La coalition italienne de Social Watch[1]
La société italienne a été durement touchée par la crise financière. La principale réponse du Gouvernement a été de réduire les ressources de secteurs clés comme l'éducation, la santé, l'assistance sociale et les fonds pour les autorités locales. Le financement pour le développement a également subi une sévère réduction et aujourd’hui l'Italie ne tient pas ses engagements internationaux. L'indifférence du Gouvernement face à la coopération pour le développement alors que l'Italie préside le G8 ne surprend pas la société civile, qui a critiqué le manque de stratégie du pays en la matière.
L'impact social de la crise financière a été énorme en Italie, affectant non seulement l'économie du pays en général – le déficit national a augmenté de 5,2 % en 2009 et plus de 9.000 entreprises ont dû fermer (23 % de plus qu'en 2008[2]) – mais aussi les travailleurs et surtout les foyers. Le taux de chômage a augmenté de presque 8 %[3] et un tiers des foyers rencontre aujourd’hui des difficultés pour boucler ses fins de mois sans s'endetter[4]. Parmi eux, ce sont les immigrants les plus touchés[5].
Le système bancaire n'a pas été particulièrement touché et il n'a pas disposé des aides reçues du Gouvernement pour aider les entreprises et les individus avec des facilités de crédit. En même temps, le Gouvernement a réduit les ressources dans plusieurs secteurs clés comme l'éducation, la santé, l'assistance sociale et les fonds pour les autorités locales. La réunion 2009 du G8 a eu lieu dans la ville italienne de L'Aquila, récemment ravagée par un tremblement de terre, au milieu des critiques sur le manque de leadership de la part de l'Italie lors de la préparation du sommet et à propos des dernières réductions de son budget d'aides. L´année 2009 a été une année de progrès dans la privatisation des entreprises publiques et des infrastructures et aussi d´une corruption et une évasion fiscale plus importantes (les cas de corruption ont augmenté de 229 % par rapport à 2008, alors que l'on estime qu'un tiers des italiens ne paye pas ses impôts)[6].
Une indifférence envers l'APD
Les derniers budgets de l'État ont décrété le démantèlement de l'APD. Pour la période 2009-2011, on a accordé respectivement 321,8 millions, 331,26 millions et 215,7 millions d´euros, ce qui représente une réduction de 56 % des ressources disponibles pour les projets de coopération du ministère des Affaires étrangères. Les actions du Gouvernement dans ce domaine, l'année même où l'Italie préside le G8, peuvent paraître contradictoires ; toutefois elles ne sont pas surprenantes si l'on considère les coûts d'organisation de l'événement du G8 en soi, qui coûte beaucoup plus (son coût est estimé à USD 600 millions[7]) que les allocations annuelles pour la coopération internationale.
Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 74 % de l'APD italienne est canalisée par le système multilatéral. Cela signifie qu'il faut avoir une transparence et une responsabilité démocratique de rigueur dans l'effectivité de la participation du pays au sein des institutions internationales qui gèrent le financement du développement. En 2010, l'APD de l'Italie sera inférieure à l’engagement de 0,5 % du PIB, et cela empêchera l’Europe, en conséquence, d’atteindre le but collectif de 0,56 % malgré la bonne performance des pays qui l'ont déjà dépassé[8]. La législature précédente a essayé de mener à bien la réforme de l'APD – nécessaire pour garantir une plus grande effectivité, cohérence et stabilité des ressources – mais elle a été abandonnée par la suite.
En janvier 2010, on a présenté à Rome le premier rapport de l'OCDE en 6 ans sur l'APD en Italie (dénommé Révision par les pairs). En 2004, le Comité d'aide au développement a suggéré treize réformes essentielles à mettre en place avant 2009. Ces réformes incluaient, entre autres, une augmentation des ressources mises à disposition et de leur fiabilité, une meilleure priorisation, l'engagement de nouveaux experts, la rationalisation des processus administratifs et l'établissement du monitorage, de l'évaluation et de l'approbation d'une nouvelle loi qui définirait un cadre régulateur pour le système de coopération en Italie. Malheureusement, les recommandations de 2004 ont été complètement ignorées et aujourd’hui la liste a augmenté. Les recommandations sont passées à 19, dont le persistant besoin d'une nouvelle loi, d'un ajustement du volume des ressources destinées aux engagements contractés au niveau international, d'une plus grande attention à la cohérence politique et de la mise en place de processus de monitorage et d'évaluation[9].
