REPUBLIQUE TCHEQUE

La démocratie dans une impasse

Gender Studies, o.p.s.
Linda Sokačová
ADEPTTs
Saša Uhlová
Trast pro Ekonomiku a společnost
Petr Gočev
Ekumenická akademie
Tomáš Tožička

Le président Václav Klaus a déclaré en 2008 que le pays traversait une très bonne période, en ayant « foi dans le présent  ». Cette euphorie tend à disparaître maintenant que l’économie commence à montrer des signes de faiblesse. La réforme des finances publiques, qui a entraîné une diminution des impôts pour les secteurs les plus aisés et l’augmentation de la taxe à la valeur ajoutée (TVA), a créé de plus lourdes charges pour les plus pauvres. Pour certains groupes marginalisés, comme les Roms, la situation est devenue tellement difficile qu’ils ont commencé à émigrer. Un point positif tout de même,  en ce sens que le pays a fait quelques progrès – bien qu’insuffisants – pour diminuer les discriminations de genre.

Le président Václav Klaus a débuté l’année 2008 en déclarant que c’était la meilleure période de l’histoire tchèque et a souligné que l’énorme hausse des prêts et des hypothèques octroyés était un symptôme de « la foi dans de le présent ». Il s’est aussi vanté de la solidité de la monnaie nationale, affirmant que c’était la preuve d’une économie forte. En réalité, la couronne tchèque (CZK) était soutenue artificiellement par la spéculation. Le gouvernement de droite, à l’instar du président, a continué à ne pas reconnaître la situation et à nier que la crise économique mondiale aurait des conséquences dans le pays. Cet optimisme a commencé à s’évanouir seulement lorsque les statistiques et la réalité de tous les jours, vécue par la plupart de la population, ont empêché de nier que la production était en train de dégringoler à une vitesse jamais vue auparavant. La République Tchèque est au cinquième rang des pires performances de l’Union Européenne1.

Les effets des réformes et de la crise

En 2007, le Gouvernement a commencé une restructuration des finances publiques, baissant les impôts des salariés du secteur économique le plus élevé et augmentant la TVA des articles de base. De telles mesures ont augmenté la charge fiscale des familles nombreuses à faible revenu. Tandis que le Ministère des Finances prévoyait pour 2008 une inflation de 3,8 %, l’indice des prix à la consommation est monté à 6,3 %2  et le revenu réel au troisième trimestre 2008 s’est réduit de 2,7 %3 par rapport à 2007. Avant même que les effets de la crise économique mondiale deviennent évidents dans le pays, les prévisions annonçant que les réformes nuiraient à la majorité de la population, se sont réalisées.

La crise économique mondiale, qui commence maintenant à toucher le pays, est en train de diminuer encore plus le niveau de vie. Au troisième trimestre 2008 le nombre de travailleurs au chômage était plus élevé qu’au trimestre précédent, ce qui ne s’était pas vu depuis 2005. Fin 2008 le taux de chômage officiel était arrivé à 4,4 %. Cependant ce chiffre ne comprenait pas les 178.000 personnes n’étant pas activement à la recherche d’un travail. Si l’on ajoutait ce nombre, le taux de chômage serait plus élevé de moitié4. Les travailleurs étrangers, en particulier les asiatiques, sont généralement les premiers à être licenciés et sont ceux qui souffrent le plus. Leur protection légale est inadéquate, la plupart dépendent d’agences de travail, ce qui précarise leur situation d’emploi et un grand nombre d’entre eux se sont endettés pour pouvoir immigrer. En plus de la catastrophe économique au niveau personnel, le retour au pays pourrait mettre en danger la subsistance de leurs familles.

Depuis que les effets de la crise ont commencé à se faire sentir, la moitié des petites et moyennes entreprises ont dû licencier du personnel et réduire la journée de travail, ou se préparent à le faire prochainement5. Les cours à la bourse ont baissé de plus de moitié par rapport à leur niveau maximum en 2007. Cependant le Gouvernement n’a pas abandonné ses projets de privatiser le système des pensions6. Fin 2008 il a commencé à envisager des mesures contre la crise, et ce en grande partie comme réponse à la croissante préoccupation mondiale et aussi à la pression de l’industrie nationale.

