Loin des OMD mais bien près d’un fort mouvement populaire

Centro de Estudios de la Mujer Honduras
Suyapa Martínez
Ana Ferrera

Le pays devra faire face non seulement au recul que suppose en toute chose un coup d’État, notamment en matière de violations des droits humains, mais il devra aussi affronter la répression exercée sur les femmes par les forces du Gouvernement de facto. Même si les réactions du mouvement populaire n’ont pas tardé à se manifester et qu’un Front national contre le coup d’État se soit constitué, il n’existe pas de volonté politique d’atteindre le but proposé par les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Étant donné ces circonstances, le pays a besoin d’un remaniement complet et non d’une simple action de réformisme.

Suite au coup d’État du 28 juin 2009 – perpétré par l’oligarchie hondurienne avec l’appui des secteurs de l’extrême droite la plus radicale d’Amérique latine et des États-Unis d’Amérique, qui a renversé par les armes le président constitutionnel de la République légitimement élu, Manuel Zelaya Rosales –, les Honduriens et Honduriennes poursuivent leur résistance dans les rues. Zelaya avait entrepris d’encourager une série de mesures auxquelles les entreprises privées se résistaient vivement, telles que l’augmentation du salaire minimum, qui est passé de 176 USD à 285 USD[1], et la signature d’adhésion à l’Alternative Bolivarienne pour les Amériques (ALBA), qui avaient éveillé de grandes expectatives dans les secteurs populaires principalement, car elle prévoyait l’assistance médicale, une aide éducative, des dons de machines agricoles et  de matériel.

L’adoption de l’initiative Petrocaribe est une des mesures mises en œuvre par le gouvernement de Zelaya. Elle a permis l’achat de pétrole financé à long terme à des taux d’intérêt très bas. L’épargne obtenue grâce à cette initiative a permis d’ouvrir un fonds de fiducie destiné à financer des projets de développement social. Ces lignes d’actions ont rapproché chaque fois plus Zelaya des secteurs populaires du pays, et l’alliance entre eux se scella lorsqu’il fut décidé de convoquer  une consultation populaire appelée la "quatrième urne".

Dans le cadre de ce rapprochement, le président décida de proposer une réforme de la Constitution, car certains de ses articles dénommés "artículos pétreos" ne permettent pas aux citoyens de participer de façon effective aux prises de décisions ni à l’adoption de solution pour les problèmes locaux et nationaux. Il se réunit pour cela avec les différents secteurs et même avec les partis politiques. De ces sondages surgit l’idée de créer une Assemblée nationale constituante et de placer une "quatrième urne" lors des élections du 29 novembre pour demander au peuple hondurien s’il désirait la convocation d’une Assemblée nationale constituante pour rédiger une nouvelle Constitution[2]. La consultation populaire se transforma en un sondage d’opinion qui devait avoir lieu le 28 de juin, jour où le coup d’État eut lieu.

Les réactions du mouvement populaire ne se firent pas attendre. Le jour même du coup d’État, le peuple descendait dans la rue et des manifestations furent menées en permanence pendant plus de 200 jours. Le Front national contre le coup d’État a été créé, on le connaît aujourd’hui sous le nom de Front national de résistance populaire (FNRP).

En novembre 2009, à l’issue des élections très controversées qui se sont déroulées au milieu de violations constantes des droits humains et avec un niveau de militarisation élevé – comme en Iraq –, le candidat du Parti national, Porfirio Lobo Sosa, a été élu. Il a été, de même que les dirigeants du Parti Libéral, un acteur intellectuel et matériel du putsch.

La gestion du gouvernement du président Lobo s’est caractérisée par la recherche de la reconnaissance internationale, sans parvenir cependant à s’incorporer dans les institutions régionales stratégiques telles que le SICA et l’OEA. Si dans le discours du président prône le désir de réconciliation et de dialogue, les faits démontrent le contraire : il fait adopter sans consultation préalable la Loi de Vision de pays et le Plan de la nation, l’intégration de la Commission de la vérité de façon unilatérale et il ne reconnaît pas la légitimité du FNRP.

Face à cette situation, la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) a manifesté sa préoccupation quant au fait que le haut commandement de l’armée ou des ex-membres contre lesquels des plaintes ont été déposées pour avoir participé au coup d’État, occupent aujourd’hui la direction d’institutions publiques dans le gouvernement de Porfirio Lobo. Ainsi, le général de division Venancio Cervantes – qui était sous-chef d’État Major général des Armées  au moment du putsch – est aujourd’hui directeur général  du Bureau des migrations et des affaires étrangères ; le général de brigade
Manuel Enrique Cáceres est directeur de l’Aéronautique civile ; l’ex-général Nelson Wily Mejía est à la tête de la Direction de la Marine marchande et l’ex-général Romeo Vásquez Velásquez – comandant en chef des Forces armées au moment du coup d’État – est directeur général de l’Entreprise hondurienne des Télécommunications[3]. D’autres ont conservé leur poste, tel est le cas du procureur de la République et des magistrats de la Cour suprême de justice, qui ont participé matériellement et intellectuellement à la rupture de l’ordre constitutionnel du pays.

