SERBIE

Crise mondiale, malaise national

Association Technology and Society
Mirjana Dokmanovic, PhD
Danica Drakulic, PhD

Le manque de décision du Gouvernement et l'absence de stratégie et de vision claires pour répondre aux effets négatifs de la crise favorise le pessimisme et le mécontentement parmi la population, qui exige des actions – et pas seulement des mots – pour combattre la corruption et le crime et pour rétablir l'état de droit. La situation économique se dégrade et met en danger les droits économiques et sociaux de la citoyenneté. Les recettes publiques ont diminué en raison de la privatisation à grande échelle qui a commencé en 2003. Les hommes politiques, sous la pression du FMI et du mécontentement public, préparent des projets qui sont rejetés presque immédiatement.

La Serbie souffre de la baisse de sa production industrielle, de la chute de ses importations et exportations, de son commerce intérieur et extérieur, ainsi que d’une baisse notable de la bourse à Belgrade. En outre, un fort déficit commercial est constaté. L’absence d’entrées d’investissement et de crédit pourrait entraîner de graves problèmes dans la balance des paiements et une augmentation du déficit commercial ainsi qu’une montée du chômage et une baisse de revenus.

Le déclin de l’économie

La croissance du PIB prévue à 3,5% pour le budget 2009 a été trop optimiste. La baisse du PIB estimée à -4,8 %1 est évidente. Vers mai 2009, la production industrielle était descendue à 18 % par rapport à la moyenne de 2008. Le chômage élevé et les problèmes d’ordre social sont les facteurs qui limitent le développement durable. D’après les données de l’Agence Nationale de l’Emploi, vers fin juillet 2009 le nombre de chômeurs s’élevait à 763.062 (25,85 %, dont 52,94 % de femmes), et 70 % des personnes employées travaillait à mi-temps2. Les estimations du nombre de travailleurs ayant perdu leur emploi entre décembre 2008 et mars 2009 oscillent entre 31.0003 et 133.0004, du fait – dans bien des cas – de la baisse de la production et de l'annulation de bons de commande. En moyenne, environ 2.500 employés sont licenciés chaque mois5. Plus de 2.000 petites et moyennes entreprises ont fermé leurs portes en 2008; le contexte économique ne favorise pas la création de nouvelles entreprises, et la faillite menace 60.000 sociétés. La dette interne, qui s’élevait à plus de 3.000 millions d’USD au mois de février, met en danger les activités économiques et l’emploi.

La dette externe est en constance augmentation, ayant dépassé 30.700 millions USD  au mois de juin 2009 (64 % du PIB)6, 16 % de plus qu’en 2007. Alors que le déficit du commerce extérieur était de  9.500 millions d’USD en 2008, la valeur de la monnaie nationale, le dinar, a chuté de 25 % pendant le dernier trimestre de l'année dernière. Le manque d’investissement étranger direct (IED) ainsi que des entrées d’argent provenant des banques étrangères, limite les ressources pour le protéger. Un afflux de devises estimé à 5.900 millions d’USD est nécessaire pour maintenir la stabilité du dinar. Néanmoins, étant donné que le pays n'a obtenu que 3.300 millions d’USD de bénéfices avec la privatisation à grande échelle pendant l'année 2003 et qu'aucun accroissement d’investissement étranger n'est prévu, ce montant ne sera pas disponible.

En fait, les résultats de la privatisation ont été catastrophiques. La majeure partie du capital acquis par la vente des biens publics a été dépensée au lieu d'être investi, et le secteur des exportations n'a pas été restructuré. La plupart des investissements  ont été destinés au secteur bancaire, au commerce et à l’immobilier. La production industrielle reléguée au deuxième plan et le développement technologique négligé ont conduit à une compétitivité extrêmement faible de l'économie. Les chiffres officiels reflétant la totalité des recettes de l'État provenant du processus de privatisation depuis l’an 20007 sont inexistants. L’achat de branches entières de l’industrie (par exemple, l’industrie laitière) par des investisseurs étrangers a encouragé la création des monopoles et l’augmentation des prix. En outre, la vente de 51 % de l’industrie pétrolière de la Serbie à la compagnie russe Gasprom pour un montant de 528 millions d’USD a généré un mécontentement parmi la population et les experts, étant donné que celle-ci constituait une des sources de revenus les plus importantes du pays. Avant la privatisation, la contribution des compagnies de l’État équivalait à 44,5 % du PIB par rapport à 17 % en 2008. Le nombre de travailleurs est passé de 400.000 à 135.000 et continue à se réduire. Même US Steel, l’entreprise qui a acheté la plus grande compagnie sidérurgique serbe, Smederevo, vient d’annoncer des licenciements.

