ESPAGNE

On ne s’attaque pas à l’essentiel

Plataforma 2015 y más
Pablo José Martínez Osés
IntermonOxfam1
Deborah Itriago

L'économie espagnole, qui a retardé trop longtemps ses ajustements, laisse entrevoir des déficiences prononcées. Face à la montée fulgurante du chômage et à la diminution du crédit, le Gouvernement se  porte garant mais il ne traite pas les problèmes fondamentaux, comme la fragilité et la précarité de l'emploi, l'accès au logement et l'extension de nombreux droits sociaux de base. Quelque chose de semblable se passe avec l'aide internationale : bien que l'Espagne se réaffirme dans son rôle de pays solidaire, des sujets essentiels comme le réchauffement de la planète ou les subventions agricoles ne sont pas abordées comme ils le devraient.

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La crise en Espagne possède des caractéristiques propres au pays qui indiquent que ses causes ne résident pas uniquement dans les « failles » du système financier international ou dans leurs mauvaises pratiques. En septembre 2008, alors que le président José Luis Rodríguez Zapatero se trouvait à New York à l'Assemblée Générale de l'ONU où il réaffirmait sa confiance en la robustesse du système financier espagnol, il a assisté en même temps, à l’effondrement des grandes compagnies financières américaines. En dépit de cela, son gouvernement s’est empressé d’accorder une garantie publique à ses risques, en accord avec le Trésor public, pour un montant de 3 milliards d’EUR, ce qui suppose plus de 650 EUR par personne, alors que le pays consacre 30 EUR par personne à l'Aide au Développement. Dans le contexte actuel de crise, on tente de gagner du temps au lieu de voir en elle une opportunité de réel changement.

La destruction de l’emploi

Les chiffres actuels concernant l’effondrement et la destruction de l'emploi sont terrifiants. Sur un an, de janvier 2008 à janvier 2009, le chômage a augmenté de plus d’un million de personnes ce qui constitue plus de trois millions et demi de personnes (des niveaux similaires à 1996). Ceci représente 14 % de la population active ainsi que près de deux fois la moyenne européenne. En 2008, plus de 840.000 postes de travail ont disparu et la tendance ne semble pas s’inverser.

Le Gouvernement a cherché à pallier la diminution du pouvoir d'achat en octroyant des diminutions fiscales aux travailleurs et en facilitant les démarches pour la création de nouvelles activités économiques. Il a aussi diminué les intérêts en cas de non-paiements ou d’ajournements pour éviter l’asphyxie économique définitive des entreprises. Ces mesures prétendent, tout au plus, fournir aux travailleurs des moyens pour subsister pendant un certain temps dans l'attente d’une récupération de l'activité économique et de la confiance dans les marchés. Il est nécessaire de constater d'autre part, que jusqu'à présent le Gouvernement a su résister aux demandes opportunistes des patrons qui ont exigé, comme d’habitude, une majeure précarisation du travail par l'assouplissement et la diminution des coûts de licenciements comme condition à la création d'emploi.

La diminution du crédit

Bien que le taux d'intérêt de référence pour l'Union Européenne (Euribor) ait diminué et ait atteint des minimums historiques, les organismes financiers ne paraissent pas décidés à assumer de nouveaux risques, par conséquent l’accès au crédit reste faible. Il est évident que la garantie publique de 3 milliards d’EUR octroyée par le Gouvernement et les autres mesures de réassurance des opérations sous garantie publique, n'ont pas produit jusqu'à présent, la relance du crédit par le secteur financier afin que les capitaux circulent pour relancer l'activité économique. D'autre part, en décembre 2008, selon des données de la Banque d'Espagne, le portefeuille de crédits aux familles a diminué pour la première fois depuis huit ans, ce qui contraste avec la croissance des portefeuilles de crédits approuvés auprès des administrations publiques. Ce paradoxe s’explique par la prédilection pour les garanties publiques qu'ont les organismes financiers au moment de choisir les risques et par les énormes difficultés de financement que présentent les administrations locales (municipalités).

