MOZAMBIQUE

MOZAMBIQUE

Pas de développement humain sans dialogue

Custódio Duma1
Social Watch Mozambique

Les exportations et probablement l’industrie touristique locale diminueront comme conséquence de la crise mondiale. La sécurité alimentaire et le développement rural sont en danger en raison de l’absence d’investissements directs et de l’encouragement aux cultures qui servent à la fabrication des biocombustibles. Le Gouvernement ne maintient pas de dialogue avec les citoyens ; de ce fait, il est presque impossible de faire des progrès concernant le développement humain à court et à moyen terme. Le renforcement de la démocratie et une administration publique plus juste et transparente sont toujours les principaux défis.

Le Gouvernement du Mozambique affirme que la crise financière globale n’affectera pas l’économie nationale. Il a donc adopté une politique de suivi du secteur économique et de supervision directe des banques commerciales ; il a porté une attention spéciale aux secteurs pouvant résister à la crise, comme par exemple les projets de production d’énergie ou de gaz. Le gouvernement, par le biais du Ministère de la Planification et du Développement annonce, en outre, que le pays a besoin de 120 millions d’USD pour financer la balance des paiements en 2009, ce qui permettrait d’assurer la stabilité des indicateurs macroéconomiques.

Cependant, la Banque Internationale du Mozambique, Millennium Bim, a publié un rapport où il est prévu que l’économie mondiale décroîtra du fait que les pays qui contribuent au financement du Budget Général de l’État, connu comme G-19, ainsi que ceux qui réalisent des investissements externes directs auront une croissance économique négative. Plus précisément, on prévoit que la chute des prix de l’aluminium, du tabac, du sucre, du thé, de la noix de cajou et des gambas affectera le volume des exportations, ce qui diminuera certaines activités favorisant la croissance économique et réduira le niveau de promotion du tourisme international. 

Inégalité croissante

D’après les données officielles, entre 2000 et 2007 le pays a enregistré une moyenne de croissance annuelle du PIB dépassant 8,5 %. Cette croissance a connu une stagnation en 2008, année où elle a atteint 6,2 % et, pour l’an 2009, on prévoit une croissance proche de 4 %. Cependant, du point de vue du niveau de développement humain et du processus d’amélioration de la qualité de vie de ses citoyens, l’évolution du pays est encore truffée de contradictions. Le PIB évolue positivement (mesuré en pourcentage), alors que le coût de la vie augmente progressivement ; par conséquent, les revenus réels des citoyens diminuent et les inégalités sociales deviennent de plus en plus visibles. Le rapport du PNUD situe le Mozambique au 172ème rang sur une liste de 177 pays classés suivant leur niveau de développement humain2.

Concernant les Objectifs du Millénaire, les Nations Unies reconnaissent les progrès ayant été atteints dans différents secteurs, à savoir la pauvreté, la mortalité infantile et la santé maternelle. Cependant, malgré la réduction du taux de pauvreté (presque 4 % entre 2000 et 2007), plus de la moitié de la population demeure pauvre. D’autre part, il existe des disparités entre les régions nord, centre et sud du pays. Au sud, où se trouve la capitale, Maputo, la pauvreté augmente lorsqu’on s’éloigne de cette grande ville vers le nord ; il en est de même quand on s’éloigne de la ville vers la campagne. Le recensement de la  population de 2007 montre que 70 % de la population mozambicaine habite à la campagne et que plus de 50 % appartient aux régions centre et nord du pays3. Dans les principales villes du pays, de nombreuses familles et groupes de jeunes vivent à ciel ouvert, dans les espaces publics, dans les rues, dans des maisons en ruines et des décharges. Le taux de chômage atteint entre 30 % et 35 % de la population économiquement active. Une organisation juvénile affirme que le nombre de travailleuses sexuelles entre 14 et 25 ans s’est accru depuis les cinq dernières années.

En février 2008, l’augmentation radicale du coût de la vie a entraîné une révolte populaire dont le rôle principal appartient aux femmes et aux enfants d’âge scolaire à Maputo. Plus tard, ce conflit s’est répandu à la province de Gaza et à la ville de Manica, où les principaux services publics ont été paralysés pendant deux jours. L’État, en réduisant le prix des carburants et les subventions aux entreprises de transport, a réussi à éviter des conséquences graves.

Sans transparence

Le Mozambique se prépare pour les quatrièmes élections multipartistes et le gouvernement, élu en 2004, vise à la réélection d’Armando Guebuza. En 2004, Guebuza a  utilisé le combat contre la pauvreté comme cheval de bataille ; il l’a associé à la critique de la permissivité et du désintérêt, considérés comme la cause de bien d’autres maux, tels que la corruption, le manque de transparence dans l’administration publique et le mauvais fonctionnement des services publics. Dans ses discours, il a affirmé que les causes de la pauvreté se sont installées parce que la population manque d’esprit d’entreprise et ne fait aucun effort. Il a même blâmé le colonialisme responsable d’avoir installé dans les mentalités un complexe d’infériorité qui provoque, à l’heure actuelle, des difficultés pour atteindre l’auto libération car la clé pour y parvenir est justement l’augmentation de l’estime de soi.  

