Mesures audacieuses pour privilégier les gens
Tanya Dawkins, Global-Local Links Project
Aldo Caliari, Center of Concern
Karen Hansen-Kuhn et Alexandra Spieldoch, Institute for Agriculture and Trade Policy
Lane Vanderslice, Hunger Notes
Les États-Unis jouent toujours un rôle de leadership unique dans l’établissement des priorités globales, mais la récession économique et les nouvelles menaces du changement climatique ont augmenté radicalement les besoins internes et ont imposé de nouvelles limites budgétaires aux dépenses d’aide à l’extérieur. La pire crise économique depuis 1929 a accéléré l’érosion des progrès si difficilement acquis dans les domaines des droits de l’homme, de l’opportunité économique et de la justice sociale pendant des décennies. Dans le même temps, des groupes de citoyens, des organisateurs communautaires et des entrepreneurs sociaux ont proposé des solutions audaces et novatrices pour les problèmes les plus pressants auxquels le pays doit faire face.
Les États-Unis ont été l’un des 189 pays qui se sont engagés envers les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) lors de l’historique Sommet du Millénaire de l'ONU en l'an 2000. Le Sommet de révision des OMD de 2010 montrera sans doute les préoccupations de millions de personnes, aux États-Unis et dans le monde entier, dont les intérêts sont toujours sapés par une architecture économique et financière incapable de privilégier leurs intérêts. Ce sera également l’occasion d’encourager les engagements du Gouvernement et de la société civile avec l’esprit de la Déclaration du Millénaire : un monde sans pauvreté.
En 2009, le président Barack Obama a affirmé que les OMD sont des « objectifs des États-Unis ». L’action et l’investissement requis pour aborder les domaines mentionnés dans les OMD sont indispensables aux États-Unis et dans le monde entier.
La pire crise économique depuis longtemps a accéléré l’érosion des victoires durement gagnées en matière de droits de l’homme, de l’opportunité économique et de la justice sociale pendant des décennies. Des années de politiques publiques officielles ayant priorisé les marchés au détriment de l’investissement destiné aux personnes et aux communautés ont creusé et intensifié l’impact de la crise.
Le besoin d’avoir des points de référence au niveau local, étatique et national, et de présenter la reddition des comptes pour le bien-être humain et de la communauté est devenu plus évident que jamais. En septembre 2009, le Bureau de recensement des États-Unis a annoncé une importante augmentation du taux de pauvreté allant de 12,5 % en 2007 à 13,2 % en 2008[1]. On s’attend a ce que les chiffres des années 2009 et 2010 poursuivent cette tendance. Le chiffre de 1 % des foyers absorbe les deux tiers du total des bénéfices entre 2002 et 2007, le plus haut niveau de concentration des revenus depuis 1928[2].
On ne s’attend pas à ce que les niveaux d’emploi dans les pays les plus développés économiquement, y compris les États-Unis, puissent revenir aux taux qui ont précédé la crise avant la moitié de l’an 2013, alors que d’autres indicateurs d’emploi subiront un ralentissement jusqu’en 2014[3]. Dès janvier 2009, le chômage a atteint 18,9 % pour les travailleurs de 16 à 24 ans, 8,6 % pour ceux d’entre 25 et 54 ans, et 6,8 % pour les plus de 55 ans, ce qui représente des augmentations de 7,1 %, 4,5 % et 3,6 %, respectivement, depuis 2007. Le taux de chômage officiel par ethnie a été de 16,5 % parmi les travailleurs noirs, 12,6 % parmi les hispaniques et 8,7 % parmi les travailleurs blancs, ce qui représente une augmentation de 7,5 %, 6,3 % et 4,3 %, respectivement[4]. Actuellement, le manque de travail chez les noirs est presque aussi élevé que pendant les années 30 et pour les adolescents noirs, on a atteint un taux impressionnant de 38 %[5].
Alors que l’augmentation du chômage et du sous-emploi a été bien documentée aux États-Unis et dans le monde, on a fait moins attention à une tendance peut-être plus dangereuse d’avant la crise : la croissance économique sans emploi. Entre 1999 et 2009, malgré les indicateurs macro-économiques positifs, l’emploi n’a pas du tout augmenté[6]. Ceci montre le besoin de faire des efforts plus prononcés et novateurs pour la création d’emplois, en modernisant l’assurance-chômage et en repensant le contrat social. À l´heure actuelle, même les efforts de stimulation les plus progressistes n’ont pas été capables d’aborder les conséquences de ce nouvel environnement économique à long terme.
