Pas de développement sans justice: dénonciation de la farce démocratique
Burma Lawyers' Council
Dans le cadre d’un état de droit inexistant, la Birmanie a été récemment classée comme le 5e pays parmi les pires au monde en termes de liberté économique. La Constitution de 2008 et les élections générales prévues pour 2010 ne feront que perpétuer le régime militaire et la stagnation générale. Le développement a besoin d’institutions transparentes, impartiales et responsables qui ne peuvent pas coexister avec les violations flagrantes des droits de l´Homme, la corruption et l'oppression politique. Il est nécessaire que le Conseil de sécurité des Nations Unies établisse une Commission d'enquête afin de clarifier les crimes commis.
Le régime militaire, à travers le Conseil pour la paix et le développement de l’État (SPDC pour son sigle en anglais), viole de manière systématique les droits de l´Homme en Birmanie à travers des actes de criminalité généralisés depuis 1988. Le SPDC a commis ces exactions en toute impunité, en créant un système dans lequel les auteurs des crimes, même les plus brutaux, restent impunis. La criminalité et l'impunité sont favorisées par un système judiciaire soumis à la volonté des autorités et qui adapte à sa guise les lois de la nation pour préserver et accroître le pouvoir de la Junte.
Dans ce cadre, la Birmanie a été récemment classée comme le 5e pays parmi les pires au monde en termes de liberté économique[1]. Du point de vue international, son économie est considérée corrompue et très mal administrée[2]. En outre, en ce qui concerne l’Indice de développement humain 2009 du PNUD, la Birmanie occupe la 138e position sur 182 pays, ce qui met en exergue les graves lacunes existant dans le développement économique et social[3]. Le progrès dans le développement économique ne sera possible qu’une fois dissipé le climat actuel d’oppression et de criminalité et lorsque les coupables auront été poursuivis en justice.
Sans transparence, il n'y a pas de développement
La méfiance généralisée envers le SPDC et ses méthodes de gouvernement a des effets importants sur le développement économique. Les entreprises étrangères hésitent à opérer dans un pays où les litiges sont réglés par un système judiciaire faisant preuve de partialité envers le Gouvernement et où l'État ne respecte pas pleinement les droits de propriété individuelle.
Dans certains cas, des sociétés étrangères ont été fermées. Par le biais de la Loi sur les entreprises publiques, l'État contrôle de nombreux secteurs de l'économie, tels que les banques, les assurances, les télécommunications et l’exploitation de certaines ressources et du bois de teck, et confère le contrôle exclusif de ces services au SPDC[4].
Un exemple qui illustre la corruption rampante du SPDC et le manque de respect pour les droits de la propriété est l’affaire de Yaung Chi Oo, concernant un contrat de partenariat entre une société basée à Singapour et le ministère de l'Industrie pour rouvrir la brasserie Mandalay. La bière Mandalay est devenue une marque reconnue, mais avant le terme de l’accord de cinq ans, un différend est apparu. Bien que le ministère soit censé soumettre le différend à un arbitrage, le SPDC a saisi l'usine et tous ses biens sans se conformer à la procédure légale établie par ses propres lois. Les fonctionnaires du SPDC ont gelé les comptes bancaires de la société partenaire et ils ont menacé les propriétaires de poursuite judiciaire pour détournement de fonds. Lorsque les parties ont comparu devant la justice, le juge a ignoré les arguments de la société de Singapour et a profité abusivement de son ample pouvoir juridique pour se prononcer en faveur du Gouvernement[5].
La Loi d’investissement étranger (FIL, pour son sigle en anglais) de Birmanie veille à ce qu'aucune société étrangère ne puisse être nationalisée pendant la période d'investissement autorisée. La FIL contient également une section qui permet au SPDC de mettre fin à un contrat avant son expiration[6]. L’affaire Yaung Chi Oo a montré que le régime et ses tribunaux peuvent manipuler les lois pour nationaliser une société si cela convient au Gouvernement.
Une économie de marché à succès repose en grande partie sur la confiance des acteurs dans le système juridique pour que ce dernier défende leurs droits et résolve leurs différends de façon juste. Il est nécessaire que le système judiciaire soit efficace, équitable et abordable pour pouvoir régler les différends, y compris ceux impliquant le Gouvernement. Bien évidemment, ce n’est pas le cas de la Birmanie. Sans institutions qui protègent les droits de propriété privée, les entreprises étrangères s'abstiendront d'investir dans l'économie birmane.
Le développement économique exige des institutions transparentes, impartiales et responsables qui ne peuvent pas coexister avec les flagrantes violations des droits humains, la corruption et l'oppression politique. Le développement de la Birmanie ne sera viable que lorsque le pouvoir judiciaire sera indépendant du SPDC et quand toutes les parties respecteront l’état de droit. Il ne suffit pas d’avoir des institutions légales et judiciaires solides; la santé économique du pays a également besoin d’institutions politiques responsables et transparentes ce qui n’est pas le cas actuellement en Birmanie.
