La violence envers la femme freine le développement et la paix

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Developing Programs for Women and Youth
Iraqi Al-Amal Association
Basma AlKhateeb

La société iraquienne est dominée par un environnement dangereux en raison de  la faiblesse de l’état de droit. Les femmes iraquiennes font face à des conditions difficiles, elles prennent davantage de responsabilités et relèvent de nombreux enjeux. Chaque jour des femmes et des jeunes filles sont les victimes de mariages forcés et de crimes pour des raisons « d’honneur », elles sont contraintes au suicide, subissent des  violences  physiques et sexuelles, font l’objet d’exploitation sexuelle et leur autonomie et mobilité sont limitées. Il faut non seulement encourager la réinsertion sociale du pays mais aussi stimuler et soutenir les nouvelles structures institutionnelles, la législation et sa mise en œuvre pour la protection des droits politiques, économiques, sociaux et culturels de la femme.

En général les femmes iraquiennes ont joué un rôle actif dans leur société, mais les longues années de conflit et de sanctions internationales les ont profondément touchées. Elles ont souffert à cause de la violence et de la destruction du tissu socioéconomique du pays. Une enquête réalisée en 2008 par Oxfam et par l’association Al-Amal a estimé que 35,5 % des femmes étaient chef de foyer, notamment à cause du conflit[1]. Les femmes accomplissaient des tâches qui étaient  par tradition aux mains des hommes, spécialement dans les zones rurales, en plus d’assumer leurs rôles traditionnels et de devoir s’ingénier à satisfaire leurs besoins de base.
La Constitution de 2005 (art 14) garantit à la femme l’égalité vis-à-vis de la loi. Elle garantit aussi son droit à la vie et à la sécurité personnelle (art 15) et interdit la violence (art 29). Ces principes sont renforcés par le droit à la liberté et à la dignité (art  37) alors que l’interdiction des peines non stipulées par la loi (art 19) renforce l’illégalité  des  « crimes d’honneur » .Cependant, malgré ces garanties, les femmes et les filles sont exposées à de nombreuses formes de violence  face aux valeurs  de plus en plus conservatrices stimulées par les hommes, le conflit armé permanent et les failles du système lors de l’application de la loi.
Violence envers la femme
Des enquêtes locales et nationales manifestent qu’en Iraq la violence envers les femmes et les jeunes filles s’est généralisée, avec des variantes régionales et qu’elle se manifeste à tous les niveaux de la société. Cela est lié en grande partie à des  pratiques culturelles ancestrales et aux enjeux permanents à relever pour établir l’empire du droit. Les manifestations déclarées les plus connues sont entre autres,  les coups, les brûlures, la mutilation génitale féminine (dans le nord du pays), le mariage forcé et précoce, et les violences émotionnelle, psychologique et physique que représentent les crimes d’honneur.
Une enquête réalisée au niveau national a montré que 83,1 % des femmes ont déclaré avoir subi au moins une forme de contrôle à l’intérieur du foyer, 33,4 % ont déclaré au moins une forme de violence émotionnelle ou psychologique et 21,2 % ont déclaré avoir subi une violence physique[2].  Selon une enquête de l’UNICEF, 59 % des jeunes filles et des femmes entre 15 et 59 ans croit qu’un mari a des raisons pour battre sa femme[3]. En 2006 le pourcentage des femmes mariées âgées de moins de 18 ans était de 26,8 % ; dans les zones urbaines il était de 25,8 % et dans les zones rurales, de 28,9 %[4].
L’ordre juridique aussi présente lui-même des problèmes. L’Iraq fait partie de plusieurs traités internationaux sur les droits de l’Homme, parmi lesquels se trouve celui de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre la femme (CEDAW), mais les lois nationales maintiennent des dispositions qui justifient le viol, l’enlèvement, les agressions physiques et le crime perpétré sur des femmes et  des jeunes filles ou bien prévoient des peines atténuées pour les coupables. Sous prétexte  de sauver l’honneur et de maintenir l’ordre à l’intérieur de la famille, ces lois nationales subordonnent les femmes aux hommes et perpétuent la violence au sein de la famille et dans la société.
Violence sexuelle
Il est extrêmement difficile d’obtenir des données précises sur le nombre de cas de viols et de violence sexuelle en Iraq puisque ni les autorités médicales ni les autorités judiciaires ne tiennent de statistiques. D’ailleurs il n’y a qu’une poignée de refuges pour les femmes hors de la région du Kurdistan et les survivantes n’informent ni les centres médicaux ni la police par crainte des représailles de la part de leurs familles. Compte tenu du contexte social, culturel et de sécurité et des expériences dans d’autres situations de conflit, il est raisonnable de supposer que le nombre de cas déclarés soit très inférieur au nombre réel.