La crise économique, ainsi qu'une privatisation défavorable, ont entraîné une augmentation de la pauvreté. Durant le premier trimestre de 2009, le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté s'est élevé à 60.000, et cette tendance continue8. Ceux qui sont le plus en danger sont les chômeurs, les enfants, les personnes âgées de plus de 65 ans, les handicapés, les roms, les réfugiés, les femmes, les familles en milieu rural avec des personnes âgées, et les familles nombreuses.

Réponse du Gouvernement

Le Gouvernement a d’abord hésité face à la crise, a réagi très lentement et n'a pas averti la population du danger. À partir d’une évaluation de l’impact de la crise du mois de décembre 2008, le Gouvernement a suggéré que certains secteurs – sans spécifier lesquels – subiraient fortement les conséquences, tandis que d’autres ne seraient pas affectés9. Néanmoins, il a présenté un “Cadre de Mesures“ liées à l’État (dans le sens le plus large), à l’économie (les secteurs industriels et financiers) et à la population en général10.    

En février 2009,  le Gouvernement a adopté un plan de relance, visant à accroître la liquidité par l’approbation de prêts aux banques (afin que celles-ci puissent – à leur tour – offrir des prêts aux commerçants dans des conditions favorables), et la provision de fonds pour la promotion des exportations d’entreprises (celles-ci s’engageant à ne pas réduire leur nombre d’employés). Des conditions favorables ont été établies en ce qui concerne les comptes de crédits des citoyens afin de relancer le pouvoir d'achat et la production. D’après le Ministère de l’Économie et du Développement Régional, jusqu'au 4 août le Gouvernement avait accordé des prêts pour un montant total de 874 millions d’USD en vue d'accroître la liquidité11, ainsi que des prêts équivalents à 25 millions d’USD pour les consommateurs12.  Presque 1.000 demandes de prêts ont été reçues pour créer des petites et moyennes entreprises. Le Syndicat Patronal a exigé des règles strictes pour l’approbation de ces prêts afin d’éviter la corruption, étant donné que dans certains cas des prêts avaient été accordés à des magnats et les fonds avaient disparu13.  

En outre, des mesures positives ont été mises en place pour relancer l'emploi dans les groupes vulnérables, tels que les travailleurs entre 45 et 50 ans, les personnes handicapées, les roms et les chômeurs n’ayant pas retrouvé d’emploi depuis plus de deux ans.  L’emploi concernant ces catégories sera subventionné à partir de 1.100 d’USD  et jusqu’à 2.200 d’USD.
 
Vers fin mars 2009, les négociations avec le Fonds Monétaire International (FMI) se sont conclues par un accord stand-by pour un montant de 3.960 millions d’USD  à mettre en oeuvre à partir d’avril 2001. Il a été souligné que sans l’aide du FMI, la Serbie ne serait pas en mesure de couvrir son déficit budgétaire ou de payer les retraites et les salaires. Le Gouvernement a également signé un accord avec la Banque Mondiale en vue de recevoir un prêt pour un montant de 46 millions d’USD, destinés au développement des secteurs privé et financier.  La Commission Européenne fait un apport de 142 millions d’USD pour alléger les conséquences économiques et sociales de la crise.

Un état d’indécision

Jusqu’à mi-2009, aucune politique cohérente ni globale n'avait été mise en place pour compenser les difficultés sociales et économiques de la population, en dépit du grand nombre de mesures annoncées et révoquées ensuite. Au mois de mars, le Gouvernement a également annoncé l’incorporation d’un salaire provisoire « solidaire » ainsi que d’un impôt de 6 % sur les retraites supérieures à 170 USD. Cet impôt serait utilisé – d’après le Gouvernement – pour établir un fonds de solidarité pour les plus pauvres et aider à compenser le poids de la crise. Cependant, la mesure – provenant de la pression du FMI pour diminuer le déficit public – a entraîné un mécontentement chez les travailleurs et les retraités, et les syndicats ont annoncé des manifestations. Ceux-ci ont affirmé que l'impôt de « solidarité » frapperait les plus pauvres14, entraînerait une réduction des salaires, une augmentation du chômage et du secteur informel, tandis que les riches ne seraient pas affectés. Du jour au lendemain, le Gouvernement a révoqué la totalité du plan d’épargne. Il se trouvait coincé entre la crainte des troubles sociaux et la pression du FMI ; les semaines suivantes ont été marquées par des opinions discordantes des hommes politiques qui,  l’après-midi annonçaient de nouveaux ensembles de mesures d'épargne et les révoquaient le lendemain matin15

A un moment, le Ministère de l’Économie a recommandé au Ministère de la Justice de demander instamment aux tribunaux de prolonger les procédures liées aux conflits du travail dans lesquelles les travailleurs réclamaient le non-paiement des salaires par les entreprises qui venaient d’être privatisées, ainsi que d’autres avantages liés au processus de privatisation. Le Ministère a déclaré que le paiement des salaires mettrait en danger la production de ces entreprises, sans se soucier du fait qu’il s’agissait de la violation de l'indépendance de la justice16. Cette recommandation controversée a été ensuite révoquée.

