CEDLA
Dans un contexte international extraordinairement positif, la Bolivie a obtenu d’importants revenus financiers dérivés principalement de l’exportation des hydrocarbures, grâce aux prix élevés des matières premières. Cependant, ce que les caisses de l’État reçoivent en provenance des impôts et des bénéfices n´a pas eu d´impact dans l’économie des ménages. Le modèle extractif du pays ne permet pas que les investissements directs étrangers améliorent les conditions pour la Bolivie, puisque la quantité d’argent sortant du pays est supérieure à celle qui y rentre.
Grâce à la hausse du revenu per capita pendant les dernières années, la Bolivie a cessé d’être un pays à faibles revenus pour devenir un pays à revenus moyens. Cela signifie que l’accès aux ressources pour le financement ne dépend plus à présent des crédits octroyés par les entités multilatérales et bilatérales des pays développés.
En plus, la crise économique mondiale a réactivé une version camouflée d’une vieille discussion sur la réforme de l’architecture financière internationale et le financement pour le développement des économies périphériques. Le caractère systémique de la crise capitaliste a sans doute contribué à cela, détournant les critiques sur un réformisme mou qui ne s’est inquiété que du domaine financier.
Revenus fiscaux et modèle primaire exportateur
Pendant les dernières années, les économies d’Amérique latine ont renforcé leurs modèles de développement liés à l’exploitation et la commercialisation des matières premières en fonction de la hausse des prix internationaux. Ceci a permis l’insertion de la région sur le marché mondial, centrée principalement sur des secteurs tels que l’industrie minière, le pétrole et le gaz, entre autres. Cette pratique, rebaptisée comme néo-extractivisme[1], ne fait que consolider la division internationale du travail et l’acceptation de l’« institutionnalité globale » liée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) [2].
La nature essentiellement exportatrice des économies latino-américaines a conduit, pendant les dernières années, à une augmentation de l’activité économique dans la plupart des pays, avec des taux de croissance du Produit intérieur brut (PIB) supérieurs à 5 %. Cette croissance a été stimulée par une situation internationale particulièrement favorable, due à l’augmentation des prix et de la demande extérieure.
Bien que la situation ait été favorable pour les équilibres fiscaux, la nature du modèle a favorisé les entreprises transnationales en les transformant en principales bénéficiaires. Dans le domaine fiscal, de nombreux pays d’Amérique latine reçoivent des revenus importants de l’exploitation de ressources non renouvelables. Selon la CEPAL [Commission économique pour l’Amérique latine], « dans des pays tels que le Venezuela, l’Équateur, le Mexique et la Bolivie, environ 30 % ou plus des revenus fiscaux proviennent de la production pétrolière, dans les trois premiers cas et de l’exploitation gazière dans le dernier[3] ».
Pour la Bolivie, depuis 2005 les revenus fiscaux du secteur des hydrocarbures – un des plus importants de son économie – ont été essentiels pour surmonter le déficit fiscal national et pour financer l’investissement public dans une plus grande proportion[4] ; cependant, la fragilité de ces ressources persiste à cause de la volatilité des prix internationaux en temps de crise. On pourrait confondre ceci avec le cas typique de la
« maladie hollandaise », c’est à dire, une distorsion produite par une affluence subite (inondation) de devises issues d’une ressource naturelle que le système productif réel ne peut pas absorber[5]. Cependant il s’agit en réalité d’un aspect structurel de l’économie bolivienne, approfondi par le boom récent du prix des matières premières.
Si on analyse le comportement des revenus fiscaux et leurs composants, on peut voir qu’après la crise de la première moitié de la décennie des années 80, l’application de politiques sévères d’ajustement structurel a permis de gérer jusqu’à un certain point le déficit fiscal. La structure fiscale a été inflexible pendant ces deux décennies et demie, avec une proportion importante des dépenses engagées essentiellement dans le financement de l’État et avec un faible investissement public, ne dépassant pas les USD 500 millions pendant cette période, financé en grande partie par la dette publique extérieure.
La situation est très différente en ce qui concerne les revenus, puisqu’après la réforme du système fiscal en 1986, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est devenue la source principale des recettes de l’État. Cet impôt indirect est de nature régressive puisqu’il s’applique à la consommation de toute la population bolivienne sans faire de différences entre les pauvres et les riches. Jusqu’en 2003 il a représenté un peu plus de 70 % de tout le système fiscal bolivien, pour tomber à un peu plus de 50 % en 2009[6].
