YÉMEN

Le pétrole ne suffit pas

Centre d’Information et de Formation des Droits de l’Homme (HRITC)
Le Forum Social Démocratique
Observatoire Yéménite des Droits de l’Homme

Avec une économie qui dépend des exportations du pétrole, et des réserves qui commencent à donner des signes d’épuisement, le Yémen mise sur les hausses du prix international du pétrole pour financer son budget. Dans ce pays, qui se place dans les derniers rangs quant au développement, les politiques sociales officielles ne sont pas basées sur des études économiques profondes et leur mise en pratique est de plus en plus chaotique. Une minorité corrompue joue avec les ressources de l’État et la richesse ne parvient pas aux secteurs qui en ont le plus besoin.

La Constitution de la République du Yémen considère la charia, le code musulman de moralité et des règles de conduite comme source principale des législations. Elle établit la séparation des pouvoirs – législatif, exécutif et judiciaire – et le principe de pluralité des partis politiques. Il y a des élections parlementaires tous les six ans et des élections municipales tous les quatre ans. Aussi bien la décentralisation du gouvernement que la séparation des pouvoirs, consacrées dans la Constitution, laissent apparaître des faiblesses lors de leur mise en pratique.

L’Islam est la religion officielle de l’État. Il y a une minorité juive concentrée notamment dans les gouvernorats de Saadah et Amran. Les musulmans sont partagés entre les croyances chafite  et zaydite,  et la minorité ismaélite. Tous jouissent de la liberté religieuse. La société yéménite se consacre aux activités agricoles. Elle est  gouvernée par des mœurs communautaires dans la plupart des régions.

La Constitution  met l’accent sur le principe d’égalité entre les citoyens, et en ce sens, les lois sont ressenties comme positives, excepté quelques unes qui sont clairement discriminatoires à l'égard des femmes, telles que les lois sur les biens personnels et les sanctions. Le plus grand problème est constitué par leur mise en pratique en raison du manque d’indépendance réelle des organismes judiciaires.

Droits civils et droits politiques

Au cours de l’année 2008 les organisations internationales travaillant sur les Droits de l’Homme et plus spécialement sur la liberté d’opinion et d’expression ont durement critiqué ce pays. Des journaux appartenant à des partis politiques, comme Atauri  (Le révolutionnaire) et Al-Uahdaui  (L’unioniste), etdes journaux indépendants comme  Al Aïam  (Les jours)  publié à Adan, affrontent une série de procès. D’après les activistes, ces procès  portent atteinte de façon continue et préméditée contre  la liberté d’opinion et d’expression.

Quant à la lutte contre la corruption, les rapports de « Transparence Internationale » ont signalé une  régression évidente du Yémen, malgré le pas en avant que  la signature de la convention des Nations Unies a signifié en 2005 1, tout comme la formation en juillet 2007 de l’Organisme National Supérieur de la Lutte contre la Corruption comme instrument indépendant.

La société civile travaille en coopération étroite avec l’organisme officiel du gouvernement afin de sensibiliser davantage la société sur les dangers de la corruption et sur le besoin de contrôle social concernant les programmes du budget général et  le renforcement de la transparence et de l’intégrité.

En ce qui concerne  les élections, malgré quelques avancements importants trois élections parlementaires consécutives en 1993, 1997 et 2001, des élections municipales et des présidentielles directes en 2006 –  le conflit existant entre le parti au pouvoir et les partis d’opposition a retardé de deux ans les élections qui auraient dû avoir lieu en avril 2009.

 Situation économique et sociale

L’économie du Yémen a été faible depuis la naissance de la République, en 1990. Depuis lors, le pays a connu des crises économiques successives : depuis la guerre du Golfe en 1991, qui a provoqué le retour des ressortissants partis en Arabie Saoudite et dans le Golfe alors qu’ils étaient la source principale de revenus en devises étrangères, jusqu’au conflit de Saadah 2, au nord, toujours en vigueur en 2008.

Le rial, la devise officielle, subit une baisse de son pouvoir d’achat en raison de l’affaiblissement de l’économie. La valeur d’un dollar américain est arrivée à près de 200 rials, alors que son prix ne dépassait pas 20 unités au début des années 1990. 

