La nécessité d’un nouveau programme pour le développement

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Rural Reconstruction Nepal (RRN)
Rural Reconstruction Népal (RRN)
Abhas Ghimire
Sarba Raj Khadka

Après des années d’agitation politique et de conflit armé, le Népal a un besoin urgent de bonne gouvernance. Les récents progrès dans la santé, l’éducation ainsi que dans d’autres secteurs n’enlèvent en rien le besoin d’établir un accord social qui mette l’importante responsabilité du développement général entre les mains des citoyens.  Les donateurs et le Gouvernement doivent accorder un niveau d’aide fixé au minimum pour les dix prochaines années. Il faudrait de plus renforcer le micro financement pour canaliser la croissance des flux d’envois de fonds vers des investissements productifs.

Le Népal, un des pays les plus pauvres au monde, vit actuellement une transition sociopolitique tumultueuse. L’Assemblée Constituante, une des plus inclusives que le pays ait eu, est en train de rédiger une nouvelle Constitution qui va démanteler l’héritage historique de politiques de développement exclusives et centralisées. L’instabilité politique du pays est facilement perceptible : durant les 20 dernières années, 19 gouvernements se sont succédés.

En dépit du désordre régnant, le Népal a réalisé d’énormes progrès dans des domaines tels que la santé, l’éducation et l’égalité des sexes, grâce en grande partie à l’aide étrangère qui fournit le financement pour l’intégralité des programmes de développement du pays. En général, le progrès a été inégal. Traqué par l’instabilité politique et la dépression économique, il est peu probable que le pays atteigne les objectifs prévus dans la Déclaration du Millénaire. La réussite minimale des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et la garantie de la dignité et de la justice pour tous auront besoin d’un financement suffisant et programmé de la part des partenaires au développement, ainsi que d’une bonne gouvernance et du respect des droits humains.

Le Consensus de Monterrey, qui est le résultat de la Conférence internationale sur le financement pour le développement célébrée en 2002 par l’ONU, donne la priorité à la mobilisation de ressources financières nationales pour le développement et l’augmentation de l’Investissement étranger direct (IED) et d’autres flux provenant de fonds privés, au lieu de privilégier la coopération financière et technique internationale pour le développement. Cependant, au Népal, comme dans d’autres pays moins développés, les ressources nationales et les flux de capitaux privés sont extrêmement limités et le Gouvernement accorde invariablement moins d’importance aux droits humains et à la dignité pour tous qu’à la croissance économique. L’Aide publique au développement (APD) est habituellement utilisée pour un certain nombre de projets et programmes limités, souvent ceux dont on peut évaluer l’avancement avec des résultats mesurables. Les droits humains ne sont jamais prioritaires dans l’agenda du financement pour le développement.

La pauvreté diminue, l’inégalité augmente

En dépit de sa politique instable et d’une décennie de conflit armé, le Népal a réalisé de grands progrès dans le sens des ODM. Avec la détermination et la focalisation nécessaires et l’assistance de ses partenaires pour le développement, le pays pourrait être un des leaders mondiaux dans la réalisation des efforts pour parvenir aux objectifs de 2015. S’il maintient sa progression, il est probable que le Népal réduise sa pauvreté extrême de moitié pour 2015. Entre 1995 - 1996 et 2003 - 2004, la proportion de la population qui vivait avec moins d’un dollar par jour et passée de 34 % à 24 %, et le taux de pauvreté est passé de 42 % à 31 %[1]. Cependant, durant la même période, le coefficient de Gini mesurant le degré d’inégalité est passé de 34 à 41; le Rapport sur le développement humain 2009 l’a situé à 47,3[2]. Cela signifie, paradoxalement, que le Népal a réduit son indice de pauvreté de moitié mais a, en même temps, multiplié par deux l’inégalité de ses revenus.

