De nouveaux objectifs sont nécessaires
Lebanese Union for People with Disabilities (LPHU)
Rabih Fakhri
Le pays possède un des rapport dette/PIB le plus élevé au monde et manque de vision d’ensemble ainsi que d’un plan d’action pour augmenter la productivité et destiner efficacement les ressources afin que les pauvres puissent bénéficier de la croissance. Depuis 1992 l’architecture financière de l’après-guerre combine des politiques de reconstruction expansionnistes et des politiques monétaires restrictives, laissant une faible marge fiscale pour le développement socioéconomique. Pour répondre aux priorités de réduction de la pauvreté et de la discrimination, il est nécessaire d’avoir des objectifs contextualisés, dans lesquels le financement à long terme du développement fasse partie d’une stratégie générale de croissance.
Dix ans après leur création, les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) sont toujours une priorité pour le Liban. Ceci se reflète dans leur intégration au Plan d’action sociale (PAS), un pilier du plan de réforme économique présenté par le Gouvernement à l’occasion de la Conférence des pays donateurs pour le Liban (CDL), Paris III, en 2007. Le PAS a identifié les réformes sociales et défini différentes interventions telles que les mécanismes de réseaux de sécurité, les transferts d´argent et les réformes générales de l’éducation et des services de santé. Cependant, en dépit de l’établissement d’un comité interministériel pour contrôler la mise en œuvre du PAS, trois ans plus tard, le PAS en est toujours au stade d’essai et le comité reste inactif en raison de l’instabilité politique.
Le dernier rapport des OMD (2008) souligne que le Liban est en voie d’atteindre les objectifs concernant l’éducation et la mortalité maternelle et infantile. Cependant, la pauvreté est toujours un enjeu important pour les efforts du développement. Une étude récente a relevé une légère diminution du pourcentage des personnes vivant en situation d’extrême pauvreté, de 10 % en 1997 à 8,5 % en 2007 (bien qu’il ait atteint 8 % en 2005), alors que 28,5 % sont définis comme pauvres. Un cinquième de la population vit entre le seuil inférieur et le seuil supérieur de pauvreté[1].
Il existe un rapport entre la pauvreté et les différences régionales, le manque d’éducation, le genre et le chômage. Les résultats montrent que 82 % des personnes extrêmement pauvres et 78 % des personnes pauvres se concentrent au nord, Mont–Liban et vallée de la Bekaa ; aussi bien le nord que la Bekaa ont représenté la plus faible participation des dépenses nominales par habitant pendant la période 2004-2005. Un pauvre sur cinq est analphabète alors que la moyenne parmi ceux qui sont dans une meilleure situation économique est de un sur huit. L’écart entre les genres dans l’éducation persiste, l’analphabétisme chez les femmes est le double des hommes : 11,8 % et 5,6 % respectivement[2].
Le chômage touche beaucoup plus les personnes pauvres – 14 % par rapport à 6,7 % des non pauvres – avec des taux de chômage chez les femmes pauvres qui sont presque le double que chez les hommes (26,6 % et 13,5 % respectivement) [3]. Le chômage chez les jeunes (de 15 à 24 ans) est un autre facteur qui se rapporte à la pauvreté étant donné que 48,4 % des chômeurs sont jeunes[4]. Les personnes pauvres ne sont pas représentées proportionnellement chez les salariés ; il est plus probable qu’elles travaillent dans le secteur informel – deux tiers des personnes pauvres sont dans cette situation – ce qui les rend encore plus vulnérables[5].
Un développement fondé sur des droits
Pour que les personnes vivent dignement, un développement fondé sur les droits est nécessaire. Les lois libanaises continuent d’être discriminatoires contre les groupes marginaux et l’écart entre les genres, en ce qui concerne la création de politiques, entrave le processus de réforme. Les femmes ne peuvent pas encore transmettre la nationalité à leurs enfants et d’autres articles du code pénal continuent de tolérer les « crimes d’honneur » et le viol conjugal.
Un autre groupe systématiquement discriminé est celui des personnes handicapées. La moitié des personnes handicapées physiquement sont analphabètes et seulement 26 % de celles qui peuvent travailler sont effectivement employées[6]. Les défenseurs des droits des personnes handicapées continuent de faire pression pour que le Parlement approuve des lois garantissant leur accès à l’éducation, à l’emploi, à la santé et aux actifs financiers. Ce n’est pas l’empêchement physique mais le déplacement culturel qui rend plus inconfortable la vie des handicapés, selon Houda Boukhari : « Dans le contexte culturel libanais, la naissance d’un enfant handicapé est perçue par beaucoup non seulement comme une tragédie mais aussi comme une honte et une contrainte »[7].
