POLOGNE

Un scénario de développement encore plus sombre

Ewa Charkiewicz
Coalition Karat/Feminist Think Tank
Katarzyna Szymielewicz
Coalition Polonaise de Social Watch/Commission Internationale des Juristes
Dr Mariusz Czepczyński
NEWW Polska / Université de Gdansk

Même avant que la crise ne commence à faire sentir ses effets, entraînant une dévaluation, un taux de chômage plus élevé et une baisse des revenus, des investissements et des exportations, la Pologne avait déjà connu l’ inégalité croissante des salaires et des revenus au cours de sa transition vers l’économie de marché. En l’absence de transparence du Gouvernement dans ses opérations , il est difficile que le débat public s’engage autour des mesures à adopter pour lutter contre la crise comme par exemple avoir recours aux prêts des institutions financières internationales. En même temps, la mentalité patriarcale de la société et le manque de politiques de protection sociale font des femmes les premières victimes de la crise.

Avant la crise financière mondiale, la Pologne représentait un cas exemplaire de transition néolibérale vers l’économie de marché. Un rapport récent de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE) indique que sur 30 pays, la Pologne occupait l’avant dernière position en termes de pauvreté chez les enfants et la quatrième place en termes d’inégalités de revenus ; 10  % des plus riches ont reçu une part plus importante des revenus du marché et ont versé en proportion moins d’impôts que dans n’importe quel autre état de l’OCDE, à l’exception de la Turquie1. Les privatisations ont affecté plus gravement les secteurs sociaux (les retraites, la santé et l’éducation) alors que l’État a augmenté son soutien aux entreprises (par exemple le Vice-Premier ministre a annoncé un plan de soutien aux entreprises ayant pris part à des contrats sur l’avenir avec un risque élevé) mais pas aux citoyens.

Ce sombre panorama s’obscurcit encore davantage à mesure que la crise s’étend. La première conséquence a été la dévaluation radicale du zloty (la monnaie nationale) par rapport à l’euro et au franc suisse – entre 25 % et 30 % environ sur six mois – et l’effondrement de la bourse de Varsovie. Le premier impact a affecté les marchés financiers et les entreprises polonaises qui spéculaient sur la monnaie, mais maintenant la crise a commencé à affecter le débat politique national avec en particulier la baisse récente des revenus nationaux et la chute des investissements et exportations. De même, contrairement aux projections de départ (plutôt optimistes), la crise financière a un impact significatif sur l’accès au crédit que ce soit pour les entreprises ou pour les consommateurs polonais.

Chômage

De récentes enquêtes sur le marché du travail signalent que le chômage est passé de 9 % à 12 % depuis la crise, cette hausse concerne également l’administration. Néanmoins, le nombre réel de personnes se retrouvant dépourvu d’un moyen de subsistance est plus important, et seulement 15,5 % de ces employés ont accès aux soins de santé publique2. Les autres dépendent d’eux-mêmes.

De plus, la moyenne statistique ne reflète pas les difficultés auxquelles doivent faire face les populations dans les villages où une source de travail importante,  dont la plupart des foyers tirent leurs revenus, est sur le point de fermer soit en raison d’une baisse des commandes ou à la suite de manœuvres opportunistes – par exemple certaines entreprises prétexteraient la crise financière pour renvoyer des travailleurs et diminuer les coûts.

La crise touche encore plus sévèrement les personnes n’ayant pas épargné, n’ayant pas les moyens de produire leurs aliments, n’ayant pas de liens familiaux dans le monde rural (bien qu’elles soient sur le point de disparaître sous la pression de l’agriculture intensive, les fermes des petits producteurs survivent encore en Pologne). Les nouvelles familles de classe moyenne connaissent aussi des difficultés, en particulier les jeunes couples avec enfants qui ont souscrit des hypothèques énormes à taux variables ou dans une devise étrangère, pour acheter leur logement.

Accès au financement et perspectives de croissance à long terme

En conséquence de la fameuse « crise du crédit » (caractérisée par la soudaine réduction de l’accès au crédit et par la hausse des coûts), les perspectives de croissance économique du pays se sont sensiblement réduites : on est passé de 6,5  % en 2007 et 5,5  % en 2008 à une prévision pour 2009 variant entre 2,5  % et 3,7  %3.