Des méthodes pseudo démocratiques pour perpétuer la Junte
Pendant des décennies, le SPDC a très mal géré l'économie du pays. La Constitution de 2008 et les élections générales prévues pour 2010 ne feront que perpétuer le Gouvernement militaire et la stagnation économique associée. La Constitution comprend des articles problématiques qui limitent la participation électorale des groupes d'opposition et assurent l'impunité des délits commis par des fonctionnaires du Gouvernement.
La Constitution birmane de 2008 ne représente pas un progrès de la démocratie mais une tentative flagrante du SPDC pour se perpétuer au pouvoir. Cette Constitution a été conçue par les militaires sans la participation des partis politiques d'opposition ni d’experts juridiques. Elle supprime le contrôle civil sur les forces militaires, ce qui implique la rupture d'une norme impérative du droit international, et fait de l’armée l’institution la plus puissante du pays[7]. L'article 121 de la Constitution empêche que des nombreux opposants politiques puissent être candidats, car elle interdit l'élection à des sièges parlementaires de ceux qui ont purgé des peines de prison. Le SPDC a arrêté plus de 2.000 opposants politiques qui sont détenus actuellement et donc exclus comme candidats[8]. Le texte du document interdit également aux principaux opposants de se présenter comme candidats aux élections. Par exemple, l’article 59 interdit à une personne d'exercer les fonctions de Président si elle est mariée à un étranger ou à une étrangère. Cette disposition enlève à Aung San Suu Kyi, qui a épousé un citoyen britannique, la possibilité de se présenter comme candidate à la présidence. Selon cette Constitution, les seules personnes autorisées à participer aux élections sont les membres du SPDC ou les sympathisants du Gouvernement actuel.
La violence sexuelle et le viol comme armes de guerre Parallèlement à l'oppression et à la violence permanentes, la situation des femmes en Birmanie s'aggrave. Plusieurs organisations de base qui opèrent tout au long de la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie ont documenté des violations flagrantes des droits de l´Homme commises par les membres de l'armée. Les crimes de la Junte militaire couvrent un large éventail de délits qui comprennent les meurtres, les enlèvements, les viols, le travail forcé et le déplacement obligé, parmi beaucoup d’autres. Tous ces crimes affectent les femmes, mais les délits de violence de genre exercent peut-être l'impact le plus direct sur la situation des femmes en Birmanie. Les membres du SPDC commettent des crimes de violence sexuelle avec une régularité scandaleuse. Le SPDC utilise le viol comme arme de guerre, en particulier lorsqu'il s'agit d'attaquer les groupes ethniques dans l'est du pays[10]. Le régime a intensifié ses attaques sur les groupes ethniques au cours des quinze dernières années, et ces attaques incluent l'utilisation systématique de la violence sexuelle[11]. Beaucoup de femmes ont souffert des viols collectifs par des soldats qui, parfois même torturent ou assassinent leurs victimes[12]. La violence sexuelle n’est pas un crime commis par quelques membres de l'armée, mais fait partie de la stratégie concertée par le SPDC pour attaquer les groupes ethniques et de l’opposition[13]. Les responsables de ces crimes ne sont pas poursuivis en justice et l'impunité règne en Birmanie[14]. Comme les tribunaux militaires ne sont pas indépendants du Gouvernement militaire, les victimes de la violence de genre ou d'autres crimes ne peuvent pas recourir au système juridique Birman. La culture de l'impunité qui protège les auteurs de violences sexuelles permet que ces crimes continuent à être commis. La violence sexuelle constante exercée par le SPDC et l’irresponsabilité de ce dernier ne sont pas passées inaperçues au sein de la communauté internationale. Le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies a récemment reconnu que le SPDC ne remplit pas ses obligations conformément à la Résolution 1820 du Conseil de sécurité. Cette résolution a été spécialement conçue pour protéger les femmes contre la violence sexuelle dans les situations de conflit[15]. Le Secrétaire général a pris note de l'utilisation généralisée de la violence sexuelle contre les femmes des minorités ethniques dans les zones rurales de la part du régime, du harcèlement sexuel exercé contre les femmes et les jeunes filles par les militaires, de l'incapacité ou du manque de volonté dont fait preuve le système juridique pour traiter les délits de violence sexuelle et de l'impunité dominante qui empêche la poursuite des auteurs de la violence de genre. Outre la violence sexuelle, les crimes de guerre et les délits contre l'humanité perpétrés par le SPDC affectent aussi principalement les femmes. Depuis 1996, le SPDC a brûlé 3500 villages dans l'est de la Birmanie. Le Consortium frontalierbirmano-thaïlandais a comparé les conséquences de cette situation à la destruction brutale actuellement en cours au Darfour[16]. La destruction massive par le feu de logements et de nourriture a donné lieu au déplacement d’un grand nombre de personnes. Les femmes sont particulièrement touchées par l’abandon forcé de leurs maisons, étant donné qu’elles sont plus vulnérables à la traite de personnes et au travail dangereux. Source : Putting gender economics at the forefront. 15 years after the IV World Conference on Women. Social Watch Occasional Papers 06. Février 2010. |
Il est encore plus choquant de constater que la Constitution contient un article visant à assurer une amnistie pour tous les responsables du SPDC[9]. Cette disposition est rédigée de façon confuse et conférerait l'impunité pour les crimes les plus odieux, y compris les délits contre l'humanité et les crimes de guerre. Conformément au droit international, cet article sur l’amnistie suffit à invalider la Constitution dans son ensemble. Garantir l'amnistie générale aux auteurs de crimes graves viole la Convention de Genève, le droit international coutumier et les dispositions des résolutions 1325 et 1820 du Conseil de sécurité, qui interdisent l'impunité des violences sexuelles dans les zones de conflit.
