PHILIPPINES

De mal en pis

Marivic Raquiza
Social Watch Philippines

Au Philippines, la mondialisation économique est à l’origine de l’amplification du travail au noir, de la compression des industries locales et d’une forte dépendance des exportations et des envois de fonds depuis l’étranger alors que la pauvreté continue à augmenter en raison de la répartition injuste des richesses. Aujourd’hui, la crise mondiale provoque la diminution des envois de fonds venus depuis l’étranger et la fermeture des usines. Comme toujours, ce sont les pauvres et les marginaux qui paient le prix fort. Il y a un besoin urgent de motivation durable basée sur les droits et en faveur des pauvres.

Contrairement aux évaluations du Gouvernement et des agences de notation financière assurant que les Philippines pourraient résister à la crise mondiale, son économie tournée vers l’étranger a rendu le pays très vulnérable aux chocs externes. La mondialisation de la production, causant une rapide amplification du travail au noir, la compression des industries locales en raison de la concurrence mondiale avec des importations bon marché largement subventionnées et la forte dépendance vis-à-vis des exportations et des marchés du travail étrangers ont des conséquences extrêmes pour la survie de la majorité des citoyens1.

En effet, même avant le choc provoqué par la crise mondiale, la majorité des philippins connaissaient déjà des difficultés en raison de la détérioration des conditions économiques. D’après l’enquête sur les Dépenses et Revenus Familiaux, les revenus des foyers ont diminué entre 2003 et 2006, de plus, un nombre élevé de Philippins était bloqué sur des emplois à faible productivité avec des salaires en dessous du seuil de pauvreté et des niveaux de famine sans précédent2, d’après le registre des Saisons du Climat Social3. Le Gouvernement a finalement reconnu que la pauvreté avait augmenté en 2006 pendant une période de croissance économique ce qui venait corroborer le caractère inéquitable de la répartition de la richesse. À partir du 10 juin 2009, le Gouvernement a revu à la baisse les objectifs de croissance du PIB pour 2009 avec une fourchette située entre 0,8 et 1,8%, ce qui a contraint le Secrétaire du Directoire de la Coordination des Statistiques Nationales à déclarer que l’économie philippine “est au bord de la récession” 4.

Envois de fonds de l’étranger et exportations

Les retombées de la crise seront très étendues. Les envois de fonds depuis l’étranger par exemple ont participé à hauteur de 13 % à la construction du PIB en 2007. Les Philippins qui travaillent à l’étranger représentent un dixième de la population totale (autour de 8 millions), certainement « la principale source de revenus nets en devises étrangères pour l’économie philippine »5. Maintenant le Ministère du Travail et de l’Emploi informe que près de 575.000 Philippins pourraient perdre leur emploi à l’étranger, en particulier en Corée du Sud, à Taiwan, Macao, Singapour et à Hong Kong, de même que ceux qui travaillent sur les navires de croisière. La Banque Centrale des Philippines prévoit que les envois de fonds diminueront entre 6 et 10 %.

Les revenus des exportations ont chuté brusquement de 40,4 % en 2008 en comparaison avec l’année précédente, entre autres secteurs, l’électronique a accusé une baisse de 47,6 %6. Les fonctionnaires du Ministère du Travail sont nerveux face au nombre croissant d’usines qui ferment, non seulement dans le secteur de l’électronique mais aussi dans l’habillement ainsi que d’autres sociétés de zones industrielles. Ce sont presque 110.000 travailleurs qui ont été concernés par la crise seulement entre octobre 2008 et mars 2009. Ce chiffre comprend 50.380 travailleurs déplacés et 59.149 travailleurs avec des contrats « flexibles » (avec des réductions d’horaires de travail ou un congé forcé)7.

Chômage, sécurité sociale et alimentation

Les Philippins ne peuvent se permettre une augmentation du chômage et du sous-emploi. Alors que le taux de chômage se situe entre 8 et 10 %, le sous-emploi avait déjà atteint  22 % y compris lors de la crise mondiale8. En effet, l’emploi à lui seul ne garantit pas une vie digne de ce nom : une majorité (51 %) de la main d’œuvre philippine, composée de 12,1 millions d’agriculteurs et pêcheurs et d’environ 10 millions d’ouvriers agricoles et ouvriers non-qualifiés, gagne des salaires de misère, équivalents à ceux des travailleurs au noir.

