PARAGUAY

Développement d’un plan contre la crise

DECIDAMOS (DÉCIDONS), Campagne pour l’Expression des Citoyens
Genoveva Ocampos
 
En dépit des graves conséquences attendues comme résultat de la crise financière internationale, les perspectives pour le Paraguay pourraient être encore pires. Ce pays possède un niveau réduit d’endettement extérieur – dû aussi aux difficultés des gouvernements précédents pour la mise en place des prêts octroyés –, un niveau respectable de réserves internationales et une économie basée sur l’exportation des biens agricoles. Par conséquent, un petit pays comme le Paraguay, qui produit des aliments et de l'énergie verte, qui dispose d’une énorme quantité d'eau douce et de terres fertiles, a des avantages comparatifs qui doivent être potentialisés.

Au Paraguay, la crise provoquée par l'échec financier dans les pays du Nord a été perçue, au début, comme lointaine ou extérieure à la réalité nationale. D'autre part, suite à la sécheresse qui a affecté la région – une des plus nuisibles des dernières années – les dommages issus de la crise financière et ceux causés par le manque d'eau ont été difficiles à séparer. Les conséquences de la crise internationale sur le pays ainsi que le conditionnement, pour le pire ou pour le meilleur, que cette situation peut exercer sur les projets du nouveau gouvernement de l’Alliance Patriotique pour le Changement (2008-2013) deviennent donc évidents. De même, cette crise peut rendre plus difficiles des négociations importantes telles que, par exemple, celles concernant le prix juste pour l'énergie de l'entreprise binationale Itaipú, cédée au Brésil.

Bien que l’envergure de ses effets et, par conséquent, la détermination des mesures nécessaires à prendre pour y faire face avec des possibilités de succès soit difficile à estimer, la nécessité de laisser de côté les attitudes mesquines et opportunistes, ainsi que les impostures et les improvisations de toute sorte, héritage des mauvais gouvernements précédents, devient évidente.

Tendances, expectatives et réactions

  1. Ralentissement de l’accroissement. Les premières attentes du nouveau gouvernement, celles qui soutiennent le Budget des Dépenses de la Nation 2009, étaient optimistes par rapport au comportement de l’économie. Au cours des mois suivants, l’accroissement de 5 % initial s’est réduit à 2 % puis ensuite à 1,7 %, ce qui annonçait une période de ralentissement. D’après certains analystes, le calcul des prévisions officielles a été trop juste et les spéculations sur une récession commencent à apparaître, soit une croissance négative de -2 %, entraînant un déficit fiscal – n’étant plus alors ressenti comme un problème.
  2. Augmentation de la pauvreté. Un rapport du PNUD-UNICEF-UNFPA au début de l’année 20091 prévient que, en absence des mesures appropriées, une augmentation de la pauvreté et de la pauvreté extrême est prévue pour cette  année, ce qui met en danger l’accomplissement des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Les problèmes de conception et la très mauvaise gestion des programmes sociaux ainsi que le manque de politiques spécifiques de la décennie précédente concernant la campagne, ont contribué à créer – d’après les statistiques officielles – une augmentation d’un million du nombre de pauvres. D'après les estimations actuelles réalisées à partir des conséquences de la crise, la quantité de nouveaux pauvres s’élèverait à 300.000. En raison de l’effet combiné de l'augmentation du chômage, la baisse des revenus et la réduction des envois de fonds depuis l’étranger, la proportion des pauvres augmenterait de 35,6 % en 2007 à 40,3 % en 2009, et le pourcentage concernant la pauvreté extrême passerait de 19,4 % à 22,8  % (l’objectif intermédiaire pour l'année 2008 était de 13 %)2.
  3.  Détérioration du marché de travail précaire. Les premières estimations montrent des pertes qui oscillent entre 80 et 100.000 emplois3 ; ce chiffre est similaire au nombre d'emplois que le Paraguay devrait créer par an pour répondre à une demande de travail digne chez les jeunes et les paysans. A présent, 35 % de la PEA (population économiquement active) est au chômage ou bien est sous-employée, 70 % des salariés perçoivent des revenus en-dessous du salaire minimum légal et seulement 15 % de ces salariés disposent d’une couverture médicale. Ces chiffres font partie de l’héritage du Partido Colorado (Parti Rouge) qui avait soutenu dans le passé le régime dictatorial de M. Alfredo Stroessner.
  4. Aide gouvernementale pour le secteur agricole. Ceux qui ont demandé une aide au Gouvernement ont d’abord été ceux qui ont bénéficié de la modernité et de la mécanisation agricole durant les dernières décennies, les travailleurs du soja (ou les « brésiguayens » à cause de leur origine). Après une hausse exceptionnelle qui a accompagné celle des prix du pétrole, et les expectatives générées par la frénésie des biocombustibles, le secteur exportateur le plus dynamique affronte une baisse abrupte des taux de profits en raison des effets combinés de la sécheresse, la productivité réduite et la chute des prix au niveau global.

