Plus de défis que de progrès

Social Watch Sénégal[1]
Seydou Ndiaye

Le Sénégal doit faire face à des enjeux de toutes sortes qui mettent en danger la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) d’ici à 2015. La pauvreté est croissante et affecte plus de 60 % des Sénégalais. Les systèmes de santé et d’éducation et les services publics ne peuvent pas répondre aux besoins de la population. Malgré certains progrès, l’égalité des sexes  dans les domaines éducatif, professionnel, économique et politique est encore loin d’être atteinte. En l’absence d’un changement structurel profond, la réalisation des OMD restera un objectif très lointain.

Le Sénégal n’échappe pas à la crise qui affecte la nouvelle économie mondiale multipolaire. La pauvreté y est en augmentation ; selon les chiffres du PNUD, en 2005, 52,5 %[2] de la population sénégalaise était pauvre, et en 2009 le pourcentage était de 60,3 %[3]. A cela s’ajoutent d’autres défis liés au changement climatique, à la sécurité alimentaire, à la pandémie du VIH/sida et aux problèmes de gouvernance. Cette réalité sape les efforts visant à la réalisation des OMD et si le Gouvernement ne parvient pas à établir un nouveau modèle de développement fondé sur l’efficience économique, l’équité sociale et la durabilité de l’environnement, ces objectifs ne pourront pas être atteints.

L’aide et les finances publiques

Selon la révision annuelle de 2009, les résultats de l’application du deuxième Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP-2)[4], modèle régissant tous les investissements économiques et sociaux du Gouvernement (qui à travers lui prétend  obtenir le soutien des pays donateurs), sont moyens. Le pays a également élaboré plusieurs politiques et programmes, tels que la Stratégie de croissance accélérée, qui vise à engendrer une plus grande productivité et à faire du Sénégal un pays émergent doté d’une base économique et sociale solide avec un taux de croissance de 7 à 8 %, ou comme la Stratégie nationale pour l’équité et l’égalité des sexes.

En ce qui concerne les finances publiques, malgré les réformes établies il reste une dette intérieure incontrôlée qui rend difficile l’activité économique et augmente les craintes des agents économiques sur la capacité financière de l’État à honorer ses engagements.

L’État a adopté une série de mesures, y compris la mise en œuvre d’un mécanisme institutionnel de suivi en collaboration avec des partenaires financiers et techniques et avec la société civile pour accomplir les engagements internationaux et améliorer les conditions pour la gestion des ressources de l’Aide publique au développement (APD) encadrées dans le DSRP-2.

Selon le rapport de suivi des OMD du mois d’avril 2010, le montant des recettes (sans tenir compte de l’aide budgétaire) de projets de développement financés par des ressources externes a été d’un peu plus de FCFA 258 milliards (environ USD 489 millions). En outre, un financement à hauteur de USD 35 millions sera versé dans le cadre de l’initiative en faveur des Pays pauvres très endettés qui sera suivi par un autre versement de USD 47 millions. En ce qui concerne le volume des aides budgétaires sectorielles, il était de USD 107 millions en 2009, représentant une baisse de près de 30 % par rapport à 2008. Les envois de fonds reçus en 2007 ont atteint environ USD 865 millions ; c’est-à-dire, trois fois plus que le montant des investissements directs étrangers. En 2008 les envois de fonds ont augmenté de 7,2 % par rapport à une moyenne de plus de 20 % au cours des trois dernières décennies, et cela a considérablement contribué à réduire la pauvreté[5].

En 2009, le volume brut de l’APD prévu était de USD 489 millions, dont 256 millions sous la forme de prêts et 233 millions sous la forme de subventions. Cette aide a été répartie entre les secteurs sociaux (la santé, l’éducation et la nutrition), les secteurs de l’approvisionnement en eau du milieu rural et urbain et les secteurs de l’assainissement[6].

Le secteur agricole et sa dépendance

Le secteur agricole regroupe plus de 60 % des Sénégalais et dans 90 % des cas il est formé d’exploitations de type familial[7]. Il est fortement atteint par la baisse des prix des produits d’exportation, par les difficultés pour accéder aux terres (notamment pour les femmes) et aux intrants nécessaires, à l’endettement croissant de la population rurale et à la dégradation des sols. A tout cela s’ajoutent les campagnes répétées de commercialisation qui laissent une grande partie de la récolte dans les mains des spéculateurs et autres intermédiaires. Le revenu des agriculteurs ne cesse de diminuer et cela les maintient enfermés dans un cercle vicieux de pauvreté, endettement et famine dont il est très difficile de sortir.

Outre son expansion, la pauvreté se féminise et affecte essentiellement la population rurale[8]. On estime qu’environ 60 % de la population totale du Sénégal vit dans les zones rurales et qu’entre 78 % et 80 % de cette population est pauvre[9]. D’autre part, une grande majorité de femmes travaillent dans l’agriculture (à peine 11 % du secteur salarié non agricole est représenté par des femmes)[10]. Cette situation se manifeste par des privations dues au faible revenu, à la baisse de la consommation intérieure, aux difficultés croissantes pour accéder au crédit et à une baisse progressive de la couverture des services de base. Parallèlement, le faible revenu (ajouté au fait que, selon des consultants indépendants, Dakar se classe parmi les 32 villes les plus chères du monde)[11] et l’insécurité alimentaire, entravent la gestion durable et rationnelle des ressources naturelles.

