrait servir à établir des liens plus forts entre les finances et les besoins de l’économie réelle.

En conclusion, les Gouvernements de la région arabe devraient renforcer leur coordination, permettre aux citoyens de participer à l’élaboration des priorités de développement et orienter leurs politiques sociales vers une diminution durable et équitable de la pauvreté. La convergence actuelle de la crise est l’occasion de revoir les politiques anciennes et d’encourager les actions empêchant que la crise ne se transforme en une catastrophe humaine dans la région.

1 Cet article est une version abrégée d’un document politique développé par les deux organisations à l’occasion de la Conférence de Haut Niveau de l’ONU sur « La crise économique et financière et son impact sur le développement ».

2 Iqbal, F. Sustaining Gains in Poverty Reduction and Human Development in the Middle East and North Africa. Washington DC: Banque Mondiale, 2006.

3 D’après Jacques Diouf, directeur général de la FAO, dans son discours prononcé devant le forum préparatoire du secteur privé et de la société civile pour la Conférence de Haut Niveau de l’ONU, du 19 juin 2009.

4 Organisation Internationale du Travail. Global Employment Trend Brief. Genève : OIT, 2007. Le rapport souligne la forte hausse de la main d’œuvre dans la région arabe, avec une moyenne de 3,7 % par an entre 2000 et 2005. En 2005-2007, le chômage a dépassé les 13 %, alors que les taux de chômage chez les jeunes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord étaient parmi les plus élevés au monde, l’OIT les évaluait à 25,7 % en 2003 (allant de 46 % en Algérie à 6,3 % aux Emirats Arabes Unis). Il est probable que ces données supplémentaires officielles sous-estiment le taux de chômage général et qu’elles dissimulent des taux plus élevés dans les pays les plus pauvres comme l’Egypte où un taux de 20 % équivaut à 10 millions de citoyens au chômage et à la recherche d’un travail.

5 Khan, A., Abimourched, R. y Ciobanu, R. O. “The Global Economic Crisis and the Impact on Migrant Workers”. Global Job Crisis Observatory, OIT, 2009. Disponible sur : <www.ilo.org/public/english/support/lib/financialcrisis/featurestories/story11.htm>.

6 Allisa, S. “The Challenge of Economic Reform in Arab World: Toward More Productive Economies”. Carnegie Endowment for International Peace, 2007. Disponible sur : <www.carnegieendowment.org/publications/index.cfm?fa=view&id=19147>.

7 Al-Jourchi, S. “Economic and Social Rights: Preliminary Review of International and Regional Initiatives”. Document préparé pour le Réseau Arabe d’ONG de Développement, 2008.

8 La Banque Mondiale a signalé dans plusieurs rapports que la croissance du PIB dans les pays arabes où les revenus sont faibles et la main d’œuvre abondante a été motivé par les importants flux de revenus issus du tourisme et des remises et par l’augmentation de l’IED.

9 Saif, I. y Choucair, F. “Arab Countries Stumble in the Face of Growing Economic Crisis”. Carnegie Endowment for International Peace, mai 2009. Disponible sur :
<www.carnegieendowment.org/files/economic_crisis_wc_english.pdf>.

10 Mahjoub, A. “Official Development Assistance in Arab Countries”. Document préparé pour le Réseau Arabe d’ONG de Développement en vue de sa présentation lors de la Conférence de Doha pour la Révision du Financement pour le Développement, 2008.

11 Un autre grand bénéficiaire de l’aide dans la région est l’Égypte, de 2000 à 2006, ce pays a reçu 10 % de l’AOD destinée aux pays arabes de la part du Comité d’Assistance au Développement.

12 Ibid.

13 Cette section se base sur des chiffres fournis par la Banque Mondiale (2007). Economic Developments and Prospects:Job Creation in an Era of High Growth. Washington DC : Banque Mondiale.

14 Fonds Monétaire Arabe. Joint Arab Economic Report 2006. Disponible sur (seulement en arabe) : <www.amf.org.ae>.

15 A l’heure actuelle, six pays arabes sont en voie d’accès à l’OMC. Même si cette entrée présente des avantages indéniables en termes d’accès aux marchés multilatéraux et de protection réglementée, les termes d’accès actuellement en cours de négociation minent les perspectives de développement. On a exigé de la majorité des pays pour lesquels l’entrée à l’OMC est en cours de discussion, davantage de libéralisation et la mise en oeuvre des engagements que les membres originaux de l’OMC ont dû effectuer.

16 Banque Mondiale, op. cit.

17 Ibid.

18 Saif et Choucair, op. cit.

19 Même dans un pays comme la Tunisie où le fond de sécurité sociale est considéré comme un modèle, le gouvernement se heurte à des problèmes pour répondre aux besoins des nouveaux chômeurs à la suite de la crise. Saif et Choucair, op. cit.

20 Ceci comprend la mise en place de projets convenus comme le programme d’urgence de sécurité alimentaire et les programmes sur les chemins de fer communs, la sécurité en eau, un projet d’électricité commun, la limitation du chômage, la mise en place des Objectifs de Développement du Millenium dans les pays les moins avancés de la région, l’éducation et l’accès aux soins.

Fichier attachéTaille
region_arabe2009_fran.pdf120.76 KB
Region: 
left