L’effet immédiat a été une demande d’aide au Gouvernement pour financer 50 % de la récolte face à la fuite des entreprises transnationales chargées de l’opération.  La demande, estimée à l’origine à 500 millions d’USD, s’est réduite de moitié lorsque les calculs concernant le refinancement et les semailles du cycle à venir ont été faits. Ni le secteur financier privé ni le secteur public ne semblent disposer à présent de ce montant ; en outre, le dilemme se pose concernant ceux que le Gouvernement devrait aider, dans quel but et dans quel ordre de préséance. 

  1. Enchérissement du crédit. Au cours de l’année dernière, le coût du crédit (déjà faible) double et se situe à 30 % au mois de novembre 2008, ce qui compromet à court terme toute dynamique de relance économique. En même temps, les taux d’intérêt pour les activités agricoles ont augmenté de 50 %, s’élevant de 10 % à 15 %4. A son tour, le coût de l’argent est toujours élevé par rapport aux prêts en dollars et à long terme, comme c’est le cas pour les logements.
  2. Réduction du commerce extérieur. Cette réduction s’est manifestée aussi bien pour l'importation de produits – par exemple les automobiles d’occasion de Iquique, au Chili, et les appareils électroménagers fabriqués en Chine – que pour l’exportation, en raison des difficultés pour vendre les produits manufacturés dues à la diminution de la consommation – par exemple, les garnitures en cuir pour les automobiles – et le protectionnisme croissant dans les pays destinataires, notamment l’Argentine pour le domaine textile. La sécheresse a contribué à ce panorama appauvri ; le reflux de la rivière Paraguay et le manque d’un dragage périodique ont rendu le transport fluvial plus difficile et plus cher.
  3. Gel des initiatives pour l’augmentation des impôts. Après un calcul initial qui correspond à une augmentation de 25 % des recettes, pouvoir maintenir les recettes de l’année 2008 serait considérée comme une réussite. Cela veut dire que le niveau de la pression fiscale qui s’élève à 11,6 % (une des plus basses du continent) sera difficile à augmenter. Ainsi donc, plusieurs propositions sont restées en suspens : un impôt minimum sur les profits extraordinaires des travailleurs du soja, qui avait causé un fort rejet parmi les producteurs, la re-conception de l’impôt sur les revenus agricoles, un ajustement des valeurs fiscales des terres – ce qui contribuerait à une plus grande recette des gouvernements locaux – ainsi qu’un nouveau retard dans l'entrée en vigueur de l'impôt sur les revenus personnels5.

Le Gouvernement face à la crise

Le Gouvernement a établi une stratégie prudente et réaliste, conçue en étapes, dans le but de rationaliser et de favoriser les ressources disponibles6 :

1) 1ère étape, à partir d’octobre 2008. Des mesures monétaires pour donner de la liquidité au système bancaire et des mesures fiscales pour rationaliser les dépenses et augmenter les revenus.

a) La réduction conditionnée de l’ajustement légal sur les dépôts, aussi bien en guaranis (monnaie du Paraguay) qu'en dollars, en vue de stimuler les banques pour qu'elles attirent les épargnes à long terme, et de libérer des ressources pour les destiner au financement et au refinancement des crédits productifs.
 
b) La réduction des taux d’intérêt des instruments de contrôle monétaire, afin que les banques « fassent travailler leur argent », c’est-à-dire augmentent l’offre de crédit.

c) La Banque Centrale est intervenue pour soutenir le guarani face à un dollar très apprécié, ce qui a des effets ambivalents : cela pénalise les importateurs mais à la fois cela peut être un soulagement pour les exportateurs, tandis qu'un guarani dévalué –le revers de la médaille du phénomène– pourrait enchérir les paiements de la dette.