De même, la Pologne a commencé à être touchée par la soudaine rupture d’entrée de capitaux, suivie d’une aversion croissante des investisseurs pour le risque et l’effet d’exclusion à mesure que se développe, parmi les économies les plus fortes d’Europe, la concurrence pour le financement de la dette publique4. La situation s’est vue exacerbée par la crise du change à l’étranger : l’affaiblissement du zloty a été préjudiciable pour les entreprises ayant signé des contrats avec stocks options et pour les personnes ayant des hypothèques en devise étrangère.

L’offre de crédit est fortement limitée sur tous les segments du marché du crédit et plus de 80 % des banques ont adopté des critères bien plus stricts pour délivrer des crédits de toutes sortes. Elles ont en particulier renforcé les conditions par rapport au niveau de sécurité et, dans le cas des prêts hypothécaires, le montant des cotisations des prestataires. Dans la pratique, toutes les banques ont revu à la hausse leur marge de crédit – de 1 % à 2  % en milieu d’année 2008 pour passer à 7 %-8 % au premier trimestre 20095. Le coût de l’argent sur le marché interbancaire a sensiblement augmenté en raison de la rupture sans précédent de la confiance mutuelle entre les institutions financières. La Commission de Supervision Financière de Pologne (CSF) a renforcé les coefficients de liquidité et les obligations de déclarations6. L’évaluation avancée par la banque sur les possibilités de redressement de l’économie est très négative et davantage de restrictions sur les prêts accordés aux entreprises sont prévues7.

Stabilité du marché hypothécaire

La politique bancaire en vigueur qui fixe à 30 % le montant exigé de contribution propre,  écarte toute possibilité d’achat de logement individuel pour la majorité de la population, dans le même temps il manque environ deux millions d’appartements sur le marché8. La conséquence la plus probable sera une hausse radicale des loyers, mais les prix des appartements à la vente ne devront pas nécessairement baisser rapidement. De même, les frais d’amortissement des prêts hypothécaires en devise étrangère (79 % à 81 % du total du portefeuille de crédit en 20089) ont énormément augmenté en raison de la subite chute de la valeur du zloty et du changement très peu favorable en politique bancaire du calcul des marges de flottaison.

La population pense que les banques manipulent le taux de change au détriment des clients. A l’heure actuelle, la différence entre les valeurs d’achat et de vente peut atteindre 12 %10 ; et pas même l’Agence de la Concurrence et de la Protection des Consommateurs ne peut imposer de restrictions sur le taux de change. Des groupes de consommateurs se réunissent via Internet afin de se procurer des devises étrangères en grosses quantités dans l’espoir de négocier le montant du spread et même parfois de renégocier les conditions de leurs contrats de crédit11 .

La crise du crédit et la menace de banqueroute généralisée

15 % des entreprises ont déjà des problèmes pour obtenir des crédits de fonctionnement12. Les banques ont durci les conditions de délivrance des prêts pour 50 % des entreprises, situation qui s’aggravera certainement en 2009. D’après les pronostics préliminaires, la banque disposera de deux fois moins de fonds à prêter en 2009 que l’année précédente. Il est tout à fait probable qu’elles aient commencé à démarcher les entreprises pour qu’elles soldent ou renégocient leurs prêts en réclamant des indemnités de retard selon les conditions du contrat de crédit13. En 2008, par pression de la concurrence, les banques ont délivré de nombreux prêts avec des marges d’intérêt réduites au minimum, ces prêts sont aujourd’hui devenus une charge pour les banques. Les petites et moyennes entreprises qui manquent de garanties significatives dans leur capital privé sont particulièrement menacées.

En plus de la crise du crédit, des milliers de sociétés sont tombées dans le piège des stock options et elles frôlent aujourd’hui la banqueroute. Encouragées par les banques, les entreprises ont acquis des stock options en grandes quantités pour protéger les bénéfices de leurs exportations. A la suite de la rapide dévaluation du zloty, non seulement ces entreprises ont perdu la totalité de leur capital de départ mais elles ont aussi cumulé des dettes colossales en raison de contrats mal protégés.