Une analyse des rapports des organisations des droits humains et des articles de la presse écrite pendant la période  allant du mois de mars 2003 au mois de  mai 2008 donne une idée de la dimension du problème. En 2005 une  étude du ministère d’État pour les Affaires de la femme a rapporté près de 400 cas de viols constatés entre la chute du régime de Saddam Hussein (avril 2003) et le moment de l’étude[5].  Un rapport pour la période allant du mois d’avril 2004 au mois de septembre 2005 (17 mois) porte sur quelque 400 viols de femmes et 35 viols d’hommes[6]. Un autre rapport indique qu’entre les mois de février et juin 2006 (5 mois), seulement à Bagdad, près de 60 femmes ont été violées alors que 80 autres ont subi « d’autres formes d’abus sexuels[7] ».

Malgré les garanties établies dans la constitution, le Code pénal d’Iraq de 1969 et des ordres ultérieurs du Conseil du commandement révolutionnaire (RCC selon son sigle en anglais) contiennent des dispositions qui  pardonnent la violence envers la femme, puisqu’ils permettent des peines plus brèves et dans quelques cas, l’impunité des responsables.  Selon le code pénal, le viol est un délit privé, ce qui signifie que l’État ne peut pas agir sans le consentement du plaignant ou de son tuteur. L’une des dispositions les plus polémiques du code est l’article 398 selon lequel l’agresseur peut obtenir l’exemption de responsabilité par viol et agression sexuelle s’il épouse la victime. N’ayant aucune disposition contraire, ce mécanisme est appliqué même lorsque la victime est mineure.[8] Les défenseurs de cette norme soutiennent qu’elle protège l’intérêt de la victime car son honneur peut être sauvé grâce au mariage, évitant ainsi un probable « crime d’honneur » de la part de la famille ou de la communauté. Cependant, dans les faits, cela institutionnalise la honte et le déshonneur liés au viol, et compromet encore davantage la vie et la sécurité de la victime.

Homicide avec des circonstances atténuantes
Les crimes d’honneur sont commis pour plusieurs raisons telles que l’adultère, le refus d’ épouser l’homme choisi par la famille, la tentative d’épouser quelqu’un que la famille n’approuve pas, les relations sexuelles prénupciales, le fait d’être victime de viol, voire le soupçon d’avoir commis un de ces faits. Les meurtres sont les plus fréquents mais il y a aussi d’autres formes de violences telles que la mutilation.
Le Code pénal d’Iraq traite les meurtres  d’honneur de manière différente des autres homicides. Les lois permettant des peines atténuées pour les crimes d’honneur ont été suspendues dans la région du Kurdistan en 2000 mais elles sont toujours en vigueur dans le reste de l’Iraq. L’Ordre Nº 6 du RCC du mois de janvier 2001 a élargi la catégorie des crimes d’honneur en permettant les peines atténuées pour l’homicide de la femme ou d’une parente proche lorsqu’il a trait à l’honneur. Selon l’article 130 du Code pénal, ces peines  atténuées peuvent être seulement d’un an (si la peine complète avait été de mort), ou de six mois (si la peine complète avait été l’emprisonnement à vie).  Ceci est contradictoire avec  l’illégitimité de la coutume et sert à l’imposer comme une forme de peine extrajudiciaire, ceci étant interdit par la Constitution.
Le comité de la CEDAW a manifesté son grand souci pour les crimes d’honneur en Iraq[9]. Les femmes activistes iraquiennes,  en coordination avec plusieurs parties intéressées (nationales et internationales) mènent une campagne afin de modifier la loi et plaident pour que le parlement abroge la loi sur les « crimes d’honneur » de manière à ce que les coupables soient jugés pour homicide. D’énormes doutes planent sur la réalisation de cette réforme, compte tenu de la faiblesse du Gouvernement et du conservatisme régnant au parlement.