L’architecture financière libanaise
La reconstruction de l’appareil de l’État et de l’infrastructure physique du pays a été au centre des plans de l’après-guerre mis en place au début des années 90. Pendant la première période de l’après-guerre entre 1992 et 1997, le modèle macroéconomique dépendait majoritairement du flux de capitaux étrangers. On estime que le coût direct de la première période de reconstruction a dépassé les USD 4 milliards[8]. Les autorités financières ont adopté une politique de taux de change fixe pour contrôler l’inflation. Comme résultat, le pays a excessivement emprunté pour accumuler les réserves nécessaires afin de défendre sa politique monétaire et les taux d’intérêts ont atteint des niveaux jamais observés auparavant (35 % pour les bons de trésor à 12 mois en 1995) .
La croissance produite par le boom de la reconstruction s’est terminée brusquement en 1997. En même temps, la dette publique a augmenté subitement et le paiement des intérêts a représenté plus de la moitié des revenus de l’État. En 2004, l’investissement public dans l’appareil d’état a représenté 107 % par rapport à celui qui était prévu initialement, tandis que celui de l’infrastructure a représenté 190 % . Dans le même temps, les ressources destinées aux secteurs sociaux et productifs n’ont pas dépassé 50 % et 90 % , respectivement, par rapport à celles qui étaient prévues[9].
Le Gouvernement a sollicité l’Aide publique au développement (APD) en tant que facteur clé pour soutenir la stabilité financière : restructuration de la dette, revalorisation de la monnaie et dépenses courantes de l’État. En 2002 le Gouvernement a réussi à prélever presque USD 10,1 milliards lors de la CDL Paris II ; plus tard, en 2007, un montant de USD 7,5 milliards a été engagé en tant qu’aide étrangère (donation et prêts souples) lors de la CDL Paris III. Dans le dernier rapport en décembre 2009, le ministère des Finances a souligné la réception de USD 3,7 milliards sur les USD 5,87 milliards accordés. Les chiffres montrent que plus de la moitié de ces fonds sont utilisés pour soutenir le budget.
Dépenses et développement
Une description des dépenses publiques montre que le service de la dette et les services publics ont consommé le gros des ressources publiques entre 1997 et 2006. Cependant les dépenses en éducation et en santé n’ont représenté que 15 % et 6 % respectivement. De plus, 88 % des dépenses en éducation ont été destinées au paiement des salaires des fonctionnaires publics et 86 % des ressources de santé ont financé l’hospitalisation d’individus dans des centres privés de santé[10]. Les ressources destinées au développement de ces secteurs ont été minimales.
Le système fiscal libanais a été réformé au début des années 90 afin de relancer l’offre. La taxation maximale de l’impôt sur le revenu est descendue de 32 % à 10 % et les impôts des sociétés financières sont passés à un taux fixe de 10 %, avec une réduction à 5 % pour les entreprises du bâtiment. Le secteur productif paye un taux d’imposition progressif d´entre 3 % et 10 % sur les bénéfices[11]. La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) a été introduite en 2001 comme un taux fixe de 10 % .
Cependant, les activités basées sur le revenu, telles que les transactions de biens immobiliers, bancaires et financières, sont exemptées de TVA, ainsi que les activités des jeux de hasard et le transport aérien de biens et de personnes. Une analyse détaillée des revenus publics montre que les impôts ont rapporté 67 % pendant la période 2000 – 2009, la plupart étant des impôts indirects. En 2009, les impôts indirects ont représenté 75 % du total des recettes fiscales – TVA 32 %, essence 11 %, douanes 11 % et autres 21 % - alors que les impôts sur les bénéfices, les salaires, les plus-values, les intérêts et les enregistrements de biens immobiliers n’ont apporté que 25 % .
Un système fiscal aussi régressif, ajouté à 10 ans de gel des salaires et de politiques monétaires restrictives, ont empiré les conditions de vie des travailleurs hommes et femmes aux revenus faibles et moyens. La concentration de la richesse a augmenté pendant cette période : 20 % de la population libanaise la plus pauvre a consommé seulement 7,1 % de la consommation totale, alors que 20 % de la population la plus riche a consommé 43,5 % du total[12]. Deux pour cent des déposants possèdent 59 % des dépôts bancaires[13].
