Après la chute : la nécessité d’un New Deal - Roberto Bissio.

Après la chute : la nécessité d’un New Deal

Roberto Bissio
Secrétariat international de Social Watch

La bonne nouvelle c’est que la stratégie D’abord les gens fonctionne. D’abord les gens était le titre du Rapport annuel Social Watch 2009 et son message capital. Nous avons soutenu, en nous basant sur l’évidence qui émane de tous les coins du monde, que l’impératif éthique visant à investir dans les personnes vivant dans la pauvreté et surtout les femmes, était à la fois la meilleure stratégie économique de lutte contre la crise économique mondiale consécutive à l’effondrement de Wall Street fin 2008.

C’est exactement ce qui s’est passé un an plus tard dans des endroits aussi lointains que la Chine et et Brésil, deux pays en développement sérieusement touchés par la crise qui ont pris des mesures rapides et décisives pour relancer la consommation locale grâce à des aides destinées aux personnes les plus pauvres. Selon la coalition Social Watch Brésil « le rétablissement s’est effectué  grâce à la robustesse de la demande intérieure, alimentée par : des politiques d’augmentation du salaire minimum, des politiques sociales, dont la plus importante est la « Bolsa Familia » (allocation familiale)[1], des politiques d’élargissement du crédit offert par les banques publiques et, dans une moindre mesure, des politiques fiscales placées sous le bouclier du programme connu au Brésil sous le nom de Plan d’accélération de la croissance (PAC). Les groupes à faible revenu ont aussi été la cible des politiques : le nombre de personnes pauvres bénéficiant d’une allocation en espèces (équivalente à un mois de salaire minimum) a augmenté : entre autres, les personnes qui ont un revenu familial égal ou inférieur à 25 % du salaire minimum par habitant, les personnes handicapées et les personnes pauvres âgées de plus de 65 ans. Des pensions de retraite ont été élargies aux travailleurs agricoles (même s’ils n’ont pas cotisé au préalable) »

Les moins de USD 7 000 milliards investis dans la Bolsa Familia non seulement ont été un succès pour la réduction de la pauvreté mais ils ont également supposé « un soutien important à la demande interne, notamment en ce qui concerne les biens de consommation périssables. Étant donné que les familles pauvres consomment tout leur revenu, ces aides se sont traduites par une hausse directe de la demande, établissant un seuil face à toute éventuelle réduction des dépenses destinées à la consommation dans le pays. Les dépenses qui se fondent sur la Bolsa Familia ont également une répercussion expansive indirecte sur la demande et sur le degré d’activité économique. Les dépenses originales se transforment en revenus pour d’autres personnes, revenus qui seront dépensés à leur tour pour stimuler d’autres activités. Du fait du caractère décentralisé de ce plan, ces relances peuvent concerner les activités locales et répercuter davantage sur l’emploi et la consommation supplémentaire ».

 

La mauvaise nouvelle, c’est que partout dans le monde la plupart des pays ont dirigé des billions de dollars à l’autre bout de la chaîne économique, moyennant des réductions d’impôts pour les riches ou des subventions aux banques et aux grandes corporations et que ces plans, qui en réalité n’ont pas aidé à réduire le chômage, ont ensuite été abandonnés ou amoindris dès que le secteur financier a commencé à redevenir rentable.

C’est le cas par exemple du Canada où la coalition Social Watch locale signale que « la réduction du déficit est en train de se concrétiser par une majeure compression des dépenses sociales. Alors que la bourse et le Produit interne brut (PIB) se récupèrent il faut s’attendre à un nouveau recul des niveaux d’équité et du développement, autant au Canada qu’à l’étranger ».

 

Certains pays en développement font état d’effets encore plus dévastateurs de la crise. En Indonésie, par exemple, Social Watch national indique que « la crise financière mondiale a imposé un fardeau supplémentaire à l’Indonésie qui était déjà confrontée à de graves problèmes découlant d’une dette extérieure et d’un niveau de corruption élevés, et de l’application de politiques macroéconomiques qui ne se sont pas traduites en mesures concrètes pour éradiquer la pauvreté. Les plus durement touchés ont été les travailleurs car en première option les entreprises ont décidé de licencier les employés pour sauver leurs actifs ».