Bien d’autres délits sont impunis
Il y a d’autres délits de violence envers la femme pour lesquels la législation actuelle ne protège pas la victime. Au contraire, dans la plupart des cas les auteurs restent impunis ou reçoivent des peines atténuées, entre autres :

  • Enlèvements  et séquestrations. Selon l’article 423 du Code pénal d’Iraq, l’enlèvement  d’une femme requiert une peine maximale  de 15 ans d’emprisonnement ; cependant, tout comme dans les cas de viol ou de tentative de viol, l’auteur du délit sera exempté de peine s’il épouse la victime.
  • Violence domestique. Selon l’article 41 du Code, le mari a le droit de punir sa femme ; bien que la loi indique que cette punition soit permise « dans certaines limites établies par la loi ou la coutume », les limites légales n’ont pas été déterminées et les limites coutumières sont très vagues.
  • Traite de personnes et prostitution. Bien que la Constitution interdise la traite des femmes et des jeunes filles, et que la prostitution soit un délit, les femmes et les jeunes filles forcées à se prostituer n’ont que très peu ou aucune ressources. D’ailleurs les délits de traite de personnes ne sont pas énumérés dans les statistiques sur les délits du ministère de l’Intérieur et ne sont pas inclus dans la formation policière.
  • Mutilation génitale féminine (FGC d’après son sigle en anglais). Bien que ce ne soit pas une pratique commune dans le sud de l’Iraq, des rapports précisent que la mutilation génitale féminine a recommencé dans le nord. Il n’y a pas de lois précises contre cette pratique et même si le ministère de la Santé affirme que les médecins ne sont pas autorisés à pratiquer ces interventions, il n’y a pas de mécanismes légaux pour faire respecter cette interdiction.
  • Violence pour des motifs religieux et des pratiques tribales. Un rapport d’ ABA/ILDP de 2006 indiquait qu’au milieu des tensions chaque fois plus sectaires en Iraq, les groupes extrémistes sunnites et chiites exigeaient que les femmes portent le voile islamique pour éviter des conduites « immorales » ou « anti – islamiques » au risque de devoir faire face à des conséquences violentes . Dans la ville de Basra, la deuxième en population en Iraq, 133 femmes ont été assassinées et mutilées en 2007 et leurs corps trouvés dans des poubelles accompagnés de messages d’avertissement contre « le non-respect des enseignements de l’Islam  ».
  • Violence envers les femmes détenues. Bien que la couverture de la presse sur les abus contre les prisonniers à Abou Ghriba se soit centrée sur la torture, les abus sexuels et le traitement humiliant envers les hommes iraquiens, différentes sources indiquent que les femmes prisonnières ont subi un traitement similaire, voire des viols. D’après un rapport de Humans Rights Watch, le secret qui a entouré l’isolement des femmes « a été le résultat d’un complot  entre les familles et les forces d’occupation » : les familles craignaient la stigmatisation sociale et la Force multinationale en Iraq craignait d’être condamnée par les groupes des droits humains et la colère des iraquiens[12]. D’après le Département d’État des États-Unis, la police iraquienne a également participé aux abus contre les femmes tels que des menaces, intimidations, coups et applications de décharges électriques[13].

De nouvelles chances

Dans les sociétés  post-conflit comme l’Iraq, la « justice pour les femmes » est en grande partie toujours une illusion, bien que l’on fasse quelques progrès. Le mot signifie beaucoup plus que justice dans les tribunaux pour les délits contre les femmes et les jeunes filles ; il comprend le traitement équitable et la participation de la femme dans la négociation des conventions de la paix, la planification et la mise en pratique des opérations de paix, la création et l’administration du nouveau Gouvernement (y compris les organismes et institutions prenant en charge les besoins des femmes et des jeunes filles), le fait de leur donner accès à tout le spectre des chances éducatives, la participation à la revitalisation et à l’accroissement de l’économie, et la promotion d’une culture encourageant les talents, les capacités et le bien-être des femmes et des jeunes filles.

