Financement des OMD: attentes et réalité

Dr. Achter Hossain[1]
Unnayan Samannay

Bien que ce soit l’un des pays les plus pauvres du monde, le Bangladesh a connu une croissance permanente de son économie et un certain succès pour ce qui est de la réalisation  des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Cependant, l’inflation et le changement climatique deviennent des enjeux de plus en plus importants en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté. Même si  la pollution émise est  faible, le pays est en même temps une grande victime du réchauffement de la planète. Les pays donateurs devraient tenir compte des coûts supplémentaires d’adaptation et d’atténuation au moment de réaliser leurs évaluations en matière d’aide.

Malgré la lourde charge que représentent la pauvreté, la pression inflationniste, les catastrophes naturelles, l’instabilité politique et la crise financière mondiale, le Bangladesh a atteint, grâce à sa constance, un taux moyen de 5,5 % de croissance de son Produit intérieur brut (PIB) pendant les 10 dernières années[2]. Avec sa petite économie et son budget limité en comparaison avec d’autres pays, il a atteint des succès remarquables quant au financement et à la réussite des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Le pays a pourtant un long chemin à parcourir[3]. Le moment est propice pour que le Gouvernement et les organisations de la société civile, les Organisations non gouvernementales (ONG) nationales et internationales et les organismes donateurs réexaminent le financement et le développement lié aux OMD pour atteindre un succès durable à long terme.

Progrès et enjeux dans le respect des OMD

Simultanément à l’attribution de plusieurs allocations budgétaires afin d´ atteindre les OMD, le pays a connu une terrible pression sur certains secteurs :  la réduction de la pauvreté en zones urbaines et rurales, l’emploi, l’éducation, la santé et l’environnement.

Le Gouvernement a obtenu un succès remarquable quant à l’éradication de la pauvreté et de la faim tout au long des 20 dernières années, mais le rapport entre la pauvreté et les gens souffrant de la faim est toujours très élevé. D’autre part, à l’heure actuelle il existe une stagnation de la réduction de la pauvreté due à la pression inflationniste sur les prix des produits de base et le choc récent provoqué par les catastrophes naturelles : 41,2 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté – 31,9 % dans la pauvreté et 9,3 % dans l’extrême pauvreté – et 34,1 % se trouve en situation d’extrême vulnérabilité et risque de tomber en dessous du seuil[4].

Les rares incitations pour aller à l’école, associées  à l’extrême pauvreté contribuent à une  présence insuffisante et à un taux d’abandon scolaire élevé  car les enfants doivent travailler pour gagner leur vie. Les dernières statistiques indiquent que 47 % des écoliers n’achèvent pas leurs études primaires[5]. Le taux de malnutrition infantile  est un des plus élevés du monde et il est plus grave que dans la plupart des pays en voie de développement y compris ceux de l’Afrique subsaharienne. Un bébé sur trois naît avec  un poids insuffisant  et 48 % des enfants de moins de cinq ans présentent un retard dans leur croissance. La moitié des enfants de moins de cinq ans souffre de malnutrition[6].

Malgré une augmentation très lente du nombre de sages-femmes, le taux de mortalité maternelle au Bangladesh s’est réduit à plus de la moitié entre 1990 et 2008, de 724 à 338 décès pour 100.000 enfants nés vivants[7]. Cependant, Il reste  encore beaucoup d’enjeux à relever : seulement 15 % des naissances ont eu lieu dans un centre de santé en 2007, ce qui signifie que 85 % des bébés sont nés à la maison[8]. Les résultats négatifs dans les secteurs de l’éducation et de la santé proviennent d’un financement public inadéquat. Bien que quelques ONG travaillent dans les secteurs de l’éducation et la santé, l’insuffisante et inefficace coordination entre celles-ci et le Gouvernement a empêché d’atteindre les résultats souhaités.

D’autres enjeux importants sont l’inflation (notamment pour les produits alimentaires), les très faibles recettes  fiscales, la corruption et le manque de coordination dans les projets de développement, le chômage, l’inégalité des revenus, l’urbanisation non planifiée, le manque de compétences dans le secteur agricole, le changement climatique et les catastrophes naturelles, le besoin de subventionner les produits alimentaires et l’énergie, le flux descendant de l’Investissement direct étranger (IDE) et la récente crise financière mondiale. Il faudrait surmonter ces obstacles à travers un  financement accru des programmes pour atteindre les OMD, une prise de nouvelles mesures efficaces et une surveillance efficiente. Étant donné que les ressources du Gouvernement sont insuffisantes, celui-ci doit essayer d’obtenir de l’aide extérieure.