Le financement pour les plans de développement : le manque de stratégies
Malgré la perte de prépondérance du G8 et de l'émergence du G20 comme nouveau forum international, le Gouvernement italien a essayé de se servir de la présidence du premier pour améliorer son image publique tant au niveau national qu'international. L'Italie a cependant maintenu un profil extrêmement bas lors des principaux sommets multilatéraux en 2008 et 2009 consacrés au financement du développement et à l'impact de la crise mondiale sur le développement[10]. La seule idée originale qu'elle a proposée a été d'établir des « standards légaux mondiaux », un ensemble de règles pensées pour régler les finances, limiter les activités spéculatives et aider à la récupération mondiale après la crise. Jusqu' à présent, cette proposition – dont le contenu est encore en cours de rédaction – n'a pas reçu suffisamment d'appui international et n'a pas conduit non plus à des mesures importantes pour avoir une réglementation plus rigide des marchés financiers.
Dans le cadre de l'initiative de l'Aide pour le commerce de l'UE, développée en 2007 avec la Stratégie conjointe d'aide pour le commerce, les programmes d'aide de l'Italie n'incluent toujours pas une stratégie spécifique pour le commerce. Le rapport Aid for Trade Monitoring Report 2009[11]de la Commission européenne souligne que l'aide au commerce fait partie des stratégies d'assistance dans moins de 25 % des pays associés de l'Italie. Il règne aussi une grande inquiétude à l'égard de la qualité, de la quantité et des objectifs des programmes.
La plus grande partie de l'aide au commerce est destinée à l'infrastructure, laquelle, avec le développement des capacités, a concentré 76 % des dépenses totales pendant la période 2002-2006. L'Italie est à la tête de la promotion de l'investissement dans des projets d'infrastructure de la part d'entreprises privées avec des programmes d'aide bilatéraux et multilatéraux, surtout avec la Banque européenne d'investissement. Celle-ci finance des projets controversés dans des pays africains, tels que des barrages (Gigel Gibe en Ethiopie et Bujagali en Ouganda) et des activités extractives (République démocratique du Congo et Zambie) sans paramètres clairs du point de vue social, environnemental et du développement.
Dans les grandes lignes, on ne voit pas encore clairement si, après la crise financière, les fusions et acquisitions récentes qui affectent les entreprises multinationales italiennes, le Gouvernement est prêt à revoir les traités d’investissements bilatéraux qui ont eu de graves conséquences pour les pays en développement ces dernières années. En même temps, le Gouvernement n'assume pas un leadership clair dans la promotion de standards plus élevés pour les organismes de crédit à l'exportation qui soutiennent les investissements des entreprises italiennes dans le monde entier, souvent avec des conséquences négatives pour le Sud.
Violation des droits de l´Homme à l'étranger
Dans son rapport sur l'industrie du pétrole dans le Delta du Niger[12], Amnesty International a documenté l'impact des activités d'exploration et de production du pétrole menées par les entreprises pétrolières multinationales sur la population locale et sur l'environnement. L'une des entreprises les plus actives au Nigéria est l'italienne Eni, présente dans 77 pays et qui constitue le 5e groupe pétrolier le plus grand du monde après Exxon Mobil, BP, la Royal Dutch Petroleum Shell et Total.
L'industrie du pétrole dans le Delta implique le Gouvernement nigérian et les entreprises subventionnées contrôlées par les multinationales comme Eni, Shell et Total, ainsi que des entreprises locales. Les immenses champs de pétrole produisent des milliards de dollars de bénéfices pour le pays, mais la plupart des gens qui habitent les régions d'extraction vivent dans la pauvreté. La pollution et les dommages à l’environnement ont un fort impact sur la terre, l'eau et l'air, violant les droits humains de la population du Delta. Amnesty soutient que les entreprises d'extraction opérant dans le Delta, dont Eni, doivent entamer des activités de nettoyage, consulter les communautés locales et les maintenir informées des résultats. Les entreprises doivent également rendre publiques toutes les informations liées à l'impact de leurs activités sur les droits humains, dont une évaluation de l'impact environnemental ou tout autre étude réalisée sur les effets de leurs opérations sur les communautés locales.
