Santé universelle: un but difficile à atteindre

Programa de Participación Ciudadana CEP-Alforja

Le pays pourrait trouver de sérieuses difficultés pour étendre le droit à la santé à toute la population et plus particulièrement aux groupes les plus discriminés, entre autres les personnes vivant avec le VIH-SIDA. En plus des limitations imposées par l’Accord de libre échange avec les États-Unis pour l’achat de médicaments, le Costa Rica devra vaincre la résistance d’un milieu culturel conservateur pour légiférer en faveur des personnes non hétérosexuelles. Si on ne destinait pas de ressources à ces enjeux, le pays risquerait de ne pas respecter l’objectif de santé universelle.

La ratification au Costa Rica, en octobre 2007, de l’Accord de libre échange entre la République Dominicaine, l’Amérique Centrale et les États-Unis  (TLC-EUCA, selon le sigle en espagnol), suppose de nouveaux enjeux sociaux en matière de santé. L’analyse juridique de ce document effectuée par d’importantes institutions de  défense des Droits de l´Homme[2] révèle que le TLC-EUCA empêchera l’État d’offrir un droit aussi élémentaire que celui de la santé. La mise en oeuvre de l’Accord, et tout spécialement du chapitre 15 relatif au Droit de la propriété intellectuelle, ne permettra pas que la couverture universelle de la santé soit économiquement durable, ni que la fourniture des médicaments pour tous ceux qui en ont besoin soit possible.

Un autre problème grave surgit du fait qu’au Costa Rica, pays pourtant jugé démocratique et égalitaire, les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle sont sournoises, discrètes et dissimulées par tout un système légal moraliste enserré dans de rigides structures religieuses et traditionnelles. La négligence du Gouvernement, en ne présentant pas – ou en le faisant trop tard - les rapports de situation, comme cela a été le cas du rapport à l’ONUSIDA sur la prévalence de VIH dans des populations à haut risque, a mis les organisations gays et lesbiennes et celles qui travaillent en relation avec le VIH dans une situation précaire, qui avance au rythme lent et bureaucratique de l’État, au détriment des droits fondamentaux de toutes ces populations.

La fourniture de médicaments

La Caja Costarricense de Seguro Social (Caisse costaricaine de Sécurité sociale, CCSS) fait parvenir à tous les centres médicaux du pays environ 11 médicaments antirétroviraux génériques différents. Au cours des six dernières années on a pu observer que les lots de ces médicaments destinés aux personnes vivant avec le VIH étaient nettement plus nombreux, mais simultanément de nouveaux médicaments ont été ajoutés à l’offre des services (moins nocifs, moins invasifs et avec moins d’effets secondaires), découverts grâce aux avancées scientifiques et pharmacologiques[3].

C’est précisément au sujet de l’incorporation des ces nouveaux médicaments, qui entrent peu à peu sur le marché, que l’État pourrait être confronté à de grandes difficultés et à des dépenses énormes. En ce sens, les conséquences que l’application de l’Accord pourrait avoir sont particulièrement préoccupantes en ce qui concerne les services d’expédition de médicaments en général et notamment au niveau des lots d’antirétroviraux destinés aux personnes vivant avec le VIH/SIDA.

L’incapacité de l’État à satisfaire la demande de médicaments s’aggravera pour plusieurs raisons, y compris : la rapide péremption des produits pharmaceutiques, le fait que les médicaments les plus onéreux soient ceux qui sont destinés à contrecarrer les maladies dégénératives (le cancer et les maladies cardiovasculaires, entre autres) affectant  spécialement les personnes âgées  et l’interdiction aux pays d’autoriser l’achat et la distribution de produits génériques, à moins d’avoir accordé cinq ans d’exclusivité sur le marché aux médicaments de marque.

Minorités démunies

Les efforts du pays dans le domaine de la santé materno-infantile et la prévention et le traitement du VIH-SIDA, deux des huit Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), sont entravés par la discrimination et l’exclusion de groupes de population importants qui luttent pour conserver leurs droits et pour promouvoir une nouvelle législation pour en ratifier d’autres. C’est le cas particulier des groupes gays, de lesbiennes, transsexuels, transgenres et bisexuels, dont les droits humains sont bafoués au Costa Rica.