Depuis 2005, les revenus provenant de l’Impôt direct sur les hydrocarbures (IDH) sont passés de USD 287 millions à USD 802 millions en 2009. Il est plus facile de comprendre ce chiffre en comparant sa participation dans le système fiscal avec celle de la TVA. Pour l’année 2000 la TVA a représenté 40 % des recettes totales, alors qu’en 2009 sa participation a baissé à 35 %, mais sur la base d’une plus forte recette absolue, de USD 420 millions en 2000 à USD 1,2 milliard en 2009. En 2005 l’IDH a représenté 15 % des recettes totales, alors qu’en 2009 le pourcentage est monté à 22 %, ceci étant dû davantage à la hausse des prix qu’à la croissance de la production et de l’exportation.
Une faible marge pour l’État
Crise et pression sur les ressources naturelles Selon certaines prévisions scientifiques[10], le monde pourrait atteindre le pic de production de pétrole conventionnel avant 2020. Cette situation suggère que les prix élevés de l’énergie persisteront, devenant ainsi un facteur de pression inflationniste au niveau mondial et une stimulation pour le développement et la production de produits de substitution, tels que les biocarburants ou d’autres substituts, tels que les minerais énergétiques, l’énergie nucléaire et les sources d’énergie renouvelable. Dans ce scénario complexe, les réponses face à la crise économique internationale ne peuvent pas se centrer seulement sur les conséquences immédiates de la récession et sur les caractéristiques de la reprise. Les réponses devraient plutôt surgir de l’analyse des conséquences du maintien d’un modèle de production qui, à longue échéance, aura comme résultat une surexploitation du travail et la consolidation des bénéfices entre les mains des monopoles transnationaux qui dominent l’exploitation des ressources naturelles. Si on observe le parcours des Investissements directs étrangers (IDE) en Bolivie, malgré un comportement variable pendant la dernière décennie, il est évident qu’il existe une concentration dans les secteurs de l’extraction : les hydrocarbures et l’industrie minière. Les informations statistiques officielles montrent que, pendant 2008, les deux secteurs ont concentré plus de 75 % du flux des IDE[11], avec une plus grande participation de l’industrie minière en raison, d’une part, de l’augmentation des prix internationaux et, d’autre part, de la stagnation de l’investissement dans les secteurs pétrolier et gazier. L’IDE dans ces secteurs a montré, en contrepartie, une augmentation des versements des dividendes des actions, d’autres participations du capital et des « désinvestissements »[12] , spécialement à partir de 2004, car c’est à partir de cette date que ces paiements ont dépassé ceux de l’IDE brut. Le pic le plus élevé enregistré pour le versement de bénéfices vers l’extérieur par les entreprises transnationales s’est produit en 2005, quand il a dépassé 201 % l’IDE brut[13]. En raison de ce genre d’activités (essentiellement orientées vers l’exportation), l’IDE n’a pas amélioré les conditions dans le pays, car il y a eu un flux d’argent sortant de Bolivie supérieur à celui qui est entré à ce titre. De même, ce qui rentre dans les caisses de l’État au niveau fiscal et des bénéfices des activités d’extraction (pétroliers et gaziers principalement) s´est estompé dans l’investissement public pour des projets régionaux – tel que le projet d’intégration bi-océanique – au lieu d´être utilisé dans des investissements qui aient des effets significatifs pour l’économie des ménages. |
Les taux de croissance moyenne annuel de la production de pétrole et de gaz pour la période 1997-2007 ont été de 4,6 % et 11,6 % respectivement, alors qu’entre 2006 et 2007 ces taux ont été de 1,11 % et 3,73 %. Ces faibles taux de croissance de la production s’expliquent par diverses raisons. D’après le diagnostic établi dans la Stratégie bolivienne des hydrocarbures du Gouvernement actuel, il y a trois éléments qui attirent l’attention : la diminution des investissements destinés à l’exploitation et le développement des champs pétrolifères, la capacité des usines de traitement des hydrocarbures et la caractéristique d’accumulation du secteur. Ces aspects montrent que le contrôle de la production continue entre les mains des compagnies pétrolières.
