IRAQ

L’autonomisation de la femme : une démarche mal comprise

Amal Shlash1

La Constitution iraquienne de 2005 a tâché d’inclure des mesures visant à encourager l’autonomisation de la femme ; or, la législation doit se doubler aussi d’une culture de l’égalité des chances. Pendant la période actuelle de transition, la femme non seulement a perdu la plupart des avantages offerts jusqu’ici par l’État, mais elle subit de façon disproportionnée le recul  du pouvoir de l’État, l’insécurité découlant de l’instabilité politique, le collapsus des activités économiques dû à la guerre et la détérioration des structures sociales. L’augmentation de la violence à l’égard de la femme requiert l’intervention urgente de tous les acteurs sociaux.

On a pu voir à travers les expériences recueillies dans de nombreux pays que le passage à un gouvernement démocratique peut aider à rompre les entraves institutionnelles et culturelles freinant l’autonomisation de la femme. Or, pour en arriver là, il incombe aux femmes elles-mêmes de revendiquer l’égalité de leurs droits. Qui plus est, alors que les démocraties naissantes ont la possibilité de réformer les sociétés en instaurant les libertés élémentaires, un gouvernement démocratique, un marché libre et les droits de la personne humaine, il s’avère que l’insécurité liée au conflit peut saper à la base de si beaux résultats. Quand la transition s’effectue pendant un conflit, la mise en place d’un système démocratique constitue la priorité suprême et peut reléguer à un deuxième plan l’impératif de l’égalité. S’il en est ainsi, il est probable que lors de cette transition, l’inégalité des sexes tende à s’accroître au lieu de diminuer.

Le rôle de l’État et la transition

Depuis l’établissement de l’Iraq moderne, l’État a favorisé l’autonomisation institutionnelle de la femme en lui ouvrant plus grand les portes de l’éducation, des services de santé et du monde du travail qualifié. Le niveau professionnel de la femme a fait un bond en avant, principalement dans les domaines socialement mieux acceptés de l’Éducation et de la Santé. Par exemple, pendant la période 1997-2004, 68 % du corps enseignant étaient des femmes et le taux global de participation de la femme dans le service médical se situait entre 30 % et 60 %. Avant 2003, les femmes représentaient 46 % des employés du secteur public et elles étaient les principales prestataires de services et d’aide sociale dans les secteurs de l’Éducation et de la Santé, particulièrement dans les domaines utiles à la femme. Cependant, l’État n’a pas vraiment été conscient que l’autonomisation ne s’obtient pas par la seule promulgation de lois et qu’elle n’est possible que lorsque la société respecte ces lois – ce qui à son tour exige des changements culturels. L’autonomisation de la femme ne peut prospérer que s’il existe une culture d’égalité des chances dans tous les domaines.

Les étapes de transition impliquent souvent une révision du rôle joué par les institutions et les mécanismes de l’État afin de mieux les ajuster à la réalité et de promouvoir l’égalité entre les citoyens des deux sexes. Mais en Iraq les réformes se sont accompagnées du démantèlement de l’État qui, de ce fait, fut incapable d’assumer plus avant ses responsabilités et d’offrir les services-clés nécessaires à l’économie de la transition. Ni le secteur privé ni la société civile n’ont été capables d’assumer ce rôle et d’offrir de tels services et les femmes ont perdu alors la plupart de leurs avantages sociaux ; entre autres, le système des crèches mis en place par l’État.

Indicateurs du développement, emploi et biens

L’imposition de sanctions et la crise politique et économique grandissante, de même que l’insécurité et le conflit générés depuis 1990, ont aggravé la situation des femmes par rapport aux hommes dans les dernières décennies. D’après différents indicateurs-clés  du développement humain, elles se retrouvent dans une situation pire qu’avant. En 2007, alors que l’espérance de vie de la femme (62 ans) était nettement plus élevée que celle de l’homme (55 ans), 30 % des femmes de plus de 15 ans étaient analphabètes contre 14% pour les hommes. Sur la totalité des inscriptions scolaires, tous chiffres mélangés (école primaire, intermédiaire et secondaire) 55 % concernaient les filles et 68 % les garçons. Le taux de chômage était également plus élevé chez les femmes : 23 % contre 16 %. Les salaires perçus par les femmes atteignaient seulement 11% du montant des salaires que percevaient les hommes. Le travail agricole représente 60% des heures totales de travail hebdomadaire pour la femme et seulement 22 % pour l’homme, ce qui aide à expliquer les faibles revenus de la femme puisque, comme on le sait, celle-ci ne touche généralement pas de rémunération pour le travail agricole qu’elle fournit, et cela met en relief une faible productivité. En 2007 l’Indicateur du Développement Humain de l’Iraq était de 0,627 alors que l’Indicateur Sexospécifique du Développement Humain était de 0,584.

