Une crise, deux visions du pays
Programa de Participación Ciudadana
CEP-Alforja1
Mario Céspedes y Carmen Chacón
La société du Costa Rica a été témoin d’une confrontation entre deux façons antagoniques de percevoir et de projeter le pays. Alors que des secteurs plaident pour un modèle de marché, d'autres réclament celui de l'État Providence pour faire face à des questions comme celles, entre autres, des droits sociaux, économiques et culturelles des gens. La crise, et ses échappatoires possibles, ont créé une nouvelle arène où se heurtent ces deux visions. Alors que le Gouvernement propose un ensemble de mesures qui paraît timide et tardif, la société civile recherche l'inclusion sociale et la productivité.
Au Costa Rica l’impact de la crise mondiale a commencé à se faire sentir à partir du deuxième semestre 2008. Certaines données significatives de cet impact sont comprises dans la baisse (d’une année à l’autre) de l'Indice Mensuel d'Activité Économique (IMAE) publié avec -1,0 % en octobre 2008, -2,5 % en novembre, -3,7 % en décembre et -4,5 % en janvier 2009. « Une analyse par secteurs, sur la base de ce même IMAE, indiquerait que les secteurs de l’agriculture, de l’industrie manufacturière, du commerce et hôtelier sont déjà en récession puisque le pourcentage de l'IMAE au mois de décembre 2008 était inférieur à celui de décembre 20072 ».
En juillet 2008 la Caisse de l'Assurance Sociale du Costa Rica (CCSS) a enregistré 1.376.667 travailleurs (euses) assurés; six mois plus tard elle en a enregistré 1.385.350, ce qui représente une augmentation de seulement de 0,1 % de moyenne mensuelle. Au total il y a eu 8.683 nouveaux travailleurs. Cela signifie que la réduction de la croissance de production a déjà eu un impact sur la génération de sources d'emploi pendant le second semestre 20083.
L'emploi étant l’une des principales inquiétudes de la population, voyons deux exemples concrets en rapport avec les personnes migrantes et les femmes. Le rapport de la CCSS précise qu'il existait presque 90.000 travailleurs assurés dans la construction, mais en janvier 2009 il y avait à peine 74.000 employés4, c'est-à-dire une perte de 16.000 emplois en 6 mois.
Une étude du Ministère du Travail et de la Sécurité Sociale, de son département migrations, conclut qu'il y a deux ans, 65 % des 150.000 travailleurs de la construction étaient nicaraguayens5. Il convient de souligner que les chiffres enregistrés à la CCSS se trouvent très en-dessous des chiffres réels, parce que la majorité de la population migrante embauchée dans la construction ne cotise pas à la CSSS, la mettant dans une situation d'extrême vulnérabilité.
Crise et genre
Quant à l’impact sur les femmes, le chômage augmente et l’écart salarial entre les sexes s’accentue. Un rapport de l’OIT publié le 8 mai 2009 assure que presque cinq cent mille personnes – des femmes pour la plupart - perdront leurs emplois en Amérique Centrale en 2009, et par conséquent le taux de chômage féminin augmentera de 3,5 points en pourcentage, et atteindra 14 %.
Le salaire horaire moyen des femmes par rapport à celui des hommes est tombé de 99,1 % en 1999 à 83,9 % en 2007. L'écart salarial est plus grand dans les activités agricoles et la pêche – où elles consacrent 13 heures de plus au travail non rémunéré –, suivies par les activités professionnelles et les travailleuses non qualifiées, avec une différence de 10 heures. C'est-à-dire que, bien que le temps effectif des femmes dans le travail rémunéré soit identique à celui des hommes et malgré leur participation croissante sur le marché du travail, la dimension non rémunérée du travail socialement nécessaire à la procréation et aux soins apportés à la force de travail, aux personnes âgées et aux malades, continue à chuter de manière disproportionnée chez les femmes, qui consacrent ainsi une journée supplémentaire de travail plus une heure pour répondre à cette demande sociale6.
La réponse du Gouvernement
En janvier 2009, le Président Oscar Arias a lancé le plan dénominé « Plan Escudo » (Plan Bouclier) en réponse – tardive et insuffisante – à la crise. Le projet, qui a pour but de soutenir les familles, les travailleurs, les entreprises et le secteur financier, consiste à mettre en oeuvre de nouvelles mesures – comme la Loi de Protection de l'Emploi en Temps de Crise – faisant suite à d'autres déjà en vigueur – parmi elles, l'augmentation de 15 % pour les pensions du régime non contributif de la CCSS, le programme d'alimentation pour les enfants les plus vulnérables pendant le week-end, le Programme « Allons de l’Avant 7 », la subvention de logement et l’annulation de dettes en souffrance pour 2.100 familles à faibles revenus.
Certaines de ces propositions renforcent les stratégies centrées sur la pauvreté, qui consolident l'assistancialisme et qui risquent de se transformer en clientélisme pendant la période électorale. Les omissions du Plan concernant les besoins des femmes sont particulièrement graves. En effet, on ne mentionne aucune mesure éliminant la discrimination sexuelle sur le marché du travail et l'exploitation des femmes dans le cadre de la procréation et des soins sociaux, ou améliorant la qualité de leurs emplois8.
Le projet de Loi de Protection à l'Emploi en Périodes de Crise, qui incite les entreprises à réduire les heures de travail sans réduire les salaires ou licencier le personnel, mérite une mention spéciale.