En ce sens, le Gouvernement s’est donné pour priorité de servir de garant public afin de maintenir la confiance dans l'équilibre et dans la stabilité du système financier, duquel dépendent une grande quantité de dépôts et d’épargnes de citoyens. Mais le problème exige une plus grande décision car, tandis que les organismes financiers continuent à présenter des profits spectaculaires dans leurs résultats trimestriels, la dévaluation incontrôlable des actifs financiers et hypothécaires a fait que, jusqu'à présent, la citoyenneté n’a pas pu prendre part à la stabilité attendue. Différents acteurs provenant de nombreux mouvements sociaux, mais aussi de secteurs académiques et politiques, commencent à parler de la nécessité de recréer des organismes financiers à caractère public qui permettent, en ces temps de crise, de donner la priorité aux fonctions du service public au lieu de maintenir des marges de bénéfices.

Le retard des ajustements

Il est frappant de constater que le Gouvernement a répondu aux nécessités du secteur bancaire et financier de manière très rapide alors que sa réaction a été tardive et limitée quand il s’est agi de résoudre les problèmes de l'économie réelle, où le processus d'ajustement est abrupt et tardif – et où il était le plus nécessaire de réagir avant la crise déjà.

Les trois principaux problèmes, largement mentionnés dans diverses analyses pendant le cycle expansif précédent, étaient : les dimensions spectaculaires de la « bulle immobilière » et l'importance relative du secteur de la construction dans le PIB et dans la croissance de l'emploi, l'excessif endettement des particuliers et des chefs d'entreprise et les taux de compétitivité et d’épargnes peu élevés au niveau national. Durant la période précédente, très peu de mesures avaient été prises pour faire face aux processus d'ajustements, peut-être pour ne pas devoir assumer les coûts sociaux et politiques inhérents à ceux-ci. La crise financière internationale a maintenant accéléré et synchronisé ces processus qui étaient restés en suspens, en affectant de manière très grave la viabilité des affaires requérant un endettement élevé à court terme ainsi que l'emploi.

Le Gouvernement a répondu en combinant deux axes. D'une part, il maintient sa résistance aux pressions des secteurs politiques conservateurs et des secteurs patronaux qui souhaitent l’octroi de diminutions fiscales sur les gros revenus, la diminution des impôts des sociétés et des mesures d'assouplissement des licenciements. D'autre part, il adopte des mesures à caractère social, puisqu'elles sont fondamentalement destinées aux chômeurs, aux personnes à faibles revenus et aux secteurs à haut risque. Cette double réaction, qui vise à ne pas détériorer le système des garanties sociales (de sorte qu’il serve à amortir les coups de la crise) est loin, toutefois, d’inverser les tendances et d’offrir des résultats en ce qui concerne la récupération du crédit, de l'emploi ou de l'indice des prix.

On constate que le pari du Gouvernement consiste à contenir les pressions et les conséquences, jusqu'à ce que la confiance sur les marchés financiers internationaux soit revenue et que ceux-ci amortissent un nouveau cycle expansif. Toutefois, la question ne se réduit pas à savoir quand la récupération surviendra-t-elle, ni jusqu'à quel point il est possible de grossir le déficit public qui supporte les mesures entreprises (les premières mesures ont déjà épuisé l'excédent accumulé durant les années précédentes et l'Union Européenne a déjà donné ses premiers avertissements). Il s’agit, en outre, de savoir comment aborder les problèmes fondamentaux de l'économie espagnole, qui sont principalement liés à la fragilité et à la précarité de l'emploi, aux difficultés d'accès au logement et à l'accès, pour une grande partie de la population, à de nombreux droits sociaux de base.

L’Espagne à l’extérieur

L’année 2009 est celle des transformations profondes en matière de développement économique, et entre autres dans la manière dont la coopération est menée dans la lutte contre la pauvreté. Tout au long de 2007 et 2008, l'Espagne a su montrer sa vocation de pays solidaire, non seulement dans la gestion de la crise mondiale qui affecte surtout les pays en développement mais aussi, de manière générale, dans les compromis établis en matière d'Aide Officielle au Développement (AOD). Toutefois, on observe que bien que des initiatives très importantes ont été entreprises, il subsiste une timidité excessive pour aborder les questions plus fondamentales. Parmi les quelques aspects à souligner, nous notons :