Selon les estimations de la Banque mondiale et de l’Organisation Internationale du Travail, les personnes qui partout dans le monde perdent leur travail ou qui se retrouvent en dessous du seuil d’extrême pauvreté se comptent par dizaines, voire par centaines de millions. Dans de nombreux pays, la Slovaquie entre autres, les rapports Social Watch locaux remarquent une tendence des politiques à promouvoir « la discrimination et l´intolérance » comme moyen de contrôle des taux de chômage à deux chiffres.

Promesses non tenues

Il y a dix ans, lors du Sommet du millénaire, plus de 100 chefs d’État ou de  Gouvernement ont pris l’engagement suivant : « nous ne devons ménager aucun effort pour libérer nos semblables, hommes et femmes, de la pauvreté abjecte et déshumanisante dans laquelle vivent actuellement plus d'un milliard d'entre eux ». Les huit Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), extraits de la Déclaration du millénaire, ont établi des cibles dans des délais concrets ; la première d’entre elles était de réduire à la moitié, entre 1990 et 2015, le pourcentage des personnes vivant dans l’extrême pauvreté et souffrant de la faim. Les OMD dans leur ensemble ont résumé les tâches collectives les plus urgentes de la communauté internationale, elles ont créé des points de référence et ont défini des modèles à suivre dont les gouvernements et les organisations internationales peuvent être responsables et qui ont inspiré des mobilisations mondiales sans précédent, comme la campagne 2005 « Faites de la pauvreté une histoire ancienne » où des millions de personnes dans le monde entier ont suivi les concerts « Live 8 » organisés de façon simultanée.

Dans ses déclarations aux chefs d’État en septembre 2005, lorsque cinq ans après le Sommet du millénaire les OMD ont été révisées, Leonor Briones, de Social Watch Philippines, a dit au nom des organisations de la société civile : « Les Objectifs du millénaire pour le développement ne seront pas atteints en 2015 [si] l’environnement continue à être dévasté et que les questions relatives au commerce, à la dette, et à l’aide publique pour le développement ne sont pas résolues ».

L’Objectif 8 des OMD demandait explicitement l’établissement d’associations mondiales en matière de commerce, d’aide, l’annulation de la dette et le transfert de technologie afin de permettre aux pays en développement d’atteindre les sept autres objectifs concernant la pauvreté et la faim, la santé, l’éducation, l’égalité des sexes et la durabilité de l’environnement.

Des progrès ont été faits pour atteindre cette cible en ce qui concerne l’annulation de la dette exérieure bilatérale et multilatérale de certains pays parmi les plus pauvres, le Nigéria et l’Irak, mais c’est loin d’être suffisant. Quant au commerce, il n’y a pas de mouvements positifs. En septembre 2001 débutait à Doha une ronde de développement de négociations commerciales. Son composant de développement a beau être insignifiant elle est encore loin d’être conclue. Le transfert de technologie est devenu plus onéreux encore en raison de la stricte application des normes de propiété intellectuelle. L’aide étrangère n’a absolument pas augmenté. Elle est passée de 0,44 % du revenu des pays donateurs en 1992 à 0,43 % en 2008.

Le non accomplissement des engagements pris par les pays développés en vertu de l’Objectif 8 n’est pas sans rapport avec le progrès défraîchi des autres Objectifs. Monsieur Ban Ki-moon, Secrétaire Général de l’ONU, reconnaît que « les fonds, les services, l’appui technique et les partenariats nécessaires n’ont pas été réunis»  et il ajoute que ces défaillances se sont « aggravées par les crises alimentaire et économique mondiales ainsi que par l’échec de divers politiques et programmes de développement ». Ainsi  « les améliorations apportées aux conditions de vie des pauvres ont été excessivement lentes tandis que certains des acquis âprement conquis sont battus en brèche »[2]. La distribution inégale des ressources dans les pays en développement représente un autre handicap important. Pendant les premières années du XXIe siècle, de nombreux pays en développement ont expérimenté de hauts niveaux de croissance économique, mais la réduction de la pauvreté et la création d’emploi ont été reléguées au deuxième plan.