En général, le taux de participation de la femme dans l’activité économique est considérablement plus faible que celui de l’homme (21 % contre 79 % en 2004). La transition vers une économie de marché ouvert offrira peut-être plus d’opportunités, ainsi que des défis plus importants pour la femme irakienne. L’ouverture du marché offrira peut-être de nouvelles possibilités dans le secteur privé, ce qui entraînera un redoublement de la concurrence au niveau de l’emploi et des compétences exigées, alors que le système éducatif n’offre pas une formation égalitaire. En plus, il y aura moins d’emplois pour la femme dans le secteur public. L’article 23 de la Constitution de 2005 garantit « le droit des Iraquiens à la propriété » sans aucune discrimination de sexe. Bien qu’il n’existe pas de données qui évaluent la possession de biens tels que la terre, les propriétés et les entreprises, il est  possible d’affirmer qu’en général, les femmes possèdent moins de biens financiers que les hommes. Par exemple, l’immense majorité des parcelles de terre et des logements figure sur les registres au nom de l’homme et ce sont les hommes qui prévalent clairement quant à la propriété et l’administration du secteur privé. De plus, les femmes qui sont chef de famille – soit 11 % des familles – sont propriétaires d’une quantité de biens moindre en comparaison d’autres femmes.

Le statut personnel de la femme

La nouvelle Constitution de 2005 a essayé d’inclure différentes mesures positives pour la femme. Par exemple, la femme peut désormais transmettre sa nationalité à ses enfants (article 18). Cependant, elle contient aussi plusieurs articles, clauses et conséquences qui peuvent être considérées discriminatoires. C’est le cas de l’article 41 qui établit que « les Iraquiens sont libres d’agir en fonction de leur statut personnel selon leur religion, leurs croyances, leurs doctrines ou leurs choix », ce qui permet des interprétations variées de la sharia islamique et de mettre des barrières en termes d’égalité juridique, surtout dans des questions ayant trait au Code Civil comme  le mariage et le divorce. La variété des interprétations peut donner lieu à des procédures distinctes dans les différentes provinces, dans les populations urbaines ou rurales ou entre les membres de différentes religions. Ces prévisions sont considérées comme un retour en arrière si on les compare avec les prévisions de la Loi Nº 188/1959 qui règlementait toutes les questions concernant le mariage, le divorce, la succession, la tutelle et la garde de l’enfant pour tous les Iraquiens, quelle que soit leur secte2.  De fait, l’article 41 de la Constitution contredit la garantie fondamentale contenue dans l’article 14 de la loi, qui établit que « les Iraquiens sont égaux devant la loi sans discrimination aucune de sexe ou de race ». Une telle contradiction compromet l’unité de la législation applicable de manière universelle.

À l’heure d’offrir une protection à la femme et d’interdire la violence exercée contre elle, les stipulations constitutionnelles aussi bien que les juridiques peuvent s’avérer insuffisantes. La Constitution, par exemple, ne se réfère pas de façon spécifique à la femme quand elle aborde le thème de la violence dans le chapitre sur les droits. L’article 4 ne considère pas la violence conjugale comme un délit spécifique. L’article 44 établit que « les Iraquiens sont libres de se déplacer, de voyager et de résider en Iraq ou en dehors », mais dans la pratique la loi ne permet pas qu’une femme de moins de 40 ans obtienne un passeport sans l’autorisation d’un tuteur. Pour prendre un autre exemple, la femme a droit à l’égalité des salaires, mais la loi ne prévoit pas les mesures associées nécessaires qui garantissent l’égalité en matière de promotions professionnelles. De sorte que même si la Constitution prévoit la non discrimination de jure contre la femme, il existe des facteurs juridiques, sociaux et culturels qui représentent souvent autant de barrières de facto pour son application. Le climat juridique et législatif dans la région du Kurdistan semble être assez positif. Par exemple, là-bas on applique la Loi Nº 188 sur le Statut Personnel, rédigée en 1959, mais considérée progressiste pour l’époque, et la Commission de la condition de la femme a réussi à introduire quelques amendements. En 2007 des conditions supplémentaires ont été imposées pour les cas de polygamie, la circoncision féminine a été interdite et les règlementations relatives au divorce ont été changées afin de favoriser davantage la femme.

