Nouvelles tendances dans le financement du développement

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Social Watch India
Himanshu Jha

Dans la plupart des pays les ressources des donateurs destinées à financer le développement sont étroitement liées aux progrès effectués dans les engagements pris par les gouvernements nationaux. Cela exclut la notion de participation des citoyens et accentue le rôle du secteur privé. En Inde, la société civile réclame qu’une plus grande attention soit accordée aux questions sociales dans les plans nationaux de développement et dans la planification des budgets. L’Évaluation populaire au cours de la période correspondant au 11e plan quinquennal montre la nécessité d’une plus grande participation de la société civile dans la formulation et la conception des politiques publiques.

Dans son discours à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2008, le Premier ministre de l’Inde, Manmohan Singh, a déclaré que les pays développés devraient honorer leurs engagements pour le développement mondial. Toutefois, les derniers chiffres sur la pauvreté montrent que le Gouvernement indien lui-même ne remplit pas ses engagements. Le Rapport sur la pauvreté publié en novembre 2009 par le Groupe d’experts de la Commission de planification estime que 37 % de la population de l’Inde vit actuellement en dessous du seuil de pauvreté, un pourcentage bien supérieur à celui de 27,5 % estimé par le Gouvernement. La situation est encore pire dans les zones rurales, où 42 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté[1].

En Inde, 1,95 million d’enfants de moins de 5 ans meurent chaque année. Cela représente un des taux les plus élevés au monde[2], et dans les zones rurales il est 60 % plus élevé[3]. On constate également une grande disparité selon le genre, avec 70 décès pour 1.000 hommes et 79 décès pour 1.000 femmes[4]. Selon l’UNICEF, moins de 25 % de la population rurale a accès à des toilettes (W-C) et seulement 4 fillettes sur 10 arrivent à compléter huit ans de scolarité. Ces tendances sont alarmantes à la lumière de l’engagement global envers les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et des engagements du Gouvernement lui même, exprimés dans les Objectifs nationaux de développement. Dans ce contexte, il convient d’analyser quels sont les plans du pays pour financer l’accomplissement des objectifs de développement, en particulier en ce qui concerne les Investissements directs étrangers (IDE), l’Aide publique au développement (APD) et les dépenses publiques dans le secteur social.

Le Financement pour le développement (FpD) par le biais de l’IDE : un mécanisme de croissance et d’équité?

Au cours de ces dernières années, l’accent a été mis sur l’importance d’attirer des IDE en tant que moyen de financement du développement, notamment pour les économies moins développées, en voie de développement et en transition. L’Inde a montré son intérêt à attirer des IDE à travers différentes mesures de libéralisation, l’ouverture des marchés financiers et commerciaux et l´assouplissement des normes de travail et environnementales. Entre autres politiques, le Gouvernement permet que les entreprises possèdent 100% de titularité étrangère par le biais de ce qu’on appelle la  «  voie automatique » élevant le plafond pour les capitaux étrangers, supprimant les restrictions sur certains types d’investissements et permettant que ces IDE s’appliquent aussi au commerce de détail et à l’agriculture[5]. Par conséquent, au cours de ces dernières années les flux de capitaux étrangers ont augmenté de façon constante : en 2009-2010 les entrées de capitaux ont atteint  USD 22,9 milliards, par rapport à USD 4,3 milliards pour la période 2005-2006[6].

Il reste à voir si cette affluence de capitaux est en train de provoquer l’
« effet de ruissellement » désiré. Dans le Rapport sur le climat d’investissement 2009 de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), l’Inde est classée comme un pays à « faible performance ». L’importance des blocs commerciaux régionaux comme moyen de promotion des rapports commerciaux dans la région est en train d’augmenter, mais la liste des principaux pays investisseurs (l´Île Maurice, Singapour, les États-Unis, le Royaume-Uni, Chypre, le Japon, l´Allemagne, les Émirats Arabes Unis, les Pays-Bas et la France) montre que l’Inde a été lente à se joindre à la dynamique du commerce régional malgré les alliances nouées avec l’Association des Nations du sud-est asiatique (ASEAN). Au niveau régional, la Zone de libre échange de l’Asie du sud (SAFTA) a complètement échoué. D’autre part, l’Inde a résisté à la crise économique régionale et globale précisément parce que son économie – notamment le secteur financier - n’est pas entièrement ouverte.