Sept mois après le début du gouvernement de Lobo Sosa, la polarisation politique nationale subsiste et des fronts de lutte populaire s’ouvrent dans différents secteurs. Tel est le cas du secteur de l’enseignement primaire –  80 % des enseignants sont des femmes – qui s’est vu obligé à défiler dans les rues pour éviter la privatisation de l’Instituto de Previsión del Magisterio (la caisse de prévoyance et de retraite des instituteurs), et à protester pour que ne soit pas adoptée la loi générale relative à l’éducation qui prétend éliminer de l’école publique les classes maternelles et l’école primaire.

Un autre front est celui qu’ont ouvert les organisations de femmes appartenant au mouvement Feministas en Resistencia (surgi après le coup d’État), qui ont vu leurs progrès en matière de droits de la femme menacés lorsque, par exemple, l’administration putschiste a émis des décrets interdisant les pilules contraceptives d’urgence et a réduit le Plan d’égalité des chances et d’égalité entre les genres.

Au milieu de toute cette convulsion sociale le FNRP gagne en force : il intègre toutes les organisation du mouvement social hondurien dans l’objectif commun de convoquer une Assemblée nationale constituante qui rédige une nouvelle Constitution tenant compte des femmes, des jeunes, de la population d’origine africaine, des indigènes et des autres collectivités qui historiquement avaient été exclues, dans l’espoir de voir le pays progresser vers sa refonte grâce à ces transformations.

Impact économique du Coup d’État

En 2009 l’économie nationale a été doublement secouée. D’une part, elle a été frappée par la crise économique mondiale qui s’est accompagnée d’une réduction des devises versées par les émigrés à leur famille et la perte d’emplois dans le secteur de la maquila (composé d’usines qui importent et manufacturent sans payer d’impôts des produits destinés à être réexportés). D’autre part, elle a reçu l’impact de la crise provoquée par le coup d’État.

En 2009 on estimait qu’avec les mesures prises par le gouvernement de Zelaya dans le cadre du plan anti-crise, l’économie hondurienne aurait une croissance de 2 % ou 3 %[4]. Mais à la suite du coup d’État la communauté internationale a pris des mesures de pression économique et a gelé les fonds de la coopération internationale – environ 500 millions d’USD – bloquant simultanément tout accès au crédit des organismes multilatéraux. L’impact produit par cette mesure sur le budget public a été important, car le financement extérieur représente 16,4 % du budget géré par l’Administration centrale et 56 % des fonds destinés à l’investissement public[5].

Une autre réalité post-putschiste qui a aggravé la situation du pays provient de la fermeture de 60 % des commerces et des entreprises de production, pendant environ deux semaines. Ceci a provoqué, selon l’estimation de la Chambre de commerce et d’industrie de Tegucigalpa, des pertes d’environ USD 52,6 millions. La présence de la résistance dans différents points de la capitale et du nord du pays, a supposé des pertes d’au moins USD 6,6 millions, auxquelles il faut ajouter celles provoquées par la fermeture des frontières, mesure de pression effectuée par une partie des pays d’Amérique centrale, soit un total d’environ USD 3 milliards [6].

Les activités économiques qui ont le plus souffert de la situation sont le bâtiment et le commerce. Ne serait-ce qu’au mois de juillet, l’activité du bâtiment a chuté d’environ 50 % et le commerce de 11 % et au mois de septembre elle est descendue à 17 %[7]. De janvier à novembre la dette interne a augmenté de USD 505,5 millions, dont les deux tiers correspondent à l’administration du gouvernement de facto[8].

Recul en matière des droits humains

Alors que la crise financière internationale a entraîné de sérieuses difficultés pour le pays, les évènements du 28 de juin ont marqué un net recul en ce qui concerne les Droits humains. Plus de 86 personnes ont été assassinées entre le 3 juillet 2009 et le 20 de juin 2010, pour s’être opposées au coup d’État. Parmi elles figuraient 9 femmes et 20 membres de la communauté lesbienne, gay, transsexuelle, travestie, bisexuelle et intersexuelle[9]. Autre mesure de répression : plusieurs moyens de communication ont été fermés.

Des assassinats commis par des tueurs à gage ont lieu tous les jours : « Au cours de l’année 2010, au moins sept journalistes ont été assassinés au Honduras pour des motifs que l’on pourrait associer à l’exercice de leur profession »[10] ; de même, en mai 2010, neuf dirigeants du mouvement populaire avaient été exécutés.

