Le tigre boîteux

Slovak Political Institute
Faculty of Economics, Technical University of Košice
Daniel Klimovský

Le taux de chômage de la Slovaquie a atteint 12,9 % en janvier 2010 en raison des impacts négatifs tant de la crise financière mondiale que des mesures inefficaces adoptées en réponse par le Gouvernement. Bien que le pays ait obtenu de bons résultats par rapport à quelques Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), quelques disparités et questions en suspens subsistent, telles que l’égalité des sexes et l’aide au développement. En même temps le climat social et politique est plongé dans la corruption, la subornation et le copinage. La coalition gouvernementale applique la « tyrannie de la majorité » en réprimant l’opposition politique et en incitant à la discrimination et à l’intolérance.

En juillet 2009 dans un article paru dans le Financial Times on lisait : « Le royaume de la Slovaquie comme étant le plus grand tigre économique de l’Europe centrale  est terminé car les exportations ont brusquement chuté, le chômage a augmenté et le déficit s’est accru, obligeant le pays à jouer de nouveau un rôle qu’il croyait avoir abandonné : celui d’un des retardataires de l’Europe centrale[1] ».

En août 2008 le taux de chômage était de  9,9 % mais il a sauté à 12,9 %  en janvier 2010 en raison des impacts négatifs aussi bien de la crise financière mondiale que de l’inefficacité des mesures adoptées par le Gouvernement. Au début de l’année, le nombre des chômeurs inscrits était de 346.379, ce qui signifie une augmentation de plus de 100.000 personnes par rapport à janvier 2009[2]. D’autre part le marché du travail lutte encore contre le chômage de longue durée, problème existant depuis le début des années 90.

Le déficit budgétaire de l’État a été faible les années précédentes  (1,9 % du PIB en 2007 et 2,2 % en 2008) mais le ministère des Finances a déclaré qu’il estimait que le déficit actuel arriverait à 5.5 % du PIB en 2010.

La crise financière mondiale a mis en relief la dépendance de l’économie slovaque envers l’industrie automobile. Tout comme les autres gouvernements de l’Union Européenne (UE), le Gouvernement a annoncé des « primes à la casse »  en mars et avril 2009 afin de réactiver l’industrie automobile locale et de rajeunir  le parc de voitures particulières en Slovaquie.  On a destiné plus de  EUR 55 millions à ce projet subventionnant l’achat de 44.200 nouvelles voitures. Pendant le premier semestre  2009 les ventes ont augmenté de 18,4 % par rapport à la même période en 2008. Selon quelques experts, le projet n’a eu cependant qu’un petit impact sur l’industrie automobile locale[3] (et près de 5.000 primes n’ont pas été utilisées).

L’économie slovaque dépend du commerce international, raison pour laquelle elle ne pourra être relancée que lorsque l’Europe Occidentale, et en particulier l’Allemagne, reprendra sa croissance[4].

ODM : disparités et questions en suspens

La Slovaquie est membre de l’UE et de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), et  d’après quelques indicateurs elle se trouve parmi les pays très développés par rapport aux ODM. Les taux de mortalité maternelle  (6 sur 100.000 naissances) et de mortalité des moins de cinq ans (8 sur 1.000) sont très faibles[5] , le pays a une faible incidence du VIH et du SIDA (110 cas selon AIDSGame)[6] , et l’éducation de base est obligatoire jusqu’à l’âge de dix ans. Cependant  il y a encore trois objectifs à atteindre : promouvoir ­­­­­­­­­­­­­­­­l’égalité entre les sexes et l’autonomisation des femmes (objectif numéro 3), garantir la préservation de l’environnement (objectif numéro 7), et encourager un partenariat mondial pour le développement (objectif numéro 8).

Quant à l’objectif numéro 3, la constitution interdit toute forme de discrimination entre les sexes. Il y a 29 femmes au parlement, sur un total de 150 sièges[7], 36 entre les 70 magistrats de la Cour de cassation et 2 dans un cabinet de 16 membres. Environ 20 % des maires sont des femmes bien que les huit directeurs des unités territoriales supérieures soient des hommes. Plusieurs ONG et des programmes financés par le Gouvernement offrent des refuges et des services-conseils aux victimes de viol. La prostitution, sur laquelle il n’y a pas de données fiables, est légale, mais l’installation de maisons closes est  interdite, tout comme la propagation intentionnelle des Maladies sexuellement transmissibles (MST) et la traite des blanches[8].

