Un financement pour le développement en temps de crise

Bulgarian Gender Research Foundation
Bulgarian European Partnership

L’impact de la crise économique sur les progrès réalisés par la Bulgarie dans le domaine de l’éducation et de l’emploi, ou de la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) n’a pas encore été évalué à sa juste mesure. En revanche, on constate que certains des objectifs de développement considérés dans le cadre de l’adhésion de ce pays à l’UE sont loin d’être atteints. Le pays, auparavant bénéficiaire d’aide, est aujourd’hui un pays donateur.  L’Aide publique au développement (APD) est loin de l’objectif fixé pour 2010. Il n’y a pas de mécanismes ni de procédures claires pour l’attribution de l’assistance à d’autres pays. Il est nécessaire de renforcer la coopération et la communication entre les acteurs impliqués, d’inclure la dimension de genre dans les programmes d’aide et d’éduquer la population.

Au cours des années précédant la crise économique et financière mondiale de 2008, la Bulgarie a reçu un flux important de capitaux qui ont généré une forte demande intérieure. En conséquence, le Produit intérieur brut (PIB) et l’emploi ont connu une forte croissance mais parallèlement à cela, on a assisté à la croissance du déficit des comptes courants et à une surchauffe de l’économie, accompagnés d’une forte hausse des salaires et d’une inflation à deux chiffres. Ce boom a pris fin au cours du dernier trimestre de 2008 lorsque a eu lieu un ajustement des flux de capitaux qui a généré une contraction de la demande intérieure. En même temps, la récession dans les pays partenaires de la Bulgarie provoquait une chute des exportations. Tout cela a donné lieu à une contraction de 5,1 % du PIB en 2009, ce qui représente la première baisse depuis la crise de 1996-1997.

Une longue période d’ajustement

Bien que le FMI prévoie une reprise de l’économie à partir de 2010, et une croissance du PIB de 0,2 %, il est aussi prévu que la demande intérieure continue à baisser[1]. En raison du ralentissement de l’investissement, du resserrement du crédit et de la faible activité économique, il est raisonnable de s’attendre à ce que les investissements continuent de baisser. La consommation intérieure sera réduite à son tour à cause de la baisse de l’emploi, impliquant une aggravation du déficit des comptes courants de 8,5 % du PIB en 2009 à 5,5 % du PIB en 2010. La mission du FMI prévoit que l’inflation restera modérée, autour de 2,2 %, tandis que le chômage devrait passer d’une moyenne estimée de 7,8 % en 2009 à 9,2 % en 2010[2].

Mais les projections des syndicats et des organisations de travailleurs sont plus pessimistes encore et estiment que le taux de chômage sera de deux chiffres et atteindra même 20 %. Le taux de chômage moyen enregistré était de 9,9 % en janvier 2010, et dans certaines régions il dépasse déjà 15 %.

Sur la base des recommandations du FMI, le Gouvernement s’attend à ce que les secteurs privé et public se conforment à la nouvelle situation, et il a commencé à établir ses politiques à partir de cette hypothèse. Par exemple, pour l’organisation multilatérale, le secteur privé devra détourner des ressources du secteur non exportateur vers le secteur exportateur afin d’assurer la croissance du PIB. Mais, selon le FMI, cette mesure ne sera efficace que si elle parvient à limiter significativement l’augmentation des salaires qui est passée d’un pic de 25 % au deuxième trimestre 2008 à 10,6 % au quatrième trimestre 2009 (dans les deux cas, pendant la même période de l’année).

