SLOVÉNIE

Les défis pour une société civile émergente

HUMANITAS Društvo za človekove pravice in človeku prijazne dejavnosti
[Société pour les Droits Humains et Actions de Soutien]
Manca Poglajen
Rene Suša

Les effets de la crise mondiale ont commencé à se faire sentir dans ce pays tourné vers l’exportation. Ils se traduisent par des hausses de prix des aliments et de l´énergie, le chômage et la pauvreté, et ils attendent une réponse du système. Cela donne l’occasion  de se centrer sur les droits humains et sur les problèmes de l´environnement, ainsi que sur les questions de l´activisme de la société civile qui se sont développées au niveau national. Par conséquent il est fondamental que  les citoyens exigent davantage du Gouvernement qu’une simple relance du marché.

Dans la seconde moitié de l’année 2008 la Slovénie a perçu les premiers signaux d´une éventuelle crise économique et financière avec la nouvelle de l´effondrement des institutions financières importantes, aux États-Unis en particulier. Les effets sur l´économie slovène tournée vers l'exportation sont devenus visibles début 2009, d´abord chez les travailleurs du secteur industriel mais se sont étendus ensuite à tous les secteurs d’activités en raison de la réduction du pouvoir d´achat et de la difficulté d’accès au crédit, se traduisant par une diminution de la demande commerciale et des services.

En fait, les prix des denrées alimentaires au  niveau mondial, la dégradation de l´environnement et le changement climatique ainsi que les discussions politiques sur l’accès à l´énergie frappaient le pays avant même que la crise n´éclate. Le taux moyen d´inflation de 2008 (suivant la tendance initiée en 2007) a été de 5,7 %. Les denrées alimentaires et les boissons ont augmenté de 3,8 % tandis que le gaz, l´énergie et le pétrole, de plus de 20 %1. Même si toute la population a été frappée par la hausse des prix, les secteurs à faibles revenus ont été le plus durement touchés.

Chômage

L´évolution du chômage montre l´effet le plus nuisible et durable de la crise. Le chômage a augmenté dans toutes les régions, en particulier pour les personnes ayant des contrats de travail à court terme. Les données de février 2009 montrent des tendances très négatives : 77.182 personnes étaient enregistrées à l’Agence pour l’Emploi, soit 4,4 % de plus qu´en janvier 2008 et 15,2 % de plus qu´en février 2008. Il faut également tenir compte du fait que le nombre réel de chômeurs est bien supérieur, car au cours des dernières années des milliers de personnes ont été effacées des statistiques en raison de « manquement aux obligations » (généralement pour ne pas se présenter à leur travail ou pour refuser d’effectuer des tâches au-dessous de leur niveau de qualification)2.

Le nombre de nouveaux demandeurs d´emploi enregistrés est encore plus significatif. Dans les deux premiers mois de l’année 2009 ils étaient 21.052, correspondant à une augmentation de 83 % par rapport à la même période de 20083. Presque la moitié étaient des travailleurs dont les contrats à court terme n´avaient pas été renouvelés. L´augmentation du nombre de chômeurs permanents a été surprenante aussi – presque 50 % par rapport à la  même période 2008 – ainsi que celle des personnes ayant perdu leur travail à la suite de faillites, ce chiffre-ci ayant largement doublé (219 %)4. La moyenne des personnes enregistrées à l’Agence pour l’Emploi se trouve sans travail depuis presque 22 mois.

Une faible réponse

Les tentatives pour faire reculer le chômage n´ont pas été suffisantes. En janvier 2009 le Gouvernement a adopté une loi de subventions partielles pour les travaux à plein temps. La somme totale des subventions étant de 200 millions d’EUR (261 millions d’USD). Les employeurs peuvent en faire la demande à raison de 60 à 120 EUR (entre 78 et 157 USD) par travailleur et par mois, tout dépendant de la réduction de l´horaire de travail de 36 à 32 heures par semaine. Cependant, tant les experts que les employeurs et les syndicats estiment que cette mesure est insuffisante.

Par exemple, les subventions sont trop faibles pour aider les entreprises qui ont de graves problèmes de liquidité ou qui n´ont pas la capacité de maintenir les niveaux de production précédents en raison des annulations de commandes. Elles sont aussi limitées à un maximum de six mois, même si les estimations indiquent que le besoin s´étendra au-delà de ce terme. En plus, il n´est pas prévu d’allocations pour les travailleurs indépendants qui représentent 10 % de la force de travail, ou pour ceux qui travaillent déjà à temps partiel, comme dans le cas des personnes handicapés. Un autre inconvénient est dû à ce que la loi n´établit pas de critères d´admissibilité basés sur les enregistrements des opérations commerciales, et donc les entreprises non affectées par la crise peuvent recevoir des subventions.