L’énorme endettement des foyers a placé l’industrie financière dans une position précaire. Jusqu’à il n’y a pas très longtemps, les prêts personnels augmentaient d’un tiers chaque année. La plupart étaient des dettes hypothécaires, mais presque 20 % correspondaient à des prêts d’institutions non bancaires, principalement à des achats à crédit. Dans certains cas ces prêts ont un taux d’intérêt annuel effectif de plus de 200 %. L’État soutient ce taux en introduisant, par exemple, des mécanismes pour faciliter le recouvrement des dettes. La loi sur la faillite de 2008 comprend une option de faillite pour les particuliers, mais son utilisation est trop compliquée.

La réforme du système de santé

Depuis que le ministre de la Santé a déclaré  « je veux le capitalisme dans le système de la santé », il a tout fait pour y parvenir7. Plusieurs hôpitaux régionaux ont été privatisés et les services soi-disant non lucratifs ont été réduits, principalement les traitements difficiles ou à long terme. La responsabilité de ces cas a été transférée aux grands hôpitaux publics et aux hôpitaux universitaires. En 2008 la dépense publique pour la santé a baissé jusqu’à moins de 7 % du PIB, un des pourcentages les plus bas de l’UE. Environ 20.000 employés (8 %) ont abandonné le système de santé8. La perception de droits sur les services et l’intention de diminuer les retenues pour la sécurité sociale, surtout pour les contribuables les plus riches, sont les clés de la stratégie fiscale régressive du gouvernement.

Les Roms et l’exclusion sociale

Les réformes antisociales et le début de la crise économique ont des effets plus graves sur les secteurs déjà démunis, comme les retraités, les mères célibataires et d’autres groupes très vulnérables. Les Roms ne sont pas tous exclus socialement, cependant la plupart des 250.000 Roms qui vivent dans le pays ont souffert des effets directs de l’économie décroissante. En 2006, dernière année pour laquelle on dispose de données, 80.000 Roms vivaient dans près de 300 localités socialement exclues9. Ceci est dû principalement à la discrimination institutionnalisée et au manque d’intérêt du gouvernement pour résoudre les problèmes des Roms.

En janvier 2008, l’Agence pour l’Intégration Sociale a ouvert ses portes dans des localités roms10 avec pour mission d’élever le niveau de vie des Roms exclus et de faciliter leur intégration dans la société tchèque. Le financement pour l’achat direct de services était supposé être le principal moyen d’y parvenir. Cependant le Gouvernement a donné à l’agence l’ordre d’établir un cadre pour la coopération avec les parties intéressées dans chaque région avant de demander un quelconque service. Le personnel a consacré toute l’année 2008 à cette tâche, après quoi un audit interne a conclu que le point de vue de l’agence violait les politiques du gouvernement.

L’agence s’est avérée décevante. Son mandat est faible. Au lieu d’argent, elle n’offre que des conseils. L’abandon de longue date de la part du gouvernement  et les énormes problèmes économiques ont fait de quelques groupes roms de localités socialement exclues les proies de la haine raciale. Les grandes manifestations organisées par les néo-nazis et d’autres habitants de Litvinov contre les Roms en 2008 en sont un exemple. En avril 2009 une fillette de deux ans a eu de graves brûlures à la suite d’une attaque à la bombe Molotov contre la maison d’une famille rom à Vítkov ; ses parents et d’autres membres de la famille ont également été blessés.

Le Gouvernement a attribué aux difficultés économiques l’augmentation des demandes d’asile des Roms au Canada pendant l’année 2008. Mais ces difficultés sont seulement une partie des diverses raisons qui les poussent à émigrer. Les Roms ne se sentent pas bien accueillis en République Tchèque et craignent la vague croissante de violence fasciste11.

La situation de la femme

La participation des femmes dans la vie publique et dans la prise de décision continue à être infime. Néanmoins, le Gouvernement n’a adopté aucune mesure pour diminuer l’inégalité entre hommes et femmes dans les postes politiques et décisionnels. La proportion de femmes à la chambre basse du parlement est de 15,5 %, ce qui, selon les données de l’Union Interparlementaire, place le pays au soixante-neuvième rang. A l’exception du système judiciaire, où 64,5 % des juges des tribunaux de district et 60,4 % des juges des tribunaux régionaux sont des femmes, elles occupent moins de 25 % des postes législatifs et exécutifs. Même au sein du pouvoir judiciaire, au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie la proportion de femmes diminue.