Le discours qui met l’accent sur l’estime de soi et sur l’esprit entrepreneur se répand et  toute la classe dirigeante y revient. Pendant ce temps, les services publics tels que le transport sécurisé et de qualité, l’éducation, les services efficaces de santé et la sécurité publique, entre autres, sont toujours rares et inaccessibles pour la plupart des habitants. 

L’enrichissement débridé des individus proches du pouvoir, ou du parti au pouvoir, préoccupe toujours les citoyens et le corps diplomatique accrédité auprès du pays. Une minorité privilégiée détient un niveau de richesse important, face à une majorité exclue et accablée par la pauvreté. Les organisations de lutte contre la corruption, comme le Centre d’Intégrité Publique, mettent l’accent sur l’importance de compter sur une loi capable de contrôler les conflits d’intérêts, du fait que la plupart des entrepreneurs nationaux vont de pair avec avec l’élite politique. Un exemple remarquable est celui du président de la République qui possède des actions dans un grand nombre d’entreprises installées au Mozambique4.

Agriculture et faim

Plus de la moitié de la population survit grâce à l’agriculture de subsistance. Cependant, les investissements dans ce secteur ont été faibles. L’agriculture reçoit entre 3 % et 4 %  par an du Budget Général de l’État, un chiffre trois ou quatre fois inférieur à l’argent destiné aux services de sécurité. Dans ce sens, le pays a encouragé la production de jatrophe, une plante vénéneuse, matière première pour la production de biocombustibles, ayant pour conséquence que plusieurs secteurs de la population ont laissé de côté la production agricole pour se consacrer à la culture de cette plante. La population de Mogincual représente un exemple concret : elle a connu la famine en 2008 à cause de la baisse de productivité agricole et de la priorité donnée à la production de jatrophe, dont le marché n’a pas encore été développé dans le pays5. Les terres choisies pour la culture du jatrophe, notamment dans les provinces de Gaza, Manica, Solafa, Tete et Nampula sont très fertiles ce qui pourrait réduire, dans les années qui viennent, la production pour la consommation familiale et, par conséquent, intensifier le problème de la famine. De plus, des entreprises spécialisées se sont consacrées à d’autres types de cultures destinées à l’exportation comme, par exemple, la canne à sucre.

Défis en éducation et en santé

D’après l’UNICEF, plus d’un million d’enfants sont exclus du système éducatif et un enseignant du Mozambique a sous sa responsabilité une moyenne de 74 élèves6. Pour améliorer l’éducation il serait nécessaire d’abolir les frais d’inscription et, en même temps, d’augmenter les investissements en éducation et en matériel scolaire ainsi que le nombre de professeurs ; l’accès des jeunes à l’éducation devrait être élargi. Le rapport de l’UNICEF signale que les progrès significatifs en matière d’expansion de l’enseignement n’ont pas été accompagnés d’une augmentation des investissements dans le secteur. Il est bien connu que près de la moitié des enseignants primaires n’a pas reçu de formation professionnelle formelle. 

Les services nationaux de santé n’atteignent que 30 % de la population. Plus de 65 % des enfants ont un déficit en vitamine A7. En 2008 le G-19 a injecté dans le budget général 308 millions d’euros environ, et a même conseillé le Mozambique de renforcer la sécurité sociale, l'accès à la justice et la lutte contre la malaria (la maladie la plus meurtrière du pays), le choléra, et le VIH/SIDA. Les programmes pour prévenir et combattre les maladies sont tout à fait insuffisants et sont concentrés dans les principales zones urbaines, au détriment des régions rurales8. Il existe encore d'autres problèmes dans le secteur de la santé tels que le manque de ressources humaines qualifiées pour la formation et le besoin de plus de ressources techniques et financières.

La situation du VIH/SIDA est très grave. La contagion a été estimée à 500 personnes par jour9 et, actuellement, elle atteint 16,2 % de la population. Les Nations Unies affirment que le taux d’incidence est 1,7 fois plus élevé chez les femmes10. Certaines estimations indiquent que le VIH/SIDA réduira la croissance économique per capita du pays entre 0,1 et 0,3 % chaque année. On prévoit que l’espérance de vie va chuter de 37,1 ans en 2006, à 35,9 ans en 201011.