Le rapport 2009 du Rapporteur spécial de l’ONU sur le logement a célébré l’engagement du Gouvernement pour augmenter les fonds du logement, la modification des hypothèques, l’amélioration des quartiers et les initiatives de récupération des urgences au travers de la Loi Américaine de récupération et de réinvestissement. Le rapport montre aussi une tendance alarmante : des millions d’américains pauvres appartenant à la classe ouvrière doivent faire face à des obstacles croissants pour obtenir un logement accessible et approprié, la preuve en est le nombre croissant de familles et d’individus qui vivent dans des refuges ou qui sont forcés de vivre dans d’autres situations tout aussi inadéquates[7]. Environ 30 % des 50 millions de propriétaires de logements possèdent une maison ayant actuellement une valeur inférieure au solde de l’hypothèque ; ce chiffre pourrait augmenter à 50 % vers la fin de l’an 2011[8].
En 2010, après une dure bataille législative, le président a signé la Loi historique sur l’Assurance maladie accessible. Beaucoup sont ceux qui se sont sentis déçus par l’impossibilité d’inclure l’option de mettre en place un plan d’achat de la part du Gouvernement fédéral, également connue sous le nom d’Option Publique. Cette nouvelle loi, de grande portée, comprend des mesures visant à augmenter la reddition des comptes des compagnies d’assurance, à réduire les coûts de l’assurance maladie et à augmenter les options d’assurance maladie pour tous les américains[9].
Question de priorités : suivre l’argent
Les efforts du Gouvernement pour aborder des questions domestiques, allant de l’éducation et l’indépendance énergétique au développement des petites entreprises, à la pauvreté et la faim, sont limités par les priorités du budget fédéral. À l´heure actuelle, USD 1,05 milliard a été utilisé pour financer les guerres en Irak et en Afghanistan, y compris USD 136.800 millions affectés à l’exercice fiscal 2010[10]. Le budget militaire proposé pour 2011 représente 13 fois le total de tous les frais non militaires destinés aux relations internationales, y compris le Département d'État, qui ont atteint environ USD 54.000 millions en 2009. Si ce budget était approuvé, cela représenterait un investissement de USD 16 destinés à la force militaire pour chaque dollar dépensé en sécurité nationale, et de USD 7 pour chaque dollar dépensé dans les secteurs des affaires internationales et de la sécurité nationale.
Bien que la crise financière ait aggravé le gros déficit budgétaire hérité de l’administration précédente, la militarisation croissante des dépenses fédérales est au coeur du problème pour affronter le déficit. Le président Obama et le secrétaire d’État à la Défense, Robert Gates, ont manifesté leur intention de réduire les frais militaires[11]. La promesse d’un « changement radical » faite par Obama lors de la campagne présidentielle exigerait d’arrêter – au lieu de freiner simplement – l’augmentation des allocations militaires de l’ère Bush, outre l’Irak et l’Afghanistan qui, de nos jours, dévorent une proportion du PIB plus importante que jamais depuis la Seconde Guerre Mondiale[12].
Les citoyens, y compris plusieurs membres riches et éminents, encouragent des projets plaidant pour une série de propositions de budget responsable, depuis la réforme de l’impôt sur le patrimoine pour aboutir à la cessation de la réduction fiscale de l’époque Bush pour les foyers ayant des revenus annuels dépassant USD 250.000. Le président Obama a créé une Commission nationale pour la responsabilité et la réforme fiscale, chargée d’équilibrer le budget pour l’an 2015 et d’améliorer la santé fiscale du pays à long terme. La Commission prendra en considération de nombreuses propositions dans les mois qui viennent, entre autres la réduction des dépenses militaires et un impôt sur la spéculation financière .
Reconstruction de la crédibilité
Le président Obama a dû faire face à de nombreux obstacles pour respecter sa promesse de doubler l’aide externe. La récession économique, l’augmentation de la faim au niveau mondial et les nouvelles menaces du changement climatique ont augmenté radicalement les besoins mondiaux et ont établi également de nouvelles limitations du budget national vis-à-vis des dépenses d’aide externe. Le budget demandé par Obama pour l’exercice fiscal 2011 comprend USD 56.000 millions pour l’assistance à l’étranger, une augmentation significative par rapport aux demandes de 2010 mais bien moins d’un dixième du budget militaire. Le budget comprend USD 18.000 millions pour l’aide à la pauvreté et au développement, USD 1.900 millions pour l’aide alimentaire et USD 16.000 millions pour l’aide à la sécurité (y compris l’aide militaire étrangère et les programmes anti-drogue) [14].