Lors des manifestations réalisées par la résistance hondurienne, les femmes ont été victimes de différents types d’agressions sexuelles – elles ont été attaquées au gaz, frappées à coups de gourdins et même forcées sexuellement dans le but de les humilier pour leur opposition au coup d’État. Sur les 240 cas dénoncés, 23 femmes ont dit avoir été l’objet de différents types d’agression sexuelle – dont sept viols commis par des militaires[11].

Parmi les reculs en matière d’institutionalité on observe ceux des mécanismes pour la promotion et la défense des Droits de la femme qui se sont produits dans le cadre du coup d’État, mais qui ne se sont toujours pas inversés depuis : les coups de ciseaux effectués par l’Administration putschiste dans le deuxième Plan d’action pour l’égalité et l’équité entre les genres sur des aspects importants relatifs aux six axes de droit, notamment ceux qui concernent la santé sexuelle et reproductive, la violence à l’encontre des femmes et de la participation politique, le décret exécutif interdisant la distribution et la vente des pilules contraceptives d’urgence et l’approbation des réformes de la Loi des municipalités, qui transforme les Bureaux municipaux de la Femme en espaces d’attention sociale pour tout public.

Les OMD et les femmes

L’OMD nº 3 contemple la possiblité de promouvoir l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes pour l’année 2015. Bien que nous puissions observer un net progrès quant à l’alphabétisation des femmes de 15 à 24 ans par rapport aux hommes – passant de 88,4 % en 1990 à 95,3 % en 2009 –, le taux de progression des femmes au cours des trois dernières années n’est pas comparable au rythme favorable du taux  des hommes.

Les femmes sont mieux préparées au niveau éducatif, comme en témoigne les taux de présence, celui des femmes ayant toujours été supérieur à celui des hommes – en 2009, par exemple, le taux de présence des filles dans le secondaire dépassait de 0,28 % celui des garçons et de 0,37 %  dans l’enseignement supérieur[12]. Cependant, si l’on analyse le niveau éducatif par rapport au niveau des revenus on se rend compte qu’il n’existe pas de juste lien entre les deux dans le cas des femmes, car le salaire des hommes reste au-dessus de celui qu’obtiennent les femmes pour un même travail, même si celles-ci ont une meilleure préparation professionnelle.

Bien qu’il existe une loi de quotas dans le pays, les partis politiques n’ont jamais appliqué le minimum de 30% de femmes dans les postes dépendant de l’élection populaire. Le coup d’État n’a fait qu’aggraver cette situation, étant donné que les femmes candidates n’ont pas pu mener de campagne et que plus de 50 femmes ont dû renoncer étant donné le manque de garantie de transparence dans le processus, sans compter l’insécurité que représentent les violations constantes des droits humains et la militarisation du pays. Au niveau local, la représentation féminine dans les mairies est descendue de 9 %, chiffre atteint lors des élections municipales 2005, à 6 % aux élections 2009, et au niveau législatif elle est passée de 25 % à 19,53 %.

Pour conclure, nous pouvons dire que le Honduras est loin de tenir tous ses engagements internationaux, d’une part parce qu’il n’y a pas de volonté politique pour cela – la preuve la plus évidente étant le coup d’État en soi – et d’autre part, la population hondurienne exige un changement complet des règles en faveur d’une refonte du pays et non pas d’un réformisme maquillé, qui en fait continue à couvrir le fait que la richesse soit concentrée aux mains de quelques-uns, le système patriarcal néo-libéral n’ayant pas été modifié.

[1] "Gobierno decreta salario mínimo en 5,500 lempiras" ("Le Gouvernement fixe le salaire minimum à 5.500 lempiras"), La Prensa.hn. Voir sur : <www.laprensa.hn/content/view/full/97312>.

[2] Golpe de Estado en Honduras, Un Análisis Jurídico (Coup d’État au Honduras, Une analyse juridique), Edmundo Orellana, Professeur d’Université, 27 septembre 2009

[3] Commission Interaméricaine des Droits humains, Observations préliminaires du délégué de la Commission lors de sa visite au Honduras du 15 au 18 mai 2010.

[4] Groupe Société Civile, 2009.

[5] Groupe Société Civile, 2009.

[6] Interview à Marvin Ponce, Député du parti Unificación Democrática.

[7] Interview à Sergio Castellano, Député du parti Unificación Democrática.

[8] Interview à  Martin Barahona, Analyste économique.

[9] Extrait des listes du Comité des Familles des détenus disparus au Honduras COFADEH, du Comité des Droits humains CODEH, et des Défenseurs en ligne.

[10] Commission interaméricaine des droits humains, Observations préliminaires du délégué lors de sa visite au Honduras du 15 au 18 mai 2010.

[11] Rapport "Les Violations des Droits des Femmes après le Coup d’État", Feministas en Resistencia, 2009.

[12] Groupe de travail de l’ONU pour le rapport des OMD, 2009.