La réduction de moitié de l’extrême pauvreté constitue seulement un des objectifs prévus par les OMD 1. Il est peu probable que l’objectif 1B soit obtenu, c’est-à-dire le plein emploi productif pour tous, y compris les femmes et les jeunes, et le discours national fera probablement omission de cette erreur. Au lieu de créer un terrain favorable pour l’implantation et le développement d’entreprises et d’industries qui puissent offrir des emplois à la force de travail inutilisée du pays, le Gouvernement dépense son énergie à persuader les pays étrangers d’ouvrir leurs portes aux travailleurs népalais. A court terme, cela suit une logique économique : les envois de fonds des travailleurs à l’étranger représentent déjà trois fois les sommes reçues par l’APD et sont perçus comme un facteur d’unification (faible) du pays. À long terme, cette stratégie laissera le pays sans ressources humaines techniques qualifiées. Les conséquences seraient désastreuses si les travailleurs népalais n’étaient plus nécessaires à l’étranger.  

L’augmentation de la dépense sociale dans les secteurs de la santé et de l’éducation durant les quinze dernières années a engendré des progrès importants dans ces deux secteurs. La proportion de filles et de garçons dans les écoles primaires est presque paritaire et 92 % des enfants vont à l’école, constituant en cela un record sans précédent[3]. Cependant, le relief accidenté du pays et la limitation de ses ressources font que l’insertion du 10 % restant constitue un défi important. Des barrières similaires ont constitué un obstacle pour l’accès à la santé reproductive. Au Népal, une femme continue d’avoir 100 fois plus de chance de mourir à cause d’une grossesse et de ses complications possibles, qu’une femme au Royaume Uni. Le Programme « Aama » (Mère), cofinancé par le Département de développement international du Royaume Uni (DfID, sigle en anglais pour « Department for International Development » ) et le Gouvernement népalais, offre des stimulants financiers  jusqu’à 1.500 roupies népalaises (USD 20) aux femmes qui accoucheraient dans un centre médical[4]. Bien que de nombreuses femmes et familles aient profité de cette initiative, le programme n’a pas réduit significativement la quantité de femmes qui meurent en couches. Un taux élevé de pauvreté structurelle, le faible niveau d’éducation, la diminution des centres médicaux, le mauvais état des routes et le plus important, la situation d’infériorité des femmes dans les sociétés rurales, constituent autant de facteurs défavorisant les femmes, les empêchant d’obtenir des soins maternels de la part de professionnels de santé qualifiés.

AOD et développement

Le manque de prévisibilité de l’assistance au développement a rendu la tâche du Gouvernement difficile en ce qui concerne la planification efficace sur le long terme. L’éradication de la pauvreté, la malnutrition et autres problèmes sociaux demandent beaucoup de temps. Les donateurs et le Gouvernement doivent se mettre d’accord sur un mémorandum d’aide à long terme qui engage los donateurs à un certain niveau d’aide pour une période d’au moins 10 ans. Cela permettrait au Gouvernement d’élaborer des programmes et des stratégies basées précisément sur le type d’aide reçue et dans la manière de la réinvestir. L’efficacité de cette approche est indéniable au regard des progrès obtenus dans l’éducation primaire et la santé maternelle, les deux secteurs dans lesquels les engagements à long terme des partenaires pour le développement et les initiatives positives des acteurs de l’État ont été complémentaires. La proportion du Budget national octroyée aux secteurs sociaux a augmenté de 21 % en 1991 à environ 40 % dans l’actualité[5].

Bien que le conflit armé qui a durée une décennie soit fini, l’environnement politique reste instable. Une sécurisation plus importante reste essentielle pour promouvoir l’investissement étranger et réduire les violations généralisées des droits humains qui surviennent quotidiennement entre les citoyens. Même si le Népal se vante d’avoir une des économies les plus libéralisées du sud de l’Asie, les problèmes de sécurité et la corruption rampante à quasi tous les niveaux du Gouvernement empêchent de recevoir un flux d’investissement étranger direct suffisant pour générer une croissance de l’emploi et des connaissances techniques pour améliorer les moyens d’existence, pour stimuler la construction d’infrastructure critique et pour offrir des emplois aux milliers de jeunes qui sont actuellement à l’étranger à la recherche d’un travail. La plupart des personnes qui émigrent proviennent de secteurs socio-économiques faibles et possèdent un bas niveau d’éducation et de qualifications. En général, ils finissent par réaliser des tâches impropres, dangereuses et dégradantes, dans des endroits où il y a peu ou aucune législation protégeant le travail. De graves violations des droits humains ont été observées dans des zones où les travailleurs sont victimes de trafic transfrontalier : ils sont maltraités et même convertis en esclaves. Un nombre stupéfiant de cadavres de travailleurs migrants népalais se retrouvent abandonnés dans plusieurs morgues du Moyen Orient. Rien qu’en 2009, au moins 600 népalais sont décédés dans les États du Golfe et en Malaisie[6].