En 2007 la hausse des prix du pétrole a entraîné une amélioration du revenu national. Cependant, la baisse du prix international à partir de mi-2008 a eu un impact négatif. Un coup dur puisque le pays n’a pas fait d’épargnes quand il pouvait en faire. Le gouvernement a annoncé une réduction de 50 % des dépenses destinées au bâtiment et à l’infrastructure, ce qui aura de graves répercussions sur les services et les revenus aussi bien nationaux qu’individuels en 2009. Le budget général de l’État est tributaire des extractions de pétrole. Le probable épuisement des réserves, dont le rendement est en baisse continue – de 420 mille barils  par jour en 2005 à moins de 350 mille actuellement – met le budget général en danger. Par conséquent, le Yémen ne peut miser que sur la hausse du prix international du pétrole.

La culture du khat, une plante stimulante et euphorisante, considérée comme un fléau économique parce qu’elle gaspille plus de vingt millions d’heures de travail par jour, occupe plus de la moitié de la superficie cultivée et absorbe d’importantes quantités d’eau souterraine ainsi qu’un quart de la main d’œuvre. On en  estime le coût à 7 millions d’USD  par jour.

Ces raisons entre autres, expliquent pourquoi 42 % des Yéménites vivent sous le seuil de pauvreté, selon des estimations du programme d’alimentation de l’année 2006. On estime que ce pourcentage continuera de s’accroître moyennant la hausse des prix des aliments en 2009,  notamment du blé. Il faut rappeler que la moyenne du revenu individuel annuel au Yémen était de 930 USD en 2007. Selon le rapport du Gouvernement, la croissance de l’économie a diminué de 5,6 % en 2005 à 3,6 % en 2007. Le chômage est monté à plus de 35 % selon la Banque Mondiale, mais le gouvernement l’estime à 17 %.

Le Yémen se trouve parmi les pays ayant les pires indices de développement : 157éme sur 175 dans le rapport international de développement humain publié par les Nations Unies concernant l’année 2007, et 131ème dans le rapport de Transparence Internationale de la même année 3.

Effets des accords de commerce

Le Yémen a suivi les programmes du FMI et  de la Banque Mondiale et a complètement libéralisé  son propre commerce en 1985. La baisse des tarifs de 5 % à 25 % a rendu impossible la production de nombreux produits alimentaires. À l’heure actuelle les importations d’aliments représentent 33 % de la totalité des importations et elles jouent un rôle important aussi bien dans la balance commerciale que dans celle des paiements. L’industrie nationale est faible et l’investissement privé ne fait que diminuer. La moyenne de la majoration de l’inflation, qui d’après les estimations du gouvernement s’approchait de 17 % en 2006, a signifié  une baisse du niveau de vie et des revenus et a aggravé la pauvreté et le chômage. Installé dans cette réalité, le Yémen prétend faire partie de l’Organisation Mondiale du Commerce, qui le considère toujours non apte.

Le grand fossé entre les genres

La participation générale des femmes, qui représentent 25,7 % de la main d’œuvre, continue de montrer une chute importante. Le fossé entre les genres est important dans le domaine de l’éducation. L’analphabétisme féminin, de 65 %, se trouve parmi les plus élevés des pays en développement. La grille suivante montre le fossé existant entre les genres d’après les statistiques de 2005.

En ce qui concerne la santé, les statistiques montrent que 366 sur 100.000 femmes enceintes ou parturientes meurent à cause des complications de l’accouchement et du manque de soins sanitaires. 55 % de ces femmes ne reçoivent aucun soin  pendant leur grossesse ou l’accouchement, notamment dans les zones rurales.

Malgré la croissance de leur participation dans la vie politique en tant qu’électrices puisque les femmes  constituent plus de 42 % des listes électorales, leur participation en tant que candidates et élues lors des élections parlementaires (1993, 1997 et 2003) et des élections communales parvient à peine à 0,5 %.

Même en ayant approuvé la convention CEDAW, le fossé entre les genres continue d’être important. Plusieurs lois discriminant les femmes sont toujours en vigueur. De nombreuses organisations de la société civile, des personnalités et des leaders font des efforts appréciables en vue de sensibiliser et de promouvoir des changements précis tels que l’adoption du principe du quotient électoral pour les femmes lors des élections et des nominations.

Jouir des droits sociaux

Éducation.  Le taux d’accès des enfants à l’éducation primaire est estimé à 56 % à peine. Cela signifie laisser 2,9 millions d’enfants sans accès à l’enseignement. On compte 1,9 millions de petites filles dans cette situation.