En 1986 l’Iraq a ratifié la Convention sur l’Élimination de toutes les Formes de Discrimination à l’égard des Femmes (CEDAW), sous réserve des articles 2, 9 et 29. De telles réserves, en effet, annulent les dispositions de la Convention sur l’égalité des femmes et des hommes. Depuis le début de la transition en 2003, les organisations de femmes ont vainement essayé que ces réserves soient retirées. D’autre part, la Constitution ne comprend aucun article qui reconnaisse que la ratification des conventions internationales est contraignante pour l’État. De toutes manières, le nouveau régime a rejeté les compromis ratifiés par son antécesseur vis-à-vis des conventions internationales, particulièrement la CEDAW, sous prétexte qu’elles sont en contradiction avec la sharia3.

Participation dans  la prise de décision

En 2003 un système de quotas à été introduit pour la participation de la femme dans la vie politique et la nouvelle Constitution prévoit aussi des mesures favorisant les minorités, en décrétant dans l’article 49  un quota pour la femme non inférieur à 25 % des sièges du Parlement. La Loi Électorale Nº 6 de 2005 stipule que les listes des candidats pour les élections doivent également respecter ce quota. Lors des élections de 2005, les femmes ont obtenu 87 sur les 275 sièges de l’Assemblée Nationale (31 %). Lors des élections aux Conseils régionaux, par listes électorales fermées, elles ont obtenu 28 % des postes.

De plus, l’adhésion au système de quotas a considérablement augmenté le nombre de femmes élues dans les Conseils gouvernementaux. Depuis 2003 la quantité de femmes occupant des postes administratifs à responsabilité, où l’on doit prendre des décisions, est passée de 12,7 % à 22,4 %. Alors que dans la magistrature elles ne représentaient que 2% en 2006, dans l’exécutif elles ont eu plus de chance. En 2006 il y avait quatre ministres d’État et  342 hauts-fonctionnaires ; parmi elles, 8 sous-secrétaires, 22 conseillères et inspectrices générales, 86 directrices générales et 215 sous-directrices générales. Cependant il convient de signaler que les obstacles à franchir pour atteindre et conserver de tels postes sont plus grands et plus nombreux pour les femmes.

Un héritage de restrictions culturelles

Pour la femme, le patrimoine culturel – fondé sur la tradition plus que sur des motifs religieux – est une des références de base de son apprentissage des conduites acceptables. L’image stéréotypée de la femme s’est maintenue pendant des siècles du fait que l’État a contribué, tout au long de son histoire, à la  perpétuer afin d’éviter d’entrer en conflit avec la société et ses leaders religieux et culturels. Cette image est si bien enracinée que, comme le démontrent plusieurs études, la perception que certaines femmes ont vis-à-vis de leur propre sexe ne s’éloigne guère de celle que les hommes soutiennent. 

L’acceptation par la femme de cette fausse image d’elle-même offre à l’État  une excuse pour repousser la promulgation d’une législation qui améliorerait la situation dans laquelle elle se trouve. La société justifie également l’isolement de la femme comme étant une façon de garantir sa protection. De ce fait, le plus fort bastion d’intolérance culturelle à l’égard de la femme continue à être la famille, au sein de laquelle la violence masculine est acceptée en tant que droit disciplinaire ou préventif. Par exemple, un rapport du ministère des Droits Humains de la région du Kurdistan signale que pendant les huit premiers mois de l’année 2006,  239 femmes furent poussées à s’immoler par le feu. Cette situation ne change pas beaucoup dans d’autres domaines et les assassinats associés à l’honneur sont habituels dans le centre et le sud de l’Iraq. Il est probable que le nombre de plaintes déposées pour de telles pratiques soit inférieur au nombre réel d’incidents en raison de la faible capacité de contrôle des organisations de femmes, ainsi qu’aux préjugés des médias.
 