Investissement direct étranger (IDE)
Entre 2000 et 2007, le Liban a attiré une quantité importante d’investissement IDE – par exemple, 28 % de tout l’IDE pour la région de la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale en 2003 – avec le plus grand rapport IDE/PIB[14]. Cependant, l’IDE est rarement dirigé vers les secteurs économiques réels (ceux qui produisent les biens et les services) ; par contre, l’investissement immobilier, la banque et le tourisme en consomment la plus grande partie (presque 90 % en 2007) [15]. Les permis de construction ont sauté de 9 millions de mètres carrés en 2007 à 16,1 millions en 2008[16]. Ceci cadre avec l’augmentation de USD 918 millions de l’affluence de l’IDE arabe entre 2007 et 2008[17]. De même, la valeur des transactions du secteur a augmenté en moyenne de 17,6 % par an pendant la période 2003 – 2008 (et 54,4 % seulement en 2008) [18]. Le graphique 2 montre que la plus grande part de la formation du capital brut pendant la période 2000 – 2007 s’est produite dans le secteur du bâtiment. Cependant, ces bénéfices sont exemptés d’impôts.
Commentaire final
Comme le rapport dette/PIB du Liban (153 % en juin 2009) est un des plus élevés au monde, il est indispensable qu’une stratégie de gestion de la dette signale le chemin pour que l’APD s’investisse davantage dans la productivité et non pas exclusivement dans le processus de restructuration de la dette. En plus, il faut établir une architecture financière anticyclique et dynamique. Le Gouvernement doit inciter davantage l’IDE à investir dans des activités économiques employant beaucoup de main d’œuvre, au lieu d’encourager exclusivement les activités immobilières et financières.
Une stratégie de réduction de la pauvreté doit aller au-delà de l’OMD 1. Le PAS est seulement une intervention limitée et à court terme. Les politiques de développement doivent encourager la création de postes de travail pour la main d’œuvre de qualification faible et moyenne. Elles doivent assurer des conditions de travail appropriées aux personnes pauvres ; dans ce contexte les salariés continuent d’être un facteur clé pour la réduction de la pauvreté. Pour finir, la structure de l’imposition doit être réformée afin de promouvoir les impôts sur les bénéfices obtenus par les transactions des biens immobiliers et du secteur financier. Un système fiscal plus égalitaire qui améliore les effets de la redistribution des ressources est nécessaire.
[1] Heba Laithy, Khalid Abu-Ismail y Kamal Hamdan, Poverty, Growth and Income Distribution in Lebanon (Brasilia, Brésil : Centre international de la pauvreté, 2008). Disponible sur : <www.ipc-undp.org/pub/IPCCountryStudy13.pdf>.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] PNUD Liban, Rapport des Objectifs du millénaire pour le développement 2008 : Liban, Beyrouth, 2008. Disponible sur : <www.undp.org.lb/communication/publications/downloads/MDG_en.pdf>.
[5] Ibid.
[6]Données de l’Union libanaise pour les personnes handicapées physiquement.
[7] Houda Boukhari, “Invisible Victims: Working with Mothers of Children with Learning Disabilities”, en Gender and Disability:Women’s Experiences in the Middle East, ed. L. Abu-Habib (Oxford: Oxfam, 1997), 37.
[8] Ghassan Dibeh, Foreign Aid and Economic Development in Postwar Lebanon, Université des Nations Unies – WIDER Research Paper No. 2007/37, juin 2007. Disponible sur : <works.bepress.com/cgi/viewcontent.cgi?article=1001&context=ghassan_dibeh>.
[9] Ghassan Dibeh, The Political Economy of Postwar Reconstruction in Lebanon, Université des Nations Unies – WIDER Research Paper No. 2005/44, juillet 2005. Disponible sur : <works.bepress.com/cgi/viewcontent.cgi?article=1000&context=ghassan_dibeh>.
[10] R. Fakhri, Efficiency of public expenditures in Lebanon and other transitional democracies, Beyrouth, 2010.
[11] Wassim Shahin, “The Lebanese Economy in the 21st Century”, dans Lebanon’s Second Republic, ed. K. Ellis (Gainesville, FL: University Press of Florida, 2002).
[12] Laithy et al., op. cit.
[13] Fafo, ministère des Affaires sociales et PNUD, “Al-Wadeh Al-Iktisadi Al-Ijtimai, Dirassa L Ahwal L Maisha”, 2004, 55–57.
[14] Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale, Foreign Direct Investment Report 2008. Disponible sur : <www.escwa.un.org/information/publications/edit/upload/edgd-08-tech1-e.pdf>.
[15] Investment Development Authority in Lebanon, Advantages of Investing in Lebanon. Disponible sur: <www.slideshare.net/mhdbadr/investing-in-lebanon-new-presentation-restructured-presentation>.
[16] Bank Audi, Lebanon Real Estate Report, juillet 2009. Disponible sur: <www.menafn.com/updates/research_center/Lebanon/Economic/audi220709e.pdf>.
[17] Ibid.
[18] Ibid.