L’Ouganda : Les femmes défenseures des droits humains traitées comme des criminelles
Published on Wed, 2012-08-29 08:39
S’il est vrai que le travail du sexe est illégal en Ouganda, fournir des services et appuyer les travailleuses du sexe ne le sont pas. Mais les femmes défenseures des droits humains qui œuvrent en faveur des droits, de la santé et de la sécurité des travailleuses du sexe sont poursuivies, harcelées et arrêtées, a informé Katherine Ronderos dans un article que fait partie de la série hebdomadaire des « Dossier de Vendredi », de l’AWID qui explore des thèmes et évènements importants à partir de la perspective des droits des femmes. Le 13 juillet 2012 à 10h00, Mary et son petit-ami ont vu l’officier responsable du commissariat de police de Nakulabye, M. Kirumira Mohammed, défoncer leur porte et ordonner à Mary de se dévêtir avant d’appeler ses hommes pour prendre des photos d’elle nue. Trois jours après, les photos nues de Mary ont été publiés dans le tabloïde local « Kamunye », avec une légende signalant qu’elle avait été surprise en pleine relation sexuelle dans un lodge. Mary a du payer à la police 100 000 shillings ougandais pour pouvoir être libérée. Le samedi 14 juillet 2012 à 09h00, Clare, visiblement enceinte, a été battue, rouée de coups et placée dans un fossé immonde rempli d’eaux usées pendant deux heures, accusée de prostitution par l’officier de police Mohammed. Anne a été battue avec une matraque en métal par l’officier de police Mohammed alors qu’elle travaillait comme serveuse pour sa tante le 15 juillet 2012 à 19h00. Elle a fait une chute en tentant de s’échapper et a été conduite au commissariat de police. On l’a fait s’asseoir par terre et l’officier Mohammed a introduit une matraque dans son vagin en disant « pourquoi donc est-ce que vous, les prostituées, vous ne portez pas de sous-vêtements », avant de la frapper sur la tête en lui exigeant 200 000 shillings pour le lendemain si elle ne voulait pas finir enterrée a Nsangi. Mary, Clare et Anne* sont trois femmes parmi les nombreux cas de travailleuses du sexe que l’organisation Women’s Organization Network for Human Rights Advocacy (WONETHA) défend contre la discrimination, le harcèlement et les abus. Juridiquement créée en 2008, WONETHA œuvre en faveur de la santé et du bien-être économique et social des travailleuses du sexe adultes en Ouganda. WONETHA reconnait et respecte les droits des travailleuses du sexe qui souhaitent abandonner la prostitution et les prépare à gagner leur vie autrement, en promouvant leurs qualités de chef, leur autonomisation économique, leur développement personnel et leur esprit d’entreprise. Surtout, WONETHA fournit des informations sur le VIH et le sida, et sur la santé et les droits sexuels et reproductifs.