Un coup d'œil sur les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) : la société civile en action
OMD 3 : Un manque d'initiatives en matière d'égalité des sexes. L'analyse pertinente des rapports et des documents de planification par la société civile est très importante dans le domaine des politiques pour l'égalité des sexes, où prévaut l'imprécision, le manque d'information et ou l’on ne communique pas les mesures adoptées, les résultats et les stratégies. Un bon exemple en a été la préparation du dossier pour Pékin+15 et la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (sigle en anglais : CEDAW). Malgré sa précision concernant le respect des engagements mondiaux par l'Italie, elle avait de grosses lacunes en matière de consultation auprès de la société civile et de transparence des processus. Le rapport sur le CEDAW, en particulier, n'a pas apporté de réponses aux questions pour lesquelles le Comité du CEDAW avait exprimé son inquiétude dans le rapport de 2005, à savoir la santé des femmes immigrantes, la persistance des stéréotypes de genre dans les médias et la participation politique inadéquate des femmes au niveau local et national. Le dernier rapport manque d'une vision stratégique et d'une politique systématique pour promouvoir l'égalité des chances et le transfert de pouvoir aux femmes ; il énumère des mesures, des lois et des données sans agenda clair et il montre très peu de progrès concrets dans des sujets qui demandent un plus grand engagement institutionnel.
En novembre 2009, les ministres de l'Égalité des chances et des Politiques sociales ont présenté le plan Italie 2020 : Programme d'actions pour l’inclusion de la femme dans le marché du travail. La plus grande partie de ces actions est fondée sur des emplois à mi-temps, concevant que la conciliation du travail et les responsabilités ménagères doivent continuer d'être assurées majoritairement si ce n'est exclusivement par les femmes.
OMD 7 : Un référendum sur l'eau publique. Le droit à l'eau potable est couvert par plusieurs engagements internationaux. L'OMD 7 réclame la réduction de la proportion de personnes qui n’ont pas d’accès durable à l'eau potable et à l'assainissement de base. La Commission économique pour l'Europe des Nations Unies encourage dans sa Convention sur la protection et l’utilisation des cours d'eau transfrontières et des lacs internationaux, la participation publique dans les processus de prise de décisions importantes[13], et la Directive-cadre sur l'eau de l'UE établit que « l'eau n'est pas un produit commercial comme n’importe quel autre, mais un héritage qui doit être protégé, défendu et traité comme tel »[14].
Pendant 15 ans, l’Italie a vécu un processus graduel de privatisation de la gestion des services intégrés des eaux (SIA), soit sous la forme d'initiatives autonomes des autorités locales, soit comme de lois nationales qui ont fait pression dans ce sens. La moitié de la population italienne reçoit aujourd’hui des services fournis par des entreprises mixtes (publiques et privées) et l'autre moitié, par des entreprises complètement publiques. Des villes comme Arezzo et Aprilia, où a débuté la participation d'associés privés, ont connu une augmentation exponentielle des prix et une réduction remarquable de l'investissement. Lors de la dernière décennie, les prix ont augmenté de 62 % (par rapport à une inflation de 25 %) et l'investissement a chuté des deux tiers, de EUR 2 milliards à EUR 0,7 milliard. On prévoit une augmentation de près de 20 % de l'eau privatisée dans les dix prochaines années.
En réaction aux effets catastrophiques en termes sociaux et environnementaux, et par rapport au droit à l'eau en Italie et dans le monde, un important mouvement italien qui rassemble des centaines d'organisations, associations et comités nationaux et locaux s'est développé pendant la dernière décennie. En 2007, plus de 400.000 signatures ont été réunies pour soutenir la loi proposée par les citoyens – non retenue par le Parlement – qui conçoit un nouveau modèle de gestion publique des services intégrés de l'eau. Au cœur se trouve la participation démocratique des citoyens plus que la maximisation des bénéfices. Par la suite, une campagne lancée en 2010 a recueilli plus d'un million de signatures en faveur d'un référendum en 2011 sur la gestion publique et participative de l'eau en tant que bien commun.