La première conclusion est que, en dépit de la croissance significative des revenus de l’État grâce aux prix des matières premières, il n’y a pas eu de modifications du système fiscal, qui continue de faire pression sur la population. La deuxième conclusion est que le commerce du gaz continue de dépendre des investissements effectués par les compagnies pétrolières dans le secteur, sans qu’elles aient l’obligation d’investir dans l’exploration et l’exploitation[7] en vertu du cadre régulateur en vigueur après la réforme de 2005.
En ce qui concerne les dépenses, l’augmentation des revenus fiscaux issus des bénéfices des hydrocarbures ne s’est pas traduite en de plus grands flux d’investissements publics dans les secteurs productifs. Les ressources issues de la vente des hydrocarbures ont été essentiellement destinées à l’infrastructure routière et, très faiblement, aux secteurs tels que l’agriculture ou la manufacture[8]. Ceci est en rapport étroit avec la forme d’intégration commerciale de la Bolivie dans les marchés dominants de la région : le pays est plutôt un pont intégrateur bi-océanique permettant le passage de marchandises entre les pays voisins, au lieu d’être un partenaire qui puisse promouvoir et commercialiser sa production locale[9].
Les espoirs mis dans la conjoncture favorable des prix pour favoriser les processus de transformation du modèle primaire d’exportation ont tendance à s’évanouir face aux énormes enjeux que doit affronter le pays. D’autant plus que les entreprises transnationales continuent d’être les leaders des investissements dans le secteur de l’extraction, laissant peu de marge pour que l’État – incapable de renverser le processus d’appropriation des excédents – puisse envisager des processus de transformation durables.
Conclusions
On a vu que l’augmentation des revenus fiscaux a été le résultat d´une conjoncture extraordinaire de prix internationaux élevés des matières premières. Ceci ne permet pas de projeter de façon durable le développement du pays, car il dépend plus que jamais des revenus issus des taxes sur les activités primaires d’exportation, contrôlées par les entreprises transnationales. Ces entreprises ont administré les flux d’investissements en fonction des tendances des prix internationaux et des conditions que l’État bolivien a établies dans le cadre de la régulation de leurs activités.
[1] Eduardo Gudynas, "El nuevo extractivismo progresista". El Observador N° 8. CEDLA/OBIE. Janvier 2010.
[2] Ibid, p. 3.
[3] Amérique latine et Caraïbes face au nouveau scénario international. CEPAL, Santiago de Chile, 2008.
[4] Deux facteurs ont contribué à cela : d’une part, la modification de la régulation des impôts de ce secteur ; d’autre part, l’augmentation des prix internationaux du pétrole et du gaz.
[5] Ceci conduit à une croissance exagérée des biens et services non négociables – travaux publics, transports, communications – à cause de la survalorisation de la monnaie.
[6] La TVA montre la profonde régressivité du système fiscal bolivien, même avec une augmentation des revenus de l’État due aux impôts sur l’activité pétrolière et gazière depuis 2005, suite à l’approbation de la Loi 3058 sur les Hydrocarbures et à la création de l’Impôt direct sur les hydrocarbures (IDH), un pourcentage de 32 % du total de la production d’hydrocarbures mesurée par rapport au point de fiscalisation non destinée à taxer la richesse, mais qui varie selon les volumes de gaz produits et de son prix international.
[7] "La crisis energética al ritmo de las petroleras". El Observador Nº 4. CEDLA/OBIE. Mars 2008.
[8] Juan Luis Espada, La renta de hidrocarburos en las finanzas prefecturales. Tendencias de los ingresos y gastos (1997-2007). CEDLA, 2009.
[9]Ceci en réponse à l’Initiative pour l’intégration de l’infrastructure régionale sud-américaine (IIRSA) et à l’investissement dans des projets routiers bi-océaniques.
[10] UK Energy Research Centre, "Global Oil Depletion. An assessment of the evidence for a near-term peak in global oil production". Août 2009.
[11] Institut national de statistiques. Investissements directs étrangers 1996-2001. Banque centrale de Bolivie, 2002-2008.
[12] Le désinvestissement est « un investissement en sens inverse (…) c’est une sorte de restitution du capital au bailleur et/ou créancier du capital de l’investissement direct ». FMI, Guide pour la compilation statistique de la Balance de paiements. Traduction et composition de la direction du bureau linguistique du FMI, Washington, 1995.
[13] Efraín Huanca, "Generación y uso del excedente económico en Bolivia, 1988-2008". CEDLA. Mimeo. Décembre 2009 (Préliminaire).
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