Le financement du développement souffre de faiblesses structurelles qui affectent la prestation de services, notamment l’éclairage public, l’assainissement et la collecte et le traitement des déchets ménagers. Cette situation et l’aggravation du risque climatique ont déterminé que les inondations et l’érosion de la côte affectent des milliers de personnes et causent des décès, des déplacements de population, la destruction de logements et autres infrastructures, la perte de récoltes et des problèmes de santé.

Éducation : de multiples enjeux

Grâce à la mise en œuvre de la phase II du programme décennal d’Education et de formation 2005-2008 et au lancement de la phase III, le secteur a réalisé des progrès en ce qui concerne l’accès à l’éducation, mais ils reste encore de nombreuses difficultés relatives à la qualité et la gestion.

La persistance des retards dans la construction et l’équipement des salles de classe, la nécessité de recourir à des abris « provisoires » (en 2009 plus de 15 % de l’enseignement primaire se trouvait dans cette situation précaire) qui deviennent souvent définitifs (environ 49 % des écoles n’ont pas accès à l’eau courante) et les taux d’abandons et de redoublements encore très élevés (11,5 et 7,7 %, respectivement, dans l’enseignement primaire) exercent un impact très négatif sur la qualité de l’éducation. Le taux d’achèvement des études primaires n’atteint pas 60 %, selon les données officielles[12]. L’enseignement supérieur ne possède qu’une offre limitée de formation professionnelle et souffre de problèmes d’insertion pour les diplômés, des faibles niveaux d’efficacité interne et externe et du dépassement de la capacité de ses d’installations.

En ce qui concerne l’alphabétisation et l’éducation des jeunes de plus de 15 ans, le Gouvernement estime que la quantité totale d’analphabètes est de 3,5 millions. Les programmes de 2009 ne couvraient que 77.000 personnes dans une population cible de 92.000 personnes. Avec un rythme de 100.000 personnes par an, il faudra attendre 35 ans pour répondre aux besoins éducatifs des 3,5 millions de personnes concernées[13].

L’évolution des dépenses dans le domaine de l’éducation est soutenue par quatre sources principales de financement : l’État, les ménages, les collectivités locales et les partenaires financiers étrangers ; on constate que le flux de ressources pendant la période 2003-2008 a augmenté à plus du double, puisqu’il est passé de USD 344 millions à environ USD 793 millions ; c’est-à-dire, de 3,6 % à 4,8 % du PIB. Cependant, on constate également une augmentation de la pression sur la contribution des ménages à l’éducation, qui est passée de 22,7 % en 2003 à 24,2 % en 2009, tandis que la contribution de l’État au cours de la même période a décru, passant de 73,5 % à 69,2 %. Cela montre une tendance à la commercialisation de l’éducation, avec les problèmes d’équité que cela implique.

Accès à l’eau et à l’assainissement

Les principaux obstacles pour accéder à l’eau comprennent les prix du raccordement au réseau et du service (à facturation bimestrielle), l’absence de réseaux dans les quartiers (notamment les quartiers périphériques) et le manque d’information sur les programmes sociaux de raccordement.

Bien qu’il y ait eu des progrès significatifs dans le réseau d’assainissement, les résultats ne sont pas encore satisfaisants. Dans les zones urbaines, seulement 6 centres sur 21 ont un réseau collectif. Dans le milieu rural, 31,3 % des personnes ne possèdent aucun système d’assainissement et l’accès aux latrines améliorées est encore onéreux[14].

Une analyse du cadre institutionnel de la distribution d’eau et d’assainissement en milieu urbain a été commencé et on craint une augmentation du prix de l’eau si on ne tient pas compte des opinions des syndicats de travailleurs et des consommateurs dans le processus de réforme.

La santé

Selon l’UNICEF, la mortalité maternelle a diminué pendant la période 2005-2008 (de 980 à 400 pour 100.000 accouchements), mais elle reste encore très élevée[15]. Les deux principaux problèmes auxquels est confronté le Sénégal sont le faible taux d’accouchements assistés par un personnel qualifié (52 % selon l’UNICEF) et le paludisme, qui est responsable d’un très grand nombre de décès[16]. Dans un pays où les femmes en âge de procréer représentent 49 % de la population totale de femmes[17] il y a seulement 125 gynécologues (la plupart travaillant principalement dans les villes).

La pandémie de VIH/SIDA est de type concentré, avec un taux de prévalence faible dans la population générale (0,7 %). La maladie s’est progressivement féminisée : on est passé de quatre hommes infectés pour une femme en 1996 à deux femmes pour chaque homme en 2005.