La défense des droits des travailleuses du sexe : un délit passible de sanctions pénales Bien que le travail du sexe soit illégal dans de nombreux pays, un rapport élaboré en 1998 par l’Organisation internationale du travail des Nations Unies appelle à la reconnaissance économique de l’industrie du sexe. Cette reconnaissance englobe une extension des droits du travail et des bénéfices pour les travailleurs du sexe et l’amélioration des conditions de travail dans ce secteur. Le travail du sexe est illégal en Ouganda et les autorités s’entêtent à considérer que toutes les activités des travailleurs-euses du sexe sont elles aussi illégales, en allant même jusqu’à les qualifier de « criminelles ». Les organisations non gouvernementales (ONG) qui fournissent des services aux travailleuses du sexe font l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires de leurs personnels, de perquisitions de leurs bureaux et de saisies de leurs locaux. En 2010, le ministre ougandais de l’éthique et de l’intégrité a empêché la réalisation d’un atelier régional organisé à Kampala par WONETHA au profit des travailleuses du sexe. Il a expliqué cette mesure en affirmant que les travailleuses du sexe utilisaient la lutte contre le VIH et le sida come excuse pour enfreindre la loi et qu’il était temps que WONETHA cesse d’avancer l’argument des droits humains pour justifier ces « crimes ». Kyomya Macklean, coordinatrice de WONETHA, signale : « C’est totalement absurde. Le travail du sexe est peut-être illégal en Ouganda, mais fournir des services aux travailleuses du sexe ne l’est pas ». Le but de la conférence était de promouvoir les qualités de chef, l’autonomisation économique, le développement personnel et l’esprit d’entreprise des travailleuses du sexe. Le 7 mai 2012, un groupe d’officiers des forces de police ougandaises a agressé physiquement et arrêté deux membres du personnel de WONETHA suite à leur refus de conduire les officiers de police au centre d’accueil de l’organisation situé dans la ville de Gulu. Sans même disposer d’un mandat d’arrestation ou de perquisition, la police a passé au peigne fin les bureaux pendant plus d’une heure, examiné des dossiers, des livres, des prospectus, des brochures et d’autres documents contenant des informations sur les membres de WONETHA et accédé à leurs ordinateurs. Les officiers de police ont confisqué un ordinateur, des livres de caisse, des brochures, des propositions de projets et des préservatifs. Les deux membres du personnel de WONETHA ont été détenues au commissariat de police sans être informées des chefs d’accusation qui leur étaient imputés. Trois amies se sont rendues au commissariat de police pour savoir ce qui s’était passé et ont également été arrêtées et qualifiées de travailleuses du sexe. Ce n’est que le 9 mai que les cinq femmes, ayant accepté de faire des déclarations officielles en présence de leurs avocats, ont été informées des accusations qui pesaient contre elles. Il a été communiqué à leurs avocats que l’affaire avait été portée devant le Procureur général et qu’une décision immédiate avait été rendue. Les cinq femmes ont été accusées de « vivre de la prostitution »[3] et risquent une peine de sept ans d’emprisonnement. Une caution de 500 000 shillings pour les détenues et de 1 000 000 schillings de garantie a été accordée à trois d’entre elles. Les deux autres femmes resteront en détention jusqu’à ce qu’elles puissent payer la caution. Elles sont actuellement confrontées à un procès et empêtrées dans de longues procédures juridiques, et les audiences préliminaires programmées ont été annulées trois fois à la dernière minute. La dernière audience, prévue le 31 juillet, a été annulée et au moment de la rédaction du présent article, la nouvelle date n’était pas encore connue.
Le statut juridique du travail du sexe en Ouganda En Ouganda, le travail du sexe, généralement appelé prostitution, est illégal et passible de sanctions pénales. Le cadre juridique est basé sur la croyance que l’application de la loi et la répression peuvent et doivent réduire la prostitution. Dans la section 138 du Code pénal qui définit les termes prostitué-e et prostitution, la culpabilité relativement a l’infraction est limitée aux vendeurs-euses de sexe (qui sont pour la plupart des femmes pauvres) et non pas aux clients (essentiellement des hommes). Qui plus est, les tiers tels que les proxénètes, les propriétaires de maisons closes, les annonceurs et les trafiquants d’être humains risquent des sentences pouvant aller jusqu’a sept ans d’emprisonnement pour motif de « vivre totalement ou en partie de revenus provenant de la prostitution » ce qui signifie que les personnes dépendant d’une travailleuse du sexe, par exemple ses enfants ou parents âgés, risquent d’être mis dans le même sac. Le contexte socioculturel et économique en Ouganda permet d’expliquer certaines des raisons pour lesquelles les femmes décident de se prostituer, à savoir la pauvreté, la violence familiale, la condition d’orphelin-e-s, les conflits armés, la violence sexuelle et les grossesses hors mariage, entre autres. Le désavantage social, la discrimination et la pénalisation de la prostitution rendent les travailleuses du sexe particulièrement vulnérables à la stigmatisation et aux abus sexuels et physiques de la part des responsables de l’application de la loi. Pour appliquer la législation actuelle qui condamne le travail du sexe, la police ougandaise agit tant dans les limites qu’en dehors de la légalité pour commettre des abus et harceler les travailleuses du sexe. D’après WONETHA, les travailleuses du sexe subissent quotidiennement la violence exercée par la police, qui se traduit par des viols, des agressions physiques et l’aspersion de gaz poivré sur leurs organes génitaux. La loi est devenue un instrument de harcèlement et d’abus pour la police. Dans la plupart des cas, les arrestations ne font pas l’objet de poursuites devant les tribunaux et les travailleuses du sexe se voient dans l’obligation de choisir entre payer une caution pour pouvoir sortir de prison ou bien être violées par les personnes censées être responsables de l’application de la loi.