Cependant, la violence domestique contre les femmes constitue un problème grave. Elle est condamnée par la loi, mais des études récentes montrent qu’une femme sur cinq a subi quelque type de violence domestique (bien que davantage de données fiables soient nécessaires à ce sujet). Un autre problème est constitué par l’inégalité sur le lieu de travail : les salaires des femmes sont souvent 25 % plus faibles que ceux de leurs collègues hommes.

Quant à l’objectif numéro 7, début 2010 le Gouvernement a approuvé la clôture du ministère de l’Environnement comme  mesure pour épargner des ressources économiques. Plusieurs experts ont critiqué cette décision parce qu’elle avait été mal planifiée et  par les dommages potentiels qu’elle comporte envers la protection environnementale. Actuellement il y a des preuves évidentes de problèmes potentiels dans un proche avenir (tels que des inondations fréquentes dans les campagnes,  diminution de forêts – planifiées ou accidentelles  – pertes et contamination des nappes phréatiques).

Concernant l’objectif numéro 8, le 4 mars 2009 le Gouvernement a approuvé la Stratégie à moyen terme pour l’aide officielle au développement 2009 - 2013[9]. Les nouveaux pays où des programmes sont mis en œuvre sont l’Afghanistan, le Kenya et la Serbie, alors que les pays n’en étant qu’au stade de projet sont l’Albanie,  la Biélorussie, la Bosnie-Herzégovine, l’Éthiopie, la Géorgie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Macédoine, la Moldavie,  la Mongolie, le Soudan, le Tadjikistan, l’Ukraine, l’Ouzbékistan et le Vietnam. Le document définit avec une plus grande précision cette aide comme un apport à la réduction de la pauvreté et de la faim dans les pays en  développement par le biais de l’aide humanitaire et au développement, aide qui doit être correctement ciblée et efficace.

Lors de sa réunion du 25 août 2009, le comité du projet Slovak Aid a approuvé 26 projets, à savoir : quatre destinés au Kenya et à la Serbie ; trois à l’Afghanistan, le Soudan et l’Ukraine ; deux à la Géorgie, la Mongolie et le Vietnam ; et un à la Biélorussie, le Kirghizstan et la Moldavie.  Un budget total de EUR 4,33 millions a été destiné à ces projets, chiffre inférieur à celui approuvé par le gouvernement dans le plan de mai 2009[10],.

Corruption, subornation et copinage

L’Indicateur de perception de la corruption (IPC) s’est lentement amélioré mais durablement depuis 2000. Pourtant en 2009 les soupçons de liens entre les structures actuelles du gouvernement et les cas de corruption et de copinage se sont généralisé, et la Slovaquie est tombée du 52ème rang au 56ème rang  parmi les pays classés selon cet indicateur[11]. Le premier ministre Róbert Fico et le ministre de l’Intérieur Robert Kaliňák ont allégué que la directrice de Transparency International Slovensko, Emília Beblavá, était l’épouse d’un membre du parti de l’opposition (en même temps sous-secrétaire du Ministère du Travail, des affaires sociales et de la famille du Gouvernement précédent) et que les données n’étaient donc pas fiables.

Pour sa part Transparency International Slovakia a invoqué cinq raisons pour expliquer cette chute : deux partis sur les trois qui forment la coalition de Gouvernement sont dirigés par des politiciens qui ne peuvent  justifier ni leur situation économique ni leur patrimoine ; les contrats publics (aussi bien régionaux que nationaux) sont signés en général de manière non transparente ; les mécanismes de  contrôle autonomes sont insuffisants ; il y a des pôles dans le système judiciaire ; des attaques politiques ont été faites (spécialement de la part des plus hauts représentants de la coalition de gouvernement) contre des militants sociaux et des journalistes, suivies d’obstacles pour avoir accès aux informations[12].

Il y a eu en outre une vague de scandales de corruption[13] depuis 2009. Par exemple, le scandale du « tableau d’affichage » : un appel à des candidats pour signer un contrat de plus de EUR 100 millions qui n’a été publié que sur un tableau d’affichage placé à l’intérieur du ministère du Bâtiment et du développement régional, dans une zone à laquelle normalement le public n’a pas accès. Un scandale a éclaté plus tard  compromettant le ministère de l’Environnement. Il s’agissait de la vente d’autorisations d’émission de carbone à une entreprise étrangère inconnue, créée juste quelques mois avant l’appel d’offre public  et dont le domicile social se situait dans un garage fermé[14].  Il y a eu aussi un cas de financement d’origine incertaine  destiné au parti d’opposition, l’Union démocratique et chrétienne slovaque (SDKÚ), qui a conduit à la démission du dirigeant de l’opposition et ancien Premier ministre Mikuláš Dzurinda[15].