Coût  estimé de la réussite des OMD

Il a été estimé que l’atteinte des OMD dans le monde  pour 2015 exigerait environ USD 100 à 120 milliards par an, moins de 0,5 % du PIB mondial[9]. Dans un rapport récent du Gouvernement, la Division générale de l’économie de la commission de planification a estimé le coût  annuel  pour atteindre les OMD au Bangladesh à USD 14,8 milliards[10]. Une autre étude, réalisée par Jubilee Netherlands, a montré, selon une estimation du Projet du millénaire de l’ONU, que le Bangladesh aurait besoin de USD 7,5 milliards d´aide annuelle, quatre fois le montant que le pays reçoit actuellement (une moyenne annuelle de USD 1,5 milliard)[11].

Le Gouvernement a également indiqué l’investissement moyen annuel nécessaire dans plusieurs domaines : développement agricole et rural, y compris la création de l’emploi et de l’infrastructure routière (USD 4,83 milliards), l’éducation, y compris l’éducation précoce, primaire, secondaire et non formelle (USD 2,27 milliards), l’égalité des sexes (USD 590.000 ), le système de santé, y compris l’infrastructure de santé et des ressources humaines (USD 1,63 milliards), la santé des enfants à l’exclusion des systèmes de santé (USD 670.000), la santé maternelle, à l’exclusion des systèmes de santé (USD 260.000), le VIH – sida, la malaria  et la tuberculose (USD 480.000), l’environnement (USD 260.000), l’énergie (USD 1,88milliard) et l’eau et l’assainissement (USD 2.02 millards)[12].

Le remboursement de la dette entrave la réalisation des ODM

Pendant la première décennie après l’indépendance du Pakistan en 1971, le Bangladesh a été fortement tributaire de l’Aide extérieure pour le développement (AED), plus spécialement pour l’aide alimentaire. Bien que cette dépendance se soit réduite au fil du temps, son impact persiste. Le remboursement de la dette est l’un des problèmes économiques cruciaux auxquels le pays est confronté. Les données montrent qu’en 2009 la dette extérieure  en suspens du Bangladesh s’est montée à USD 20,2 millions et le service annuel de la dette s’est situé autour  de USD 1,4 million, l’équivalent de 14 % des recettes d’exportation[13]. Pour chaque dollar d’aide étrangère non remboursable reçue, le Gouvernement doit payer USD 1,5 en tant que service de la dette aux créanciers étrangers. Cet argent ne s’investit pas dans les exigences budgétaires des OMD. Entre-temps, le budget de la santé a atteint une moyenne annuelle  d´environ  USD 500 – 700 millions  pendant les dernières années.

Les objectifs d’allègement de la dette sont basés sur des indicateurs arbitraires (ratio dette – exportations) plutôt que sur les besoins  définis dans les OMD, raison pour laquelle le Bangladesh n’est pas éligible pour l’Initiative pour les Pays pauvres très endettés (HIPC selon le  sigle en anglais) ni pour l’Initiative pour l’Allègement de la dette multilatérale. Selon des estimations de la Banque mondiale et du FMI, le ratio dette-exportation du Bangladesh est de 146 %, par-dessous le seuil officiel minimal de 150 %.  Comme M. Debapriya Bhattachrya, Directeur  exécutif du Centre pour le dialogue politique (CDP)  l’a signalé, « Le Bangladesh a régulièrement payé ses dettes, a fait croître les exportations et maintenant il est puni pour son succès[14] ». Puisque le rythme pour atteindre les ODM dépend en grande partie du financement, les pays développés devraient approuver l’annulation de la dette du pays de manière totale ou tout au moins partielle.

