ALLEMAGNE

Avant la tempête: les impacts sociaux de la crise financière

Social Watch Allemagne
Uwe Kerkow

La stratégie de gestion de la crise du Gouvernement allemand ne comporte pas d’objectifs sociaux ou écologiques. Les plans de mesures de relance et les réductions d’impôt sont socialement injustes, et les licenciements et l’augmentation du nombre de travailleurs à temps partiel montrent le vrai visage de la dérèglementation. Bien que l’Aide Officielle au Développement (AOD) ait augmenté en Allemagne et que les engagements envers les Pays les Moins Avancés (PMA) en 2009 soient plus importants que jamais, ces mesures restent encore insuffisantes. Dans ses déclarations la chancelière A. Merkel a beau promettre d’appliquer une nouvelle approche des relations internationales, dans la pratique on constate que les politiques de gestion de la crise du Gouvernement sont centrées sur le G20.

Ces trois dernières années ont été marquées par une baisse du chômage mais aussi par une stagnation du salaire réel1. Néanmoins, il devient de plus en plus clair que, contrairement aux affirmations du Gouvernement, la déréglementation du marché du travail n’a pas relancé la croissance de l’emploi ; les fonds devraient être assignés à une économie assainie. Maintenant que le boom (financé par le crédit) arrive à son terme, le vrai visage de la dérèglementation apparaît. Le chômage augmente. Les emplois informels ont été les premiers à disparaître : Annelie Buntenbach, membre du Directoire Fédéral de la Confédération Allemande de Syndicats (DGB en allemand), estime que vers la fin du mois de janvier 2009, environ 120.000 travailleurs temporaires avaient déjà été licenciés2.

Les chiffres officiels montrent que le nombre de sans-emplois augmente cependant il n’atteint pas encore un niveau alarmant. Selon l’Agence Fédérale pour l’Emploi, en janvier 2009 on constatait que le nombre de chômeurs avait diminué de 170.000 par rapport à l’année précédente. Néanmoins, le taux de chômage qui est réajusté périodiquement commençait à augmenter tandis que les offres d’emploi étaient en chute libre3. Le directeur de cet organisme, Frank-Jürgen Weise, a déclaré avec inquiétude que le nombre de chômeurs, actuellement de 3,4 millions, risquait d’avoisiner les 4 millions avant la fin de l’année 2009.

Cependant, la véritable montée en flèche a eu lieu dans le secteur du travail à temps partiel. En février 2009 seulement, plus de 16.900 entreprises ont présenté des demandes visant à mettre 700.000 travailleurs à temps partiel pour des raisons économiques ; cela représente 648.800 personnes de plus que l’année dernière. Les travailleurs affectés touchent un salaire correspondant au nombre d’heures qu’ils effectuent complété par un supplément que l’État leur verse pendant une période déterminée – qui vient d’être prolongée à 18 mois – sous la forme d’une allocation spécialement conçue pour les travailleurs à temps partiel. Ils reçoivent ainsi les deux tiers de leurs revenus normaux sans perdre leur emploi, du moins pour le moment4. Malgré ces subventions, il est clair que la crise économique et financière aura un impact négatif sur le niveau de protection sociale de plusieurs millions de personnes en Allemagne.

La réponse du Gouvernement

Les mesures prises par le Gouvernement pour enrayer la crise sont les suivantes :

  • 480 milliards d’euros assignés à un fonds spécial de stabilisation des marchés financiers pour renflouer les banques en difficulté. 80 milliards d’euros supplémentaires sont disponibles pour la recapitalisation et l’absorption des actifs toxiques.
  • 100 milliards d’euros pour garantir la liquidité et assurer l’existence de prêts destinés à l’industrie notamment dans le secteur de l’industrie automobile.
  • 11 milliards d’euros pour un premier plan de mesures de stimulation (Konjunkturpaket I) qui offre des déductions fiscales et octroie des financements pour les projets d’infrastructure, notamment dans le secteur du transport.
  • 50 milliards d’euros destinés à un deuxième plan de mesures (Konjunkturpaket II). Outre la nouvelle prestation familiale à versement unique, connue sous le nom de Kinderbonus, et les investissements en infrastructure, ce plan de mesures comprend des réductions d’impôts et une "prime à la casse" de 2.500 d’euros versée aux personnes qui achètent un véhicule neuf en échange de leur vieille voiture.