Des doutes ont également surgi par rapport à l’indépendance du système judiciaire quand, l´année dernière, 15 juges ont publié une lettre dans laquelle ils dénonçaient  un abus des procédés disciplinaires contre certains juges qui avaient critiqué l’ancien ministre de la Justice et actuel président de la Cour de cassation, Štefan Harabín[16]. En outre, 105 juges avaient signé auparavant une pétition comportant cinq points pour entamer un débat profond sur l’état des affaires du système judiciaire dans le pays.

Ces  évènements ont donné lieu à de grands débats au sein de la population slovaque et dans les média, alors que la coalition de gouvernement continue d’agir avec la même « tyrannie de la majorité » appliquée en 2007 et 2008[17]   pour opprimer l’opposition et les dissidents en comptant sur les moyens de l’État[18].

Autoritarisme, discrimination et xénophobie

L’un des groupes d’experts les plus respectés en Slovaquie, l’ Inštitút pre Verejné Otázky (Institut pour les affaires publiques) a déclaré que la qualité de la démocratie slovaque était tombée de 2,9 points (sa qualification moyenne en 2008) à 3,3 points  (sa qualification moyenne en 2009). La meilleure qualification serait  de 1,0 et la pire de 5,0. La plus grande détérioration  a été décelée concernant  l’indépendance des média et des institutions démocratiques[19].

La loi de la presse, sanctionnée en 2008 et conçue pour freiner la liberté de la presse,  a provoqué une grande controverse.  Cette loi, condamnée aussi bien par Reporters sans frontières que par l’Organisation pour la Sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ignore la division des pouvoirs. L’article numéro 6 donne au Gouvernement un contrôle direct sur les médias à propos d’une série d’affaires délicates. Le droit de réponse automatique pour quiconque croirait à tort ou à raison, que quelqu’un l’a  diffamé ou insulté, et de grosses amendes pour ne pas avoir publié ces réponses ont déjà limité la liberté de la presse. Plusieurs politiciens de première ligne se sont déjà servis de cet instrument ces derniers mois, raison pour laquelle on le considère un obstacle important pour le journalisme d’investigation.[20]

La discrimination contre les minorités est une autre tendance qui inquiète. Selon le dernier recensement (2001) il y a près de 90.000 roms en Slovaquie, bien que les experts estiment que le chiffre réel se trouve entre 350.000 et 500.000. Le Rapport sur les Droits de l’homme 2009 du Département d’État des États-Unis signale que la discrimination généralisée contre les roms a été constatée dans les secteurs de l’emploi, l’éducation, les services de la santé, le logement et les emprunts.  Beaucoup de leurs campements manquent d’infrastructure formelle, d’accès à l’eau potable et à des systèmes d’assainissement adéquats[21]. Les enfants roms sont inscrits de façon disproportionnée dans les écoles « spéciales » pour handicapés mentaux, malgré des  tests qui diagnostiquent souvent qu’ils rentrent dans les rangs de capacité intellectuelle standard. Même si la prostitution enfantine est interdite, elle continue de constituer un problème dans les campements, où les roms  vivent dans les pires conditions.

Simultanément la violence xénophobe des skinheads et des groupes néo-nazis contre les roms, les membres d’autres minorités et les étrangers continue.  Quelques dirigeants politiques soutiennent indirectement ces actions. Ján Slota, co-fondateur et président du Parti national slovaque – qui fait partie de la coalition de Gouvernement -  attaque à plusieurs reprises les roms[22] ainsi que les gays et les lesbiennes (il les appelle  « malades et scandaleux » ) ;  il a récemment catalogué d’ « imbéciles » des étudiants qui protestaient contre une modification à la loi de l’éducation.

De même en 2009, plusieurs groupes et associations ultra nationalistes (par exemple Slovenská pospolisost´[Fraternité Slovaque]) ont organisé maintes manifestations, réunions et défilés dans tout le pays (spécialement dans l’est, où vit une grande partie des roms) pour diffuser leurs messages d’intolérance contre plusieurs minorités ethniques, religieuses et sexuelles. Pourtant, c´est la coalition de gouvernement qui encourage sans cesse cette atmosphère  nationaliste. Par exemple elle a sanctionné au parlement une polémique modification à la Loi de la  langue de l’État (qui a donné lieu à l’intervention du Haut commissaire pour les minorités nationales de l’OSCE). Le Gouvernement a également sanctionné une modification à la Loi de l’éducation qui établit entre autres qu’il est obligatoire de jouer l’hymne national slovaque une fois par semaine dans tous les instituts d’enseignement publics.