Les syndicats avertissent la possibilité d'abus de la part des employeurs, comme proposer des ajouts aux contrats de travail permettant de réduire les salaires des employés à volonté. Cela signifie que les entreprises sont encore admissibles pour recevoir les subventions alors qu´elles réduisent le salaire des travailleurs, s´abritant derrière la diminution de l´horaire de travail5.  D´autres abus comprennent la réduction de l´horaire de travail mais pas la quantité des tâches – les travailleurs se voient menacés et doivent travailler des heures supplémentaires sans rémunération ou en journée continue avec des pauses plus courtes.

L’Agence pour l’Emploi a fait deux nouveaux appels d´offres pour l´octroi des subventions concernant des emplois à temps partiel ou à temps complet en 2009 et 2010. Tous deux sont cofinancés par les Fonds Structurels Européens. Une priorité sera accordé aux candidats qui veulent embaucher des femmes ou des personnes handicapées et des montants plus importants peuvent être demandés par ceux qui embauchent des personnes au chômage depuis plus de 24 mois. Par le biais de ces appels d´offres il est estimé que quelque 3.850 personnes pourraient trouver un emploi à plein temps et  400 autres à temps partiel. Un montant supplémentaire est également disponible pour cofinancer avec les employeurs des programmes de formation professionnelle pour les travailleurs afin d´augmenter la productivité et la qualification des travailleurs.

Même si les subventions indiquent la préoccupation du gouvernement pour éviter des licenciements massifs il est évident aussi que toutes ces mesures sont de faible portée, que ce soit en ce qui concerne les fonds ou les durées. Elles ne montrent pas de planification à long terme et n’abordent pas non plus les problèmes structuraux, il s´agit simplement de mesures pour améliorer la situation actuelle. L´emploi permanent n´est la condition requise d´aucune de ces mesures. Cela est tout à fait en accord avec une « plus grande flexibilité » du marché de travail exigée par les entrepreneurs, c´est à dire de plus en plus de personnes avec des contrats de travail à court terme. Cela est valable aussi pour les candidats aux subventions de l´État qui peuvent licencier leurs travailleurs lorsque la subvention arrive à échéance.

Les gros titres ont changé

Avec le déclin de l´économie il y a eu aussi un changement substantiel quant à la cible des médias. Même si les questions concernant les travailleurs immigrés (spécialement ceux du bâtiment) et l´exploitation dont ils étaient l´objet (sans contrats de travail, conditions de travail inadéquates, bas salaires, racisme, etc.) faisaient les gros titres des journaux fin 2008, leur situation actuelle et les problèmes qu´ils doivent affronter maintenant en raison d’une faible demande de leurs services ont été balayés.  Les gros titres de nos jours se focalisent sur les difficultés financières que doivent affronter les grandes entreprises.

De même les médias ont l’habitude de maquiller les mesures draconiennes pour les rendre plus acceptables. Un exemple de gros titres parus avec l´annonce du directeur général de la Chambre d´Industrie et du Commerce concernant la perte de 30.000 à 50.000 postes de travail en 2009 : cela ne favorise pas les travailleurs ; cela légitime simplement de nouveaux licenciements. Le journal d´affaires le plus important, Finances, a publié un estimatif similaire au sujet de 46.000 travailleurs licenciés. Cependant, les chiffres de l’Agence pour l’Emploi sont beaucoup plus bas : il y aurait approximativement 10.000 nouveaux demandeurs d´emploi fin 2009.

Les changements sociaux et les niveaux de pauvreté

Le Défenseur des droits humains aborde la pauvreté comme un problème qui nécessite une solution urgente, étant donné qu´il s´agit d´un phénomène multidimensionnel qui touche profondément la dignité humaine. Même si dans sa Constitution la Slovénie se déclare comme un « état social »,  de plus en plus de slovènes plongent dans la pauvreté. D´après des données officielles, 11,5% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté qui est de 500 EUR (près de 653 USD)6. Ces statistiques ne tiennent pas compte du fait que très souvent les personnes pauvres subissent des violations de leurs droits humains dans les domaines de l´assistance sociale, la santé et l´éducation.

 La pauvreté est en hausse chez les personnes âgées qui survivent avec des retraites maigres et chez les jeunes : de plus en plus de jeunes vivent dans des environnements ayant des possibilités minimes de développement, peu d’incitation, estime de soi diminuée, difficultés pour s´intégrer à la société et possibilités quasi nulles de trouver un emploi. Il est de plus en plus difficile pour les jeunes adultes de fonder leur propre famille parce qu´ils n’ont pas accès au marché immobilier. Il est en train de se générer une sous-classe de personnes déçues, trompées, se sentant inutiles et éprouvant du ressentiment contre la société.  De nouvelles approches du système sont nécessaires : l´aide financière n´est pas suffisante ; il faut réaffirmer des valeurs telles que la solidarité et la communauté.

