Le cadre de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme vise à la protection, au respect et à la réparation¡

Auteur: 
Jana Silverman

Le double discours de beaucoup d’entreprises par rapport aux droits de l’homme a conduit les organisations de la société civile du monde entier à exiger un ensemble de règles plus claires sur les obligations légales et éthiques des entreprises. Le professeur John Ruggie, Rreprésentant Spécial du Secrétariat Général de l’ONU, a rédigé un rapport qui établit un cadre demandant aux Etats d’adopter des politiques plus cohérentes en matière de droits de l’homme. Social Watch continuera de collaborer et de faire le suivi des initiatives du Représentant Spécial pour que l’approche en termes de droits dans les entreprises puisse devenir une réalité concrète.

Dans le monde globalisé d’aujourd’hui où de très puissantes entreprises transnationales prolifèrent et où les mouvements de capitaux, de marchandises et de travailleurs traversent les frontières quotidiennement, il est démontré que les mécanismes traditionnels de protection des droits de l’homme, qui sont ancrés au sein des obligations et actions des Etats, ne suffisent plus à garantir le respect de ces droits par d’influents acteurs privés en particuliers les entreprises. En réponses aux violations notoires des droits du travail, des droits sociaux et des droits environnementaux perpétrées par certaines entreprises des industries textiles, extractives, alimentaires et de boissons entre autres, une grande variété d’initiatives volontaires impulsées par des institutions internationales, des forums plurilatéraux et les entreprises elles-mêmes ont surgi ces dernières années, apparemment pour améliorer les pratiques des entreprises en matière de droits de l’homme. A travers la mise en œuvre de ces initiatives, quelques entreprises ont réussi à créer des politiques concrètes en matière de droits de l’homme pour nuancer les impacts négatifs de leurs activités tandis que d’autres ont seulement utilisé ces plans volontaires pour blanchir leur image publique. Le double discours de certaines entreprises sur la question des droits de l’homme et l’inefficacité perçue de certains mécanismes volontaires de responsabilité sociale d’entreprise ont conduit beaucoup d’organisations de la société civile du monde entier à demander un ensemble de règles plus claires sur les obligations légales et éthiques des entreprises.    

Pour essayer de clarifier ces problèmes complexes, le professeur John Ruggie a été nommé Représentant Spécial du Secrétariat Général en Juillet 2005 avec, pour mandat, la réalisation d’une recherche sur « les droits de l’homme et les entreprises transnationales et autres entreprises d’affaires ». Après trois ans de recherche sur ces questions et de réunions de consultation avec des représentants gouvernementaux, d’entreprise et de la société civile, le Représentant Spécial Mr. Ruggie a rédigé un rapport en avril 2008 qui établit un cadre en trois volets concernant les droits de l’homme, la responsabilité des entreprises à respecter ces droits et l’accès des victimes à des formes de recours efficaces quand des abus sont commis. En particulier, le rapport demande instamment d’adopter des politiques plus cohérentes par rapport aux droits de l’homme pour que les intérêts gouvernementaux au développement de l’investissement et du commerce n’interfèrent pas avec les droits sociaux et économiques des personnes touchées par les activités des entreprises que ce soit au siège ou dans les différents pays. La cadre instaure aussi l’obligation de « diligence saine » en matière de droits de l’homme ce qui signifie que les entreprises doivent suivre les étapes appropriées pour s’assurer de prévenir et de traiter les conséquences négatives sur les droits de l’homme non seulement de leurs activités directes mais aussi des actions d’autres acteurs publics ou privés qui agissent dans leur sphère d’influence. En plus, il souligne la nécessité de mécanismes judiciaires et extra-judiciaires, efficaces et accessibles, pour punir et dédommager les victimes de violation des droits de l’homme par des entreprises.

La parution du rapport du Représentant Spécial Mr. Ruggie a déclenché une foule de réactions d’experts, d’organisations d’entreprises et de groupes de la société civile. Les représentants d’entreprises louent le nouveau cadre et la délimitation d’obligations différenciées entre l’Etat et les entreprises alors que les groupes de défense des droits de l’homme et de l’environnement critiquent le fait que la nécessité d’instaurer des mécanismes contraignants de lutte contre la violation de droits par les entreprises ne soit pas mise en avant. Au même moment, le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme (HCRC) a rénové le mandat du Représentant Spécial jusqu’en 2011 pour pouvoir élaborer des recommandations concrètes et aider à la mise en pratique de ce cadre de « protection, respect et réparation ». Dans ce contexte, le Représentant Spécial Mr. Ruggie a soumis un nouveau rapport au HCRH en avril de cette année dans lequel il détaille les stratégies pour rendre son cadre opératif et demande instamment aux entreprises et aux gouvernements de ne pas traiter les droits de l’homme comme une « victime » de la crise actuelle mais bien de faire de ces principes la pierre angulaire des efforts pour relancer l’économie.  

Dans son travail pour diffuser et étendre le cadre de « protection, respect et réparation », le Représentant Spécial conduit en ce moment des réunions de consultation avec toutes les parties intéressées dont des représentants de la société civile, des agences intergouvernementales et des entreprises. La dernière en date a eu lieu à Buenos Aires en Argentine en mai et des membres du Secrétariat International de Social Watch et des coalitions nationales d’Argentine et d’Equateur y ont participé. La réunion a offert un espace pour que les différents participants échangent des informations sur leurs expériences des réels impacts des entreprises du secteur privé et a permis de poser des questions au Représentant Spécial Mr. Ruggie sur les manières de mettre en place le cadre proposé pour qu’il soit le plus efficace possible. Alors que les représentants des entreprises soulignaient que les mécanismes de résolution de conflits et de recours devaient être moins judiciaires et plus adaptés aux contextes locaux, les militants d’ONG ont relevé l’importance d’inclure, dans les réunions de consultation du Représentant Spécial, plus de visites sur le terrain auprès de personnes directement touchées par les abus des entreprises. En plus, ces derniers ont rappelé leur soutien à l’élaboration de normes intergouvernementales qui rendraient les entreprises légalement responsables sur la scène internationale pour toute grave violation des droits de l’homme qu’elles perpètrent et qui restent impunies par les systèmes judiciaires locaux.

Pour conclure l’évènement, le Représentant Spécial Mr. Ruggie a invité les entreprises et la société civile à continuer à s’impliquer dans le travail mené par son secrétariat et le système des Nations Unies en général sur les droits de l’homme et les entreprises. Pour sa part, Social Watch va continuer à collaborer et à faire le suivi des initiatives du Représentant Spécial dans un sens constructif mais critique. On espère que le temps qu’il reste du mandat puisse être utilisé non seulement pour identifier les problèmes mais aussi pour créer les mécanismes efficaces pour aborder la violation des droits de l’homme par les entreprises à fin qu’une approche des entreprises en termes de droits puisse passer, d’une série d’engagements volontaires, à une réalité concrète et avoir un impact positif sur les vie de tous ceux qui souffrent de leur comportement irresponsable.

Pour plus d’information sur le mandat du Représentant Spécial sur les Entreprises et les Droits de l’Homme et pour télécharger les rapports, allez à
http://www.business-humanrights.org/International/Francais