CANADA

Relance économique 2009 : une occasion ratée

Canadian Feminist Alliance for International Action
Nancy Baroni
Nancy Peckford
North South Institute
John Foster
Canadian Centre for Policy Alternatives
Armine Yalnizyan

Le budget 2009 a été l’opportunité pour le Gouvernement de s’occuper des citoyens les plus vulnérables. Tout a été fixé dans un plan de relance économique à court terme pour répondre aux besoins des milliers de citoyens qui supportent les pires effets de la crise. Les emplois créés grâce à l’investissement public sont destinés aux hommes alors que les femmes se contentent des emplois précaires ou à temps partiel et sont fréquemment les premières à être licenciées. Les organisations de la société civile s’inquiètent de la flexibilité des normes environnementales et de durabilité alors que le Canada s’emploie à corriger le faux-pas économique.

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Lors des élections générales d’octobre 2008, qui coïncidaient avec une meilleure prise de conscience du Canada se confrontant à une probable récession, le premier ministre Stephen Harper a assuré aux électeurs que l’économie était immunisée contre les difficultés mondiales, que leurs économies, retraites et capitaux seraient en sécurité et que le gouvernement ne serait jamais en déficit. Il faisait cette déclaration en se basant sur le fait que le système bancaire du Canada était bien régulé et stable, mais il a passé sous silence en grande partie les fortes conséquences inévitables puisque que les États-Unis constituent le premier partenaire commercial du pays.

Ce que le Premier Ministre n’a pas voulu dire c’est que le chômage allait probablement augmenter ou que les Canadiens aux revenus les plus faibles souffriraient le plus durement l’affaiblissement de l’économie, en particulier en raison du peu d’investissement réalisé sur les programmes sociaux au cours de la décennie précédente. Il n’en a pas dit plus à propos des options que son gouvernement – en cas d’élection – prendrait pour compenser les conséquences les plus lourdes d’une éventuelle récession. Bien que de nombreux Canadiens considéraient cette approche comme la politique de l’autruche, le Parti Conservateur en place a été réélu avec 37,6% des votes (sur un total inférieur à 60% de l’électorat, la plus faible participation enregistrée dans l’histoire)1.

Lorsque le Gouvernement nouvellement élu a fixé ses priorités, les Canadiens attendaient un solide plan de relance économique pour protéger leurs emplois, investir sur un réseau de sécurité sociale renforcé pour les citoyens aux revenus les plus modestes et effectuer des investissements stratégiques permettant de minimiser l’impact de la récession. En revanche, c'est un programme de parti qui a été présenté, avec une vision idéologique qui, entre autres mesures, devrait éliminer le soutien financier aux partis politiques et ne soutiendrait plus l’équité salariale dans l’emploi public comme un droit universel, laissant la voie libre aux syndicats de négocier par processus de négociation collective.

Réponse du Parlement

Dans un mouvement sans précédent, les trois partis de l’opposition ont négocié un accord visant à former un gouvernement de coalition. De nombreuses organisations de la société civile ont apporté leur soutien à ce mouvement pour remplacer le Gouvernement conservateur par un autre plus progressiste qui représenterait effectivement la majorité des Canadiens. Cependant, alors que la proposition d’un gouvernement de coalition prenait de l’ampleur et menaçait de prendre le pouvoir par un vote de censure au Parlement, le Premier Ministre a demandé au Gouverneur général (le Chef de l’État au Canada) un prolongement (en essence, une pause parlementaire prolongée), qui lui a été accordé. Le Gouvernement s’est engagé à convoquer le Parlement six semaines plus tard avec un budget complet proposant un plan de relance économique. Au cours de ces six semaines de prolongement, le leader du parti de l’opposition a jeté l’éponge, un nouveau leader a été désigné et la proposition de coalition a été retirée.