Le plan d’épargne révisé a été adopté le 16 avril, conjointement à une révision du budget de l'État pour 2009. Le Gouvernement a annoncé l’établissement d’un fonds spécial du budget, basé sur l’impositon des salaires les plus élevés et sur la réduction des salaires du secteur public.

Le Conseil Économique et Social n’a pas soutenu ce nouveau plan d’épargne car celui-ci incluait le licenciement des travailleurs et la réduction des salaires17. Le Conseil a estimé que ces mesures ne relanceraient pas l’économie mais que le Gouvernement ne ferait qu’économiser des ressources budgétaires  en soulignant qu’au lieu de taxer les travailleurs, l'argent devrait être recueilli auprès de ceux qui se sont enrichis pendant le processus de privatisation.

Le pessimisme et le mécontentement de la population ont été aussi alimentés par l’incapacité apparente des hommes politiques à prendre des mesures pour combattre la corruption et le crime, et pour établir l'état de droit qui contribuerait vraiment à l'amélioration de la situation financière du pays et de ses citoyens. Les pertes annuelles provoqués par l’absence de contrôle sur les marchés publics18 sont estimées à plus de 500 millions d’USD. En 2008, l’État a perdu 1.300 USD  supplémentaires en ayant toléré l’absence de paiement d’impôts par les grandes sociétés anonymes.

Qui doit vraiment se serrer la ceinture?

En appliquant la Loi de Confiscation des Biens Mal Acquis, récemment adoptée, l’État pourrait obtenir un recouvrement de 2.640 millions d’USD en un an, ce qui correspond exactement au montant que la Serbie demande au FMI19. Au Salon International de l’Automobile à Belgrade, la totalité des modèles les plus chers ont été vendus le jour même de l’inauguration, pour un montant supérieur à  2,6 millions d’USD20

Au mois de décembre 2008, le niveau des subventions pour une famille de quatre personnes sans revenus s'élevait à 134 USD. Le coût minimum de vie d’une famille de quatre personnes a été estimé à 1.100 USD. L’une des priorités du Ministère du Travail et des Politiques Sociales sera de créer des soupes populaires pour les pauvres; à l’heure actuelle il existe 58 soupes populaires  pour 21.000 bénéficiaires, mais cette quantité reste insuffisante21. Au mois de mars, le Ministère du Commerce et des Finances a ouvert le premier « Marché SOS » à Belgrade et a annoncé la création de marchés similaires dans tout le pays. Ces marchés vendent des produits alimentaires à des prix plus bas, et sont supposés améliorer la situation dans les secteurs les plus touchés. Des cartes SOS22 ont commencé à être distribuées. 

Au lieu de protéger les travailleurs de la violation de leurs droits, les syndicats se sont tournés vers le côté opposé. Début 2009, l’Union des Syndicats Indépendants et le Secteur Unifié du Syndicat « Indépendance » ont convenu avec le Syndicat Patronal et le Gouvernement de repousser la mise en place du Contrat Collectif Général et de retarder certaines obligations financières des employeurs envers les travailleurs, y compris le paiement des salaires des travailleurs23. Cela a encouragé la pratique générale des employeurs du secteur privé de ne pas payer les salaires et autres avantages. Par conséquent, un travailleur serbe sur dix (180.000 au total) ne touche pas de salaire24. Le bureau d’inspection du travail reçoit des milliers de plaintes, mais il affirme qu'il manque de mécanismes nécessaires pour obliger les employeurs à payer les salaires. 

Vers mi-août 2009, 30.000 travailleurs appartenant à 29 entreprises étaient en grève pour les salaires impayés, l’assurance de santé, les retraites, la violation des conventions collectives ou les  contrats de  privatisation25. Les grèves sont de plus en plus fréquentes, et la voix des travailleurs, de plus en plus plus résolue. À titre d’exemple, les ouvriers de l’usine Partizan à Kragujevac ont entamé une grève de la faim pour obliger le propriétaire à payer les salaires en retard.  Et ceux de l'usine First May à Lapovo se sont couchés sur les voies du train pour bloquer le transport ferroviaire international. Les travailleurs de Zastava Electro à Racha et des Grands Magasins de Belgrade ont protesté pendant des mois contre les mauvaises pratiques de la privatisation et sont même arrivés jusqu’au siège du Gouvernement à Belgrade. De plus, pendant une grève de la faim qui a duré une semaine, les travailleurs de la Société Textile Rashka à Novi Pazar ont attiré l’attention du public et ont obtenu le paiement de leurs salaires après que l'un d'entre eux  ait coupé et avalé son propre doigt.