Le déficit démocratique

D’autres gros problèmes sont la baisse des revenus de l’état et l’augmentation des dépenses du paiement de la dette publique. Ces deux points sont étroitement liés à la déficience démocratique régnante : aucun débat public n’est venu encadrer le nouveau prêt d’urgence de la Banque Mondiale pour un montant de 3.750 millions d’euros et les activités de l’État sont, dans une grande mesure, peu claires pour les médias, les élus et le public. Lorsque la Depository Trust & Clearing Corp. (qui intervient comme registre central du commerce d’échange de crédits) a publié ses rapports, avec les mille contrats les plus importants, il s’est avéré que la République de Pologne ainsi que d’autres états souverains, avaient participé au commerce de produits dérivés comme le secteur privé. Depuis le début du XXIème siècle, l’OCDE, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) ont organisé des formations et séminaires pour les fonctionnaires du Ministère de l’Économie afin de participer à la création et à la négociation des marchés de dette publique. Lorsque l’État intervient en tant que société commerciale, il abandonne ses citoyens, en particulier ceux qui ne génèrent pas de revenus pour l’État ou le marché.

Conséquences – disparités hommes-femmes

En 1989 et 1990, lorsque la Pologne a emprunté la voie du libre marché, les premières victimes ont été les ouvrières du secteur textile, les usines non-compétitives fermaient et rien ne venait les remplacer. A l’heure actuelle, le secteur textile rajeuni, où prédominent les femmes, fait une nouvelle fois l’objet de réduction : à mesure que les commandes d’importations (principalement depuis l’Allemagne) diminuent, les sous-traitants locaux réduisent leurs activités ou ferment, ce qui mène à une perte sèche évaluée à 40.000 emplois14.

Prisonniers de l’économie souterraine

La baisse des revenus familiaux attribuée à la crise économique pourrait générer l’appauvrissement de groupes sociaux entiers, en particuliers les classes populaires et moyennes. Il est tout à fait probable que l’impact soit  plus significatif chez les femmes, ce sont elles qui, par tradition, prennent la plus grosse responsabilité quant au bien-être familial (ceci est vrai en particulier dans les groupes aux revenus les plus faibles). Certains analystes signalent que la crise amplifie le secteur « au noir » (informel) de l’économie polonaise à mesure que de nombreux chefs d’entreprise, en particulier les petits, tentent de minimiser les coûts salariaux et évitent la fiscalité et autres coûts liés au travail légal. Il semble très probable que le développement de l’économie au noir affecte davantage les femmes que les hommes, ce sont elles qui sont embauchées sur les emplois faiblement rémunérateurs, en particulier dans le secteur des services privés (par exemple la vente au détail).

Limites à la génération de revenus

La diminution des moyens financiers transfère les coûts sociaux de la crise financière sur les foyers et les femmes en particulier. Environ 60 à 70 % du travail non-rémunéré d’aide à la famille est effectué par les femmes15. La classe sociale, l’origine ethnique, l’âge et la situation géographique sont les éléments déterminants pour distinguer l’impact qu’a cette crise économique sur les hommes et les femmes. Par exemple, en raison des frais élevés de location d’un logement, la mobilité sur le marché du travail devient limitée pour les habitants de petits villages situés dans des zones où la récession économique est importante. L’obligation, enracinée au niveau institutionnel, de fournir le travail domestique au sein du foyer, limitent encore davantage la capacité des femmes en âge de se reproduire à chercher des moyens alternatifs de création de ressources.

Organisations de femmes

De nombreuses organisations de défense des droits de la femme, y compris des ONG, savent déjà ce que signifie perdre des fonds à mesure que les dons des entreprises privées et des particuliers diminuent fortement. Les fonds publics ont également diminué en raison de la baisse estimée du PIB pour 2009, obligeant à faire des coupes dans de nombreux programmes budgétaires. Le budget du Fond d’Initiatives Civiques, un programme gouvernemental qui soutient les organisations à but non lucratif, sera diminué de moitié. Tant que les objectifs néolibéraux sont la priorité (gestion de la diversité, discrimination, esprit d’entreprise) et que les ONG endossent le rôle de prestataires de services à mesure que l’État se retire du secteur social, le fond a apporté des ressources importantes pour soutenir les activités des ONG. Il est tout à fait probable que le financement que les ONG reçoivent des autorités locales chute également.