L’existence d’institutions solides qui défendent l’état de droit et la justice indépendante sont deux conditions essentielles pour le progrès économique. Ces institutions devraient incarner la responsabilité, l'accès à l'information et la transparence. La Constitution de 2008 représente une déviation manifeste de l’état de droit et va à l’encontre du bon fonctionnement du système judiciaire de la nation. Elle ne reflète pas un progrès dans les domaines de la transparence, de l'indépendance et de la responsabilité des institutions légales ou politiques de la nation, car elle contient plusieurs articles qui entravent le fonctionnement démocratique des institutions légales, judiciaires et politiques. La Constitution sert la cause du Gouvernement militaire qui jusqu’à présent n’a pas respecté la responsabilité institutionnelle, l'accès à l'information et la transparence.
Cependant, les élections de 2010 consacreront la Constitution de 2008. Après les élections, les institutions juridiques, judiciaires et politiques de Birmanie seront trop faibles pour faire progresser l'économie de la nation. Plutôt que de favoriser le progrès du pays, les élections renforceront l'impunité, la criminalité et les pratiques politiques déloyales. La nouvelle Constitution va faire sombrer le pays dans une dépression économique encore plus profonde et dans un isolement majeur, et les élections qui auront lieu cette année vont renforcer la culture de la criminalité et la militarisation du pays.
Recommandations
Le développement économique doit être accompagné par des institutions fortes, une bonne gouvernance et des conditions de paix et de sécurité. La répression systématique des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels par le SPDC a réduit au minimum la croissance économique au cours des dernières décennies.
En ce qui concerne la Constitution de 2008 et les prochaines élections de 2010, le Conseil d’avocats de la Birmanie (Burma Lawyers' Council) recommande :
- Afin de promouvoir un développement économique véritable en Birmanie et d’encourager de réelles améliorations dans la qualité de vie, le SPDC doit s'engager à réviser globalement la Constitution avec toutes les parties impliquées, à établir un système judiciaire indépendant et à rétablir le respect de l’état de droit.
- La Constitution doit garantir un système politique responsable, transparent et permettant l'accès à l'information.
- Étant donné que le libellé actuel de la Constitution de 2008 viole les normes impératives du droit international, le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait la déclarer nulle. Tous les États doivent refuser de reconnaître la Constitution et les résultats des élections basées sur celle-ci.
- Étant donné que la partialité du système judiciaire et l’impunité accordée par la Constitution empêchent les tribunaux de juger les délits du SPDC, le Conseil de sécurité de l'ONU devrait mettre en place une commission d'enquête afin de clarifier les crimes internationaux qui ont été commis en Birmanie.
[1] Heritage Foundation, “2010 Index of Economic Freedom: Burma” Disponible sur: www.heritage.org/Index/Country/Burma
[2] Voir, par exemple Transparency International, “Corruption Perceptions Index 2009”. Disponible.
PNUD, “Human Development Report 2009: Myanmar” Disponible
[4] State-Owned Economic Enterprises Law (SLORC Loi No. 9/89), 1989.
[5] BK Sen et Peter Gutter, “The Burmese Junta’s Abuse of Investment Laws” Legal Issues on Burma Journal (août 2001).
[6] Ibid.
[7] Id., art. 343 (« Dans le jugement de la Justice militaire … la décision du Commandant en chef est définitive et concluante » ).
[8] Association d’aide de prisonniers politiques de la Birmanie. Disponible sur : <www.aappb.org>.
[9] Constitution de la République de l'Union du Myanmar (2008), art. 445 (« Aucune procédure ne sera intentée contre lesdits Conseils ni contre aucun membre du Gouvernement à l’égard de tout acte accompli dans l’exercice de leurs fonctions respectives ».).
[10] Voir, p. ex., Shan Women’s Action Network, License to Rape (mai 2002).
[11] Ibid.
[12] U.S. Campaign for Burma, People, Politics, Poverty. Disponible. (dernière visite : 8 décembre 2009).
[13] See Shan Women’s Action Network, note 10 ci-dessus.
[14] Ibid.
[15] Conseil de sécurité des Nations Unies, Rapport du Secrétaire Général relatif a la résolution 1820 du Conseil de sécurité, 15 juillet 2009, S/2009/362.
[16] Consortium frontalierbirmano-thaïlandais, article de presse : “Rising Instability in Eastern Burma” , 29 octobre 2009. Disponible sur : <www.tbbc.org/announcements/2009-10-29-media-release.pdf>.