Autres défis

Les pays du G-19 ont demandé au gouvernement de renforcer sa capacité pour garantir la sécurité sociale et d’améliorer l’accès à la justice. Ils ont également manifesté leur préoccupation du fait de l’excès de bureaucratie, du manque d’énergie pour combattre la pauvreté en général et des progrès insuffisants dans le domaine de la lutte contre la corruption ayant été identifiée comme la cause de tous les maux qui freinent le développement du Mozambique.

Pour attaquer l’inégalité de la distribution des revenus, le Gouvernement a créé un fonds connu comme « Sept millions de meticales » (environ 264.000 d’USD), afin de stimuler les districts ruraux, à travers  la formation, pour que la population, organisée en associations, puisse entreprendre des initiatives locales de génération de revenus. Cependant, l’initiative du fonds local a été très critiquée pour avoir été lancée sans objectifs clairs ni modalité d’administration prédéfinie. Les administrations de district ayant été mises en fonction ne possèdent pas les compétences nécessaires à la gestion bancaire ou pour gérer les institutions de micro finances. 

De plus, les travailleurs de ces districts ruraux se trouvent parmi les moins qualifiés du pays. Les rapports publiés jusqu’à maintenant indiquent que, outre les associations fantômes créées pour recevoir l'argent, plus de la moitié des débiteurs ne sont plus susceptibles d’être localisés et il n’y a pas de garanties de remboursement des prêts. Certains critiques affirment que le fonds a été créé pour assurer au Frelimo, parti au pouvoir depuis 1975, une plus grande visibilité et plus de présence dans les districts et dans les zones rurales.

Le programme, démarré en 2007, n’atteint toujours pas de résultats dans la pratique ; les fonds sont administrés de manière subjective, il existe une utilisation politique de l’initiative favorisant notamment les associations de personnes affiliées au parti au pouvoir, le Frelimo.

Le Gouvernement a approuvé une politique salariale de moyen terme dans le but de séduire et de retenir le personnel qualifié, notamment dans les districts ruraux. Mais dans la pratique, les techniciens plus qualifiés préfèrent travailler dans le secteur privé qui leur permet d’accéder à de meilleurs salaires et à de meilleures conditions de travail.

À partir de novembre 2008, le Mozambique a été réorganisé en 43 conseils municipaux (contre 33 auparavant). L’initiative de continuer avec la décentralisation des fonds sectoriels et des compétences concernant leur gestion, est encore en vigueur. Les districts sont considérés comme des pôles de développement ayant commencé le processus de décentralisation de fonds. Il a cependant été vérifié qu’une grande partie du budget est encore administrée au niveau central et/ou provincial. Ces ressources doivent subir une décentralisation similaire à celle de l'administration. Pour ce faire, il faut former les gens et développer les infrastructures, dont l’électricité, le réseau téléphonique et les institutions bancaires. 

De cette manière, le défi de décentraliser les ressources ainsi que les compétences, revient à créer des capacités en matière de ressources humaines.

Conclusions

Bien que le Gouvernement ait réussi à soutenir une politique appréciée à l’étranger, au niveau interne, il n’arrive pas a maintenir un dialogue constant, inclusif et participatif avec les citoyens ; de ce fait, il est presque impossible d’obtenir des progrès vis-à-vis du développement humain à court et à moyen terme. Les faiblesses du système judiciaire ainsi que la discrimination en fonction des préférences politiques, représentent de grands obstacles pour le développement. Le défi est toujours là : la démocratie doit être renforcée et l’administration publique doit devenir plus juste et transparente. 

1 Équipe Technique : Salvador Nkamate – Ligue des Droits de l’Homme,
Karina Cabral – Groupe Mozambicain de la Dette, Jorge Cuinhane – AWEPA
Naldo Chivite – MONASO.  

2 UNDP. “Human Development Indices: A Statistical Update 2008.” New York: United Nations Development Programme. Disponible sur : <hdr.undp.org/en/statistics/data/hdi2008/>.

3 Voir : <www.ine.gov.mz>.

4 Voir : <bvc.cgu.gov.br/bitstream/123456789/1644/1/Corrup%C3%A7%C3%A3o+mo%C3%A7ambique.pdf>.

5 Voir : <macua.blogs.com/moambique_para_todos/2009/02/atraso-na-assist%C3%AAncia-alimentar-trag%C3%A9dia-espreita-mogincual.html>.

6 Voir : <www.unicef.org/mozambique/media_2877.html>.

7 Voir : Rafael Machava, “A situaçao da pobreza en Moçambique: diferenciaçoes regionais e principais desafios”, sur : < www.cecemca.rc.unesp.br/ojs/index.php/estgeo/article/view/542 >.

8 Ibid.

9 Institut Nacional des Statistiques. “Contendo dados do HIV/SIDA.” CD-Rom. 2004.

10 Voir : <www.unaids.org/en/CountryResponses/Countries/mozambique.asp>.

11  Voir : <www.unicef.org/mozambique/overview.html>.