Le Gouvernement soutient qu’à travers ces ajustements des politiques publiques, le pays se prépare à une éventuelle transition vers la zone euro, ce qu’il considère comme la seule stratégie de sortie viable à la crise. Le Gouvernement considère également qu’en maintenant la discipline fiscale et en approfondissant les politiques structurelles il parviendra à renforcer les bases économiques et la viabilité de l’économie bulgare. Ainsi, le Gouvernement s’est fixé pour 2010 l´enjeu de parvenir à un déficit de trésorerie de 0,7 % du PIB. Pour atteindre cet objectif, il prévoit, entre autres mesures, une réduction du budget qui impliquera le gel des salaires du secteur public et des retraites, la réduction des effectifs de l’administration publique et un contrôle plus strict des dépenses de santé. Le FMI estime que, même si une réduction des cotisations de la sécurité sociale pourrait en principe contribuer à réduire les coûts du travail et de la compétitivité, une politique de ce genre risque d’aggraver la brèche de financement dans le système de la sécurité sociale, exigeant une plus grande quantité de transferts gouvernementaux. Cela pourrait mettre en danger les objectifs budgétaires que le Gouvernement s’est fixés à moyen terme et la viabilité du projet, notamment du système de retraite.

Pour éviter cette situation, le FMI recommande une réforme urgente du système de retraite. Parmi les mesures recommandées, se trouvent le gel des retraites pour l’année 2010, la faible augmentation de leur montant dans les années à venir et un ajustement des paramètres du système de retraite, notamment l’augmentation de l’âge de la retraite ou du minimum d’années de cotisations.

Pendant les premiers mois après les élections, le Gouvernement a prétendu ouvrir le débat sur une augmentation de l’âge de la retraite et des années de travail nécessaires pour y accéder mais, compte tenu de la montée du chômage, il a décidé de reporter cette réforme. En même temps, le Gouvernement a cessé de payer les allocations que l’État est légalement tenu de verser aux personnes de moins de 18 ans, aux retraités et aux bénéficiaires de l’aide sociale ou de l’assurance-chômage. Ces allocations représentent un tiers du budget de l’assurance maladie et elles n’ont pas été payées afin de limiter le déficit budgétaire. La caisse d’assurance maladie ne dispose pas d’assez d’argent pour payer les services de ses médecins et de son personnel, ce qui a conduit à la fermeture d’hôpitaux de petites villes situées loin des grands hôpitaux régionaux. Cela a donné lieu à des protestations massives et, depuis le mois de mars dernier, à de nombreuses grèves dans le système de santé.

Les débats dans le pays sur les politiques contre la crise et sur leur efficacité continuent. Toutes les mesures prises par le Gouvernement jusqu’à présent sont pro-cycliques, étant donné qu’elles réduisent les dépenses et ralentissent l’économie, provoquant une augmentation du chômage et de l’économie informelle. Cette situation démontre que le Gouvernement ne concentre pas vraiment ses efforts sur l’accomplissement de l’objectif de 0,17 % du PIB.

Un retard soutenu

Malgré un certain optimisme officiel quant à l’accomplissement des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD)[3], il est certain que, dans le domaine du développement, la Bulgarie doit relever une série d´enjeux importants qui sont aggravés par la crise économique mondiale. Lors de la publication du deuxième rapport sur les OMD[4], en octobre 2008, le pays était sur la bonne voie pour en atteindre certains, parfois avec de meilleurs résultats que prévu. Par exemple, le taux de mortalité infantile, prévu pour 2015 à 7 pour mille naissances vivantes, était de 11,8 en 2006, c’est-à-dire, inférieur au chiffre correspondant à 2001 (14,4). Le chômage à long terme, prévu à 7 % pour 2015, est tombé à 6 % en 2005 et il était déjà de 3,9 % en juin 2007, loin du chiffre de 9,59 % recensé en mai 2001[5].

Quoi qu’il en soit, il est nécessaire de contextualiser les progrès vers les OMD avec la transition vers l’adhésion à l’Union européenne. Dans ce cadre, le premier rapport national des OMD de la Bulgarie[6], publié en 2003, avait adapté ses objectifs pour 2015 au processus d’intégration à l’Union européenne (UE). Mais si certains indicateurs, tels que l’éducation et le chômage, ne différaient pas à l’époque de la moyenne européenne, d’autres - tels que le revenu mensuel, le revenu minimum, le taux de mortalité infantile et certains indicateurs environnementaux – montraient un retard considérable[7]. Avec un salaire minimum encore inférieur à l’objectif fixé pour 2015 de 170 EUR, la Bulgarie reste dans la catégorie des pays membres de l’UE considérés comme des pays à
« revenu moyen bas ».