Une grande majorité de travailleurs des zones de traitement des exportations sont des femmes. En raison de la crise, le nombre de licenciements ou d’accords de travail flexible dans ces zones concernera surtout les femmes, principales responsables de la gestion et de l’entretien de la famille. La crise qui s’avère de plus en plus aiguë ne fera qu’accroître la charge pesant sur elles pour faire face à leurs multiples responsabilités. Néanmoins, en général les travailleurs masculins constituent la majeure partie des chômeurs (64,1 %) en comparaison avec les travailleuses (35,9 %), ce sont les secteurs avec prédominance de main d’œuvre masculine comme la construction et le transport qui ont été les plus affectés par la crise.

La sécurité sociale des Philippines couvre environ 84,5 % des travailleurs employés. Les travailleurs pauvres bénéficient cependant peu des services de sécurité sociale et la couverture sociale de ceux qui travaillent au noir est limitée9. Il n’y a pas d’assurance chômage et le Gouvernement a évité d’instaurer des réseaux de protection pour lutter contre le chômage en raison de leur coût trop élevé. De plus, la portée des programmes d’aide sociale destinée à ceux qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté est limitée, la prestation des bénéfices l’est tout autant. La sécurité sociale privée n’est pas non plus à l’abri du chaos mondial : l’industrie de pré-nécessité10 philippine a déjà eu recours à l’aide du Gouvernement pour lutter contre la diminution de la valeur de ses fonds fiduciaires. Malheureusement, la mauvaise gestion, la cupidité et la capture de régulation ont également détérioré le fonctionnement de certaines compagnies de pré-nécessité et, selon les informations reçues, certaines sont au bord de l’effondrement ce qui met en danger les revenus de milliers de souscripteurs du plan.

Les indices des prix des produits alimentaires et du carburant s’améliorent peu à peu par rapport à 2008. Néanmoins, comme de nombreux Philippins perçoivent de faibles revenus, l’achat de biens et services pour couvrir les besoins élémentaires sont toujours un défi quotidien. Comme conséquence de la crise mondiale, on a observé une inflation du riz, l’aliment de base des foyers philippins se traduisant par une plus grande insécurité alimentaire. En effet, la Banque Asiatique de Développement a calculé que, pour chaque hausse de 10 % sur les tarifs des aliments, 2,72 millions de Philippins franchiront le seuil de la pauvreté11. Même si les Philippines sont un pays aux revenus moyens, il existe des disparités régionales. Alors que le capital jouit de niveaux de croissance élevés, la dénutrition infantile est égale dans certaines régions et même supérieure à celle de l’Afrique Subsaharienne. Ceci démontre le niveau élevé d’inégalité dans le pays, son coefficient Gini est de 0,45, soit un tiers plus élevé qu’en Asie, après le Népal et la République Populaire de Chine.

Services sociaux de base, l’environnement et AOD.

La prestation de services sociaux de base subira sans aucun doute un impact lié à l’effondrement financier mondial12. L’Objectif de Développement de Millenium (ODM) sur l’éducation primaire universelle est déjà le plus menacé au niveau national13. De nombreux éducateurs s’alarment du fait que les étudiants dépendant des envois de fonds de leurs parents résidant à l’étranger n’assisteront pas aux cours à la prochaine rentrée universitaire en raison de la baisse des revenus à l’étranger14. Déjà bien avant la crise mondiale, les Philippines étaient le pays de la région le moins bien placé au regard des taux de mortalité infantile et maternelle, la raison en est le trop faible investissement public 15. En général, les fonds alloués aux ODM liés à la santé proviennent de l’aide officielle au développement (AOD), bien qu’il faille enquêter pour savoir si l’aide est dirigée vers les plus nécessiteux – les communautés les plus pauvres – selon les activistes de l’Initiative pour un Budget Alternatif (IPA)16.

Le Gouvernement a également fait appel à l’AOD pour mettre en place ces trois dernières années la législation environnementale comme la Loi sur l’Eau Potable et la Loi sur l’Air Pur17. La priorité de ses dépenses porte sur les mines et la production forestière (davantage que sur leur protection), malgré les questions non résolues liées aux grands désastres miniers et à la déforestation généralisée. Ceci signifie que si l’AOD est considérablement affaiblie, suite à la crise mondiale, son impact négatif pèsera surtout sur des secteurs comme la santé et l’environnement.