C’est surtout vis-à-vis de ces groupes que les cibles concernant le VIH-SIDA et la santé sexuelle et reproductive deviennent plus délicats. Les avancées en matière de législation (qui restent encore à ratifier)  – ainsi que les affectations du budget correspondantes – se heurtent à un environnement culturel conservateur qui influe sur les prises de décisions politiques. Dans ce cadre, les contradictions de l’État costaricain sont visibles lorsqu’il s’agit de formuler et de mettre en marche des politiques publiques pour le développement, en ce qui concerne l’accomplissement des OMD tout spécialement, et plus précisément à l’heure de garantir l’accès aux services de santé ainsi que le traitement et la prévention du VIH-SIDA.

Le Costa Rica compte sur un large cadre juridique qui protège tous ses habitants et qui mentionne l’égalité dans l’Art. 33 de la Constitution. On y établit que « tous les citoyens sont égaux devant la loi » et qu’ « aucune discrimination ne pourra être faite à l’encontre de la dignité humaine ». Cependant, les droits des gays, des lesbiennes et des personnes vivant avec le VIH/SIDA, ne sont reflétés que dans la Loi Générale sur le SIDA (Nº. 7771), établissant dans l’Art. 48 que « quiconque applique, instaure ou pratique des mesures discriminatoires fondées sur la race, la nationalité, le sexe, l’âge, l’orientation politique, religieuse ou sexuelle, la position sociale, la situation économique, l’état civil, l’état de santé ou la maladie, sera condamné à une peine de vingt à soixante jours-amende ».

Cette disposition fixe une sanction d’une sévérité inférieure à d’autres qui sont appliquées à des délits sans rapport avec la discrimination des personnes. Ceci démontre d’une part l’état de vulnérabilité dans lequel se trouve la population gay/lesbienne et les personnes vivant avec le VIH/SIDA, et d’autre part la discrimination qui existe, même dans la seule loi qui les reconnaît sujets de droit.

Code Pénal

Étant donné que la législation permet que le « jugement de valeur » des juges intervienne sur la sentence, celle-ci est habituellement lourde de « préjugés moralistes et religieux », de sorte que tout conspire pour que la peine soit plus sévère si l’auteur d’un « délit » est un homosexuel ou une lesbienne. (Arts. 156, 161 et 167 du Code Pénal).

Code du Travail

Les discriminations sur le lieu de travail sont plus d’ordre social que légal ; le Code du travail ne contient aucune mention qui punisse ou censure explicitement les travailleurs et travailleuses en raison de leur orientation sexuelle, mais il n’y a pas dans les régimes d’emploi privé ni dans l’administration publique de mécanismes de procédure qui permette d’éviter ou d’éliminer la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.

Loi du Logement

On ne cesse de voir des cas où, d’une façon ou d’une autre, la population gay/lesbienne est clairement discriminée. Une de ces formes de discrimination est liée au contenu de la Loi sur le Programme du logement qui détermine que pour obtenir une maison financée par l’État il faut avoir un foyer traditionnel hétérosexuel, c’est-à-dire un mari, une femme, un concubin, une concubine, des enfants. Afin de protéger ces noyaux familiaux, l’accès des personnes non hétérosexuelles à ces logements sera limité et soumis à un financement en fidéicommis ou dans des conditions plus onéreuses. Ces dispositions financières quittent aux gays et aux lesbiennes la possibilité d’un financement bon marché et dans des conditions d’égalité avec le reste de la population.

Code de la Famille

L’absence de reconnaissance légale des couples de même sexe les empêche également de bénéficier, en tant qu’ayants droit, de la Sécurité sociale, de legs, de pensions de retraite, du statut de migrant, de procédures successorales, de la garantie de patrimoine, entre autres.

Autres lois et régulations

Les différences, l’invisibilisation et la franche discrimination, sont présentes dans de nombreux autres instruments juridiques au niveau national. Cette tendance est parfois déguisée dans les lois, mais elle est évidente dans les règlements administratifs ou opératifs de certaines institutions telles que la Caisse costaricaine de sécurité sociale, l’Institut national des assurances, le Patronat national de l’enfance, entre autres.