Par ailleurs, la crise économique a déjà eu une conséquence négative sur la capacité des ONG de femmes à recevoir des fonds aussi bien de la part des donateurs privés que publics pour leur participation à un projet financé conjointement avec la Commission Européenne. Ceci est spécialement alarmant car, alors que les fonds de l’Union Européenne ont généré de nouvelles opportunités pour les ONG en Pologne, ni l’État, ni les autorités locales n’ont développé les mécanismes nécessaires pour apporter un soutien financier aux ONG qui obtiennent des fonds de l’Union Européenne.

Un scénario lugubre

Il est possible qu’une situation d’aggravation économique s’installant dans le temps cause des conflits sociaux et politiques au cours des prochaines années. L’éventuelle polarisation économique, le chômage montant et le cuisant échec des marchés financiers ainsi que le budget public pourraient être l’antichambre du développement de comportements et partis radicaux, conservateurs et de droite. La montée du néo-conservatisme pourrait encourager des valeurs traditionnelles, patriarcales et cantonner les femmes à leur rôle traditionnel. « cuisine, enfants et peut-être l’église ». De plus, parce qu’on les considère comme bien plus importantes, les questions économiques peuvent dominer le discours public et causer une marginalisation des problèmes sociaux et des problèmes liés aux rapports hommes-femmes.

 

1 OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique) (2006). Growing Unequal.Income Distribution and Poverty in OED Countries. Paris : OCDE.

2 Office National des Statistiques. “Registered Unemployment, first quarter 2008.”

3 Estimations rapportées par le site Internet Bankier.pl disponibles sur : <euro.bankier.pl/news/article.html?article_id=1886336>.

4 Rybiński, K. Finansowanie rozwoju Polski w kryzysie. Ernest & Young, février 2009.

5 Toutes les données sont basées sur le rapport dela Banque Nationale de Pologne (2009). Situation of the credit market in the first quarter of 2009, Varsovia, enero.

6 En  juillet 2008, la Commission de Supervision Financière Polonaise a imposé aux banques l’obligation de maintenir et de déclarer ses standards de liquitidé, entraînant de fait une amélioration de la liquidité bancaire permettant ainsi de juguler la “crise de confiance”.

7 FSC (Commission de Supervision Financière
) (2008). Informacja o sytuacji banków po trzech kwartałach 2008 r. Disponible en: <www.knf.gov.pl/sektor_bankowy/Publikacje_nadzoru_bankowego/publikacje_sektora_bankowego/index.html>.

8 Enquête sur Internet menée par Money.pl disponible sur : <www.money.pl/banki/raporty/artykul/kredyty;hipoteczne;tylko;dla;bogatych,142,0,376462.html>.

9 Données fournies par l’Association des Banques Polonaises et rendues public lors d’une conférence en décembre 2008. Disponible sur :
<www.zbp.pl/site.php?s=MTIyNTk0MTI=>.

10 Enquête sur Internet menée par Money.pl disponible sur : <www.money.pl/banki/wiadomosci/artykul/ciezki;los;posiadaczy;kredytow;banki;uderzaja;spreadem,207,0,383183.html>.

11 Dominiak, T. “Polacy buntuj¹ siê przeciwko bankom.” POLSKA The Times, 25 février 2009.

12 Enquête réalisée par la Confédération polonaise des Chefs d’Entreprises du Privé Lewiatan. Voir : <www.pkpplewiatan.pl>.

13 Niklewicz, K, Samcik, M et Hałabuz, N. “Znikające tanie kredyty.” Gazeta Wyborcza, 24 février 2009.

14 Brzoska, P. “Lodz cienko przedzie, szwaczki znow traca prace.” Polska – Dziennik Łódzki, 29 décembre 2008. Voir : <www.polskatimes.pl/dzienniklodzki/pieniadze/74052,lodz-cienko-przedzie-szwaczki-znow-traca-prace,id,t.html>.

15 Budlender, D. “The statistical evidence of care and non-care work in six countries.” Genève : Institut de Recherche des Nations Unies pour le Développement Social (UNRISD). 2008.