CAMBODGE

Rediriger la croissance économique

SILAKA
Gender and Development of Cambodia
COMFREL
NICFEC
Comité des ONG sur CEDAW
Forum des ONG
CEDAC
Thida C. Khus

Après deux décennies de guerre, le Cambodge est en train de reconstruire les institutions de l´État. La croissance économique a été élevée mais le pays a besoin d´investissements significatifs en matière de ressources humaines, spécialement pour l´éducation et la santé. La crise économique a des effets dévastateurs et met en situation de risque la réalisation de certains  programmes de développement. Certaines ONG soutiennent  les droits des peuples indigènes menacés en raison de la  concession de terres par le Gouvernement pour des plantations et de l´infrastructure de développement. D´autres ONG exigent une majeure transparence budgétaire.

Entre 1997 et 2007 le Cambodge a eu une croissance économique moyenne de 9,5 % annuel, avec une augmentation de deux chiffres en 2005-2007. Même si le produit interne brut (PIB) a continué à croître rapidement pendant la première moitié de 2008, au cours des derniers mois de l´année l´économie a reçu l´impact de l’effondrement mondial. Le marché immobilier local s´est effondré et les exportations de vêtements et le tourisme étranger ont diminué, entraînant la croissance de 2008 dans une chute à 5,5 %. Pour 2008 le Gouvernement avait prévu une augmentation de 6 % du PIB, mais les institutions internationales sont beaucoup plus pessimistes concernant les perspectives du pays. La Banque Asiatique du Développement anticipe une croissance de 2,5%, le Fonds Monétaire International un petit 0,5 % ; la Banque Mondiale pronostique une contraction de 1 %.
L´économie nationale dépend surtout du tourisme, des exportations de vêtements, du bâtiment et de l´agriculture, toutes des industries extrêmement vulnérables face à la crise mondiale. Les industries de services, spécialement le tourisme, ont été la principale source de revenus mais à partir de la diminution du nombre de touristes étrangers – en janvier 2009 de 2 % par rapport à l´année précédente – on s´attend  à ce que la situation empire au cours des deux ou trois prochaines années1.

Le Cambodge dépend aussi des envois de fonds des travailleurs à l´étranger, principalement ceux provenant de Thaïlande,  de Malaysie et de Corée du Sud. A partir du premier trimestre de 2009 la Thaïlande et la Malaysie ont annulé toutes les exportations de travail et la Corée a rabaissé le quota des travailleurs cambodgiens à 1.000 pour 2009, soit 25 %  du taux de 20082.  L´emploi dans l´industrie du vêtement a également diminué radicalement. En mars 2009,  sur le nombre total de 400.000 postes de travail, 51.000 avaient disparu. Plus de 90% des travailleurs licenciés sont des femmes provenant des communautés rurales, envoyant généralement chez elles la plupart de leurs revenus afin d´aider leurs frères et sœurs dans leur scolarité. Les usines de vêtements fonctionnent à 40-50 % de leur capacité  et plus de 80 usines ont déjà fermé leurs portes définitivement. Le Gouvernement a distribué des aides très généreuses aux fabricants de vêtements afin de maintenir le secteur en fonctionnement, mais il n´a pas offert d’aide suffisante aux travailleurs dans l´industrie. Dans l´impossibilité de survivre avec un salaire minimum trop bas pour couvrir leurs nécessités, beaucoup sont rentrés chez eux dans les fermes.

Pendant la première moitié de l’année 2008, les prix des aliments et du pétrole se sont envolés accélérant l´augmentation de l´Indice des Prix à la Consommation (IPC) de 13,7% en janvier 2008 à 25,7% en mai. Cependant, les prix des biens de base ont baissé pendant la deuxième moitié de l´année et l´inflation de l´IPC  a lentement suivi, pour arriver à 13,5% en décembre.

La hausse soudaine du prix mondial du riz a rapporté d´excellents bénéfices aux commerçants disposant des excédents de riz mais a frappé profondément la sécurité alimentaire pour 31% de la population3 – presque 4 millions de personnes dont la production du riz ne suffit pas à couvrir leurs propres besoins4. Les personnes qui habitent autour du Tonle Sap, le plus grand lac du pays, sont spécialement vulnérables parce qu´elles s´étaient déjà endettées pour arriver à joindre les deux bouts. En 2008 ils ont dû vendre leurs actifs de production et retirer les enfants de l´école pour aller travailler. Le Gouvernement a réagi avec un programme alimentaire d´urgence d’un montant de 40 millions d’USD pour aider les populations vulnérables de ces provinces.

De 2005 à 2008 le marché immobilier était hors de prix. Le Gouvernement a répondu par une augmentation du taux des réserves obligatoires de 8 % à 16 % (plus tard il l’a réduit à 12 % lorsque la crise mondiale a commencé à se faire sentir) et a introduit des mesures monétaires pour dissuader les banques d´accorder des crédits pour le développement des propriétés. Depuis 2008 les biens immobiliers à Phom Penh s´effondrent et ils sont déjà 30 %-40 % en dessous de leur apogée de 2008, ayant provoqué de graves pertes aux investisseurs5.

Les banques cambodgiennes semblent fonctionner assez bien en comparaison avec les institutions financières des autres parties de la région et de l´Occident. Leurs taux d´intérêt varient entre 3 % et 7 % dépendant du montant et de la durée de l´investissement. Cependant, quelques économistes ont exprimé leur préoccupation à propos des prêts non productifs (ceux en risque de faillite) qui arrivent à 3,4 % au Cambodge, par rapport à 5,7 % dans le  Pacifique asiatique et à 1,8 % dans les pays développés6, ainsi que du caractère inadéquat de l´infrastructure pour développer des crédits dans le secteur agricole.