Conclusions

L’autonomisation des Iraquiennes doit constituer un objectif global et non pas une simple cible secondaire, car la femme a un rôle égalitaire à remplir dans le développement général économique, politique et social. Des preuves existent pourtant, qui démontrent que les Iraquiennes subissent de façon exagérée les contrecoups de la rétraction du pouvoir de l’État, de l’insécurité découlant de l’instabilité politique, de l’effondrement des activités économiques et de la détérioration des structures sociales, tout cela comme conséquence des conflits en cours. L’augmentation de la violence à l’encontre des femmes constitue, en ce moment, la répercussion la plus dangereuse de la transition et requiert l’intervention d’urgence de tous les acteurs de la société. La femme s’est réfugiée au sein de sa communauté, de sa secte ou de sa tribu, en quête de  protection, faisant chavirer ainsi les progrès de près d’un siècle de modernisation entrepris par l’État.
 
Le manque de sécurité a entravé la progression du développement humain et a endommagé les mécanismes pour l’autonomisation véritable. Ceci dit, il reste encore une chance pour améliorer la situation. Parmi les responsabilités spécifiques de l’État s’inscrivent les suivantes :

* Amender les lois (et la Constitution) pour supprimer les dispositions, omissions et contradictions qui perpétuent la discrimination.
* Garantir la liberté d’opinion afin d’encourager le débat et le dialogue publics ;  amplifier les campagnes de sensibilisation publique qui produisent de profonds changements quant aux stéréotypes de la femme diffusés par les médias.
* Créer un nouveau climat dans le domaine du travail qui s’éloigne de la division actuelle basée sur les rôles limités de la femme et qui visent à la cantonner, en tant que travailleuse, aux secteurs à faible productivité.
* Combattre la culture de la domination et de la marginalisation et diffuser une culture de paix et de tolérance pour éliminer sous toutes ses formes la violence à l’égard de la femme et mettre fin à sa perpétuation comme partie de la culture acceptée.
* Offrir de nouvelles chances par le biais de la réforme du système de prêts dans les banques publiques,  en éliminant la clause qui exige la possession de biens immobiliers comme garantie subsidiaire et en promouvant les services bancaires qui favorisent la femme.
* Réformer les systèmes éducatifs et les programmes d’enseignement pour changer le regard de la société vis-à-vis de la violence à l’égard des femmes et, dans le but d’y mettre fin, inculquer le sens de la responsabilité partagée.
* Elargir l’accès aux projets de micro-crédit et au travail effectué depuis leur domicile aux femmes n’ayant reçu qu’une instruction et une formation précaires, aux femmes du milieu rural, aux femmes âgées et aux veuves ayant famille à charge.

Par l’adoption d’une attitude ferme en ce qui concerne la culture des droits humains, de l’égalité des chances et de l’égalité entre les deux sexes, le Gouvernement pourrait mettre fin une fois pour toutes dans le pays à la culture centenaire de la discrimination à l’égard des femmes.

 

1 Auteur principal de : Irak: National Report on the Status of Human Development 2008 [Iraq : rapport national 2008 sur la situation du développement humain]. Cet article est basé sur les faits et les analyses de ce rapport, disponible sur : <www.iauIrak.org/reports/NRSHD-English.pdf>.

2 Cette loi – qui comprenait le droit de conserver le logement familial après le divorce pendant une période de trois ans,  la même limite d’âge de mariage pour l’homme ou la femme, l’équivalence lors du divorce de la dot de la femme  au prix de l’or au moment du divorce et l’exigence pour le mari de prouver sa capacité financière pour subvenir aux besoins d’une deuxième femme avant de conclure un mariage polygame – a été sujette à différents amendements au cours des années en détriment de la situation des femmes.

3 Un même rejet s’applique à la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, à l’égard de la femme, de la paix et de la sécurité.