Déclaration de Social Watch sur le Sommet 2010 de l’ONU: “Nous avons besoin de justice; assez de la même chose!”

En septembre 2010 les présidents et les premiers ministres du monde vont se réunir à New York pour évaluer les efforts réalisés pour combattre la pauvreté pendant les dix dernières années et pour analyser la façon de continuer alors que les crises mondiales climatique, énergétique, financière et économique convergent comme on avait jamais vu jusqu'à présent.

L’Organisation des Nations Unies a été créée il y a plus de soixante ans dans la conviction qu’il devait exister un monde « sans peur et sans misère » et avec de la « dignité pour tous » dans un cadre de « paix juste et durable ». En 1995, après la fin de la Guerre froide, ce rêve s’est transformé en l’engagement solennel de tous les chefs d’état et de gouvernement pour éliminer la pauvreté dans le monde et pour atteindre l’équité des sexes. En 2000, la Déclaration du Millénaire a fixé pour l’année 2015 la réalisation des objectifs de développement social plus urgents accordés internationalement que l’on connaît comme les « Objectifs du millénaire pour le développement » ou OMD. [1]

Plus de cents présidents, monarques et premiers ministres ont signé l’engagement de ne ménager «aucun effort pour délivrer nos semblables –  hommes, femmes et enfants – de la misère, phénomène abject et déshumanisant qui touche actuellement plus d’un milliard de personnes». L’Objectif numéro un promet de réduire de moitié le nombre de personnes qui vivent en situation de pauvreté et de faim pour 2015.

En septembre 2008, les ministres du monde entier ont déclaré que « pourtant, 1,4 milliards d’êtres humains, pour la plupart des femmes et des filles, vivent encore dans l’extrême pauvreté…» et en janvier 2010 la Banque mondiale a estimé que « quelque 64 millions de personnes supplémentaires seront acculés à la misère (…) en 2010 à cause de la crise ».

Etant donné que 1,5 milliards de personnes vivent dans l’extrême pauvreté en 2010 (les 1,4 milliards de 2008, plus les 64 millions supplémentaires de la crise de 2009), la promesse de réduire de moitié la pauvreté semble presque impossible de tenir!

En fait, d’après le rapport du Secrétaire général des Nations Unies, le nombre de personnes en dessous du seuil de pauvreté de 1 USD par jour « a augmenté de 92 millions en Afrique subsaharienne et de 8 millions en Asie de l’Ouest pendant la période de 1990 à 2005 ». Et encore plus « la situation de la pauvreté devient plus sérieuse lorsque l’on considère également les autres dimensions de la pauvreté, comme le sont la privation, l’exclusion sociale et le manque de participation, reconnus dans le Sommet mondial sur le développement social de 1995 ».

L’objectif 8 appelait à établir un « partenariat mondial » en ce qui regarde le commerce, l’aide, l’annulation de la dette et le transfert de technologies tecnología pour permettre que les pays en développement puissent atteindre les autres sept  objectifs qui concernent la santé, l’éducation et l’assainissement.

Quelques progrès ont été faits en ce qui concerne l’annulation de la dette extérieure bilatérale et multilatérale de certains des pays les plus pauvres, mais il reste encore beaucoup à faire. Par rapport au commerce aucun pas positif n’a été effectué. En septembre 2001 un « cycle de développement » de négociations commerciales a été engagé à Doha. La partie qui concerne le développement est insignifiante et, même plus, elle est loin d’être conclue. Le transfert de technologies est devenu encore plus cher à cause de l’application stricte des normes de propriété intellectuelle. L’aide n’a absolument pas augmenté. En 1992 elle atteignait 0,44 % du revenu des pays donateurs et en 2008, elle représentait 0,43%. Un quart de l’aide totale est destinée seulement à six pays: l’Afghanistan, l’Irak, la Chine, l’Inde, l’Indonésie et le Vietnam.

Le manquement des engagements assumés par les pays développés dans l’Objectif 8 est en rapport avec l’insuffisante progression des autres objectifs. L’inégale distribution des ressources internes est un autre obstacle majeur. Lors des premières années du XXIème siècle, beaucoup de pays en développement ont présenté des niveaux de croissance élevés, mais la réduction de la pauvreté et la création d’emploi n’ont pas joui de cette croissance. Le fait que « tout le nécessaire en matière de financement, services, soutien technique et partenariats n’ait pas été fait[2] » a été aggravé « par la crise alimentaire et la crise économique mondiales et par l’échec de différente programmes et politiques de développement».C’est ainsi que « l’amélioration de la condition de vie des pauvres a été lente de façon inacceptable et, de plus, certains bénéfices qui ont donné beaucoup de travail d’obtenir sont en train de se dégrader».