Le budget 2009 et la société civile

Au cours de ce prolongement du Parlement, le Ministère des Finances a invité les particuliers et organisations à présenter des propositions sur les objectifs du budget. Pendant cette période, le Canadian Centre for Policy Alternatives (CCPA) a présenté son Budget Fédéral Alternatif (AFB) annuel, un budget participatif créé par la Société Civile avec une forte insistance sur la création et le maintien des emplois favorables à l’écologie, l’investissement sur des infrastructures sociales et physiques, le renforcement de l’assurance chômage et l’apport d’un soutien aux Canadiens ayant les revenus les plus modestes. Les participants ont proposé cinq examens testant l’efficacité du budget fédéral2 :

  1. L’augmentation de l’assurance chômage de 55 % à 60 % des revenus assurés et l’extension de la période d’allocation portée à 50 semaines, est-ce que cette démarche vient en aide aux centaines de milliers de Canadiens récemment licenciés ?
  2. L’engagement pris visant à réduire la pauvreté de 25 % au cours des cinq prochaines années, est-ce un soutien à ceux qui en ont le plus besoin, comme les chômeurs, les Canadiens aux revenus les plus faibles et aux groupes de la société les plus touchés ?
  3. Est-ce qu’un ambitieux programme d’infrastructure sociale, physique et public écologique est mis en place pour la création d’emplois sur des professions maîtrisées aussi bien par des hommes que des femmes ?
  4. Apporte-t-il un soutien aux secteurs clés ayant une valeur ajoutée basée sur des critères de restructuration afin de les rendre écologiques et durables ?
  5. Est-ce qu’il met l’accent sur les dépenses par rapport aux compressions fiscales ?

Le budget 2009 n’a réussi aucun des cinq examens.

L’aide aux travailleurs licenciés

Concernant l’assurance chômage, le budget 2009 a annoncé des changements qui permettent, à ceux qui le réclament, cinq semaines supplémentaires de bénéfices sur les deux prochaines années. Ceci est tout à fait insuffisant au regard des pertes d’emplois records qui ont été enregistrées. De plus, relativement peu de Canadiens sont admis pour recevoir ces bénéfices bien que tous les travailleurs générant des revenus imposables versent les cotisations obligatoires. Environ 44 % de ceux qui sont actuellement au chômage reçoivent l’assurance chômage. Ce chiffre s’élevait en 1989 à 83 %3.

Les larges coupes opérées dans les dépenses publiques au cours de la décennie 1990 ont fortement affaibli le plan d’assurance chômage. Même si face à la récession, le Canada a connu pratiquement une décennie complète de croissance économique et d’excédents gouvernementaux, les dépenses sur les programmes sociaux n’ont jamais été réinstaurées. L’ensemble de la classe politique et la plupart des analystes, s’accordent à dire qu’il est nécessaire de réformer l’assurance chômage afin d’en améliorer l’accès à tous les canadiens. Les partis de l’opposition ont soutenu à l’unanimité une motion déposée à la Chambre des Communes pour réformer le système. Seuls les conservateurs, en minorité, s’y opposent.

Le réseau d’assurance sociale du Canada affaibli

Même s’il a été présenté comme le plan de relance économique du Gouvernement, le Budget 2009 ne s’est pas engagé à diminuer la pauvreté et n’a pas avancé d’autres mesures d’aide aux Canadiens les plus exposés. En novembre 2008, le Comité des Nations Unies pour l’Élimination de la Discrimination à l’égard des Femmes a demandé au Canada d’agir immédiatement pour modifier les tarifs d’assistance sociale, insuffisants et en diminution4. Alors que des emplois disparaissent et que les travailleurs ne réunissent pas les conditions pour toucher les indemnités de chômage, de plus en plus de Canadiens doivent avoir recours à l’assistance sociale. De sérieux investissements font défaut pour améliorer les tarifs et entreprendre la réforme du système d’assistance sociale pour que les conditions soient assouplies, que soient éliminées les récupérations des bénéfices d’état versés aux récepteurs et que les récepteurs puissent obtenir davantage de revenus. Ceci permettrait à un plus grand nombre de Canadiens de sortir de la pauvreté où ils ont été poussés par le système actuel d’assistance sociale depuis les compressions effectuées sur les dépenses mentionnées précédemment.

Budget 2009 et infrastructure

Le budget 2009 a prévu des investissements sur des projets d’infrastructure physique. Le Canada présente un déficit d’infrastructure municipal évalué à 123 milliards d’USD conséquence de plusieurs  années de sous-financement et le montant annoncé ne représente qu’une simple goutte d’eau. Celui-ci dépend également fortement de l’association État et Secteur privé5. Dans la majorité des cas, les communes doivent verser la même somme que les instances fédérales pour avoir accès à ces aides d’infrastructure.