Par ailleurs, le progrès vers les OMD a été accompagné d’inégalités et d’exclusion : 10 % de la population bulgare monopolise 40 % des revenus et de la dépense. Cette disparité, aggravée par la détérioration de la qualité et par la hausse du coût de l’éducation élémentaire et de la santé, entraîne à son tour une augmentation de l’inégalité des chances. En particulier, le faible niveau des revenus et de l’éducation, et l’accès limité aux services de santé donnent lieu à des disparités sociales, régionales et ethniques qui affectent surtout la minorité rom.

De récepteur à donateur d’aide

Depuis plus de 15 ans, la Bulgarie a bénéficié de nombreux programmes d’aide au développement au sein de l’Union européenne (initiatives financées par l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni) et a reçu le soutien de différents pays qui n’appartiennent pas à l’UE, tels que le Japon, la Suisse et les États-Unis.

Le deuxième rapport national présentait une révision des progrès vers les OMD selon la perspective d’un pays qui était déjà membre à part entière de l’UE (à partir du premier janvier 2007). Pour cette raison, le rapport modifiait entièrement les buts de l’Objectif 8 – promouvoir un Partenariat mondial pour le développement – afin de refléter le nouveau statut de la Bulgarie, qui était passé de pays bénéficiaire à pays donateur émergent.

Le nouvel engagement de la Bulgarie concernant sa participation active dans les politiques de développement de l’Union européenne établit son obligation d’atteindre les objectifs de l’Aide publique au développement (APD) fixés pour les nouveaux États membres, ces objectifs sont les suivants : 0,17 % du Revenu national brut (RNB) en 2010 et 0,33 % du RNB en 2015. Loin de ces résultats, l’APD correspondant à la Bulgarie a diminué en 2008 de EUR16 millions à EUR13 millions, ce qui représente 0,04 % du RNB. Un rapport officiel de 2007 signalait que l’assistance pour le développement de la Bulgarie « aura comme principales cibles l’éradication de la pauvreté et la lutte contre le sous-développement économique dans les pays partenaires (de l’UE)... » en identifiant les régions du sud-est de l’Europe et de la mer Noire comme zones géographiques prioritaires[8].

 

Enjeux et opportunités

La plupart de l’APD de la Bulgarie est canalisée vers des organisations internationales telles que les agences de l’ONU, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et la Croix-Rouge. Depuis 2008, la Bulgarie contribue également au Fonds européen de développement (European Development Fund, EDF), le principal instrument de l’aide communautaire pour la coopération au développement. Selon un rapport publié en 2008[9], le rôle des donateurs privés et des organisations humanitaires d’assistance a été sous-estimé par les fonctionnaires du Gouvernement chargés de la mise en œuvre de l’APD bulgare, ce qui est considéré comme une des plus grandes faiblesses dans la stratégie actuelle d’aide au développement.

Bien qu’il existe un cadre clairement défini pour la mise en œuvre de l’APD, la Bulgarie ne dispose pas de mécanismes ni de procédures spécifiquement créés pour fournir une assistance technique et financière à d’autres pays. L’absence de ces modalités pratiques, ainsi que le manque de clarté quant à l’infrastructure institutionnelle pour fournir de l’aide, l’administrer et l’évaluer, sont de sérieux obstacles à la mise en œuvre efficace de programmes d’aide au développement.

Jusqu’en 2008, il n’existait pas de rapports annuels ou d’évaluations de la mise en œuvre de l’aide. Bien que cela puisse être en partie dû au statut encore récent de la Bulgarie comme pays donateur, il semble y avoir une sous-estimation des processus de surveillance et d’évaluation. Il n’existe pratiquement aucune information sur les progrès réalisés (si progrès il y a eu), ce qui est particulièrement perceptible dans le cas des dépenses financières. Il n’existe pas non plus de preuve qu’un plan quelconque ait été exécuté puisque aucun rapport public sur les projets et sur les domaines dans lesquels des fonds ont été investis avant l’année 2008 n’a été élaboré.