Il s'avère toujours nécessaire d’avancer pour aborder les problèmes structuraux de l’assistance étrangère. Actuellement, elle est gérée par 24 agences gouvernementales et 50 programmes, dont beaucoup sont doublés et d’autres se contredisent. Une Directive présidentielle d’étude sur la politique de développement mondial a été créée pour réviser le système actuel et recommander des modifications. Le Congrès travaille aussi sur des lois visant à réformer les programmes d’aide externe qui ont été retardés par la longue bataille en faveur des réformes financière et de la santé.
Parmi les propositions prometteuses on identifie une nouvelle et importante initiative sur la crise alimentaire mondiale favorisant de nouveaux investissements dans le secteur de l’agriculture durable et donnant la priorité aux programmes pour les petits agriculteurs et pour les femmes. D’autre part, le Gouvernement plaide toujours en faveur de la libéralisation du commerce comme solution à la faim mondiale, malgré les preuves indiscutables montrant que le libre commerce a sapé les producteurs alimentaires au niveau mondial. De la même manière, le Gouvernement favorise les initiatives de la biotechnologie au détriment d’autres technologies, malgré les preuves suffisantes démontrant que ces programmes n’augmentent pas la disponibilité d’aliments.
Les États-Unis jouent toujours un rôle de leadership unique pour établir les priorités mondiales, notamment pour ce qui est des efforts continus visant à revoir la conception de l’architecture financière mondiale. À la fois, le G20, BRICS[15] et d’autres nouvelles configurations géopolitiques sont en train de modeler et de changer les relations des pouvoirs économique et politique au niveau mondial. Bien des fois, on affirme que le Gouvernement des États-Unis a une responsabilité particulière dans la crise économique et financière mondiale de 2008 à cause de la régulation laxiste du système financier national et de sa promotion historique de la dérégulation mondiale et de la libéralisation commerciale et financière. Ces politiques, encouragées systématiquement depuis les années 80 à travers la Banque mondiale et le FMI, ont augmenté la vulnérabilité des économies des pays en développement face à des facteurs externes, une tendance intensifiée par la crise.
L’administration a été durement critiquée au Congrès et à l’étranger du fait de son soutien à une injection sans précédents de USD 750.000 millions pour le FMI lors du Sommet du G20 à Londres. Le FMI s’est trouvé à la limite de la non-pertinence en raison de la gestion des crises précédentes et d’autres problèmes. Cette injection de fonds a permis au FMI de jouer un rôle central quant à la réponse à la crise sans avoir réalisé les réformes internes et externes dont il avait tellement besoin pour réviser notamment les politiques imposées pendant si longtemps aux pays en développement, y compris les limitations de politique fiscale qui diminuent la croissance et intensifient les récessions économiques. L’impact négatif de ces dispositions devient plus visible face aux politiques adoptées par certains actionnaires du Fonds, y compris les États-Unis, qui sont totalement contraires à celles imposées aux pays en développement.
Le manque de réformes fondamentales au sein du FMI affaiblit même les propositions les plus novatrices. Voici le cas, par exemple, de l’injection de USD 283.000 millions en Droits de tirage spéciaux (DTS), qui sont des actifs pouvant être utilisés par les récepteurs soit comme des réserves libres d’intérêt soit pour faciliter les prêts de devises à un taux d’intérêt préférentiel. Du fait que les DTS sont distribués sur la base de quotas dans les pays membres du FMI, il n’a pas été possible d’introduire des innovations importantes ayant pu améliorer l’impact favorable dans les pays en développement. La détérioration rapide de la situation de la dette dans beaucoup de pays supportant des déficits fiscaux en augmentation et de moins en moins de revenus de l’exportation aurait pu être mitigée par le biais d’une plus grande flexibilité politique et par des séries de remise ou de moratoire de la dette au lieu d'une dette additionnelle.
Vers l’avenir : il faut agir avec audace
Les résultats du recensement 2010 fourniront des informations importantes concernant les nouvelles opportunités ayant besoin du leadership des citoyens et d’un esprit entrepreneur, notamment si l’on pense à retisser le réseau effiloché de la sécurité du pays, l’infrastructure physique et le développement communautaire. Ces efforts doivent aller plus loin que l’importante intervention à court terme fournie par les initiatives d’encouragement.