Le Plan d’Action Nationale des Droits Humains

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme n’a pas uniquement consacré le droit à la vie, mais aussi le droit à l’alimentation, l’éducation, l’information, l’emploi et la sécurité sociale. Certains secteurs de la société ont été privés de ses droits fondamentaux ;  l’État n’a pas pris de mesures significatives pour faire face aux graves violations de ceux-ci. Historiquement les groupes marginalisés et opprimés, dont les femmes, ainsi que les dalits des castes inférieures et les nations indigènes ou janjatis, aspirent toujours à ces droits fondamentaux pour pouvoir mener une vie digne.

Suite à un processus participatif qui a réalisé des consultations à différents niveaux : de district, régional et national avec des représentants d’organisations du Gouvernement, des ONG, des organisations pour les droits humains et de la société civile, des professionnels du Droit, des responsables des moyens de communication, des experts et des professionnels[7], le Gouvernement a présenté un Plan d’action national des Droits Humains (PANDH) en avril 2004. Comme il est d’usage avec la plupart de ce genre de déclaration et de document au Népal, le plan n’a pas été suivi d’effet en raison de la négligence absolue des gouvernements successifs.

Perspectives pour le microfinancement

Le microfinancement constitue une stratégie prometteuse qui n’a pas encore été exploitée dans son ensemble. Le revenu des envois de fonds a encouragé un développement inclusif car plusieurs travailleurs migrants qui proviennent des castes appelées « inférieures » et des populations ayant le niveau d’éducation le plus bas, n’avaient reçu, jusqu’ici, que très peu d’aide ou d’attention du Gouvernement. Leurs envois de fonds ont atteint même les groupes les plus marginalisés des zones les plus lointaines. Cependant, le pays ne possède pas de moyens pouvant canaliser ces revenus vers un investissement productif[8]. Habituellement les banques se trouvent dans les grandes villes. Des coopératives ont été créées dans les districts autour des villes et dans certaines zones rurales, mais les programmes de microfinancement sont restés à la traîne. Jusqu’à ce jour, le droit aux services financiers inclusifs, comme l’épargne, semble ne pas avoir été satisfait.

Sécurité énergétique et changement climatique

La sécurité énergétique est une des autres matières essentielles au développement et les droits humains n’ayant pas reçu une attention suffisante. Même si le Népal possède un grand potentiel hydroélectrique estimé à quelques 83.000 mégawatts annuels[9], la majorité de la population  manque de sécurité énergétique. Cela constitue la barrière la plus importante pour le développement au sein de ces communautés. Une énergie accessible reste essentielle pour chacun des OMD : par conséquent investir dans l’énergie reste une manière de les promouvoir tous en même temps.

La production insuffisante d’énergie affecte tous les aspects de la vie rurale. L’accès à l’électricité pourrait encourager les enfants à lire, permettrait une communication plus facile entre les individus et donnerait accès à toutes les ressources disponibles à travers les technologies récentes, y compris les hôpitaux qui pourraient bénéficier d’équipement sûr et fiable. Cet accès pourrait même réduire la déforestation. L’investissement dans des sources alternatives d’énergie pourrait fournir beaucoup d’énergie respectueuse de l’environnement, créer des milliers "d’emplois verts" et développer les ressources humaines nécessaires pour construire une économie verte. Si le Népal matérialise son potentiel hydroélectrique, il pourrait répondre aux besoins énergétiques de sa population et doter la région d’une source d’énergie propre fiable.