D'autres mesures annoncées sont liées à la promotion de micro, petites et moyennes entreprises, à la capitalisation des banques nationales et aux investissements en infrastructure publique, particulièrement dans l’éducation et dans le réseau routier national, pour lesquelles des prêts sont en négociation auprès de la Banque Interaméricaine de Développement et d'autres organismes financiers internationaux.
Selon le Dr. Luis Paulino Vargas9, la dette extérieure contractée pour faire face à la crise conformément au Plan atteindra 1.400 millions USD seulement pour les dépenses de travaux publics. « Cela implique une augmentation d’un coup d’environ 25 % du montant de la dette extérieure (…). Cela exige au minimum une planification méticuleuse des demandes pour l'utilisation de telles ressources10 ». Un autre problème est le contraste entre l'urgence de ces ressources,la complexité et la lenteur du processus de négociation de prêts, l’approbation parlementaire et la concession de travaux publics.
Les secteurs sociaux, politiques et d’entreprises – peut-être en désaccord avec la manière dont le Gouvernement a présenté l'initiative – disent que, jusqu'à présent, les résultats du Plan Escudo sont en-dessous de leurs attentes. Le président Arias n'a pas joué le rôle d’instigateur d’un processus de dialogue national permettant d’établir un large consensus social. En outre, l'initiative a été lancée précisément en année pré-électorale, rendant l'exécution des mesures plus complexe, dénaturant le débat parlementaire et augmentant la méfiance des citoyens sur les « bonnes intentions » du président et de son gouvernement.
La proposition des organisations sociales
Trois mois après la présentation « du Plan Escudo », diverses organisations sociales ont présenté à l'opinion publique nationale une proposition appelée « Dix mesures pour faire face à la Crise avec Inclusion Sociale et Productive 11
Cette proposition s'inscrit dans un contexte dans lequel les organisations sociales ont réussi à renforcer leurs capacités de résistance face au modèle néolibéral comme, par exemple, dans la résistance contre le Traité de libre Commerce avec les États Unis, une plus grande capacité d'incidence dans le débat national sur l'orientation du pays, et une plus grande capacité de proposition. Ses points sont les suivants :
Dans l'attente du dialogue national
La société du Costa Rica est divisée en deux visions du pays opposées – par exemple, la résistance et les mobilisations contre le groupe ICE12 (2000), contre le processus électoral 2006 et avec la lutte contre l'ALE par le référendum de 2007. D'une part il y a des secteurs qui soutiennent le modèle du libre-échange, d'autre part, il y a ceux qui soutiennent le modèle de l'État Providence mais qui souhaitent aussi voir des progrès dans l'augmentation des droits sociaux, économiques et culturels et un degré plus élevé de la démocratie.
Quant aux réponses timides du Gouvernement, les organisations sociales signalent que « … si ces défis ne sont pas relevés sur la base du dialogue social et avec un véritable changement de société, la persistance des solutions traditionnelles (assistancialisme et diminution des dépenses publiques, et diminution des droits) se traduiront certainement par une plus grande inégalité et pauvreté, et par le risque, que nous avons déjà souligné, de transformer la pauvreté conjoncturelle en raison de perte de revenus, en pauvreté structurelle, ainsi que par une augmentation de la violence contre les femmes, les enfants et les personnes âgées13 ».
Il reste encore à voir si les propositions des organisations sociales sont capables de surmonter les interprétations économicistes de la crise, en se concentrant sur la vie des gens, comment ils se situent et sont comptabilisés dans la production, le travail, les loisirs ou l'administration du ménage, entre autres domaines. Si une telle approche n’était pas incluse, la soit-disant vision alternative coïnciderait avec les modèles économiques dominants qui excluent une diversité d'activités traditionnellement considérées comme typiques de la « sphère privée ». Dans celle-ci, les femmes sont constamment rendues invisibles dans leur rôle de développement et de procréation en multipliant leur exclusion, leur subordination et l'utilisation de leur travail productif et de procréation pour le fonctionnement du système lui-même.
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2 Helio Fallas. Crisis Económica Mundial y la economía política en CR (Crise économique mondiale et l’économie politique au Costa Rica), 23 janvier 2009.
3 Journal La Nación, 5 mars 2009.
4 Ibidem.
5 Journal El Centroamericano, 9 mars 2009.
6 Ibidem.
7 Programme du Gouvernement de Transferts Économiques Conditionnés pour inciter les familles à maintenir leurs enfants dans le cycle éducatif.
8 Msc. María Flores-Estrada. Coordinatrice Técnique de l’ Agenda Economique des Femmes. “El Plan Escudo: por qué es insuficiente para las mujeres”, 2009.
9 Vargas, Luis. “El Plan Escudo”. Extrait de l'Article présenté dans le cycle Crise globale et impact au CR organisé par le CEP-Alforja et le Réseau de Social Watch en mars 2009.
10 Ibidem.
11 “Diez medidas para enfrentar la crisis económica con inclusión social y productiva” (Dix mesures pour faire face à la crise économique avec inclusion sociale et productive). Plusieurs auteurs, 2009.
12Tentative de lois visant à la privatisation des télécommunications au CR, monopolisées avec une projection sociale par l'Institut d'Électricité du Costa Rica.
13 “Diez medidas para enfrentar la crisis económica con inclusión social y productiva” (Dix mesures pour faire face à la crise économique avec inclusion sociale et productive). Plusieurs auteurs, 2009.
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