Le président et le public ont appris quelques dures leçons sur le sens d’un « changement » réel dans un environnement politique de plus en plus toxique. La société civile doit continuer à exiger un véritable leadership pour aborder les questions qui préoccupent davantage les gens dans leur vie quotidienne. Les groupes de citoyens, d’organisateurs communautaires et d’entrepreneurs sociaux sont en train d’imaginer dans tout le pays, des solutions audacieuses aux problèmes les plus pressants qui sont bien nombreux. Au niveau national, les propositions incluent la création d’une nouvelle entité nationale des droits de l’Homme reconnaissant les droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que les droits civils et politiques, et les appels à l’action pour ratifier la stagnante Convention pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW pour le sigle en anglais). Tous ces efforts exigent des associations stratégiques avec des alliés du Gouvernement.
Les États-Unis ont une opportunité sans précédents pour offrir un leadership basé sur des principes solides concernant la nouvelle conception retardée de l’architecture économique et financière nationale et mondiale. En 1944, le président Franklin D. Roosevelt a réclamé une « déclaration des droits économiques » radicale. Sa vision rassemblait le droit à la santé, à l’éducation et à un « emploi avec un salaire digne », suffisant pour payer une alimentation adéquate, les vêtements, les loisirs et un logement digne ainsi qu’un réseau de sécurité protégeant contre l’appauvrissement causé par la vieillesse, la maladie, les accidents et le chômage. « Nous ne pouvons pas être satisfaits, même si le niveau de vie général est très élevé, si une fraction de notre population (…) est mal alimentée, mal habillée, habite dans un logement précaire ou se trouve dans une situation d’insécurité » [16].
Un pays et un monde sans pauvreté, basés sur les principes de la démocratie, des droits de l’Homme, des opportunités et de la justice économique, sont sans doute possibles. Atteindre ces objectifs demande une vision et des actions audacieuses plaçant les gens au coeur des efforts de la reprise économique.
[1] Gregory Acs, "Poverty in the United States, 2008," The Urban Institute | Research of Record. Disponible sur : <www.urban.org/url.cfm?ID=901284>.
[2] Bureau du Vice-Président, "Annual Report of the White House Task Force on the Middle Class", février 2010. Disponible.
[3] OIT, « Pacte Mondial en faveur de l’emploi : Amérique du Nord ». Disponible en anglais sur : <www.ilo.org/jobspact/country/lang--en/WCMS_124402/index.htm>
[4] Economic Policy Institute,"Unemployment Drops to 9.7% despite More Job Losses" Disponible en anglais sur : <www.epi.org/publications/entry/jobs_picture_20100205/>.
[5] Orlando Patterson, "For African-Americans, A Virtual Depression—Why?" The Nation. Disponible sur : <www.thenation.com/article/36882/african-americans-virtual-depression>.
[6] Barry Lynn and Phillip Longman, "Who Broke America’s Jobs Machine?" Washington Monthly Webcast, 4 mars 2010. Disponible.
[8] Leo Hindery, Jr., "Our Dirty Little Secret: Who's Really Poor in America?” AlterNet, 9 mars 2010. Disponible en anglais sur : <www.alternet.org/story/145950/>.
[9] Understand the New Law”, HealthCare.gov. Disponible sur : <www.healthcare.gov/law/about/index.html>.
[10] National Priorities Project, "Cost of War". Disponible sur : <www.nationalpriorities.org/costofwar_home>.
[11] Ewan MacAskill, "US Defence Secretary Announces Large Cuts to Help Curb Spending," The Guardian, 6 avril 2009. Disponible .
[12] Miriam Pemberton y Suzanne Smith, "Budget Makes No 'Sweeping Shift' in Security Spending Yet" Institute for Policy Studies: Ideas into Action for Peace, Justice, and the Environment, 26 février 2009. Disponible sur : <www.ips-dc.org/articles/1118>.
[13] Committee for a Responsible Federal Budget, “Obama Establishes Deficit Commission," 18 février 2010. Disponible sur : <crfb.org/blogs/obama-establishes-deficit-commission>.
[14] Ken Forsberg y Viraf Soroushian, "FY2010 Federal Funding for Key Foreign Assistance Accounts," InterAction, 10 janvier 2010. Disponible sur : <www.interaction.org/document/Budget_Appropriations_Chart>.
[15] Le Brésil, la Russie, l´Inde, la Chine et l´Afrique du Sud.
[16] Discours de FDR sur l’état de la nation en 1944, Franklin D. Roosevelt Presidential Library and Museum. Disponible sur : <www.fdrlibrary.marist.edu/archives/address_text.html>.