Sakiko Fukuda-Parr, ancienne éditrice du Rapport sur le développement humain du PNUD soutient que les OMD « ont été des engagements politiques effectués par les leaders mondiaux pour définir des priorités dans un cadre réglementaire et pour pouvoir servir de référence pour l’évaluation des progrès. Dans ce cadre, la question adéquate est de savoir si l’on fait davantage d’efforts pour être à la hauteur de ce compromis, de sorte à progresser plus rapidement ». L’enquête qu’elle a menée pendant qu’elle étudiait l’évolution de chacun des indicateurs à travers le temps au lieu de se fixer sur les objectifs atteints montre que « par exemple, tandis que l’accès à l’eau potable est promu comme une réussite des OMD, seul un tiers des pays ont progressé à un rythme plus rapide après l’an 2000 ». Pour résumer, « dans la plupart des indicateurs et dans la plupart des pays le progrès ne s’est pas accéléré » dans la dernière décennie si on la compare à la période antérieure[3].

Une étude du PNUD sur les tendances de développement au cours des quatre dernières décades parvient à la même conclusion, comme on peut le voir dans l’Indice de développement humain (IDH) depuis 1970: “Nous constatons que  110 pays sur 111 montrent des avancées dans leurs niveaux de IDH sur une période de plus de 35 ans. La croissance de l’IDH est plus rapide dans les pays qui avaient un IDH faible et moyen sur la périodeantérieure à 1990[4]”.

Comme on pouvait s’y attendre, c’est à cette même conclusion que parvient l’analyse de l’Indice des capacités de base de la propre Social Watch, qui combine certains indicateurs-clés des OMD (voir les chiffres inclus dans ce rapport) : si tant est qu’après l’an 2000 les indicateurs sociaux-clés montrent encore un progrès, leur amélioration est en perte de vitesse.

Et ces résultats coïncident avec les rapports des membres de la communauté. Au Nigéria, par exemple, les watchers locaux remarquent que « certaines organisations de la société civile ont signalé que la quasi-totalité des projets centrés sur la mise en œuvre des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) sont en retard ».

 

La vision officielle positive des évaluations des OMD se fonde principalement sur les chiffres de la Banque mondiale pour l’Objectif 1. En définissant et en mesurant la pauvreté en fonction des revenus seulement, la Banque mondiale est parvenue à la conclusion que le nombre de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté extrême de USD 1,25 par jour est descendu de 1,9 milliards en 1981 à 1,4 milliards en 2005, date à laquelle la dernière enquête internationale a été effectuée[5].

Le Brésil, le Vietnam et plus particulièrement la Chine supposent la majeure partie de cette réduction. De fait, ne serait-ce qu’en Chine, le nombre d’habitants vivant sous ce seuil a diminué de 835,1 millions en 1981 à 207,7 millions en 2005. Une réduction de 627 millions en Chine, tandis que sur la même période la réduction mondiale était de 500 millions, ce qui veut dire qu’en dehors de la Chine la pauvreté a expérimenté une croissance sur cette prériode de plus de 127 millions de personnes.

De fait, d’après le rapport de suivi 2010 du Secrétaire Général de l’ONU, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté de USD 1 « a augmenté de 92 millions en Afrique subsaharienne et de 8 millions en Asie occidentale sur la période comprise entre 1990 et 2005 ».  De plus, « la situation de pauvreté est plus grave quand  on prend en compte aussi d’autres échelles de pauvreté, reconnues au Sommet mondial pour le développement social  1995, tels que la privation, la margination sociale et le manque de participation »[6].  Et ces chiffres se rapportent à 2005, au moment où l’on a effectué une enquête nationale sur les revenus des ménages qui a permis la création de la PPA (parité de pouvoir d’achat des différentes monnaies nationales, qui est ultilisée pour ajuster le seuil de pauvreté).