D’autre part, suite à une plainte du Centre de recherche et de promotion d’Amérique centrale sur les Droits humains (CIPAC)[4] portée devant le Défenseur du peuple, cet organisme a fait une enquête sur les politiques des cours d’éducation sexuelle du ministère de l’Éducation publique, où l’Église catholique exerce encore un énorme pouvoir et continue de s’ingérer. Le Défenseur s’est manifesté uniquement à propos de l’éducation visant la prévention du VIH-SIDA, mais on attend toujours la résolution concernant la question de l’hétéro-sexisme et le concept de la famille employé et promu par ces politiques.

Accès aux services de santé reproductive

Le Costa Rica affiche l’un des plus grands taux de prévalence de l’emploi de méthodes contraceptives d’Amérique latine et des Caraïbes : 81 femmes sur 100, âgées de 15 à 49 ans et vivant en couple, ont recours aux méthodes contraceptives. On pourrait croire au vu de cette donnée que l’objectif 5b des OMD est sur le point d’être atteint : « Obtenir pour 2015 l’accès universel à la santé reproductive ».

Or, le taux de grossesses non désirées est de 42 %, le nombre d’interruptions volontaires de grossesse est évalué à 27.000 et le taux d’accouchements parmi les femmes de 15 à 19 ans est de 71 pour 1 000[5].

L’International Planned Parenthood Federation/Región del Hemisferio Occidental (Fédération internationale du planning familial /Région de l’hémisphère occidental, IPPF/RHO) considère, d’après son classement, que  le Costa Rica se situe dans la moyenne quant au taux d’accouchements.

La CCSS, à laquelle s’adressent 80 % des utilisatrices de planning familial, offre seulement deux sortes de pilules contraceptives : Norgyl et parfois Ovral ou Primovlar. Ce sont des gestagènes oraux, de la première génération, combinés aux oestrogènes (étinyloestradiol) et aux progestagènes (norgestrel) à des doses très élevées, qui ne doivent plus être employés comme contraceptifs. On peut les utiliser pour la contraception d’urgence (méthode Yuspe). L’idéal serait d’utiliser les contraceptifs de troisième génération, qui agissent de la même façon que les progestagènes, mais qui ont beaucoup plus d’avantages que d’inconvénients.

Au Costa Rica il n’existe pas de législation ou de politique publique spécifique qui interdise, encourage ou favorise la contraception d’urgence (CE), celle-ci ne faisant pas partie des services offerts par le système public de la Santé. Le Comité directeur de la CCSS a récemment désapprouvé son utilisation en se fondant sur des critères légaux et non pas médicaux.  On continue à agir vis-à-vis de la CE conformément à l’opinion non scientifique des groupes fondamentalistes qui influent fortement sur les décisions politiques en matière de santé sexuelle et reproductive.

Le préservatif féminin n’est pas encore disponible dans le pays. La CCSS semble disposée à  le procurer aux travailleuses sexuelles, mais rien  n’a encore été mis en œuvre pour cela. L’utilisation de cette méthode est très importante non seulement chez les travailleuses sexuelles mais aussi chez toutes les femmes sexuellement actives, car ce préservatif leur permet d’employer de façon autonome une méthode qui les protège aussi bien des grossesses non désirées que des maladies sexuellement transmissibles, entre lesquelles figurent le virus du papillome humain (VPH) et le VIH (Objectif 6 et cibles 6.1 et 6.2 des OMD).

Entre 1999 et 2009, l’utilisation du stérilet est passée de 6 % à 2 % chez les femmes vivant en couple et dans la tranche d’âge 15 - 49 ans[6]. Cela pourrait être lié au fait que cette méthode n’est pas disponible dans tous les centres de santé d’attention primaire du pays, appelés Équipements pour une attention intégrale en Santé (EBAIS).

L’absence d’une large gamme de méthodes contraceptives dans les  services publics de santé pourrait avoir une influence aussi sur la mortalité maternelle. Sur ces 25 décès maternels qui ont lieu en moyenne chaque année, beaucoup sont évitables, car ils sont associés à des causes obstétriques indirectes, à des conditions déjà présentes avant la grossesse et qui s’aggravent pendant celle-ci. En 2008, par exemple, 24 % des décès maternels se devaient à des maladies cardiovasculaires, selon les chiffres de l’Institut national de statistiques[7]. Les gestagènes oraux de dernière génération, le préservatif féminin et la CE sont une option dans ce cas.