Le pays a réalisé des progrès significatifs ces dernières années en ce qui concerne la violence contre les femmes, en approuvant des lois qui condamnent la violence au foyer et le harcèlement. Cependant ces mesures s’avèrent encore insuffisantes pour réduire toutes les formes de violence sexiste. Malheureusement les groupes de femmes organisées ont du mal à trouver le financement nécessaire, en partie en raison de leur exclusion du concours de subventions 2008 promu par le Ministère du Travail et des Affaires Sociales, qui stipule que les projets  « ne doivent pas contenir d’éléments politiques et ne peuvent promouvoir aucune cause politique ou idéologique, y compris l’idéologie féministe ». En conséquence de quoi, beaucoup de ces groupes ont dû arrêter leurs activités.

Le système légal tchèque n’a pas de lois interdisant la discrimination. Le président a opposé son véto pour la loi contre la discrimination qui aurait aligné la législation du pays sur la loi européenne. Une majorité absolue au parlement est nécessaire pour annuler le véto présidentiel. En attendant que cela soit un fait, la République Tchèque viole ses engagements en tant que membre de l’UE. Il existe encore de sérieuses lacunes dans la protection des droits individuels. Elles sont particulièrement évidentes dans le code du travail, qui avait été modifié par la loi rejetée par le président.

Sur le plan économique, les statistiques montrent que beaucoup plus d’hommes que de femmes entre 20 et 35 ans sont économiquement actifs. Ceci s’explique fondamentalement parce que l’on considère encore que l’éducation des enfants est surtout une responsabilité des femmes. Il s’agit seulement ici de l’un des nombreux stéréotypes en matière de genre concernant la maternité qui place les femmes en position désavantageuse sur le marché du travail – lors de l’embauche, au cours de la carrière professionnelle et pour l’accès à l’amélioration de leur formation.

L’inégalité entre hommes et femmes par rapport au revenu était de 19,8 % en 2007, la moyenne la plus élevée d’Europe. Presque deux cinquièmes des femmes (39 %) et un quart des hommes (2 %) pensent que les femmes sont moins payées que les hommes pour le même travail. Les enquêtes d’opinion montrent que les personnes considèrent que l’âge (64 %) et le genre (45 %) sont les barrières les plus fréquentes pour réussir sur le marché du travail12.

En janvier 2008 le Gouvernement a adopté une nouvelle politique sur les allocations familiales, dénominée permis parental  « à trois vitesses ». Les parents peuvent maintenant choisir pendant combien de temps ils bénéficieront de l’allocation familiale. La durée détermine le bénéfice mensuel. Les femmes qui perçoivent des revenus plus élevés en touchent davantage et celles qui perçoivent des revenus plus faibles, moins. Le Ministère du Travail et des Affaires Sociales, qui est très conservateur sur les questions de discrimination de genre, refuse de soutenir et de développer les institutions de l’aide à l’enfance et a l’intention d’éliminer les crèches, dont le nombre s'élève seulement à 40 dans tout le pays. La série de mesures du gouvernement dénominée pro-famille ne comprend pas le soutien intégral aux institutions d’aide à l’enfance.

Un autre problème est le manque de soutien aux politiques qui allient les programmes d’aide à l’enfance et à la famille avec les activités qui encouragent l’intégration des femmes immigrantes. Ces femmes ont une position désavantageuse pour entrer sur le marché du travail, puisqu’elles ne possèdent pas de qualifications ni de connaissances académiques. De même, les chances de trouver du travail pour les mères célibataires sont très minces. Les immigrants des deux sexes doivent en général se contenter d’occuper les postes les moins intéressants et les moins bien payés, mais ce sont les femmes immigrées qui le plus fréquemment subissent un traitement inégal. Ceci est dû en partie à leur ethnie ou leur nationalité, mais aussi à la discrimination de genre lors de l’embauche, ainsi qu’à l’inégalité des conditions de travail et des salaires13.