Depuis 2005, d’après la Banque mondiale, la crise alimentaire et la crise financière mondiale ont fait basculer au moins 100 millions de personnes de plus sous le seuil de la pauvreté. Au regard des membres de la communauté, cette situation est résumée dans le rapport de Social Watch Sénégal en quelques mots dramatiques : « outre son expansion, la pauvreté se féminise et affecte essentiellement la population rurale ».

Plus d´aide est nécessaire, mais on ne la trouve nulle part

Bon nombre de coalitions nationales Social Watch dans les pays touchés par la pauvreté parviennent à la conclusion que la seule façon d’atteindre les objectifs prévus internationalement pour 2015 c’est d’obtenir plus d’aide de la communauté internationale.

C’est le cas signalé par Social Watch Bénin où les ressources du Gouvernement restent limitées du fait de la dette externe et interne ; l’Investissement direct étranger n’atteint pas le volume requis et il est exonéré d’impôts. Le pays se retrouve ainsi à la merci des donateurs étrangers pour payer des services sociaux de base dont il a un besoin impérieux. La situation est semblable en Tanzanie, où le rapport local considère que « les efforts du Gouvernement pour améliorer la vie des Tanzaniens sont restés vains du fait notamment du manque d´engagement envers les stratégies, tant à l´échelle nationale qu´internationale : le déboursement de l´Aide publique au développement (APD) prend souvent du retard et n´accompagne pas le processus budgétaire national de la Tanzanie ».

Dans les territoires palestiniens occupés (TPO) l’entrée de l’aide a créé ce que Social Watch national appelle une «  amélioration apparente » de l’économie de la Rive occidentale, mais le panorama général reste « fragile », particulièrement dans la bande de Gaza où le siège et le blocus effectués par l’Israël continue à miner les perspectives du développement, en perpetuant une crise humanitaire qui s’aggrave. Depuis 2007, date où le blocus a été imposé, l’extrême pauvreté a triplé à Gaza, qui est probablement la zone du monde la plus tributaire de l’aide puisque plus de 80 % de la population dépend de l’aide alimentaire.

L’Afghanistan, un autre pays affecté par les conflits, est le deuxième grand bénéficiaire de l’aide (après l’Iraq), mais même ainsi, les contrôleurs de la société civile locale concluent que «  l’augmentation et l’amélioration de l’aide au développement sont deux questions indispensables », étant donné que les conditionnalités associées à l’aide au développement et à la pratique qui soumet l’aide à la condition d’acheter exclusivement au pays donateur ou à employer comme conseillers les ressortissants du pays donateur érode le bénéfice des dons. On dépense bien plus d’argent dans la guerre en l’Afghanistan qu’à aider les gens, pour la bonne raison que « la quasi-totalité des donateurs est formée par des parties belligérantes ; il n’y a pas de place pour l’humanitarisme » .

Entre temps en Somalie, déchirée elle aussi par les factions qui s’affrontent, la réticence des donateurs à s’entendre avec tout groupe armé regional ou avec les autorités nationales a créé une situation où « les ressources obtenues par le biais de la piraterie sont presque aussi importantes que celles provenant de la Commission européenne ». Dans une société basée sur l’inégalité des genres comme celle de la Somalie, la guerre et la pauvreté s’abattent plus durement sur les femmes,  et les travailleurs dévoués de la société civile, comme ceux qui informent à travers Social Watch, luttent contre le désespoir afin que les liens unissant la communauté soient préservés et forment la base de tout effort de reconstruction future.

La paix est une condition préalable, mais ce n’est pas suffisant. Au Liban, le rapport de Social Watch régional remarque que «  depuis 1992 l´architecture financière de l´après-guerre combine des politiques de reconstruction expansionnistes et des politiques monétaires restrictives, laissant une faible marge fiscale pour le développement socioéconomique ». La conclusion principale, c’est que pour répondre aux priorités de réduction de la pauvreté et de la discrimination, « un développement fondé sur les droits est nécessaire »

Le cas du Guatemala démontre, d’après l’avis des watchers locaux, que « bien que la coopération internationale ait contribué à combattre certains problèmes sociaux, elle n’a pas attaqué les problèmes structurels qui se manifestent fondamentalement dans l’inégalité de la distribution de la richesse et du revenu. Ainsi, son impact a été très faible, particulièrement en ce qui concerne la stratégie de réduction de la pauvreté, l’agenda de la paix et la réalisation des OMD.
Cela empêche donc le combat effectif contre la famine qui continue à constituer une violation systématique des droits humains dans le pays ».

