Tunisie : Multiplication des atteintes au droit au rassemblement pacifique

Manifestation à El Nafsia, Tunisie.
(Photo : cjb22/Flickr/CC)

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) et l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), s’inquiètent vivement de la recrudescence d’actes de violence policière à l’encontre de manifestants pacifiques.

Le 14 avril 2012, un sit-in organisé par un groupe de jeunes chômeurs dans la cité El Malaha à Radès (banlieue sud de Tunis) pour protester contre les résultats d’un concours de recrutement par la société tunisienne d’Acconage et de Manutention (STAM), a été violemment dispersé par les forces de l’ordre.

Les unités d’intervention rapide se sont ensuite déplacées vers le quartier populaire de Malaha qu’elles ont quadrillé et ont procédé à un ratissage d’une rare violence : jets de grenades lacrymogènes à l’intérieur des maisons, asphyxiant sans discernement enfants, femmes et personnes âgées, entrées par effraction dans les habitations, fracassant les portes, saccageant le mobilier et matraquant quiconque sur les lieux.

La LTDH a affirmé que les violences ont particulièrement ciblé les femmes et que 22 personnes ont été arrêtées dont cinq ont été liberées avec des traces apparentes de mauvais- traitements et de torture sur le corps. Certains journalistes qui ont essayé de couvrir les événements ont été molestés ou dissuadés par l’usage intensif de bombes lacrymogènes.

Des membres de la LTDH, venus constater la situation ainsi que Maya Jribi, Secrétaire générale du Parti républicain, élue de la circonscription de Radès, ont été bousculés et verbalement agressés par des personnes non identifiées.

Ces actes de répression à l’encontre de manifestants surviennent quelques jours à peine après la répression policière de la manifestation pacifique qui s’est tenue à Tunis le 9 avril 2012. Ce jour, plusieurs centaines de personnes s’étaient en effet rassemblées à Tunis pour commémorer la journée des martyrs, fête nationale en mémoire des nationalistes tunisiens tués en 1938. Afin de dénoncer l’interdiction par le ministère de l’Intérieur de manifester sur l’Avenue Habib Bourguiba suite à des incidents qui y étaient survenus le 25 mars , les manifestants ont cherché à défiler sur cette artère.

Les forces de police ont alors tenté de disperser les manifestants en utilisant des matraques et de grandes quantités de gaz lacrymogène projeté souvent à une courte distance des manifestants. Plusieurs témoins, ont également rapporté la présence de groupes d’hommes en civils munis de bâtons, de pistolets à gaz lacrymogène et même de fusils mitrailleurs, ayant participé à la répression des manifestants. Des défenseurs des droits de l’Homme, notamment plusieurs membres de la LTDH, du CNLT, de l’ATFD ainsi que plusieurs députés, des représentants de partis politiques et des journalistes ont été délibérément pris pour cible.

Les femmes ont fait l’objet de violences verbales et physiques particulières. Plusieurs cas de suffocations et des dizaines de blessures à la tête, aux bras et aux jambes ont été documentés par les ONG tunisiennes.

Le 7 avril 2012, une manifestation pacifique organisée par des diplômés chômeurs avait été violemment dispersée par les forces de l’ordre. Et quelques jours plus tôt, le 3 avril 2012, trois membres du Parti tunisien, dont la présidente Maryem Mnaouer avaient déjà été l’objet de violences lors de leur arrestation par les forces de l’ordre pour avoir participé à un rassemblement organisé en soutien aux blessés de la révolution, devant le ministère des Droits de l’Homme et de la justice transitionnelle à Tunis.

Les manifestants réclamaient une meilleure prise en charge des blessés de la révolution et dénonçaient le « laxisme administratif » du gouvernement. Les trois personnes arrêtées ont déclaré avoir été malmenées, insultées, menacées alors qu’elles étaient interrogées au poste de police du Bardo. Elles ont ensuite été relâchées sans qu’aucune charge ne leur soit signifiée. Toutefois une instruction judiciaire serait depuis ouverte contre Maryam Mnaouer.

La FIDH, la LTDH, le CNLT et l’ATFD expriment leurs plus vives préoccupations face à cette recrudescence des violences de la part des forces de l’ordre à l’encontre des manifestants pacifiques. Elles s’inquiètent par ailleurs des témoignages concordants relatant la présence d’hommes armés n’ayant pu être identifiés comme des agents des forces de l’ordre et auteurs d’actes de violences à l’encontre des manifestants.

La FIDH, la LTDH, le CNLT et l’ATFD appellent les autorités compétentes à diligenter des enquêtes indépendantes et impartiales pour que toute la lumière soit faite sur les violences perpétrées et que les responsables de ces actes aient à en rendre compte devant la justice, et à engager rapidement une vraie réforme structurelle de la police.

Elles appellent enfin les autorités tunisiennes à agir dans le respect des engagements internationaux de la Tunisie et notamment à protéger le droit au rassemblement pacifique tel que garanti par l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par la Tunisie en 1968.

Source
FIDH : http://bit.ly/IgQtck