VIET NAM

Le progrès national menacé par les crises mondiales

ActionAid International
Oxfam Great Britain

Le Vietnam a mis en œuvre les principes socialistes et a atteint la plupart des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) bien avant la date butoir. Le pays n’en est pour autant pas moins immunisé contre les multiples crises mondiales. Le fossé s'élargit entre les riches et les pauvres et l’augmentation du niveau de la mer, due au changement climatique, commence déjà à avoir des effets négatifs. Si les organisations de la société civile ne sont pas encore très présentes dans le pays, quelques groupes ont tout de même pris l’initiative de répondre collectivement à ces problèmes.

En 2008, lorsque la crise mondiale a commencé à se faire sentir, le Vietnam avait, pour le mois de février, un taux d'inflation de 14,1 % – un pic historique en Asie orientale – soit pratiquement le double de celui de l'Indonésie (7,4 %), et plus de deux fois celui de la Chine (6,5 %). Cela a conduit à une hausse de 24 % du prix des aliments par rapport à la même période en 2007, et une augmentation de 17 % pour l’électricité, l’eau et l’essence, par rapport à l’année antérieure1. Peu avant le Têt (le nouvel an vietnamien), en 2008, le prix du riz oscillait entre 5.000 VND et 7.000 VND (environ 0,30 USD et  0,40 USD respectivement) le kilo. Depuis, cette valeur a augmenté à plus de 10.000 VND (0,60 USD). L’Indice des prix du consommateur a atteint un niveau record de 28,9 % en décembre 2008, malgré une stabilisation au cours des quatre premiers mois de 2009, pour se situer actuellement à 11,6 %.

Au cours du premier trimestre 2009, la croissance économique a été relativement importante (3,4 %), bien qu'elle ait été largement inférieure aux prévisions pour l'année. Les principaux secteurs d’exportation (l’agriculture, la confection et le textile) ont été les plus touchés. Cela a augmenté la pression exercée sur la macro-économie et notamment sur les groupes rémunérés les plus vulnérables. La baisse de la demande affecte les industries et le chômage augmente. Nguyen Phu Diep, directeur du Département de Gestion du Travail des Parcs Industriels (PI) de Hanoï et des Zones de Traitement des Exportations (ZTE), a informé que 19 entreprises ont supprimé 4.300 emplois, ce qui représente près de 20 % des postes dans ces secteurs. On estime que 10.000 personnes travaillant dans le PI de Thang Long perdront leur emploi en 2009. La baisse du pouvoir d'achat entraîne les familles à diminuer leurs dépenses pour des services essentiels, comme la santé ou l’éducation ; le taux actuel des dépenses de santé à titre privé s’élève à environ 62,8 %.

Causes et impacts de la crise

Au cours des dix dernières années, le Vietnam a été un exemple de développement ; le pays a sorti des millions de personnes de la pauvreté tout en tentant de s’assurer dans le même temps que les bénéfices de son économie de marché vigoureuse soient distribués de façon juste et équitable dans l’ensemble de la société, afin de maintenir la vision socialiste du Gouvernement. Cependant l’objectif de réduction de la pauvreté continue de représenter un défi, en raison notamment du clivage entre les riches et les pauvres. Selon la Banque Mondiale, la consommation de 20 % des personnes les plus riches de la population représente 43,3 % des dépenses totales du pays, tandis que les 80 % restants sont plus modestes dans leurs dépenses. Cette situation a créé deux groupes très disparates : une minorité disposant d’une « voix », représentée par les capitalistes émergents, et une majorité muette composée des communautés rurales, des travailleurs salariés, des petits exploitants agricoles et de ceux qui finissent hors de la compétition.

Pauvreté et dynamique rurale-urbaine

Depuis 2005, le Vietnam connaît un grand essor des zones industrielles et urbaines, avec plus de 190 zones industrielles et conglomérats construits sur des terres récupérées sur plus de 100.000 terrains privés. Cela entraîne une limitation des ressources et des moyens de subsistance en zone rurale. Environ 90 % des pauvres dépendent de la production agricole – qui est distribuée de façon relativement équitable. Seul 4 % des foyers ruraux manque de terres agricoles propres, ce qui peut être considéré comme un avantage permettant d'assurer la sécurité alimentaire du foyer2.