Au Cameroun les watchers se sont unis à d’autres organisations de la société civile pour réclamer une gestion plus efficace de l’aide internationale, mieux coordonnée, qui implique les citoyens et prenne en compte le genre. Et il en est de même au Maroc qui est confronté, alors que l’APD est « faible », à de graves problèmes de mise en œuvre en raison du manque d’efforts concertés entre le Gouvernement et les organisations de la société civile, particulièrement dans le domaine prioritaire de l’éducation.

Une accélération plus nette dans l’avancée vers les OMD répondant au souhait émis par les organisations internationales semble très peu probable, si l’on tient compte du fait qu’en dépit de toutes les évidences qui prouvent qu’elle est plus que nécessaire, l’aide au développement n’a pratiquement pas augmenté sur la dernière décennie et elle pourrait bien se réduire en raison de la crise. Ainsi, en Allemagne, pendant que la chancelière Angela Merkel insiste sur le fait que « nous assumons notre engagement et nous restons engagés dans la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement en Afrique » comme une « responsabilité morale », le ministre du Développement, Dirk Niebel, commente que « ce serait impossible pour nous d’atteindre le pourcentage de 0,51% d’APD en un an seulement » comme l’avait promis l’UE. Les contributions de l’Allemagne à l’APD en 2009 ont représenté USD 2 millions de moins qu’en 2008.

L’Aide au développement a diminué également en Pologne, si petite pourtant au départ, de même qu’en Espagne, renversant la tendance récente à sa croissance. Étant donné la crise financière, la promesse faite par le Portugal de maintenir le niveau de son aide est remise en question par les watchers locaux. La Bulgarie a elle aussi du mal à attreindre les objectifs et à assurer la qualité de son aide. La situation est encore bien pire en Italie, qui avait pourtant présidé le G8 l’année dernière, où le Gouvernement a décrété le « démantèlement » de sa coopération au développement. Certains pays, comme Malte, qui a montré des chiffres positifs, sont présentés par les watchers locaux comme étant engagés dans une comptabilité créative où à l’APD qu’ils justifient se greffent des ressources dépensées au niveau local destinées à aider les migrants et les réfugiés. D’autre pays, comme la Slovénie, n’ont pas de « stratégie de coopération pour le développement ni de système pour évaluer l'efficacité de l'aide ». Et par-dessus tout, « il sera difficile que la Slovénie puisse maintenir ses engagements dans le contexte actuel où les compressions budgétaires se produisent dans presque tous les secteurs ».

La Finlande semble être une des rares exceptions, puisque le nouveau Programme des politiques de développement a apporté un changement  remarquable. Cependant, les watchers de la Finlande signalent encore que 
« l’approche de la Finlande sur le développement social et les droits sociaux s'est affaiblie »sans parler du risque de voir les engagements pour le maintien du pourcentage déboucher à nouveau sur une diminution des chiffres absolus à cause de la crise économique. Les meilleurs résultats rapportés dans ce sens sont ceux de la Suisse où, suite aux nombreuses campagnes publiques réalisées, le Gouvernement a finalement présenté en juin 2010 une proposition en vue d’augmenter l’APD suisse.

La coopération Sud-Sud est la source de bien des espoirs dans ce contexte, où les économies émergentes sont considérées comme de nouveaux marchés alternatifs et aussi comme de nouvelles sources d’aide. Néanmoins, Social Watch Inde signale son comportement en tant que donateur « d’imposer aux pays récepteurs les mêmes conditions qu’elle refuse d’accepter en tant que récepteur, notamment, l’obligation d’utiliser les fonds assignés pour acheter des biens et services indiens. »

Étant donné que l’aide extérieure peut, dans le meilleur des cas, compléter les efforts nationaux destinés à obtenir une dignité élémentaire pour tous, ainsi que le requièrent les OMD et les obligations des droits humains de tous les pays, d’où vont donc venir les ressources ? Nombreux sont les pays en développement qui désirent attirer les Investissements directs étrangers (IDE) pour aider à satisfaire leurs objectifs de développement.