Parallèlement aux mouvements de la société civile, beaucoup d'autorités locales sont en train de prendre des mesures. La région des Pouilles, par exemple, a adopté une résolution contre la privatisation de l'AQP, le plus grand aqueduc européen, et a conçu la future gestion des SIA par l'établissement d'une loi sur la gestion publique.
Conclusion
La crise financière actuelle a provoqué de fortes réductions dans le secteur de la coopération pour le développement. La proposition italienne de « standards légaux mondiaux » n’a reçu jusqu'à maintenant qu’une attention réduite et la réforme nécessaire du secteur financier s’est vue retardée. Au fur et à mesure que le pays s’appauvrit, qu’il devient plus xénophobe[15] et que les immigrants – surtout la population rom – subissent des discriminations et des violences continues, les organisations de la société civile essayent de défendre les droits constitutionnels violés, tels que la liberté de la presse et l'indépendance du système judiciaire.
Si la coopération italienne ne respecte pas les recommandations de l'OCDE, sa contribution aux OMD sera presque insignifiante voire contreproductive car elle ralentira l'action européenne et le leadership mondial. Le premier objectif de l'OMD 8 – « répondre aux besoins spécifiques des pays les moins développés, des pays sans accès à la mer et des petits États insulaires en développement » – exige surtout une augmentation considérable de l'APD. En raison des politiques italiennes, cet objectif paraît très loin d'être atteint.
[1] Jason Nardi en a rédigé l'introduction ; "L'Indifférence envers la coopération pour le développement" a été écrit par Tommaso Rondinella ; "Le Financement des plans de développement" par Andrea Baranes (CRBM) et Roberto Sensi (MAIS) ; "La Violation des droits de l'homme à l'étranger" par Alessandro Palchetti (Amnesty International - section Italienne) ; "OMD 3 : Un manque d'initiative en matière d'égalité des sexes" par Beatrice Costa (Coord. Campagna 30 anni CEDAW - Lavori in corsa) et "OMD 7 : Un référendum sur l'eau publique" par Tommaso Fattori (Forum Italiano dei Movimenti per l'Acqua).
[2] La Stampa, "Crisi, nel 2009 picco di imprese fallite" 1er mars 2010. Disponible sur : <www.lastampa.it/redazione/cmsSezioni/economia/201003articoli/52697girata.asp>.
[3] Le taux de chômage en Italie en 2009 a été de 7,8 % par rapport à 6,8 % de 2008. Le taux projeté pour 2010 est de 10,5 %. Voir : EconomyWatch "Italy Economic Statistics and Indicators". Disponible sur : <www.economywatch.com/economic-statistics/country/Italy/>.
[4] Keynesiano, "Crisi : Duro impatto della recessione sul mercato del lavoro", 29 janvier 2010.
[5] Selon les principaux opérateurs de transfert d'argent pendant la première partie de 2009, les virements ont baissé de 10 à 15 % par rapport à 2008. Voir : Giulio Giangaspero, "Le rimesse dall’Italia in tempo di crisi", Working Paper Cespi, 63/2009. Disponible sur : <www.cespi.it>.
[6] NPR, "Culture of Corruption Creeps into Italian Life", 12 mars 2010.
[7] Anuradha Mittal, "G8 Summit : Feed the Hungry or Fuel Hunger?" Foreign Policy in Focus, 8 juillet 2009.
[8] Voir : OCDE, Italie : Comité d'assistance pour le développement (CAD) Révision par les pairs 2009. Disponible sur : <www.oecd.org/dataoecd/54/59/44403908.pdf>.
[9] OCDE, "Italy (2009) DAC Peer Review - Main Findings and Recommendations" (2009).
[10] Lors de la Conférence sur la crise financière et économique mondiale en juin 2009, où beaucoup de pays ont été représentés à un niveau ministériel ou supérieur, la délégation italienne a été présidée par un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères.
[12] Amnesty International, Nigeria : Petroleum, pollution and poverty in the Niger Delta, Londres, 2009.
[13] Disponible sur : <www.unece.org/env/water/>.
[14] Disponible sur : <www.ec.europa.eu/environment/water/index_en.htm>.
[15] Grazia Naletto, éd., Rapporto sul razzismo in Italia, Roma :Manifestolibri, 2009.
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