2) 2e étape, à partir de janvier 2009. Politique fiscale expansive.

Une augmentation déficitaire des dépenses publiques est prévue, ou plutôt un budget expansif orienté vers les dépenses dans des travaux publics (asphaltage, ponts), ainsi que des politiques sociales visant à créer de l'emploi (logements) et à protéger les secteurs vulnérables des effets de la crise. Au début, un déficit de financement a été estimé à 300 millions d’USD. Un contrôle journalier des activités visant à soutenir l’exécution des augmentations budgétaires (travaux publics, pour un montant de 100 millions d’USD à 200 millions d’USD environ, et des transferts conditionnés – de 17.000 à 120.000 bénéficiaires) a été promis.

3) 3e étape, à partir de février 2009. Des mesures pour satisfaire les besoins financiers et de crédit dans les secteurs productifs.

En outre, le portefeuille de crédits de l’Agence Financière du Développement –qui permettra de créer plus d’opportunités de refinancement à moyen et à long terme– ainsi que celui de la banque publique par rapport à la demande des petits et moyens producteurs, seront renforcés. Les dépenses du Gouvernement seront orientées notamment vers les produits nationaux.  

4) 4e étape, en construction. Des mesures additionnelles pour augmenter l’investissement public et privé.

Outre les crédits réguliers, des crédits de contingence ont été prévus, ceux-ci étant à présent révisés ou bien ont été déjà approuvés et doivent être remis au Parlement, ou bien une demi-sanction leur a été déjà accordée. Ces lignes de crédit, destinés aux routes et chemins, à la production (Banque Interaméricaine de Développement), à la production agricole et à l'eau (Banque Mondiale) obligent à réviser les modalités des concessions et des contrats publics-privés, ainsi que l’amélioration de la capacité d’exécution du budget.

En ce qui concerne le plan contre la crise qui sera analysé par le Parlement, le nouveau Gouvernement a renforcé les mesures pour en discuter dans différents cadres – partis politiques, parlementaires, représentants du secteur privé et des organisations de la société civile – mais ni la pertinence des mesures proposées ni leur capacité à réduire les effets prévus sont véritablement évidentes. Selon certains, ces mesures devraient être mises en place avec ou sans une crise, du fait que les prêts ont été déjà engagés ou bien que l’approbation n’a pas encore été accordée. Selon d’autres, les prêts de contingence de la banque multilatérale doivent toujours être évalués en termes de bénéficiaires, de coûts et de contribution à l'amélioration des dépenses publiques.

En outre, de nouvelles réclamations corporatistes, difficiles à justifier et/ou à satisfaire, sont apparues. A titre d’exemple, durant l’année 2008, les demandes d’autres corporations se sont ajoutées à celles des fonctionnaires publics quant à l’augmentation des salaires, et les entreprises du soja réclament un refinancement et un crédit flexible à court terme.  D’autre part, des réclamations réitérées concernant les terres, la souveraineté alimentaire et la relance de l'économie des paysans se poursuit dans les campagnes de façon intermittente.

Des critiques émises par des entrepreneurs et des hommes politiques opportunistes quant aux transferts conditionnés en argent pour les secteurs les plus vulnérables (avec une couverture et un montant plus grands par rapport à l’administration antérieure, pouvant entraîner aussi une concurrence plus grande et des complications d'accès) viennent s'ajouter à cette confusion d’intérêts. En réalité, les transferts en argent ne constituent pas la panacée et ne seront pas faciles à mettre en place, du fait des difficultés pour faire la distinction entre  pauvres et  indigents lorsque les revenus constituent l'étalon de mesure ou que la faible couverture médicale et/ou la mauvaise qualité des services de santé publique et d'éducation touche tout le monde de la même façon. Les transferts conditionnés sont justifiés pendant des « époques exceptionnelles » et face aux difficultés pour reconstruire des alternatives immédiates. Mais cela ne suffira pas : ils entraînent des risques en termes de gouvernance et de durabilité, par conséquent une mise en place adéquate dépendra de la capacité du Gouvernement pour surmonter les problèmes liés à la méthode et à la mesure, ainsi qu’aux pressions locales.