 

Dans certains cas, les montants alloués à la relance de l’économie par les ministères concernés sont beaucoup plus élevés que ceux mentionnés ci-dessus. Par exemple, en novembre 2008, le Ministère de l’Economie et de la Technologie et le Ministère des Finances ont annoncé que le premier plan de mesure de relance de l’économie s’élèverait à un total de 32 milliards d’euros jusqu’en 2010. Cependant, le Gouvernement consacre 9 à 10 fois plus d’argent liquide au rachat de la dette privée (au "renflouement") qu’aux investissements destinés à promouvoir l’activité économique. Comme ces plans comprennent aussi des réductions d’impôts, on peut s’attendre à ce que les investissements ayant un effet direct sur l’économie soient relativement réduits. De fait, selon certains calculs, le deuxième plan de mesures de relance ne représentera probablement que 9 milliards d’euros par an d’investissements supplémentaires5 – ce qui est sans aucun doute insuffisant pour briser le goulot d’étranglement de l’investissement public. Seulement pour s’aligner sur la moyenne européenne, l’Allemagne devra dépenser 25 milliards d’euros supplémentaires ; par ailleurs l’importance donnée à la construction de routes, à la "prime à la casse" versée en échange de l’achat d’un véhicule et à la rénovation des casernes militaires n’a pas vraiment éveillé la confiance de la population.
Les réductions d’impôts vont non seulement miner l’impact des programmes de relance mais elles sont aussi socialement injustes comme nous le montrons dans les exemples suivants :

1. Selon les calculs effectués par la DGB, les municipalités devraient recevoir 11,51 milliards d’euros provenant des deux plans de mesures économiques. Néanmoins, les déductions fiscales mises en place parallèlement vont provoquer une réduction de 6 milliards d’euros dans le budget des municipalités. « À terme, nous ne recevrons même pas la moitié du montant annoncé (...) On peut se demander si cela va vraiment permettre de protéger le marché de l’emploi » a déclaré la DGB6.

2. Les réductions fiscales en faveur des ménages donnent également lieu à des injustices sociales. Les salariés dont le revenu annuel est équivalent à 10.000 euros feront l’objet de déductions allant jusqu’à 0,15 milliard d’euros tandis que les salariés dont le revenu annuel est supérieur à 53.000 euros seront dix fois plus bénéficiés. Comme en conclut une analyse à ce propos : « À l’exception de l’augmentation du minimum vital assigné aux enfants vivant dans les foyers les plus démunis par le biais du Kinderbonus (...), aucune mesure de lutte contre la crise n’a vraiment été prise7 » .

Par ailleurs, cette dépression économique sera accentuée par le "freinage de la dette" présenté au Parlement allemand et dont l’objectif est de limiter l’emprunt net annuel à 0,35% du Revenu National Brut (RNB)8. Les critiques annoncent que les politiques d’austérité mises en place dans le secteur social seront maintenues à cause du renflouement bancaire massif. Hendrik Auhagen, membre du Conseil de Coordination d’ATTAC Allemagne estime que « la dette publique qui sert les intérêts des banques et des grandes entreprises, les réductions d’impôts destinées aux plus riches et la future mesure de « freinage de la dette », tout cela ouvre la voie vers un nouveau démantèlement de la protection sociale (…), vers une aggravation de la pauvreté et une explosion du nombre de délits9".

Politique de développement

En Allemagne, l’AOD est passée de 9 milliards d’USD en 2007 à 13,91 milliards d’USD en 2008. En termes absolus, cela met l’Allemagne au 2ème rang des principaux donneurs de l’AOD. Cependant, si l’AOD est évaluée en tant que partie du produit national brut (PNB), ce taux de 0,38% place le pays au 14ème rang parmi les principales nations donatrices. Il est également significatif qu’en 2008 près d’un cinquième de l’AOD allemande était destinée à l’allègement de la dette10. Le budget de l’AOD pour l’année 2009 comporte cependant des aspects positifs: les engagements des pays les moins avancés (PMA) est plus important que jamais auparavant : 827 millions d’euros (1 milliard d’USD), ce qui représente plus de la moitié de l’ensemble des engagements concernant l’aide fournie par l’Allemagne.
Dans le cadre du deuxième plan de mesures de relance, le Gouvernement a versé une deuxième somme extrabudgétaire équivalant à 100 millions d’euros (132 millions d’USD) au Ministère Fédéral pour la Coopération Économique et le Développement afin d’offrir son soutien aux projets d’infrastructure de la Banque mondiale11. L’Association allemande d’organisations non gouvernementales de développement (VENRO en allemand) a considéré cela comme un pas dans la bonne direction tout en déclarant que ce plan de mesures de relance pour les pays en développement était injuste: « les plus pauvres parmi les pauvres se font leurrer par des promesses charitables alors que ce sont eux les plus affectés par la crise », a déclaré Claudia Warning, la présidente du Directoire de VENRO12. La ministre du Développement, Heidemarie Wieczorek-Zeul, affirme que « le plan financier pour la période 2008-2012 comprend des mesures plus efficaces pour relancer la croissance »13, mais il semble qu’il n’y ait guère de possibilité que ces promesses soient tenues. Pour que les fonds investis dans le domaine du développement soient équivalents à 0,51 % du PNB en 2010 en accord avec l’objectif fixé par l’Union européenne, l’Allemagne devra augmenter son AOD à hauteur de 13,1 milliards d’euros (17,33 milliards d’USD)14.