Dans le cas particulier des adolescentes, 63,1 % des femmes ont eu leurs premiers rapports sexuels entre 15 et 20 ans, l’âge moyen étant de 17,1 ans. L’âge moyen du partenaire sexuel est de 28,2 ans, ce qui suppose un écart de 11 ans[8]. En ce qui concerne l’emploi de méthodes contraceptives lors du premier rapport sexuel, 56 % indiquent ne pas en avoir employé. Une enquête effectuée en 2009 parmi les élèves de « tercer ciclo, 7º,8º et 9º grado,» correspondant en gros au premier cycle de secondaire en France  (6e- 5e, 4e, 3e), avait inclus la question suivante : « Au cours de cette année scolaire, t’a-t-on appris en classe à utiliser un préservatif masculin ou féminin ? » Selon le ministère de la Santé, 30 % ont répondu affirmativement et 70 % négativement.

Conclusion

Bien qu’il existe des lois comme le Code de l’enfance et de l’adolescence (Loi 7739 de 1998) et des politiques comme celle du ministère de l’Éducation publique appelée « Politiques d’Éducation intégrale d’expression de la sexualité humaine » (2001), il n’y a pas de  programme établi d’éducation sexuelle intégrale dans les écoles et les collèges. Les multiples tentatives qui ont été entreprises dans ce domaine ont échoué devant l’opposition férue des groupes fondamentalistes qui, comme nous l’avons déjà signalé, exercent une forte influence sur la prise de décisions politiques concernant la santé sexuelle et la santé reproductive.

On peut déduire de tout ce qui précède que le pays doit s’efforcer encore plus pour atteindre l’objectif 5 des OMD, notamment les cibles 5 A et 5 B qui ont pour but, respectivement, de réduire la mortalité maternelle et d’obtenir l’accès universel à la santé reproductive.

 

[1] Article élaboré grâce aux apports de Francisco Madrigal Ballestero, Directeur administratif du Centro de Investigación y Promoción para América Central de Derechos Humanos (CIPAC) (Centre de recherche et de promotion des droits humains pour l’Amérique centrale) ; José Carvajal, Coordinateur de programmes de l’Asociación Demográfica Costarricense (Association démographique costaricaine) ; Ericka Rojas y Soledad Díaz, de l’Asociación Madreselva y Red de Control Ciudadano (Association Chèvrefeuille et réseau de contrôle citoyen), et à partir de l’étude Les OMD et la santé sexuelle et reproductive: Un coup d’oeil depuis le Costa Rica, de Family Care International (2009) ; et Mario Céspedes, Coordinateur du Programme de Participación Ciudadana (Partipation citoyenne) del CEP-Alforja.

[2] Université du Costa Rica, Roces Inconstitucionales del Tratado de Libre Comercio entre República Dominicana, Centroamérica y Estados Unidos (Frictions inconstitutionnelles du traité de libre-échange entre la République dominicaine, l’Amérique centrale et les États-Unis), Comisión Especial sobre roces constitucionales del TLC (Commission spéciale sur les frictions constitutionnelles du TLC) (2007).

[3] Données fournies par le Service de Pharmacothérapie de la CCSS, 2007.

[4] Organisation non gouvernementale dont le but est d’éliminer les inégalités sociales dérivées de l’orientation sexuelle et l’identité sexuelle.

[5] Carbajal, José, Tasa de Partos entre mujeres de 15 a 19 años por Cantón 1995 y 2008 ("Taux d’accouchements chez les femmes de 15 à 19 ans par canton 1995 et 2008"), San José, 2008.

[6] Gómez, Cristian, Encuesta Nacional de Salud Reproductiva (Enquêtenationale sur la  santéreproductive). Asociación Demográfica Costarricense, 2009.

[7] Institut National de Statistiques et Recensement (INEC), Estadísticas Vitales 2008, "Cuadro 3.10. Defunciones maternas por grupo de edades, según causa de muerte, 2008" (Statistiques vitales 2008, "Tableau 3.10. Décès maternels par tranches d’âge, selon la cause du décès, 2008"). Disponible.

[8] Gómez, Cristian, op. cit.