D’après le troisième rapport sur le développement humain du pays, l’efficacité de l’enseignement est marginale. Les taux d’abandon scolaire et de redoublement augmentent, on constate le manque de respect du quota obligatoire de l’horaire scolaire et une forte concentration d’enseignants dans les zones urbaines en opposition aux manque d'enseignants en milieu rural. Les méthodes d’enseignement et les stages sont déficients et ne s’accompagnent pas de méthodes d’éducation modernes allant de pair avec les besoins du marché du travail. Le rapport du développement humain estime que les méthodes ou les styles d’enseignement en usage ne stimulent ni le développement ni la pensée critique.

Santé. Les services sanitaires ne sont pas à même d’apporter des solutions aux besoins de plus en plus importants issus de l’accroissement démographique à la suite de reculs dans l’utilisation des méthodes contraceptives. On constate une mauvaise distribution des postes sanitaires, un déficit dans l’équipement, une insuffisante organisation administrative des ressources humaines, c'est-à-dire de la formation et de la qualification des travailleurs ; il faut ajouter à cela une fragilité du milieu sanitaire et une régression de la  sensibilisation.

Bien que les habitants des milieux ruraux constituent 75 % de la population, leur couverture maladie ne doit pas dépasser 30 %  et on ne consacre à la santé en milieu rural que 3,5 % ou 4 % du budget général. Le rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé indique que 60% des habitants vivent dans des régions exposées au paludisme et on estime que trois millions de personnes tombent malades par an. Selon un rapport établi par la Commission de l’Eau et de l’Environnement du parlement, autour de 12 millions d’habitants souffrent de maladies liées à la contamination de l’eau.

Travail. La Constitution et les lois du travail et du service civil respectent les conventions internationales approuvées par le droit naturel au travail de chaque citoyen et à un niveau de vie digne moyennant un salaire juste. Cependant,  l’orientation du gouvernement pendant les dernières années décèle l’abandon de ces engagements.

La sécurité sociale couvre la totalité des fonctionnaires et 70.000 travailleurs du secteur privé, si bien que plus de 4 millions de travailleurs se trouvent en marge du régime de la sécurité sociale. Il n’existe jusqu’à présent aucun régime d’assurance-maladie dans ce pays. Il faut préciser que l’augmentation de la pauvreté a causé l’éloignement de plus de 500 mille enfants de l’enseignement primaire. La plupart d’entre eux vont aider leurs parents pour les travaux agricoles et le pâturage, une autre partie tombe dans la mendicité et une autre partie est conduite illégalement dans les pays voisins pour y pratiquer la mendicité ou pour les travaux domestiques.

La société civile et les droits de l’homme

Il  y a autour de 6.000 organisations civiles inscrites, dont plus de 75 % font de la charité et sont chargées de distribuer des aides aux familles pauvres et d’offrir plusieurs services. Les organisations traitant des droits de l’homme sont peu nombreuses et peu spécialisées si bien que la même organisation s’occupe des droits des femmes, des enfants et des droits civils, politiques et économiques. Malgré leur  nombre insuffisant et leur manque de spécialisation du travail de sensibilisation sur les droits de l’homme, elles ont organisé de nombreux cycles de stages, des conférences,  des activités et des débats sur divers problèmes en zone rurale. Bien qu’il ne se soient pas produits de grands changements , il y a eu des améliorations progressives concernant la problématique des femmes, des enfants et des handicapés. On a obtenu de même la sanction de nombreuses lois portant sur la transparence et la lutte contre la corruption.

Ces derniers temps on assiste au développement de nombreuses alliances et réseaux visant à s’engager dans l’activisme et le lobbying dans des domaines divers, aussi bien politiques que civils, sociaux, économiques et intellectuels.

 

1ONU (2003). Convention des Nations Unies contre la corruption. Voir : <www.cinu.org.ms/prensa/especiales/2003/corrupcion/docs/convencion_contra_corrupcion.pdf>.

2 En 2004 un groupe armé mené par le religieux zaydite Hussein Badreddin al-Houthi  s’est soulevé contre le gouvernement du Yémen.

3Human Development Report 2007/2008 – Fighting Climate Change: Human Solidarity in a Divided World.   New York : Palgrave Macmillan. <hdr.undp.org/en/media/HDR_20072008_EN_Complete.pdf >.


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