Une nouvelle approche des relations internationales?

La chancelière Angela Merkel a provoqué une certaine inquiétude après avoir proposé de créer un Conseil Economique Mondial des Nations Unies. « Certes le G20 est un pas en avant mais il ne représente en aucune façon une image complète du monde », a-t-elle déclaré lors d’une conférence du parti de l’Union Démocratique en décembre 2008. « Je suis fermement convaincue que nous devons créer un conseil économique mondial pour traiter les questions économiques, exactement de la même manière que nous avons (…) le Conseil de Sécurité de l’ONU15 ». La Chancelière A. Merkel a exprimé à nouveau les mêmes convictions lors du Sommet financier du G20 en réclamant « Une charte mondiale pour la gouvernance économique durable » qui établirait les principes de base de l’architecture financière du monde de demain16.
Il reste à savoir à quel point la Chancelière compte tenir parole. Jusqu’à présent, les politiques de gestion de la crise du Gouvernement sont restées fermement centrées sur le G20.

1 Social Watch Germany a décidé de focaliser le rapport de cette année sur les réponses que la politique économique offre à la crise systémique étant donné que c’est là que l’impact social est le plus évident en Allemagne.

2 Voir : <www.welt.de/wirtschaft/article3146760/Schon-bis-zu-120-000-Leiharbeiter-entlassen.html>.

3 Voir : <www.arbeitsagentur.de/zentraler-Content/Pressemeldungen/2009/Presse_09_007>.

4 Voir : <www.arbeitsagentur.de/zentraler-Content/Veroeffentlichungen/Merkblatt-Sammlung/MB-08b-Kurzarbeitergeld-AN.pdf>.

5 Junge Welt. Voir : <www.jungewelt.de/2009/02-07/023.php>.

6 Voir : <www.dgb.de/themen/themen_a_z/abisz_doks/k/klartext05_2009.pdf/view?showdesc=1>.

7 Junge Welt, op. cit.

8 Voir : <de.wikipedia.org/wiki/Schuldenbremse (Deutschland)>. Consulté le 27 février 2009.

9 Voir : <www.attac.de/aktuell/presse/detailsicht/datum/2009/02/13/schuldenbremse-steuersenkungen-demontage-des-sozialstaats/?cHash=fe6adf2d10>.

10 Voir : <www.oecd.org/dataoecd/48/34/42459170.pdf>.

11 Regierungserklärung zum Stand der Millenniumsentwicklungsziele 2015 und zu den Auswirkungen der Finanz- und Wirtschaftskrise auf die Entwicklungsländer [Déclaration du Gouvernement relative à la situation des Objectifs de Développement du Millénaire 2015 et aux impacts de la crise économique et financière dans les pays en voie de développement], 29 janvier 2009. Disponible sur le site: <www.bmz.de/de/zentrales_downloadarchiv/Presse/20090129_Regierungserklaerung.pdf>.

12 Voir : <www.venro.org/404.html>.

13 Voir : <www.bmz.de/de/zahlen/deutscherbeitrag/index.html>. Consulté le 27 février 2009.

14 Voir : <www.tdh.de/content/materialen/download/download_wrapper.php?id=294>.

15 Voir : <www.stuttgart08.cdu.de/wp-content/uploads/2008/12/081201-rede-merkel-stbericht.pdf>.

16 Voir : <www.netzeitung.de/wirtschaft/ wirtschaftspolitik/1282337.html>.