 

 

1 EMportal, Economist Media Group Web site. Le 15 août 2009.  Récupéré le 17 août 2009. Disponible sur : <www.emportal.rs>.

2 Agence Nationale de l’Emploi (ANE). Gouvernement de la République de Serbie. Données sur le chômage du mois de juin 2009. Récupéré le 16 août 2009. Disponible sur : <www.nsz.gov.rs>.

3 Ibid.

4   B92. “Citizens’ Standard of Living is Worsening”, 16 août 2009. Disponible sur : <www.b92.net>

5 Gouvernement de la République de Serbie. Ministère du Travail et des Politiques Sociales. Disponible sur : <www.minzs.gov.rs>

6 Banque Nationale de la Serbie. Statistiques monétaires et des devises. Récupéré le 15 août 2009. Disponible sur : <www.nbs.rs/export/internet/english/80/index.html>.

7 Aleksic, J. y Stamenkovic, B. “ Nobody Knows Where the Money from Privatisation Goes ”. Blic,le24 mars 2009. Disponible chez: <www.blic.rs/economy.php?id=4119>.

8 Gouvernement de la République de Serbie. Ministère du Travail et des Politiques Sociales. Disponible sur : <www.minzs.gov.rs>

9 Gouvernement de la République de Serbie. The Economic Crisis and its Impact on the Serbian Economy. Bureau du Premier Ministre. Disponible sur : <www.media.srbija.sr.gov.yu/medeng/documents/economic_crisis280109.pdf>.

10 Ibid.

11 Jusqu’au mois d’août 2009, 90 % des entreprises serbes avaient demandé ces prêts.

12 Ministère de l’Économie et du Développement Régional. Gouvernement de la République de Serbie. Plan d’Épargne 2009 du Gouvernement. Disponible sur : <www.merr.gov.rs>.

13 Solesa, D. “ Without Corruption with Loans ”. Economic Review, le 30 janvier 2009.

14 Au mois de janvier 2009, la moyenne concernant la retraite était de  305 USD par mois et la moyenne concernant le salaire était de 440 USD . Les salaires les plus élevés étaient ceux des directeurs des entreprises publiques (3.100 USD).

15 À titre d’exemple: réduire le nombre de ministres, augmenter les impôts sur les propriétés, créer un impôt sur les factures des téléphones portables, sur l’achat des automobiles nouveaux et des automobiles de luxe, interdire l’entrée de nouveaux employés dans le secteur public, limiter les voyages d’affaires à l’étranger et réduire les heures de travail.

16 Le Directoire de la Cour Suprême a décidé que cette recommandation violait la Constitution et la Convention Européenne sur les Droits Humains et les Libertés Fondamentales.

17 FoNet. “ Social Economic Council Does Not Support the Government’s Measures ”. Blic, le 15 avril  2009. Disponible chez: <www.blic.rs/ekonomija.php?id=88413>.

18 Vucetic, S. “ Unbreakable Partnership of Politics and Tycoons ”. Blic, le 17 avril 2009. Disponible sur : <www.blic.rs>.

19 Cvijic, V. Z. “ In the Serbian Cash Register 2 billion Euro from the Mafia Property ”. Blic, le 25 mars 2009. Disponible sur : <www.blic.rs>.

20 Press Online. “ No Crises: Two Million Euros for One Day! ” Le 28 mars 2009. Disponible sur : <www. pressonline.com.rs>.

21 Ministère du Travail et des Politiques Sociales. Gouvernement de la République de Serbie. Consulté sur : <www.minrzs.gov.rs>.

22 B92 Net. SOS Cards Are Starting to Be Issued. Consulté le 30 mars 2009 sur : <www.b92.net/biz/tv_emisije.php?nav_id=352330>.

23 Solesa, D. “Crisis ‘Tied’ Social Partners?” Economic Review, le 30 janvier 2009.

24 B92 Net. “180,000 Workers do not Receive Salaries”. Le 15 août 2009. Récupéré le 16 août 2009. Disponible sur : <www.b92.net>

25 EMportal, Economist Media Group Web site. Le 15 août 2009.  Récupéré le 17 août 2009. Disponible sur : <www.emportal.rs>.