La coopération au développement

L’Aide Officielle au Développement (AOD) tchèque est destinée en grande partie à la coopération en matière de transformation. Son objectif est de promouvoir la démocratie dite de style occidental dans les pays de l’ex-URSS, à Cuba, en Birmanie et en Iraq. D’après le Gouvernement cette approche se justifie principalement par l’expérience de la République Tchèque dans la transformation postcommuniste. Cependant le gouvernement a renoncé à remplir son engagement envers l’UE qui était d’augmenter l’AOD. L’augmentation a pris fin en 2007 et l’aide a diminué pour la première fois en termes réels de pourcentage du revenu national brut (RNB), de 0,12 % à 0,11 %, en dépit de la pression des ONG et d’autres organisations. Les fonctionnaires ministériels ont informé le Comité des Affaires Etrangères du parlement que le pourcentage de la contribution augmentera, principalement grâce à une diminution du RNB. Le programme n’est pas transparent : en 2008 il n’y a pas eu d’appel d’offres ouvert pour le projet de transformation à Cuba. Les projets qui ont obtenu le financement ont été cofinancés par des institutions néolibérales des États-Unis, comme la Fondation Nationale pour la Démocratie.

Les ONG et les médias

Les ONG tchèques subissent une énorme pression financière ; elles dépendent de plus en plus de leur financement public ou de fondations étrangères – très peu de celles-ci apportent un soutien significatif aux initiatives civiques indépendantes. Ceux qui accèdent aux subventions doivent remplir certains critères politiques et leurs activités doivent être conformes aux  politiques du donateur. Pour éviter la critique et l’exclusion, la plupart des organisations évitent l’activisme et se concentrent sur l’offre de services. L’aide économique la moins restrictive provient de la Commission Européenne, particulièrement des fonds gérés directement par la Commission. La campagne civique la plus importante continue à être Les Tchèques contre la Pauvreté ”, qui fait partie de l’Action Mondiale contre la Pauvreté et qui se centre sur la défense et l’accomplissement des Objectifs du Millénaire pour le Développement.

Le journalisme indépendant n’existe pratiquement pas. Les médias fournissent une information sélective et incomplète ; leur objectif semble souvent soutenir les intérêts de groupes économiques et politiques particuliers. En raison de cette atmosphère, la République Tchèque se trouve dans une impasse.

 

1 Voir : <www.ct24.cz/ekonomika/ceska-republika/45209-smutny-pohled-do-statistik-prumysl-v-prosinci-klesl-o-14-6-procenta/>.

2 Voir : <www.czso.cz/csu/redakce.nsf/i/mira_inflace>.

3 Voir : <www.czso.cz/csu/csu.nsf/informace/cpmz120108.doc>.

4 Voir : <www.czso.cz/csu/csu.nsf/informace/czam020209.doc>.

5 Voir : <ekonomika.ihned.cz/c1-34782520-temer-polovina-ceskych-firem-rozda-kvuli-krizi-vypovedi>.

6 Voir : <www.cbw.cz/cs/article/penzijni-reformamene-statuvice-sobe.aspx>.

7 Voir : <www.cuni.cz/IFORUM-5916.html>.

8 Voir : <osz.cmkos.cz/CZ/Z_tisku/Bulletin/12_2008/39.html>.

9 Voir : <www.mpsv.cz/files/clanky/3043/Analyza_romskych_lokalit.pdf str.15>.

10 Voir  <www.socialni-zaclenovani.cz/>.

11 Taylor, L. (2008). “ Czech minister blasted by Roma ”. The Star, le 19 novembre. Disponible sur: <www.thestar.com/News/GTA/article/539490>.

12 En septembre-octobre 2008 une enquête quantitative a été réalisée pour savoir comment les employés hommes et femmes percevaient l’égalité des chances, et s’ils considéraient que leur employeur leur permettait d’harmoniser leur travail avec la vie privée et la famille. Voir Gender Studies, o.p.s., disponible sur: <www.genderstudies.cz>.

13 Krchova, A., Viznerova, H. y Kutalkova, P.Zeny migrantky v Ceske republice. Uvedeni do problematiky.Praga: Fes Prag. 2008.