En dernière instance, une volonté politique est nécessaire ainsi qu’une explication de la stratégie qui n'a pas encore été réglée, pour construire une majorité parlementaire inexistante aujourd’hui, en grande mesure à cause de la crise de leadership, de médiation et de représentation qui affecte les partis politiques. Le défi du Gouvernement sera celui de neutraliser les forces rétrogrades au sein Parti Rouge, et qui ont déjà manifesté leur volonté d'ignorer le plan, signifiant un boycott en perspective.

Réponse de la société civile

Les premiers qui se sont manifestés ont été ceux ayant bénéficié jusqu’à présent des politiques néolibérales et d’intégration des marchés : les agro-exportateurs, les industriels, les importateurs, les publicitaires. Le problème réside dans le fait que le secteur des entreprises – sauf exceptions – se borne à demander des explications sur la portée des mesures et à formuler des réclamations, plutôt qu’à proposer des alternatives. De ce fait, les réclamations des travailleurs du soja – par exemple – sont perçues rapidement comme illégitimes, car elles essaient non seulement de cacher des pertes mais aussi de maintenir le niveau d’activité et de profits par le biais de la subvention publique. Il faut remarquer que les profits extraordinaires ont atteint leur sommet  lors du cycle précédent, en partie grâce à la spéculation sur le futur marché des matières premières agricoles, avec la promotion des biocombustibles7. Cela montre que la crise peut mener à des impasses ou renforcer les schémas d'affectation des ressources qui doivent être dépassés.

L’irresponsabilité et l’aveuglement évidents de l’opposition conservatrice ou de droite conduiront au refus du plan contre la crise avec la seule intention de porter préjudice au nouveau Gouvernement de centre gauche. D'autre part, les réclamations des organisations des travailleurs et des paysans risquent d'être appliquées, soit par des partis de gauche au sein du gouvernement et en-dehors de celui-ci, soit par des médias qui cherchent à semer la confusion au sein de l’opinion publique. 

Et puis il y a ceux qui discréditent les propositions contre la crise, en les qualifiant de mesures néolibérales et en argumentant qu'elles n'entraînent qu'un endettement externe, nuisible  et pas nécessaire, ou qui ne bénéficiera qu’aux riches, aux banques et aux finances internationales. Cependant, la situation actuelle n’admet plus les tournures idéologiques,  empêchant les paraguayens d'assumer une conjoncture critique, fortement conditionnée par l’héritage d'une mauvaise gestion publique et par des affaires essentielles restées en suspens et qui pèseront chaque fois plus à l'heure de prendre des décisions.   

Des organisations de la société civile – telles que le Comité de Coordination pour les Droits de l’Enfance et de l’Adolescence et l’organisation Decidamos (Décidons) qui ont formé l’Alliance pour l’Investissement à l’Enfance et à l’Adolescence – envisagent une contribution à la connaissance des effets de la crise chez les petits garçons, les petites filles et les adolescents en situation de vulnérabilité, par le biais du débat sur les politiques d'investissement dans l'enfance, afin de fournir des propositions concrètes. 

Un plan contre la crise ne sera probablement pas une mesure idéale, mais il s'avère nécessaire et dépendra de ce que le Gouvernement pourra construire avec les efforts de tous.  Compte tenu des antécédents dans la planification du pays, la mise en œuvre de ce plan serait un véritable avancement. Le succès dépendra d’une compréhension juste des problèmes hérités et de ceux qui pourraient apparaître dans un contexte chaotique et imprédictible. De toute façon, la crise pourrait être la solution pour orienter encore une fois le cours en matière économique, sociale et environnementale, ainsi que pour améliorer la capacité de gestion et de contrôle de l'État, ce qui facilitera également la participation de la société civile dans le domaine public.

 

1Programme "Investir dans les Gens".  Étude sur l’impact de la crise sur les indices de pauvreté au Paraguay. PNUD/UNICEF/UNFPA.

2      Última Hora (UH), le 17 janvier 2009.

3       Ibid.

4       ABC, le 29 décembre 2008 et le 20 janvier 2009.

5       ABC, le 6 octobre 2008 et Última Hora, le 18 octobre 2008.

6       Última Hora, le 31 janvier 2009.

7       Grassroots Internacional,  lettre au Président Barack Obama: Spéculation des marchés financiers dans la production des aliments, www.grassrootsonline.org.