Le budget a prévu certains investissements dans des secteurs clés même si de nombreux représentants de ces secteurs prétendent que ceux-ci ne sont pas stratégiques et ne relancent pas la croissance d’une économie durable et écologique. Les organisations de la société civile s’inquiètent de la flexibilité des normes environnementales et de durabilité alors que le Canada s’emploie à corriger ce faux-pas économique. De plus les emplois sont créés dans des secteurs dominés par les hommes. Les femmes supportent le pire de cette crise économique. Elles sont excessivement présentes dans les emplois précaires et à temps partiel et sont fréquemment les premières cibles des licenciements. En raison de ce modèle d’assistance, il est plus que probable qu’elles ne soient pas admises pour toucher l’assurance chômage.

AOD : bonnes et mauvaises nouvelles

Une des avancées les plus significatives de 2008 a été l’approbation de la Loi sur les Comptes de l’Aide Officielle au Développement, qui demande au Gouvernement de rendre des comptes au Parlement sur la façon dont l’aide canadienne répond aux engagements officiels des droits de l’homme, s’efforce de réduire la pauvreté et répond aux besoins exprimés par les plus démunis. Tous les partis ont soutenu cette motion. Néanmoins, cette même année, le Gouvernement a annoncé qu’il retirerait plusieurs pays africains de la liste des priorités (le Cameroun, le Kenya, le Malawi et la Zambie) et qu’il se concentrerait sur plusieurs pays de l’hémisphère occidental, la Bolivie, la Colombie, Haïti, le Honduras et le Pérou. Les conséquences radicales du changement ne sont pas encore visibles mais sur des terrains comme le VIH, le SIDA et la baisse de la pauvreté, cela signifie le passage de la catégorie de pays à incidence élevée à la catégorie de pays à faible incidence. Le Gouvernement assure aux Canadiens que son engagement à augmenter les aides en direction de l’Afrique est toujours d’actualité normalement.

Compressions fiscales pour les riches au-delà de l’investissement social.

Les organisations de la société civile demandent depuis longtemps au gouvernement d’effectuer des investissements sociaux durables qui bénéficieraient davantage les Canadiens aux revenus les plus faibles, mais le budget 2009 a confirmé la tendance des compressions fiscales et des crédits destinés aux Canadiens ayant les revenus les plus confortables et aux entreprises. Presque 40 % des femmes et 24 % des hommes au Canada ont généré si peu de revenus en 2007 qu’ils sont exempts d’impôt sur le revenu6, ils ne peuvent donc accéder à aucun crédit ou exonération fiscale proposés et destinés à relancer l’économie. Certaines compressions fiscales sont permanentes. En revanche, toutes les mesures sur les dépenses sont temporaires avec une échéance ne dépassant pas deux ans après adoption du budget.

La situation du Canada après son entrée en récession était de plus en plus précaire en raison des fortes compressions fiscales. La crise économique a été l’occasion d’utiliser les relances gouvernementales visant à améliorer l’axe donné à plusieurs points comme l’inégalité, le changement climatique et l’infrastructure publique (y compris la santé et la petite enfance). Le Gouvernement a alors décidé de faire face aux circonstances en minimisant constamment la gravité et l’éventuelle durée de la récession et en abordant le plan de relance comme un moyen de retour à la normale pour l’économie. Ceci révèle une certaine myopie et ne parvient pas à satisfaire les besoins de milliers de Canadiens sentant le poids de la crise économique. 

 

1 CBC. “Voter Turnout Drops to Record Low”. 15 octobre 2008. Disponible sur : <www.cbc.ca/news/canadavotes/story/2008/10/15/voter-turnout.html>.

2 Canadian Centre for Policy Alternatives (CCPA) “Five Tests for Canada’s Next Federal Budget”. Communiqué de presse, 23.01.09. Disponible sur : <www.policyalternatives.ca/news/2009/01/pressrelease2080/>.

3 Towards a New Architecture for Canada’s Adult Benefits.Ottawa:Caledon Institute of Social Policy (2006).

4 Canadian Feminist Alliance for International Action (FAFIA). “UN Asks Canada to Report Back on Poverty and Murdered Aboriginal Women”. Communiqué de presse, 24 novembre 2008. Disponible sur : <www.fafia-afai.org/files/CEDAW_PR_EN.pdf>.

5 “Federal Budget 2009 and Municipal Infrastructure”. Syndicat Canadien de Fonctionnaires Publics (CUPE). 29 janvier  2009. Disponible sur : <cupe.ca/budget/2009-budget-municipal-infrastructure>.

6 Direction des Douanes et Revenus du Canada. “Tax Statistics”. 2007.