Défendre les femmes défenseures des droits humains Les femmes défenseures des droits humains œuvrent en vue de protéger, d’appuyer et de défendre les droits des travailleuses du sexe victimes d’attaques en Ouganda. WONETHA a été faussement accusée de promouvoir et de tirer profit de la prostitution et de faire fonctionner une maison close dans ses locaux. D’après Kyomya Macklean, « les personnes qui défendent les droits humains sont souvent perçues comme des ennemis de la culture, de la religion et de l’État. Les institutions culturelles et religieuses considèrent que les travailleuses du sexe ont un comportement diabolique, anti-africain et inhumain, ce qui a de lourdes conséquences sur les progrès du travail mené en faveur des droits humains en Ouganda ». Les femmes défenseures des droits humains sont également victimes de stigmatisation en raison des sources de financement de leurs activités. L’Ouganda ne fournit aucune ressource financière pour ce type d’activité, en conséquence, la plupart des financements viennent de l’étranger, ce qui ne fait qu’accroître la perception que la promotion de programmes externes menace la souveraineté nationale. Les ONG sont réduites au silence car elles sont considérées comme une menace plus importante que le parti politique d’opposition. Le gouvernement a appuyé des dispositions juridiques visant à restreindre le travail mené par les femmes défenseures des droits humains, y compris le projet de loi sur l’interception des communications de 2007 et le projet de loi anti-homosexualité qui a été soumis plusieurs fois au Parlement, la dernière fois en 2011.
Un tollé international La Coalition internationale des femmes défenseures des droits humains considère que la descente effectuée dans les locaux de WONETHA et l’arrestation arbitraire des membres de son personnel constitue une violation de la législation internationale et régionale des droits humains à laquelle l’Ouganda a adhéré. Dans sa dernière déclaration publique, la Coalition internationale des FDDH a affirmé que l’arrestation et les accusations portées à l’encontre des cinq femmes sont « une tentative de pénaliser les activités légales d’une organisation des droits humains des femmes, un comportement exclusivement fondé sur la discrimination à l’égard des travailleuses du sexe ». La Coalition internationale des FDDH appelle le gouvernement ougandais à : ■ « Retirer immédiatement les accusations portées à leur encontre. ■ Réaliser dans les plus brefs délais une enquête impartiale sur la descente effectuée dans le centre d’accueil de WONETHA et l’arrestation de son personnel, et assurer que les coupables seront traduits en justice. ■ Garantir la mise en œuvre de mesures efficaces afin de permettre au centre d’accueil de WONETHA à Gulu de poursuivre ses activités en tant qu’organisation des droits humains des femmes. ■ Assurer la mise en œuvre de l’ensemble des mesures nécessaires en vue de garantir l’intégrité physique et psychologique des membres de WONETHA, y compris la prévention des attaques à leur encontre motivées par les stéréotypes et la discrimination fondés sur le genre. ■ Assurer la mise en œuvre de l’ensemble des mesures nécessaires afin que les femmes défenseures des droits humains des travailleuses du sexe ne soient plus traitées comme des criminelles pour des raisons discriminatoires, conformément à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ACHPR), y compris par le biais de réformes législatives ». Source
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