Défis au développement humain  

En dépit du progrès socio-économique récent, le Cambodge est toujours un des pays les  plus pauvres d´Asie. Durant la décennie achevée en 2007, le taux national de pauvreté a diminué légèrement, de 34,8 % à 30,1 %, mais étant donné les niveaux élevés et croissants d´inégalité et de vulnérabilité, il est probable que les crises alimentaire et énergétique de 2008 aient retardé les efforts pour atténuer la pauvreté.

En raison de la faiblesse des services publics de santé, même des familles aux moyens modestes peuvent tomber dans la pauvreté lorsqu´un de ses membres tombe malade. Le Gouvernement a introduit plusieurs programmes pour offrir une assistance médicale gratuite aux  pauvres, mais ils ont tendance à être inadéquats et peu fiables. Les responsables de ces politiques ont abordé plusieurs options de réseaux de sécurité pour la population en général, aucun d´eux n´ayant été mis en œuvre.

D´autres indicateurs du développement sont angoissants,  particulièrement le taux de mortalité des mères. Selon l´Enquête de Démographie et de  Santé du Cambodge il s´est maintenu  à un niveau élevé : de 432 pour 10.000 nés vivants en 2000 à 472 pour 10.000 en 2005. Cinq femmes par jour meurent au moment de l´accouchement, la même quantité qu´il y a neuf ans. Le Dr Te Kuy Seang, secrétaire d´État du Ministère de la Santé, déclare que son administration n´a pas de fonds pour mettre en application son plan d’augmentation de 300 sage-femmes supplémentaires, qui s´ajouteraient aux 3000 existantes actuellement, ni pour construire des centres de suivi médical pour les mères enceintes des communautés rurales.

Les filles sont encore discriminées, aussi bien par leurs familles que par le système d´éducation publique. En 2007 elles représentaient 47 % des inscriptions de l´enseignement primaire,  46 % du cycle base de l´enseignement secondaire, 40 % de l´enseignement secondaire supérieur et seulement 35 % de l´éducation tertiaire.  Afin de contrecarrer cette inégalité, le Gouvernement et les organisations internationales ont introduit un programme pour offrir des repas dans les écoles, la pension gratuite, des bourses et autres stimulations pour les filles. Cependant, ces programmes ne sont pas encore parvenus à toute la population.

Avec le taux de croissance projeté pour 2009, la probabilité de percevoir des revenus  suffisants pour le financement des programmes sociaux planifiés semble très limitée.  Pour des raisons diverses, des catastrophes naturelles aux politiques agricoles inadéquates, aussi bien la distribution que l´accès aux aliments sont en train de devenir un problème pour une partie importante et croissante de la population. Le Gouvernement a fourni des aliments au Programme Alimentaire Mondial qui secoure actuellement plus d´un million de cambodgiens.  De même il est en train de modifier le budget pour augmenter l´allocation à la Banque du Développement Rural destinée aux crédits pour les fermiers. Néanmoins, jusqu´à présent il a fourni très peu d´information sur les sommes affectées et sur son contrôle de la distribution vers les plus nécessiteux.

Les communautés indigènes et le travail des ONG

Les concessions de terres du Gouvernement pour les plantations de caoutchouc ont usurpé les terres ancestrales des communautés indigènes de Stung Treng, Rattanakiri et Mondulkiri. Malgré l´approbation d´une loi communale en 2001, aucune de ces communautés n’est en mesure d’enregistrer leurs terres communales.  Cette saisie viole leur droit à leur seule source de survivance et d`identité.  Il existe aussi des plans pour installer des usines hydroélectriques qui menacent la nourriture de beaucoup de communautés indigènes dans tout le pays. Les communautés n´ont pas été consultées sur la plupart de ces projets. Las ONG locales et les organisations internationales travaillent avec ces communautés pour les aider à connaître leurs droits et la loi concernant la propriété de leurs terres. 

Tandis que certaines organisations de la société civile fournissent de l’information pour protéger les populations vulnérables, d´autres surveillent l´appropriation des terres des communautés rurales qui violent les droits humains.  Quelques ONG surveillent le budget national, identifient les divergences entre les priorités politiques et les affectations correspondantes et exigent plus de transparence. D´autres se concentrent sur la formation des organisations de la société civile pour promouvoir  la participation des citoyens dans le gouvernement local et national. Un groupe d´organisations de la société civile exige que le pétrole, le gaz et l´industrie minière soient gérés d´une façon plus efficace pour assurer la transparence des revenus et leur viabilité pour les générations futures.

Le Cambodge est encore en train de reconstruire ses institutions économiques et politiques, lesquelles ont été détruites au cours de deux décades de guerres. Le pays a  atteint une haute croissance économique mais il n´a pas réussi à diversifier les investissements économiques ou faire les investissements d´urgence nécessaires pour améliorer les services d´éducation et de la santé. Malgré le progrès lent de la réduction de la pauvreté, le manque de transparence des décisions politiques et la mauvaise gestion des affaires de l´État demeurent une préoccupation.

 

1 Tith Chinda, directeur général du Ministère de tourisme, 12 mars 2009.

2 Ministère de l´emploi et de la formation professionnelle, interview à la radio Asia libre, 7 avril 2009.

3 Chan Sophal. “Impact of High Food Prices in Cambodia”. Annual Development Review 2008-09.

4 Dans neuf petits villages étudiés par l´Institut Cambodgien de Ressources du Développement entre 2001 et 2004, jusqu´à 65% des foyers ne cultivait pas suffisamment de riz pour leur propre consommation.

5 Réalité cambodgienne. Seng Bunna, Bunna Reality, 20 mars 2009.

6 Ibid.