S’occuper du financement climatique

Le Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique (IPCC selon le sigle en anglais) prévoit que les températures mondiales auront augmenté  de 1,8ºC à 4,0ºC d’ici  la dernière décennie du XXIe siècle.  Les impacts du réchauffement  de la planète sur le climat ne seront cependant pas les mêmes dans chaque région du monde. Le Bangladesh est largement reconnu comme l’un des pays les plus vulnérables quant au climat. Les fréquentes catastrophes naturelles causent déjà des pertes de vies humaines, des dommages aux infrastructures et aux biens économiques et ils ont des impacts défavorables sur la vie et les moyens de subsistance notamment parmi les pauvres.

Le changement climatique mettra inexorablement à l’épreuve la capacité du Bangladesh pour atteindre une plus grande croissance économique et éradiquer la pauvreté au rythme attendu. Des cyclones tropicaux chaque fois plus fréquents et incléments, des précipitations plus abondantes et irrégulières, de plus grandes crues des débits des rivières, de l’érosion des côtes, une augmentation de la sédimentation, des fontes de  glaciers de l’Himalaya, une élévation du niveau de la mer et un climat plus chaud et humide, entre autres phénomènes, sont prévus pour les prochaines années. Ces changements entraîneront une réduction de la production agricole, l’augmentation de la salinité dans la bande côtière, une pénurie d’eau potable et de graves sécheresses.

Dans le pire des cas, à moins de renforcer les  digues côtières et d’en construire de nouvelles, l’élévation du niveau de la mer pourrait provoquer le déplacement de millions de personnes – « des réfugiés environnementaux » –  des régions côtières, ce qui produirait un énorme impact négatif sur les moyens de subsistance et la santé à long terme d’une grande partie de la population. Il est indispensable que le Bangladesh se prépare pour cet enjeu et défende son bien-être économique à venir et les moyens de subsistance de ses habitants.

Une étude récente en Inde a signalé que les cultivateurs éprouveraient une perte d’environ 9 % de leurs revenus annuels sur leurs cultures en raison du changement climatique[15]. Comme il s’agit d’un petit pays par rapport à l’Inde, et qu’il a une population totalement tributaire de l’agriculture, le Bangladesh risque de subir une plus grande perte de revenus sur son agriculture en raison du changement climatique. Les 30 dernières années le Gouvernement a investi plus de USD 10 milliards pour  renforcer la résistance du pays au climat et le rendre moins vulnérable aux catastrophes naturelles[16]. L’estimation de dommages à la propriété est montée à USD 7,4 milliards  de 1984 à 2007, tandis que lors des cyclones tropicaux de 1970 et 1991 on a estimé que 500.000 et 140.000 personnes sont mortes respectivement.  Le Gouvernement a  récemment établi le Fonds du Bangladesh pour la résilience au changement climatique (BCCRF d’après le sigle en anglais), ayant une capitalisation initiale de USD 110 millions et un Fonds en fidéicommis  de donateurs multiples pour le changement climatique de USD 150 millions avec l’appui du Royaume Uni, de la Suède, du Danemark et de l’Union Européenne. Ces fonds seront utilisés seulement à des fins concernant le changement climatique et ils devraient donner lieu à une meilleure analyse des impacts climatiques sur les secteurs traditionnel (l’agriculture) et non traditionnel (les télécommunications). L’inconvénient actuel est qu’on n’a pas encore décidé  quelle institution ou quel ministère sera en charge de ces fonds.

Le financement pour le changement climatique est un énorme enjeu pour le Bangladesh en raison de sa faible base économique. Depuis que le Gouvernement a établi le BCCRF, il a dû sacrifier la même quantité d’investissements dans d’autres secteurs importants tels que la santé, l’assainissement, l’éducation et la pauvreté. Le ministère de l’Environnement et des forêts évalue actuellement le coût de l’implémentation du Plan d’action de dix ans (2009 – 2018) en travaillant en accord avec les ministères correspondants. On estime qu’un programme de USD 500 millions devrait être lancé dans les deux premières années pour des actions immédiates telles que le renforcement des gestions des catastrophes, la recherche et la gestion des  connaissances, la construction des capacités et des programmes de sensibilisation du public, ainsi que des investissements urgents tels que des abris  pour se protéger des cyclones et des programmes sélectionnés de drainage. Le coût total des programmes  commençant les cinq premières années pourrait arriver à USD 5 milliards.