Le Secrétaire général des Nation unies, Ban Ki-moon, reconnaît  ouvertement ces échecs et il affirme de façon explicite que les OMD sont « une expression des droits de l’homme fondamentaux: les droits de tous a jouir d’une bonne santé, éducation et protection ».

Le point de vue des OMD comme des droits de l’homme fondamentaux entraîne mettre en rapport l’élimination de la pauvreté avec le renforcement de l’équité et de l’intégration sociale. D’après le nouveau rapport sur la situation sociale dans le monde de 2010, « une vision intégrée des politiques économiques et sociales  au profit de toute la population  (…) demande une participation active et universelle de l’état – en opposition à la sélectivité – davantage progressiste et orientée sur les points de vue des politiques sociales» [3].
Les situations d’urgence exigent toujours la mise en place de politique dirigées, cependant les observations de nos membres pendant les dix dernières années montrent que ces politiques ne parviennent pas remplacer les prestations sociales universelles ainsi que les points de vue fondés sur les droits.

Le rapport 2009 de Social Watch a trouvé en plus beaucoup de données qui montrent qu’investir dans les pauvres par le biais des services sociaux ou même par le biais de transferts d’argent directs représente un meilleur plan de relance de l’économie en général que de subvenir ceux qui sont déjà riches. La raison du rapport entre les impératifs éthiques et le bon sens économique est simple; en temps de crise les personnes aisées épargnent tout ce qu’elles peuvent et l’horreur du risque décourage les investisseurs, alors que la seule chose que les pauvres peuvent faire est de dépenser le soutien qu’ils reçoivent.

Le réseau Social Watch, qui compte avec des membres dans plus de 70 pays, participera activement  dans le processus préalable au prochain Sommet de septembre et y présentera les conclusions et les analyses  des organisations de la société civile du monde entier.

« Si les pauvres étaient une banque, ils auraient déjà été sauvés », c’est ce que beaucoup disent avec ironie lorsque l’on compare la somme d’argent additionnelle qui est nécessaire pour atteindre les OMD (quelque 100 milliards USD par an) avec les billions de dollars qui ont été déboursés lors des dernières années dans les pays riches pour le sauvetage des banques en faillite et pour essayer de retourner les effets de la crise financière.

Cependant, effectivement, les moins privilégiés, aussi bien dans les pays riches que dans les pays pauvres, subissent les conséquences directes de la crise dans la perte de l’emploi, l’épargne et même le logement. On leur exige aussi qu’ils payent les sauvetages et les plans de relance par le biais d’impôts plus élevés et par la réduction des salaires et des bénéfices sociaux.

Dans cette situation, lancer un appel pour mettre en place « davantage la même chose » n’est pas la solution. Une plus grande aide monétaire et de meilleures conditions commerciales pour les pays en développement représentent un impératif éthique, aujourd’hui plus que jamais. Mais, pour faire face aux terribles effets sociaux et environnementaux  des multiples crises, il est nécessaire de viser plus haut que « les mêmes affaires de toujours », et de commencer à travailler pour un programme intégral de justice.

  • Justice climatique (reconnaître la « dette climatique », investir en technologies propres et  dans la promotion d’économies vertes qui créent des emplois décents)
  • Justice financière et fiscale (le secteur financier doit payer la crise qu’il a produit par le biais d’impôts aux transactions financières ou par un mécanisme similaire, il faut réglementer la spéculation et les paradis fiscaux et finir ou retourner la course  descendante des politiques fiscales, il faut permettre que les pays en développent imposent des contrôles défensifs des flux des capitaux et des espaces politiques)
  • Justice sociale et du genre (atteindre les OMD, promouvoir l’égalité des sexes, les services sociaux de base universels et « dignité pour tous ») et…
  • Justice pure et simple (juges et tribunaux) pour exiger l’exécution des droits sociaux fondamentaux.

En temps de crise sans précédents, il est nécessaire que les dirigeants aient le courage d’être audacieux et innovateurs. Il y a dix ans la Déclaration du millénaire promettait « un monde davantage pacifique, davantage prospère et plus juste » Social Watch s’est engagé à aider les citoyens du monde à exiger que leurs gouvernements tiennent cette promesse.

Dar-es-Salam, avril 2010

[1] Du «Programme d’Action d’Accra », adopté par le Troisième Forum de Haut Niveau sur l’Efficacité de l’Aide, le 4 septembre 2008.

[2] Pour tenir la promesse: un examen dirigé à l’avenir pour promouvoir  un programme d’action conforme à la réalisation des Objetifs du Millénaire pour le Développement pour 2015, Assemblée Générale, document A/64/665, Nations Unies 2010.

[3] Repensant la pauvreté: rapport sur la situation mondiale de 2010 (Nations Unies, 2010).

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