Le Népal est grandement vulnérable face aux ravages du changement climatique. Même si le pays n’est pas très large du nord au sud, il possède en longueur  un relief très varié, qui va du niveau de la mer jusqu’aux pics de l’Himalaya. En dépit de son insignifiante contribution aux gaz à effets de serre (GES), l’économie et les moyens d’existence de sa population pourraient sérieusement souffrir du changement climatique. Le système agricole dépend en grande mesure des pluies ; une simple variation dans le cycle hydrologique pourrait constituer un coup dur pour l’économie du pays et les moyens d’existence individuels. Si l’un des 2000 lacs d’origine glaciaire du pays débordait, les inondations résultantes pourraient provoquer une catastrophe en aval[10]. Pour éviter les réductions dans d’autres programmes de développement, les donateurs doivent offrir une assistance additionnelle pour les nouveaux programmes qui aident le pays à atténuer les changements climatiques et à s’y adapter. La durabilité environnementale est interdépendante des autres OMD. Un fonds pour le climat pourrait garantir un progrès vers tous les objectifs et réduirait en même temps les risques à court terme provoqués par le changement climatique.

L’absence de bonne gouvernance

Aussi longtemps que la corruption incontrôlée continuera à infiltrer tous les secteurs de la société, le pays aura peu de chances d’arriver à un développement soutenable à long terme, en dépit du modèle de développement qu’il poursuivra. Dans l’actualité, le Népal manque d’organismes de gouvernement locaux élus qui puissent jouer le rôle d’intermédiaire entre la population, le Gouvernement national et les partenaires internationaux de développement. La frustration causée par l’inefficacité de l’État et le faible système de sécurité ont donné lieu à l’apparition de plusieurs groupes criminels violents qui commettent des assassinats et des vols à main armée, extorquant de l’argent et générant un climat de terreur dans plusieurs zones. L’État n’a pas été capable de les éradiquer ou de calmer les craintes de violence ethnique qui se développent dans certaines parties du pays. Les partis politiques, qu’ils fassent partie du Gouvernement ou de l’opposition, paraissent plus préoccupés par les bénéfices à obtenir, que par la mise en place de la  gouvernance que la population du Népal souhaite et dont elle a besoin.  
 

[1] Bureau Central de Statistiques, Gouvernement du Népal, 2004.

[2] Human Development Report 2009 (Rapport sur le Développement Humain 2009). Disponible en anglais sur : <www.hdr.undp.org/en/reports/global/hdr2009/>.

[3] Ministère de l’Éducation, Statistics of Nepal (Statistiques du Népal), Katmandou 2008.

[4] Alison Buckler, “Dying for children” (Mourir pour les enfants), The Guardian, 21 novembre 2009. Disponible en anglais sur : <www.guardian.co.uk/journalismcompetition/amateur-dying-for-children>.

[5]  Commission de planification nationale, Gouvernement du Népal, National Development Strategy Paper 2009 (Document de Stratégie nationale pour le développement 2009).

[6] Deepak Adhikari, “A Casket of Dreams” (Un coffret de rêves) The Kathmandu Post, 20 février 2010. Disponible en anglais sur : <www.ekantipur.com/2010/02/20/most-popular/A-casket-of-dreams/308742/>.

[7] Gouvernement du Népal, National Human Rights Action Plan 2004 (“Plan d’action national des droits humains 2004“). Disponible en anglais sur : <www2.ohchr.org/english/issues/plan_actions/docs/Nepal_NHRAP.pdf>.

[8] “Remittance has not been channelised into productive sectors” ("Les envois de Fonds n’ont pas été acheminés vers  les secteurs productifs"), The Kathmandu Post, 18 juin 2010. Disponible en anglais sur : <www.ekantipur.com/2010/06/18/business/remittance-has-not-been-channelised-into-productive-sectors/316632/>.

[9] Dilli Prasad Bhattarai, Nepal at the First and Second Cross-roads : Opportunities for a Win/Win in the New Development Context (LeNépal à la première et deuxième croisée des chemins: les opportunités gagnant/gagnant dans le nouveau contexte de développement"). Disponible en anglais sur : <www.ifa.org.np/pdf/new1.pdf>.

[10] Madan Koirala, Ranjana Bhatta, Communities Challenging Climate Change ("Les communautés défient le changement climatique"), CRSC / NEFEJ, 2010. Disponible en anglais sur : <www.nefej.org/pdf/climate_change_book_final.pdf>.