[1] Jan Cienski, “A victim of its own success”, Financial Times, 28 juilliet 2009. Disponible sur: <media.ft.com/cms/df4c1042-7b80-11de-9772-00144feabdc0.pdf>.

[2] Zuzana Vilikovská, “Slovak unemployment rate grows to 12.89 percent in January”, The Slovak Spectator, le 18 février 2010.

[3] Jana Liptáková, “Car-scrapping bonus boosts car sales in Slovakia”, The Slovak Spectator, le 13 juillet 2009. Disponible  sur : <www.iness.sk/modules.php?name=News&file=article&sid=2300> (vu le 12 mars 2010).

[4]Jan Cienski, op. cit

[5] UNICEF, “At a glance: Slovakia”. Disponible sur : <www.unicef.org/infobycountry/slovakia_statistics.html>.

[6] Voir : <www.aidsgame.com/statistics.aspx?statistics=HIV%20COUNT%20BY%20COUNTRY>.

[7] Ce rapport a été terminé le 15 mars, c'est-à-dire quelques mois avant les élections parlementaires de 2010.

[8] Département d’État des États-Unis, 2004 : Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor, “2009 Human Rights Report: Slovakia”, en 2009 Country Reports on Human Rights Practices. Disponible sur : <www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2009/eur/136057.htm> (consulté le 13 mars 2010).

[9] Slovak Aid, “Medium-Term Strategy for Official Development Assistance of the Slovak Republic for the years 2009-2013”. Disponible sur : <www.slovakaid.mfa.sk/en/index.php/article/articleview/102/1/2>.

[10] Slovak Aid, “National Program for Slovak Official Development Assistance for 2009”. Disponible sur : <www.slovakaid.mfa.sk/en/index.php/article/articleview/103/1/1>.

[11] Transparency International, “CPI 2009 Table”, en Corruption Perceptions Index 2009. Disponible  sur :<www.transparency.org/policy_research/surveys_indices/cpi/2009/cpi_2009_table> (vu le 13 mars 2010)

[12] Transparency International Slovensko, “Index vnímania korupcie 2009: Rekordný pád Slovenska v najcitovanejšom svetovom rebríčku o korupcii”. Disponible sur : <transparency.sk/vystupy/rebricky/> (vu le 13 mars 2010).

[13]Beata Balogová, “A year of crisis and scandal”, The Slovak Spectator, le 21 décembre 2009. Disponible sur : <www.spectator.sme.sk/articles/view/37477/11/a_year_of_crisis_and_scandal.html>.

[14] Ibíd.

[15] Beata Balogová, “Old scandal spells new trouble for SDKÚ”, The Slovak Spectator, le 1er février 2010. Disponible sur : <www.spectator.sme.sk/articles/view/37774/2/old_scandal_spells_new_trouble_for_sdku.html>.

[16] Beata Balogová, “Harabin cries foul”, The Slovak Spectator, le 12avril 2010. Disponible sur : <spectator.sme.sk/articles/view/38493/2/harabin_cries_foul.html>.

[17] Daniel Klimovský, “Slovakia: More development aid, though discrimination remains”, Social Watch Informe 2008, 182–3; et “Slovakia: Revising the plans”, Social Watch Rapport 2009, 148–49.

[18] Miroslav Kollár, “Volebná kampaň: Nástup nových médií,” en G. Mesežnikov, O. Európske a prezidentské voľby 2009 (Bratislava: Inštitút pre verejné otázky, 2009), 195–206.

[19] Inštitút pre verejné otázky, “IVO Barometer : Kvalita demokracie v štvrtom štvrťroku 2009: mierny pokles na 3,4”. Disponible (vu le 10 2010).

[20] Reporters sans frontières, “World Report 2009 – Slovakia, 1 May 2009”. Disponible sur : <www.unhcr.org/refworld/docid/49fea99a3d.html> (vu le 5 juillet 2009).

[21] Tomáš Želinský, “Porovnanie alternatívnych prístupov k odhadu individuálneho blahobytu domácností ohrozených rizikom chudoby”, Ekonomický časopis, vol. 58, no. 3, 251-270.

[22]  Roma Press Agency, “Slovak MP Ján Slota insulted Roma people on the International day of the Romas”, communiqué de presse, le 8 avril 2010. Disponible sur : <www.mecem.sk/rpa/?id=press&lang=english&show=18714>.


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