Avancer vers l’avenir

Étant donné que le Bangladesh est l’une des principales victimes du réchauffement de la planète, il a besoin d’un grand investissement d’aide pour les mesures d’atténuation de l’incidence croissante des catastrophes naturelles. La contribution du pays à l’émission de gaz à effet de serre (GEI) est minuscule : moins d’un cinquième du 1 % du total mondial, ce qui révèle sa très faible consommation d’énergie. Ce sont les pays responsables des plus grands taux d’émissions qui doivent financer les stratégies d’adaptation et d’atténuation du changement climatique.

Les organisations de la société civile, les ONG nationales et internationales et de divers organismes donateurs devraient  en même temps coordonner un mouvement  pour la restructuration des instruments financiers du FMI et de la Banque mondiale et  rassembler tous les acteurs  avec un même  objectif, de manière à accélérer la réalisation des OMD au Bangladesh et dans le monde entier.

[1] M. Akhter Hossain est chercheur  à l’Unnayan Samannay.

[2] Commission européenne, Country Strategy Paper: Bangladesh 2002–2006. Disponible sur :
<eeas.europa.eu/bangladesh/csp/02_06_en.pdf>.

[3] Gouvernement du Bangladesh, Millennium Development Goals Needs Assessment and Costing 2009–2015: Bangladesh  (Les OMD exigent une évaluation et le calcul des coûts) Disponible sur :
<www.undp.org.bd/info/pub/MDG%20Needs%20Assessment%20&%20Costing%202009-2015%20small.pdf>.

[4] Bureau des statistiques du Bangladesh, Rapport sur l’Enquête 2009 de surveillance du bien-être. Disponible en anglais sur : <www.bbs.gov.bd/project/welfaresurvey_09.pdf>.

[5] IRIN, "Bangladesh : le taux d’abandon de l’école s’élève à 47 %", 4 novembre 2007. Disponible en anglais sur :  <www.irinnews.org/Report.aspx?ReportId=75139>.

[6] UNICEF, "La dénutrition infantile et l’insécurité alimentaire des foyers sont toujours les principaux soucis au Bangladesh", communiqué de presse, le 29 mars 2009. Disponible en anglais sur : <www.unicef.org/media/media_48981.html>.

[7] IRIN, "Bangladesh : L’éducation des petites filles réduit le taux de mortalité maternelle", le 11 juin 2010. Disponible en anglais sur : <www.alertnet.org/thenews/newsdesk/IRIN/04181198dcfd1312fa570557b0d076d8.htm>.

[8] Ibid.

[9] Selim Jahan, Financement des Objectifs du Développement du Millénaire : Une note thématique, préparé pour un Séminaire international intitulé "Continuer à être pauvre : pauvreté chronique et politique du développement", Manchester, Royaume Uni, du 7 au 9 avril 2003. Disponible en anglais sur : <www.undg.org/archive_docs/5634-Financing_MDGs__An_Issues_Note.pdf>.

[10] Gouvernement du Bangladesh, op.cit.

[11] ONU Projet Millénaire, Investir en développement : Plan pratique pour atteindre les Objectifs du développementdu millénaire, 2005.
Disponible en anglais sur :<www.unmillenniumproject.org/reports/fullreport.htm>.

[12] Gouvernement du Bangladesh, op.cit

[13] Ahmed Sadek Yousuf and Mohiuddin Alamgir, "Aide extérieure : aide ou tomber dans le piège de la dette", The Daily New Age, XTRA, du 15 au 21 mai 2009. Disponible en anglais sur : <prodip.wordpress.com/2009/05/15/foreign-aid-help-or-debt-entrapment/>.

[14] Campagne de dette du Jubilé, Royaume Uni, "Information Pays : le Bangladesh". Voir :  <www.jubileedebtcampaign.org.uk/Bangladesh+3478.twl>.

[15]  Kavi Kumar, "Sensibilité climatique de l’agriculture en Inde : les effets spatiaux importent-ils ?" SANDEE Brouillon de travail, novembre 2009. Disponible en anglais sur : <www.sandeeonline.com/uploads/documents/publication/868_PUB_Working_Paper_45.pdf>.

[16] Ministère de l’Environnement et des forêts, Bangladesh, Stratégie et Plan d’Action 2009 pour le changement climatique, Gouvernement de la République populaire du Bangladesh, septembre 2009. Disponible en anglais sur : <www.moef.gov.bd/climate_change_strategy2009.pdf>.


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