Le besoin de transparence

La transparence est donc un des points les plus faibles de la mise en œuvre de l’APD en Bulgarie. L’information sur la prise de décisions en matière de développement n’est pas accessible au public, et les informations sur le flux de l’aide publique sont très difficiles à obtenir. Parmi les sources diffusées par le Gouvernement, tel que son site Internet, pratiquement aucune information n’est fournie.

Les décisions en matière de développement sont généralement prises unilatéralement par le Gouvernement. Les ONG bulgares ont commencé à jouer un rôle plus important dans le processus d’aide, mais il reste encore un long chemin à parcourir. Les ONG ont été consultées pendant la préparation de la stratégie à moyen terme de l’aide (2009-2011), mais si l’on prétend que les mécanismes d’aide en Bulgarie soient démocratiques, il est essentiel que les processus de consultation s’élargissent afin d’inclure des discussions sur des sujets de développement plus spécifiques et d’engager les acteurs du développement dans les pays partenaires.

Les recommandations de la société civile

Les ONG de la Bulgarie ont fait une série de recommandations au Gouvernement qui sont les suivantes :

  • Mettre fin à la stratégie de soutien, y compris les rapports de stratégie nationale pour les pays qui sont prioritaires pour la Bulgarie.
  • Renforcer les contacts de la Plateforme bulgare pour le développement international (Bulgarian Platform for International Development, BPID) avec des experts idoines appartenant à des institutions gouvernementales.
  • Réserver les ressources nécessaires et offrir une formation aux fonctionnaires du Gouvernement et aux représentants de la société civile comme moyen de renforcer le dialogue et la transparence.
  • Mettre en œuvre et conduire des évaluations de l’aide (y compris pour les questions de genre) dans les pays prioritaires afin de déterminer leurs besoins réels et que ceux-ci soient reflétés dans la stratégie nationale pour l’APD.
  • Travailler sur l’inclusion de thèmes liés au genre en tant que programme thématique spécifique et renforcer la coopération entre les OSC qui travaillent sur des questions de genre et les institutions de l’État.
  • Créer un forum pour promouvoir des rencontres régulières entre les différents acteurs (y compris les OSC) afin de discuter des priorités de la politique de l’APD.
  • Mettre en œuvre une campagne d’information publique pour faire connaître les obligations de la Bulgarie en matière d’APD.

 

[1] Fonds monétaire international, 1er mars 2010. <www.imf.org/external/np/ms/2010/030110.htm>.

[2] Ibid.

[3] PNUD,  “La Bulgarie a de bonnes raisons d’être optimiste en ce qui concerne l’accomplissement des OMD”, Bulgarie, 24 octobre 2008. Disponible.

[4] PNUD, Rapport des Objectifs du Millénaire pour le développement en Bulgarie 2008, Bulgarie, octobre 2008. Disponible sur : <www.undp.bg/publications.php?id=2691>.

[5] L’objectif de la Bulgarie pour 2015 concernant le revenu mensuel moyen est de EUR 280 à partir d’une base de EUR 91 en 2001. En 2009, le revenu mensuel moyen était déjà de EUR 300.

[6] PNUD, Millennium Development Goals Report for Bulgaria 2003, Bulgarie, mars 2003. Disponible sur: <www.undp.bg/publications.php?id=1161&lang=en>.

[7] Selon le rapport 2008 sur les OMD, le taux de mortalité infantile pour 1000 naissances en Bulgarie était de 10,4, tandis que la moyenne de l’UE était de 4,7. D’autre part, le pourcentage d’énergie produite à partir de ressources renouvelables en Bulgarie varie entre 4 et 7 %, tandis que la moyenne de l’UE est supérieure à 20 %.

[8] Ministère des Affaires étrangères, “Bulgaria’s policy on participation in international development cooperation”, Concept paper, Bulgarie, le 18 juin 2007.

[9] Vessela Gertcheva. “Bulgarian Official Development Assistance and Peacebuilding”.
Initiative for Peacebuilding; Partners for Democratic Change International. novembre 2008..