On estime que deux tiers des foyers déplacés bénéficient de meilleures possibilités d'emplois et de la disponibilité de l’argent en liquide de leurs terrains. L’égalité des droits sur la propriété de la terre est devenue un sujet très important en raison de l'existence de stéréotypes de genre encore très enracinés. Malgré l’existence de lois qui favorisent l'accès équitable à la terre pour les femmes, leur mise en œuvre reste très limitée. Et donc les femmes sont les plus affectées par les transitions. De nombreuses personnes tentent leur chance dans les villes. Rien qu'à Hanoï, la croissance démographique annuelle est de 3 %. On estime que d'ici 2010, entre 120.000 et 130.000 personnes émigreront vers la capitale.

Un rapport d’ActionAid de 2008 a révélé que les pauvres, les émigrants urbains et les consommateurs nets ont été les plus touchés par la montée des prix. Ils ont également été les premiers et les plus affectés par la récente crise économique. Une majorité des émigrants travaille sous contrat à durée déterminée ; ils constituent le groupe le plus vulnérable pendant la récession économique qui affecte le secteur de l’emploi. Selon le Ministère du Travail, des Handicapés de Guerre et des Affaires Sociales, en janvier 2009, environ 67.000 travailleurs, et surtout des émigrants, avaient perdu leur emploi. Ce chiffre devrait monter à 150.000 d’ici fin 2009. Etant donné que les chômeurs ne bénéficient d’aucune assurance sociale, cette crise met les émigrants ruraux en situation très délicate.

Agriculture

Le Vietnam est le deuxième exportateur de riz au monde, ce qui a largement soutenu le taux de croissance annuelle de 4 % du secteur agricole des vingt dernières années. C'est cela qui a principalement contribué à éviter que le pays soit touché par la crise économique de 1997. Presque 70 % de la main d'œuvre travaille dans le secteur agricole. Le Comité Central du Parti Communiste vise à industrialiser et moderniser le pays, et réduire la main d’œuvre agricole à 30 % d’ici 2020. Cependant, la crise actuelle rend difficile l’atteinte de ces objectifs, malgré l’introduction de divers programmes de modernisation dans le secteur. Plus de 75 % de la main d’œuvre n’a encore aucune formation professionnelle, et l’éducation des adultes a besoin d’être largement renforcée.

L’entrée dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) a élargi les possibilités de croissance économique du Vietnam, mais a également introduit de nombreux défis dans le secteur agricole. En raison de l’impulsion de la production commercialisée et de l’importance croissante des forces du marché, ainsi que de l'accumulation de capital, les agriculteurs pauvres se retrouvent actuellement face à un sévère risque d'appauvrissement. Dans le même temps, l'augmentation de l'utilisation de fertilisants et de pesticides chimiques provoque d'ores et déjà de sérieux préjudices sur l'environnement et ébranle le savoir indigène de l'économie locale. Les agriculteurs sont plus vulnérables pendant la transition, en particulier en l’absence d’une Loi sur l’Agriculture, en raison du manque de disponibilité de crédits formels et d'assurances pour les protéger. Il existe un aspect plus positif en ce sens que les agriculteurs ont introduit des techniques plus avancées et variées de cultures intensives qui ont contribué à augmenter la production.

Changement climatique, sécurité alimentaire et développement humain

Le changement climatique affectera sévèrement le pays. Une grande partie de la population vit dans les zones côtières basses et est particulièrement vulnérable à l’augmentation du niveau de la mer3. Au cours d’un séminaire sur le changement climatique organisé par le Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural en janvier 2008, le ministre Cao Duc Phat a reconnu que 73 % de la population, notamment les pauvres, souffre déjà des impacts négatifs du changement climatique et de la dégradation de l’environnement. Les statistiques montrent qu’en 2007, les tempêtes, les glissements de terrains et les inondations ont produit des dommages qui se sont élevés à plus de 1 % du Produit National Brut (PNB) du pays.

Une étude menée par ActionAid et les experts du Centre de Développement Rural de l'Institut de Politiques et de Stratégies pour le Développement Agricole et Rural offre des preuves solides de l'impact du changement climatique et des catastrophes naturelles dans la Province de Ha Tinh, où la productivité des aliments a atteint une réduction de 40 % dans certaines communes. Les foyers pauvres sont les plus affectés en raison du manque de diversité dans leurs modèles de cultures.. L’étude a également révélé que la communauté locale a développé pro-activement ses propres mécanismes afin de s’adapter au changement climatique, avec par exemple la modification des modèles de culture et des structures de l’élevage de bétail. Ces instruments d’adaptation mis en place au niveau local n’ont cependant reçu aucun appui de la part du Gouvernement ou des donateurs.