Les efforts pour attirer les IDE visent en partie à promouvoir le développement dans les régions du pays qui sont restées en marge du développement socioéconomique. Cependant, actuellement une tendance peu encourageante se profile car les zones déjà développées (notamment Bombay et Delhi) continuent d’attirer plus d’IDE que les zones moins développées, comme les états du nord-est. En effet, ceux-ci restent en dehors de la scène principale malgré les concessions que le Gouvernement a faites aux investisseurs nationaux et étrangers : exemptions d’impôts indirects et d’impôts sur les revenus et subventions d’investissement pour promouvoir les activités industrielles.

Dans le cadre de ses efforts pour libéraliser le marché, le Gouvernement a créé de nombreuses zones économiques spéciales (ZES) dans tout le pays, générant un effet négatif sur des millions d’agriculteurs et sur les communautés marginalisées. Les estimations indiquent que presque 114.000 ménages vivant de l’agriculture et 82.000 autres familles qui dépendent de l’agriculture seront déplacés par les ZES. Cela implique un effondrement total des économies rurales de ces zones, ce qui a provoqué des protestations massives dans le Bengale occidental, en Orissa, au Maharashtra, en Andhra Pradesh et dans d’autres régions.

Une proportion importante des IDE est destinée au secteur des services, aux industries fondées sur la connaissance et à la fabrication de biens de consommation à faible technologie. Les IDE augmentent également le phénomène de « croissance sans emplois » car elles créent des emplois dans le secteur organisé qui ne représente que 7 % de la main d’œuvre totale.

Les efforts entrepris récemment pour attirer les IDE vers le secteur du commerce de détail ont suscité un débat considérable. Cette mesure représente une grave menace pour les détaillants et les commerçants à petite échelle. Ces derniers constituent un total de 15 millions de personnes qui détiennent jusqu’à 98 % du commerce de détail, représentant 10 % du PIB[7]. Cela aura de graves conséquences car ce secteur du commerce de détail emploie également 10 % de la force de travail totale (il occupe la deuxième place après l’agriculture). Du point de vue des consommateurs, cela a aussi de graves conséquences en ce qui concerne l’accessibilité et l’abordabilité, car pour les ménages pauvres ou à faible revenu il est plus facile de s’adresser au commerçant local.

Bien que l’affluence des IDE ait augmenté au fil du temps, on ne sait toujours pas s’ils ont la capacité de fournir un financement servant à promouvoir le développement de façon authentique et inclusive. Pour garantir que les IDE apporte un bénéfice à l’ensemble du pays, y compris les entreprises et les communautés locales, les structures économiques du pays devront promouvoir la création d’un environnement propice favorisant l’effet de ruissellement des IDE, tant en faveur des entreprises que des communautés locales.

Tendances de l’aide extérieure : l’Inde en tant que receveur et donateur

L’Inde est l’un des principaux bénéficiaires de l’Aide publique au développement (APD), et elle reçoit 2 % du total versé dans le monde[8]. L’aide extérieure, y compris les prêts et les subventions, a augmenté de façon exponentielle depuis le début des années 90, correspondant au moment où le pays a adopté la politique d’ajustement structurel promue par les Institutions financières internationales (IFI). La majeure partie de l’aide extérieure reste sous la forme de prêts, ce qui contredit un précédent engagement des donateurs à maintenir leurs prêts à 35 % de l’aide extérieure, tandis que les 65 % restants seraient versés sous la forme de subventions.

La réduction des subventions bilatérales a eu des effets adverses sur les programmes de développement au niveau local, où travaille la plupart des ONG : actuellement on estime qu’environ 1,2 million d’ONG travaillent dans le pays, avec un revenu mensuel de 17.922 crores (USD 16 millions)[9]. Le financement de ces ONG « partenaires du développement » (selon le Gouvernement et, de plus en plus, selon les groupes eux-mêmes) a diminué au fil du temps, et devrait continuer à le faire dans l’avenir.

L’utilisation de l’aide étrangère a toujours été un problème en Inde, notamment en raison de son système de Gouvernement fédéral. Les estimations de l’aide extérieure reçue par le Gouvernement pour la période 2010-2011 montrent que le ministère de la Santé et de la famille et le ministère du Développement urbain ont reçu les montants les plus élevés de cette aide, tandis que le ministère de la Femme et du développement de l’enfant a reçu à peine 0,95 % du total[10]. Les variations régionales sont également importantes : par exemple, pendant la période 2007-2008 certains des états en meilleure situation, comme l’Andhra Pradesh, le Tamil Nadu et le Bengale occidental ont reçu les montants les plus importants assignés par le Gouvernement central pour des projets qui dépendent de l’aide étrangère. D’autres régions, en particulier dans le nord-ouest, ont reçu peu de financement de ce budget, voire aucun.