Les droits humains et les sujets globaux

Dernièrement les droits humains ont eu un rôle principal dans le pays. Le nouveau Gouvernement de coalition, élu en 2008, a déclaré que le respect pour les droits humains, la démocratie, l´état de droit, la protection sociale et une société ouverte sont des valeurs essentielles. Il s´est aussi engagé pour le changement en raison des nouveaux défis à relever face aux événements mondiaux.

Ceci est en partie dû à l´impulsion donnée aux ONG et aux organisations en liaison7 (avec une attention sur les questions telles que le changement climatique, les Objectifs de développement du millenium, l´importance de la société civile, le respect des droits humains et l'obligation des établissements publics à rendre des comptes ) lorsque la Slovénie a occupé la présidence de la UE. Il est nécessaire d´accroître la sensibilisation sur ces questions, aussi bien parmi la population que chez les fonctionnaires ;  il faut également créer des liens et des forums où il soit possible de présenter des initiatives au gouvernement afin de générer un effet durable.

Discrimination, non-respect des décisions de la Cour Constitutionnelle, lenteur des processus judiciaires, droits des enfants, sécurité sociale et systèmes de retraite et de santé sont quelques-unes des thèmes les plus fréquents de plaintes présentées aux organismes des droits humains de Slovénie.  D´après le Défenseur des droits humains, les valeurs qui devraient guider la société, spécialement en temps de crise,  sont la dignité humaine, le respect mutuel, la confiance, l´honnêteté et la volonté d´aider les plus vulnérables8.

Une interrogation ouverte

Cependant il reste encore une interrogation : celle de savoir si la société slovène qui a ignoré dans le passé les questions des droits humains et de l´environnement, va exiger de son gouvernement une approche basée sur les droits et une garantie efficace pour leur protection, ou si les problèmes économiques resteront prioritaires. Un exemple : le cas des « effacés », c´est à dire les slovènes non-ethniques auxquels le statut légal après l´indépendance de 1991 a été refusé. Cette question devrait être déjà résolue, mais les gouvernements successifs n´ont pas respecté les décisions de la Cour Constitutionnelle.  Les partis politiques de droite s´opposent par crainte de devoir octroyer de grandes sommes de dédommagement aux victimes.

Quant à l´environnement il est prévu l´installation de stations d´énergie éolique sur des zones protégées, des centrales maritimes de gaz et une nouvelle usine d´énergie au charbon. Si les réponses aux diverses crises actuelles sont abordées afin de relancer l´économie et la consommation, les questions des politiques de l´environnement finiront par céder la place aux programmes de maintien des emplois et de relance du marché.

1 Bureau de statistique de la République de Slovénie. “Consumer price indices, Slovenia, December 2003”. 3 décembre 2008.  Disponible sur : <www.stat.si/eng/novica_prikazi.aspx?id=2098>.

2 Voir : “La Slovénie : sur le flanc effacé des Alpes”, dans Informe Social Watch 2008. Disponible sur :  <www.socialwatch.org/en/informesNacionales/619.html>.

3 Bureau d´emploi de Slovénie. “Februarja registriranih 77.182 oseb”. 28 mars 2009. Disponible sur : <www.ess.gov.si/SLO/DEJAVNOST/StatisticniPodatki/2009/0209.htm>.

4 Bureau d´emploi de Slovénie. “Zavod sklenil pogodbo o subvencioniranju z 41 podjeti” 30 mars2009. Disponible sur  : <www.ess.gov.si/SLO/DEJAVNOST/Novinarsko/Sredice/NovinarkeKonference/2009/04-03-09.htm>.

5 KS90 (2009). “Subvencioniranje delovnega časa, vloga in ukrepi sindikata”. 25 mars 2009. Voir : <www.sindikat-ks90.si/index.php?p=novice&id=183>.

6 Bureau de statistiques de la République de Slovénie. “Kazalci dohodka in revščine” 27  mars 2008. Voir : <www.stat.si/novica_prikazi.aspx?ID=2032>.

7 Bien qu´il n´existe pas de définition légale pour ONG, en novembre 2008 ces organisations et les sujets sur lesquels elles travaillent ont gagné de l’importance grâce à la présidence de Slovénie de la UE.

8 Défenseur des droits humains. Thirteenth Regular Annual Report of the Human Rights Ombudsman of the Republic of Slovenia for the year 2007. Version réduite, 2008. Disponible su : <www.varuh-rs.si/fileadmin/user_upload/word_in_PDF/LP-2007/LP07_ANG_-_za_splet.pdf >.