Réponse du Gouvernement à la crise

Le Gouvernement s’est rallié à l’opinion mondiale visant à « encourager/améliorer l’économie » selon la formule bien connue de la relance économique et il a présenté un Plan d’Adaptation Économique (PAE) de 330 milliards de PHP (6869 milliards d’USD) afin de lutter contre la crise. Une étude préparée par l’IPA a cependant démontré que sur les 1,4 billions de PHP (29,141 milliards d’USD) prévu au budget national approuvé il y a peu par les deux Chambres du Congrès, seuls 10,070 milliards de PHP (210 millions d’USD) de nouveaux fonds seront alloués à un Fonds de Relance Économique (FEE) fixé pour aborder l’impact négatif de la crise mondiale. Sont intégrées au FEE des questions comme, entre autres, le soutien aux prêts souscrits par les étudiants universitaires, la formation technique et professionnelle pour la jeunesse, les prêts et subventions aux petites et moyennes entreprises, la reconversion professionnelle pour les chômeurs et le retour au pays ainsi que la construction de nouveaux établissements scolaires. Même si nombre d’entre eux sont des objectifs tout à fait louables, on ne peut que s’interroger sur la raison qui a poussé à affecter la plus grosse part de ces fonds à l’enseignement supérieur et aucun à la petite enfance, à l’enseignement primaire et secondaire. Deuxièmement, l’accent mis sur la reconversion des travailleurs licenciés est positive mais il convient de se concentrer davantage sur la création de nouveaux emplois bien au-delà des secteurs de la construction d’établissements scolaires. En d’autres termes, il n’y a aucun plan intégral visant à atténuer les effets de la crise. Bien plus alarmant encore, le fait que le Président ait appliqué son véto à la proposition d’utiliser et dégager 208 millions d’USD aujourd’hui soumis à une “mise en oeuvre conditionnelle” sur la base de règles qui seront définies finalement par le Pouvoir Exécutif. De cette façon, l’utilisation du FEE est aujourd’hui directement placée sous le contrôle du président.

Un supplément de 300 milliards de PHP (6.244 milliards d’USD) destiné au FEE, très manipulé par les fonctionnaires du gouvernement,  sera dispatché entre les organismes du Gouvernement et le secteur privé. Au moment de la rédaction de ce rapport, la proposition est toujours dans le vague. De nombreux analystes sont sceptiques car la majeure partie des fonds des organismes gouvernementaux provient également de fonds publics. Peu nombreux sont ceux qui placent leurs espoirs dans l’“esprit caritatif” du secteur commercial, surtout dans un contexte de déclin économique. Même en période de prospérité, les recettes du Gouvernement sont très nettement en dessous des objectifs et ce, en raison de l’évasion fiscale massive des grandes sociétés et des plus riches.

Les activistes de l’IPA se disent consternés du fait qu’en cette période où l’insécurité professionnelle et la faim sont croissantes, les fonctionnaires publics ont fait du prosélytisme politique avec le budget national 2009 avec des milliards de pesos18. Le règlement des intérêts de la dette se situe à hauteur de19 6.300 milliards d’USD, ce qui constitue 21 % du budget national 2009. Néanmoins, le Gouvernement devra obtenir des recettes bien supérieures à 7.886 milliards d’USD pour régler le corps principal de la dette qui, de manière trompeuse, n’apparaît pas dans la section des dépenses du budget national20.

En fin de compte, la préoccupation est forte  du fait que la majeure partie des fonds publics, y compris ceux des mesures de relance économique, finira par être une “relance politique”, allant directement dans les coffres électoraux des candidats de l’administration qui se préparent aux élections nationales de 2010. Il existe une croyance très profonde selon laquelle l’administration Arroyo utilise régulièrement des fonds publics pour rester au pouvoir et que son objectif principal au cours de son mandat a été d’assurer sa propre survie politique face au malaise social et politique montant.