De récepteur à donneur d’aide

La position de l’Inde en tant que bénéficiaire de l’aide a changé fin 2003, lorsque le Gouvernement en place a décidé de limiter l’aide reçue aux subventions bilatérales de cinq pays (les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, l´Allemagne et la Fédération de Russie) et de l’Union européenne. Les autres pays pouvaient acheminer les fonds directement à travers des agences multilatérales vers les organisations de la société civile, obligeant ces dernières à se plier à davantage de règles, voire à l’obligation d’obtenir des permis pour recevoir des fonds de l’étranger. Beaucoup de ces organisations sont limitées dans leur liberté d’action, souffrent des retards dans la ratification et dans la mise en œuvre de l’assistance à différents niveaux et doivent faire face à une augmentation significative de leurs coûts administratifs.

Les tendances récentes confirment l’Inde comme un pays donateur. En 2010-2011 l’Inde a octroyé INR 23,8 milliards (USD 509 millions) en prêts et subventions à des gouvernements étrangers. Parmi les bénéficiaires, le Bhoutan a reçu le montant le plus élevé (USD149 millions), suivi de l’Afghanistan (USD 53 millions) et de l’Afrique (USD 32 millions)[11].

En outre, l’Inde offre une formation à des universitaires, à des bureaucrates et à des fonctionnaires d’autres pays en développement en conformité avec la Indian Technical and Economic Cooperation (ITEC), un programme d’aide à l’étranger établi en 1964[12]. Les fonds alloués pour ce programme ont augmenté progressivement au cours des années pour atteindre finalement USD 21 millions pendant la période 2010-2011[13]. Contrairement à la croyance générale, cette tendance n’est pas nouvelle : l’Inde aidait déjà le Népal et la Birmanie bien avant la création de l’ITEC. Cependant, on lui reproche, en tant que donateur, le fait d’imposer aux pays récepteurs les mêmes conditions qu’elle refuse d’accepter en tant que récepteur, notamment, l’obligation d’utiliser les fonds assignés pour acheter des biens et services indiens[14].

Le mantra du partenariat public-privé

Le modèle promu dans le cadre du partenariat public-privé (PPP) vise à accroître le rôle national dans le développement à travers une plus large participation des organisations de la société civile, des représentants locaux et de base, des organismes publics et des acteurs privés. Dans son évolution, le modèle a presque perdu la totalité de la partie publique de la collaboration et se concentre principalement sur l’aspect privé. L’étude des « contrats de gestion » montre que « le Gouvernement assume le risque alors que les entreprises n’investissent pas un sou... elles se contentent de fournir des superpatrons qui contrôlent l’administration, les finances et les biens de l’entreprise de service publique et perçoivent un émolument annuel généreux »[15].

La Jawaharlal Nehru Urban Renewal Mission, un programme phare du Gouvernement pour l’infrastructure urbaine et les services de base pour les pauvres des zones urbaines, est un reflet de ce modèle, car presque tous ses fonds sont soumis à des conditions. Les états et les autorités locales subordonnent les réformes du financement à des subventions et à des prêts, représentant une violation du « principe de subsidiarité » (selon lequel les réformes, les prêts et les subventions devraient suivre des voies séparées), ce qui est extrêmement coercitif. Les Plans de développement des villes, conçus pour être formulés conjointement par plusieurs acteurs, y compris la société civile, se déroulent sans la participation du public.

Un exemple illustratif est la privatisation de certaines des activités de l’Office des eaux de Delhi, basée exclusivement sur le programme de la Banque mondiale, de la Banque asiatique de développement et de l’USAID. Par conséquent, le Gouvernement assume la quasi-totalité des coûts et la difficile tâche de récupération des fonds ; le processus de privatisation a donné lieu à une diminution des actifs de l’Office des eaux et de la valeur générale de ses services, ce qui a permis à des multinationales d’acquérir les biens et les fonctions de l’Office des eaux. Un autre problème se pose avec la participation de la Banque mondiale à toutes les étapes de mise en œuvre du projet, comme, par exemple, la détermination des critères d’admission et de sélection pour les soumissionnaires et l’attribution de contrats à des cabinets conseil[16].