La situation des femmes

Bien qu’on soit loin de l’égalité des sexes, il y a eu des progrès en ce qui concerne l’accès des femmes à l’éducation, aux forces armées et à la police. Quoi qu’il en soit, l’accès des femmes aux postes de haut niveau, à l’acquisition de terres et au marché du travail reste limité ; les femmes constituent une partie importante du secteur de travail informel (41 %) tout en représentant seulement 17 % du secteur formel[18].

De toutes manières, même si elles constituent 52 % de la population, les femmes sont sous-représentées en politique, avec 23 % à l’Assemblée nationale, 10 % dans le Gouvernement central, 13 % dans les conseils régionaux, 20 % dans les conseils municipaux et 27 % dans les conseils ruraux. En revanche, le pays a eu une femme Premier ministre. Avec l’annonce du projet de loi sur la parité aux postes de responsables élus, l’État est apparemment en train de commencer la mise en œuvre des réformes juridiques et réglementaires dans l’esprit des principes énoncés dans la nouvelle Constitution de 2001.

Un lent progrès vers les OMD

Il y a peu d’espoir d’atteindre l’OMD 3 (« promouvoir l’égalité entre les sexes et l’autonomisation des femmes ») d’ici à 2015 si aucune mesure structurelle et pragmatique n’est prise et si le Gouvernement n’assigne pas de ressources dans le cadre de l’élaboration du document de référence de la politique économique et sociale 2011-2015 (DSRP-3). Il est également peu probable d’atteindre les OMD liés à la santé (objectifs 4, 5 et 6).

Selon la Banque mondiale, le Sénégal est en voie d’atteindre deux objectifs : l’OMD 2 relatif à l’éducation pour tous et l’OMD 7 concernant la protection de l’environnement[19]. Dans le but de promouvoir le secteur de l’éducation, la société civile se mobilise autour de :

  • La nécessité de promouvoir des réformes en profondeur du système et de recentrer le projet éducatif afin de l’adapter aux besoins de la communauté et de l’économie.
  • L’urgence de compter sur une bonne gouvernance et une gestion axée sur des actions qui institutionnalisent la reddition de comptes dans les écoles, l’administration scolaire et le système éducatif en général.
  • La pacification du climat social et de l’environnement du système éducatif par le respect des engagements pris envers les acteurs (élèves, étudiants et enseignants) de la part du Gouvernement, en mettant l’accent sur l’importance d’éradiquer la violence contre les filles.
  • L’amélioration de la contribution du Gouvernement à l’éducation publique.
  • Le développement d’un partenariat dynamique permettant d’atteindre un consensus et la mobilisation des citoyens en faveur de l’éducation.
  • La construction d’un consensus national sur les actions et les ressources pour améliorer la qualité de l’éducation et de la formation (concernant, entre autres, la gestion des ressources humaines, la conclusion des programmes d’étude à tous les niveaux et l’introduction des langues nationales).
  • Le renforcement de l’action synergique entre ses différents membres (ONG, syndicats, associations d’étudiants et de parents d’élèves, associations communautaires de base) pour une meilleure contribution au suivi des politiques avec des propositions mieux fondées.

[1] Organisations membres : Association culturelle d’autopromotion éducative et sociale (ACAPES), Action jeunesse et environnement (AJE), Enda Graf Sahel, Coalition africaine des jeunes contre la faim (AYCAH) Sénégal, Associations nationales de handicapés physiques du Sénégal (ANDMS), Union Démocratique d’enseignants (UDEN), Syndicat des professeurs du Sénégal (SYPROS). Seydou Ndiaye est le coordinateur du réseau.

[2] PNUD, Evaluation of the National Human Development Report System (2006). Disponible.

[3] PNUD, Rapport sur le développement humain 2009. Disponible sur : <www.hdr.undp.org/es/informes/mundial/idh2009/>.

[5] Gouvernement du Sénégal, Rapport de suivi des OMD 2010.

[6] Conseil d’ONG de soutien au développement (CONGAD), 2009, L’eau, la vie et le développement humain et Rapport national sur l’accès à l’eau et à l’assainissement.

[7] Cellule de suivi du programme de lutte contre la pauvreté, Enquête peuple 200.

[8] Gouvernement du Sénégal, op. cit.

[9] Ibid.

[10] Global Gender Gap Report 2009. Disponible sur : <www.weforum.org/pdf/gendergap/report2009.pdf>.

[12] Rapport national sur la situation de l’éducation (ME/DPRE-2009).

[13] Ibid.

[14] CONGAD, 2009, op. cit.

[16] Ibid.

[17] United States Agency International Development, "Family Planning : Senegal has only 125 gynecologists". Disponible sur : <www.senegal.usaid.gov/en/node/44>.

[18] Sigrid Colnerud Granström, "The Informal Sector and Formal Competitiveness in Senegal", Minor Field Studies No. 194, Université de Lund, 2009. Disponible sur : <www.nek.lu.se/Publ/mfs/194.pdf>.

[19] International Development Association and International Monetary Fund, "Heavily Indebted Poor Countries (HIPC) Initiative and Multilateral Debt Relief Initiative (MDRI) – Status of Implementation," 15 septembre 2009, page. 34. Disponible sur : <www.imf.org/external/np/pp/eng/2009/091509.pdf>.