AOD : Entre l'année 2004 et 2007, l'AOD espagnole a augmenté de plus de 20 % (chiffres en valeurs courantes). Bien que la situation économique actuelle n’a pas permis d’augmenter le budget 2009 alloué à la coopération (il s’est maintenu à 5,5 milliards, c.-à-d. le même niveau que 2008), l'Espagne se maintient parmi les donneurs les plus solidaires. En décembre 2007, le Pacte de l'État contre la Pauvreté a été signé, et tous les partis politiques espagnols se sont engagés à respecter le compromis international qui destine 0,7  % du PNB à l'AOD à partir de 2012.

Action humanitaire : Pendant 2008, une série de processus qui ont pris fin aideront à affirmer l'Espagne en tant qu’acteur mondial dans l'action humanitaire. Le pays dispose maintenant d’une stratégie cohérente qui respecte des paramètres et des normes acceptées internationalement. Le pays s’est renforcé institutionnellement afin d’augmenter sa capacité de gestion face aux crises humanitaires2. En ce qui concerne ce sujet, l'Espagne devra éviter la pression médiatique exercée pour faire la sélection des crises humanitaires auxquelles elle prendra part.

Crise des aliments : Lors du sommet de la FAO en juin 2008, l’Espagne a fait part de sa volonté d’octroyer 500 millions d’ EUR afin de répondre à la crise actuelle. Ainsi, en janvier 2009, l’Espagne a organisé à Madrid, avec le Secrétariat Général de l'ONU, la Réunion de haut niveau sur la sécurité alimentaire (RANSA), dans le but de contribuer au processus de coordination des différentes institutions impliquées dans le sujet (la FAO, le Programme alimentaire mondial, le Fond International pour le Développement de l'Agriculture, la Banque Mondiale, le FMI), et promouvoir l'initiative du Partenariat mondial pour l'agriculture et la sécurité alimentaire (GPAFS, sigles en Anglais). Lors de la Réunion, le Président Rodriguez Zapatero a accordé 1 milliard d’EUR supplémentaire à ces fins, qui sera versé sur cinq ans. Cette somme de 1,5 milliard d’EUR ne constitue pas de nouvelles ressources mais elle fait partie du compromis d'assignation du budget prévu pour l'AOD. Cependant, il semble bizarre que l’on ne s’interroge pas sur l'impact négatif des politiques agricoles de l'Union Européenne sur la sécurité alimentaire mondiale, qui mettent en risque les possibilités de succès de ces initiatives.

Dans le cadre du G20 et en accord avec ce qui précède, l'Espagne s'est prononcée pour que les Banques multilatérales de développement augmentent leurs flux nets destinés aux pays à faibles et moyens revenus pendant les périodes de basse croissance, mesure faisant partie du plan de mesures qu'il propose pour gérer la crise financière.

La solidarité n’est pas suffisante

Bien que toutes ces initiatives reflètent une certaine solidarité espagnole, elles contrastent toutefois avec sa position dans les matières cruciales pour les pays en développement comme le commerce, l'agriculture, les migrations internationales ou le changement climatique :
 
Commerce : En ce qui concerne la réponse internationale à la crise financière actuelle, un des risques qui pourrait se produire serait que les pays optent pour le protectionnisme commercial comme stratégie unilatérale de sortie de crise. Contrairement à d'autres pays de l'UE, l'Espagne a toujours maintenu une position plus rigide et a eu plus de mal à incorporer le développement comme élément principal des négociations commerciales. Lors de la réunion du G20 tenu fin 2008, on a demandé que les États s'abstiennent d'augmenter leurs tarifs douaniers. Rien n’a été dit sur la possibilité d'utiliser des subventions et des plans étatiques de sauvetage. De cette manière, on a remis en question les seuls outils de protection à la portée de la majorité des pays en développement et on a permis qu’ils deviennent inaccessibles pour ceux-ci (qui peuvent, en outre, s'avérer dévastateurs pour leurs agricultures).