On constate l’existence de tendances similaires dans le secteur de la santé et de l’éducation, malgré l’échec de ce modèle dans le Punjab, qui fut l’un des premiers états à mettre en œuvre les réformes. Dans sa première évaluation quinquennale du programme appliqué dans le Punjab, la Commission fédérale de désinvestissement public a recommandé son annulation, pour cause d’ineptie administrative et de favoritisme dans le département de la santé[17]. Mais il est clair que le modèle PPP est encore prédominant en 2010.

Conclusion

Dans de nombreux pays, le financement pour le développement est étroitement lié aux progrès réalisés par les gouvernements dans le domaine du respect de leurs engagements. En Inde, la société civile exige qu’une plus grande attention soit accordée à la mise en œuvre des programmes et des assignations budgétaires de contrepartie. La société civile doit davantage participer au processus de FpD, non seulement en ce qui concerne l’exécution et les résultats, mais aussi dans la formulation et la conception des politiques publiques, comme l’indiquent les résultats du People’s Mid Term Appraisal du 11e Plan Quinquennal. Cette évaluation, organisée par les OSC et soutenue par la Commission de planification, représente un exemple d’une plus grande participation au niveau de la politique, de la façon dont les OCS doivent avancer et de la direction qu’elles doivent adopter.

[1] Indian Planning Commission, Report of the Expert Group to Review the Methodology for the Estimation of Poverty, novembre 2009.  Sa méthodologie a été modifiée pour inclure la santé et l’éducation outre les revenus. Disponible sur : <www.planningcommission.nic.in/reports/genrep/rep_pov.pdf> (visité le 27 mai 2010).

[2] Save the Children-India, “Child Survival 2009”, 2009. Disponible sur : <www.savethechildren.in/resources/position-papers.html>.

[3]Gouvernement de l’Inde, National Family Health Survey-3, 2007. Disponible sur :  <www.nfhsindia.org/nfhs3.html>.

[4]Discrimination contre les « femmes disparues » avant leur naissance, pour éviter qu’elles naissent, ou après leur naissance de telle façon qu’elle ne puissent pas survivre. Voir : “India: the accumulated effects of inequality”, Social Watch Report 2005, Roars and Whispers. Disponible sur le site Internet : >www.socialwatchindia.net/commit_5.htm>.

[5] Ministry of Finance, Union Budget and Economic Survey 2007-08. Disponible sur : <www.indiabudget.nic.in/es2007-08/esmain.htm> (visité le 27 mai 2010).

[6] Department of Industrial Policy and Promotion, Ministry of Commerce and Industry, FDI Fact Sheet 2010.

[7] E A S Sarma, “Need for Caution in Retail FDI”, Economic and Political Weekly, New Delhi, novembre 2005.

[8] OCDE, “ODA to the Developing World: Summary, Development Aid at a Glance 2007”, 2007.

[9] Society for Participatory Research in Asia, Invisible, Yet Widespread: The Non-Profit Sector in India, décembre 2002.

[10] Gouvernement de l’Inde, Estimates of Provision for Externally Aided Projects in Central Plan Included in Budget Estimates 2010-11, Expenditure Budget Vol-I, 2010-11. Disponible sur : <www.indiabudget.nic.in/ub2009-10/eb/stat19.pdf> (visité le 28 mai 2010).

[11] Gouvernement de l’Inde, budget des dépenses 2010-11, Subventions et prêts à des gouvernement étrangers, 2010.

[12] Dweep Chanana, “India as an Emerging Donor”, Economic and Political Weekly, New Delhi, 21 mars 2009. Voir également : <www.itec.mea.gov.in>.

[13] Government of India, Grants and Loans to Foreign Governments, op. cit., plusieurs années.

[14] Sonia Cahturbedi, “India’s double standard on international aid as donor and receiver”, India Daily. Disponible sur : <www.indiadaily.com/editorial/09-27b-04.asp> (visité le 28 mai 2010).

[15] Bhaduri Amit et Arvind Kejriwal “Urban Water Supply: Reforming the Reformers”, Economic and Political Weekly, New Delhi, 31 décembre 2005.

[16] Social Watch India, “Citizens Report on Governance and Development 2007”, New Delhi, 2007.

[17] Ibid. La People’s Mid Term Appraisal of the 11th Five Year Plan, réalisé à New Delhi les 4 et 5 février 2010.


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