Les crises peuvent servir à faire tomber les barrières sociales et les coutumes des patriarches traditionnels, en fournissant des ouvertures pour la construction d’une société plus juste et équitable dans laquelle les droits de la femme seront protégés et l’égalité des sexes sera la norme dans un cadre institutionnel et social. Il faut profiter de ces possibilités non seulement pour promouvoir la réinsertion sociale mais aussi pour encourager et soutenir les nouvelles structures institutionnelles, la législation et sa mise en œuvre afin de protéger les droits politiques, économiques, sociaux et culturels.

Recommandations

L’ONU, les pays donateurs et les agences internationales peuvent donner un appui aux femmes iraquiennes des manières suivantes, suggérées à la communauté internationale :

  • Négocier avec le Gouvernement d’Iraq pour qu’il respecte ses engagements et devoirs quant aux affaires des droits humains et qu’il autonomise les femmes pour qu’elles participent aux processus du pouvoir politique, de la consolidation de la paix et de la réconciliation nationale.
  • Donner priorité à l’aide financière pour la formation en égalité des sexes aux ministères de l’Intérieur et de la Justice, à l’Institut judiciaire, dans les universités et facultés de droit et les ONG.
  • Offrir une formation sur les connaissances juridiques aux organisations de la société civile iraquienne, spécialement sur la Résolution 1325 du Conseil de la sécurité de l’ONU (S/RES/1325) et sur les manoeuvres électorales et la collecte de fonds, ateliers, conférences et campagnes dans les médias.
  • Nommer un consultant en questions d’égalité des sexes dans les missions diplomatiques en Iraq pour faire un suivi des engagements nationaux et internationaux dans le pays.
  • Fournir de l’aide d’urgence aux refugiés iraquiens en Jordanie et en Syrie, où la plupart sont des femmes et des enfants, et fournir des mesures d’asile pour ceux qui ont présenté une demande d’asile dans des pays d’Europe et d’Amérique du nord.

 

 

 

 

[1] Oxfam International, In Her Own Words: Iraqi women talk about their greatest concerns and challenges – A survey, 2009. Disponible sur : <www.oxfam.org.uk/resources/policy/conflict_disasters/iraq-in-her-own-words.html>.

[2] Ministère de la Santé, ministère de la Planification et de la coopération pour le développement et  Organisation mondiale de la santé, Republic of Iraq – Iraq Family Health Survey Report 2006/7. Disponible sur : <www.iauiraq.org/reports/ifhs_report_en.pdf>.

[3] UNICEF, Progress for Children: A World Fit for Children – Statistical Review, No. 6, décembre 2007.

[4] Ibid.

[5] American Bar Association e Iraq Legal Development Project (ABA/ILDP), The Status of Women in Iraq: Update to the Assessment of Iraq’s De Jure and De Facto Compliance with International Legal Standards, décembre 2006. Disponible sur : www.abanet.org/rol/publications/iraq_status_of_women_update_2006 PDF

[6] IRIN, “Iraq: Focus on increasing cases of abused women”, le 14 septembre 2005. Disponible sur : <www.irinnews.org/report.aspx?reportid=25476> (vu le 7 juillet 2010).

[7] IRIN, “Iraq: Local NGO warns of rising cases of sexual abuse”, le14 juin 2006. Disponible sur : <www.irinnews.org/report.aspx?reportid=27013> (vu le 7 juillet 2010).

[8] La loi établit que la peine sera de nouveau effective ou que le procès  se poursuivra si l’accusé divorce de la victime sans fondement légal dans les trois années suivant la fin du procès.

[9]Comité de CEDAW, “Summary record of the 468th meeting”, CEDAW/C/SR/468, le 14  juin 2000. Disponible sur : <www.un.org/womenwatch/daw/cedaw/cedaw23/Iraq%20as%20adopted.html> (vu le 7 juillet 2010).

[10] ABA/ILDP, op. cit.

[11] MADRE, “Who is Killing the Women of Basra?”, le 9 juillet 2008. Disponible sur : <www.madre.org/index/resources-12/madre-articles-35/news/who-is-killing-the-women-of-basra-71.html>.

[12] Human Rights Watch, “Climate of Fear: Sexual Violence and Abduction of Women and Girls in Baghdad”, Iraq, 15(7), juillet 2003. Disponible sur : <www.hrw.org/en/node/12305>.

[13] Département d’État des États–Unis, Iraq Country Report on Human Rights Practices 2005, le 8 mars 2006. Disponible sur : <www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2005/61689.htm>.