Regarder vers l’avant

Il devient primordial de créer un ensemble de mesures de relance mais, à la différence de ce qui a été proposé par le Gouvernement, il devrait être basé sur une stratégie nationale claire, soumise au droit, en faveur des pauvres et durable, et destinée à renforcer la demande nationale surtout dans le climat économique actuel, hostile aux exportations. Il faudrait donner la priorité à la sécurité alimentaire, à la création d’emplois tout en renforçant les entreprises locales afin que les travailleurs et travailleuses puissent en bénéficier, ainsi qu’à l’investissement dans des projets d’infrastructures écologiques et en faveur des pauvres (par exemple, la construction d’un réseau de système d’irrigation, l’électrification de villages isolés et le développement d’une énergie propre), ainsi que le développement de la sécurité sociale et économique des pauvres et des chômeurs.

À court-terme, il est nécessaire de trouver un remède immédiat pour amortir les pires effets de la crise mondiale sur la population philippine. Ceci signifie qu’il faut garantir que le FEE soit affecté au bon endroit : à l’alimentation, aux revenus et solutions d’urgence ainsi qu’aux services sociaux de base. De plus, l’élimination de la Taxe sur la Valeur Ajoutée, la Réforme régressive sur le pétrole, la mise en place d’une hausse des salaires généralisée de 2,6 USD et une augmentation de 62,44 USD par mois sur les salaires du Gouvernement sont autant de mesures qui devraient apporter une certaine souplesse économique. Il faut finalement penser sérieusement à la renégociation de la dette publique de sorte qu’une grande partie des revenus du pays soit destinée à couvrir les besoins élémentaires et de première nécessité des personnes au lieu d’être affectée à la dette.

 

1 Gonzales, E. “Social Protection in the Philippines”. Dans Social Watch Philippines 2007. Missing Targets, An Alternative MDG Midterm Report. Quezon City : Social Watch Philippines.

2 Malaluan, N. “Dire State of the Nation: The Crisis of Income and Employment in the Philippines”. Opinion Section, BusinessWorld, 21 août 2006. Disponible sur : <www.aer.ph/index.php?option=com_content&task=view&id=437&Itemid=63>.

3  Voir : <www.sws.org.ph/>.

4  Voir : <archive.inquirer.net/view.php?db=1&story_id=207724>.

5  Pascual, C. “Remittances for Development Financing”. Dans Finance or Penance for the Poor. Quezon City : Social Watch Philippines (dans la presse).

6  Office National des Statistiques. “Merchandise Export Performance”. Décembre 2008 (préliminaire).

7  Fabros, M. L. “Health Insecurity : A GMA Legacy”. Dans Social Watch Philippines, 2007, op. cit.

8  Dans Social Watch Philippines 2007, op. cit.

9  Social Watch Philippines 2007, op. cit.

10  Les entreprises de pré-nécessité proposent des plans pour couvrir les futurs coûts de l’éducation, des retraites, etc. Tant que les cotisations des assurés sont placées sur des fonds fiduciaires investis sur des instruments financiers sous forme d’actions et bons, celles-ci sont soumises aux caprices du marché.

11  Angara, E. J. “A Gathering Storm”. Opinion, Business Mirror. 24 novembre 2008.

12  Ce rapport ne comprend pas une remise en question des effets et impacts du programme de transfert de budget sur la prestation des services sociaux, en particulier l’éducation et la santé, la raison est qu’il s’agissait d’une expérience pilote développée sur quelques communes en 2008. Cela peut être intéressant de l’observer sur 2009.

13  Raya, R. R. “The Missed Education of the Filipino People ”. Dans Social Watch Philippines 2007, op. cit.

14  GMA TV News. “Educators Brace for Impact of Global Financial Crisis ”. 4 décembre 2008. Disponible sur : <www.gmanews.tv/story/137541/Educators-brace-for-impact-of-global-financial-crisis>.

15  Social Watch Philippines 2007, op. cit.

16  L’IPA est un vaste réseau d’organisations issues de la société civile qui s’oriente et plaide pour une augmentation de la part des dépenses sociales et environnementales dans le budget national. Ce mouvement est conduit par Social Watch Philippines.

17  Ronquillo, J. D. y Morala, R. O. “Environmental Insecurity: The Cost of Misgovernance”. Dans Social Watch Philippines 2007, op. cit.

18  Loi Générale sur les Appropriations 2009.

19  Ceci reflète ce qui apparaît dans la Loi de Budget 2009 et dans le Message du véto présidentiel, rétablissant une coupe budgétaire de 50 milliards de PHP (1,06 milliards d’USD).

20  Tanchuling, M. Entretien avec le Secrétaire Général, Coalition Freedom from Debt, Philippines, 3 mars 2009.