Agriculture : De la même manière, il est préoccupant de constater l'incohérence entre les initiatives globales que l'Espagne soutient et celles que le Secrétariat d'État du milieu rural prétend conduire pour promouvoir une plate-forme européenne visant à bloquer les réformes nécessaires de la Politique Agricole Commune (PAC). Cette initiative a été présentée avec l'intention de la transformer en porte-drapeau de la présidence espagnole de l'UE, en ignorant que les impacts des politiques agricoles des pays riches sont par ailleurs responsables de la dégradation de l'agriculture des pays pauvres et de la crise des prix alimentaires.

Immigration : La crise économique internationale a durement frappé le travail de millions de migrants qui sont directement menacés par le chômage (dans les secteurs de la construction et de l'hôtellerie, les plus touchés par la crise en Espagne, et les principaux employeurs de travailleurs d'origine étrangère). Elle a également eu un fort impact sur les envois de fonds que ces travailleurs envoient à leurs familles et qui constituent un salaire transnational en pleine décroissance3. Face à cette réalité, la réaction du gouvernement espagnol a été décevante : il a proposé des mesures telles que le « plan de retour volontaire » qui n'a pas eu l'accueil attendu parmi la population étrangère parce que les politiques migratrices très fermées font que les immigrants, une fois franchies les nombreuses barrières pour résider en Espagne, ne renoncent pas facilement à ce droit4. En outre, on a éliminé radicalement les places disponibles pour la migration régulière et on a intensifié les contrôles pour détecter, arrêter et déporter les travailleurs en situation irrégulière. En exemple de cela, l'approbation en décembre 2008, de la nouvelle Loi sur l’Asile et le Refuge qui, après la directive européenne approuvée dans le même esprit en juillet 2008, comme l’affirme la Commission Espagnole d'Aide au Réfugié, « renforcera en Europe, le préoccupant développement de politiques non-solidaires et même xénophobes, plus préoccupées par les intérêts des États que par le droit a l’asile » 5.

Changement climatique : Fin 2009 il faudra arriver à la conclusion d’un accord mondial sur le climat qui puisse succéder à l'actuel Protocole de Kyoto. Pour cela il faudra arriver à des consensus en ce qui concerne les principaux sujets en discussion: le partage des efforts pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre et le financement de l'adaptation dans les pays en développement. L'Espagne contribue avec les fonds internationaux déjà existants, bien que comme cela ce passe dans le reste de la Communauté internationale, on soit très loin des nécessités qu’Oxfam chiffre à 50 milliards d’ USD annuels6. En outre, l'Espagne se résiste à assumer de nouveaux compromis de financement pour l‘atténuation et l'adaptation dans les pays en développement. Dans le cadre de l'Union Européenne, on utilise la crise financière comme excuse pour diluer le plan de financement déjà assez limité. On n'est pas arrivé non plus, à un accord sur des mécanismes innovateurs qui permettent de rassembler les fonds nécessaires, comme l’attribution des droits d'émission de gaz, ni sur les compromis qui sont en mesure d’être acquis dans le cadre d'un accord mondial.

1 La contribution d’Intermon/Oxfam à ce document a été réalisé par son équipe de recherche, sous la coordination de Deborah Itriago, et se circonscrit au deuxième point du document: “ l’Espagne à l’extérieur”.

2 En 2008, un Bureau d’Action Humanitaire a été créé au sein de l’Agence Espagnole de Coopération Internationale pour le Développement (AECID).

3 Dans le cas de l’Equateur ou du Mexique, la chute est estimée à 20% environ pour 2008.

4 Le plan consiste à donner aux immigrants la possibilité de toucher la totalité de leur chômage accumulé dans leur pays d’origine, dans le cas ou ils décident de rentrer, et de soutenir les possibles initiatives entrepreneuriales qu’ils pourraient commencer.
En février 2009, seulement 2.000 immigrants environ (alors qu’il y a 200 000 étrangers environ de l’espace non-européen en situation de chômage) avaient souscrit à ce plan.

5 Commission Espagnole d’Aide au Réfugié (CEAR).

6 Oxfam (2008). “Credibility Crunch, Poverty and Climate Change: An Agenda for Rich-Country Leaders”. Juin. Disponible sur : <www.oxfam.org.uk/resources/policy/debt_aid/downloads/bp113_credibility_crucnh.pdf>.