Bien que les indicateurs de développement humain aient montré une progression spectaculaire pendant les 15 dernières années, le changement climatique constitue une menace imminente pour la réalisation des OMD, en particulier dans la région du Delta Mekong. Le rapport sur la pauvreté du Programme des Nations Unies pour le Développement montre combien les catastrophes naturelles constituent une cause importante de pauvreté et de vulnérabilité dans le pays. La stratégie de soulagement de la pauvreté requiert une réduction de la vulnérabilité du secteur rural et agricole face à ces phénomènes, par l’inclusion sur le plan national de stratégies de réduction des risques pendant les catastrophes naturelles.

Réponses et engagements politiques

Dès le début de la crise mondiale, le Gouvernement a mis en application d’importantes mesures économiques pour combattre l’inflation et maintenir une croissance durable. L’accent a été mis principalement sur des questions fondamentales comme l’application d’une politique financière rigoureuse, l’augmentation de la production et de l’exportation et la réduction des importations excessives. Avec une crise économique de plus en plus grave, le Gouvernement s’est engagé à garantir les droits des groupes vulnérables à l’aide de mécanismes appropriés de protection sociale. Ce sujet a lui aussi été au cœur de la mobilisation pour la réalisation des OMD. Cependant, en tant que signataire de la plupart des conventions internationales sur les droits humains, le Gouvernement est tenu de garantir autant que possible une conformité au Pacte International sur les Droits Civils et Politiques et le Pacte International sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels, afin de protéger, par des politiques appropriées et des programmes au niveau local, les droits de la population affectée.

Tandis que le Gouvernement aborde le sujet de façon énergique, avec l’adoption d’un plan de relance économique d’1 milliard d’USD (1,1 % du PIB), la Banque Mondiale, la Banque Asiatique de Développement (ADB en anglais) et le Fonds Monétaire International ont publié une analyse sur les taux de croissance prévus pour 2009. Si l’ADB est la plus prudente – 4,5 % – elle situe tout de même le Vietnam à une meilleure place que la plupart des économies asiatiques malgré la baisse globale. Quant au Fonds Monétaire International et à la Banque Mondiale, ils prévoient respectivement une croissance de l’ordre de 4,75 % et 5,5 %.

Le rôle de la société civile

Malgré une présence encore faible des organisations de la société civile (OSC) au Vietnam, quelques groupes ont pris l’initiative d’une réponse collective à la crise. Ainsi, en réponse à l’Appel à l’Action du sud-est asiatique, les OSC ont élaboré un rapport sur la crise alimentaire et l’ont présenté au cours du Forum Populaire de l’Association des Nations du Sud-est Asiatique qui a eu lieu à Bangkok en février 2009.

D’autre part, l’Académie du Vietnam pour les Sciences Sociales est actuellement en train de collecter des preuves de l’impact de la crise financière sur le plan social. Les conclusions seront présentées à l'Assemblée Générale, dont les membres devront débattre des stratégies à court et long terme afin de faire face à la fluctuation économique et à ses impacts sociaux. Les OSC ont eu la possibilité de participer à cet exercice grâce à l'incorporation de consultations de l'OMC à ce processus.

Conclusion

Les gouvernements devraient saisir l’occasion offerte par la crise économique mondiale actuelle pour parer à d’autres crises – y compris l’alimentaire, le changement climatique, l’emploi et la pauvreté – et développer des stratégies de solutions durables à long terme. La crise mondiale devrait être abordée en tant qu'ouverture possible pour le développement d'une économie mondiale durable qui respecte et conserve les biens communs mondiaux, qui prévoit le réchauffement de la planète et assure un environnement durable, sûr et propre pour les générations à venir.

 

1 Voir : <tintuc.timnhanh.com/kinh_te/20080225/35A7142E/>.

2ActionAid Vietnam (s/f). “Food Security for the Poor in Vietnam in the Context of Economic Integration and Climate Change”. Disponible sur : <www.isgmard.org.vn/Information%20Service/Report/Plenary%20Meeting%20Report%2017-11-2008/Group%203/Bao%20cao%20tham%20luan%20AAV-En.doc>.

3 IHDP. IHDP Update: Magazine of the International Human Dimensions Programme on Global Environmental Change. No. 2, octobre 2007. International Human Dimensions Programme. Disponible sur : <www.ihdp.unu.edu/file/public/IHDP+Update+2_2007>.