Cependant, en époque de crise l’IDE tend à se comporter, de même que l’APD, de façon procyclique. C’est le cas de la Serbie, où les contrôleurs citoyens locaux informent que «  le flux de l’investissement étranger direct s’est ralenti en raison de la crise financière mondiale. L’économie devient donc de plus en plus fragile et instable. Les mesures pour combattre la crise se basent sur la demande de nouveaux prêts aux institutions financières internationales et sur la réduction des dépenses publiques destinées à l’éducation, la santé et les pensions avec, par conséquent, le risque de voir de plus en plus de personnes en situation de pauvreté ».
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L’investissement étranger est une arme à double tranchant

Les watchers de la Zambie ont trouvé que « l’Investissement direct étranger (IDE) a renforcé son rôle dans l’économie du pays, revitalisant l’industrie du cuivre et encourageant la production et l’exportation de produits et de services non traditionnels. Cependant cet investissement n’a pas été utilisé de manière efficace pour promouvoir le développement ni pour réduire la pauvreté. Bien au contraire,  il contribue à l’érosion des droits des personnes, parmi eux les droits au développement, à l’alimentation, à l’éducation, à un environnement propre et à la participation de la femme dans la prise de décisions politiques ».

De la même façon au Nigéria «  les  Investissements directs étrangers (IDE) au Nigéria se sont quelque peu améliorés, mais leur impact n'a pas encore atteint les plus démunis. La législation relative à l'IDE devrait être complétée par des mécanismes destinés à assurer la transparence. Bien que le Gouvernement ait alloué des ressources ─  entre autres financières ─  pour lutter contre la pauvreté, la triste réalité est que, au cours des 15 dernières années celle-ci n'a pas cessé de s’accroître à un rythme accéléré ».

En Bolivie, « le modèle extractif du pays ne permet pas que les investissements directs étrangers améliorent les conditions […] puisque la quantité d’argent sortant du pays est supérieure à celle qui y rentre ».

 
En Ouganda, le Gouvernement espère attirer les investisseurs et faire accroître à la fois la participation de la population et le contrôle des affaires publiques grâce à l’incorporation des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans sa gestion du développement ainsi que dans différents domaines de la vie sociale. Les ONG locales font savoir à travers Social Watch que «  pour que les conditions de vie des Ougandais s'améliorent, un effort doit accompagner les stratégies de réduction de la pauvreté et les investissements en développement humain ».

 

Bien souvent, au lieu d’être complémentaires, ces politiques qui sont précisément censées rendre le pays attrayant aux yeux des investisseurs étrangers, le rendent vulnérable aux bouleversements étrangers et elles finissent par effriter le tissu social. La croyance du Gouvernement que  « il est possible de réduire la pauvreté et l’inégalité en appliquant des recettes néolibérales » est « peu réaliste et insensé », selon les watchers de Croatie, où la récession de  2009 a annulé plusieurs années d’améliorations sociales.

Les watchers de Hongrie parviennent à une conclusion semblable : « La Hongrie a été le premier pays d’Europe de l’Est à adopter les recettes du Fonds Monétaire International en 1982. Bien que son niveau ait été bien plus élevé que celui de ses voisins lors de son adhésion à l’économie de marché, c´ est aujourd’hui l’économie la plus faible de la région.  Les raisons de ce phénomène sont multiples et les conséquences en sont le va et vient du pays entre des émeutes sociales – si l’on ne change pas d’orientation – el l’effondrement total d’une économie très vulnérable.  Le fantôme de l’extrémisme de droite guette dans l’ombre, nourri par le mécontentement populaire ». 

En Inde, la coalition nationale Social Watch observe que « les IDE augmentent également le phénomène de  croissance sans emplois » et que « bien que l’affluence des IDE ait augmenté au fil du temps, on ne sait toujours pas s’ils ont la capacité de fournir un financement servant à promouvoir le développement de façon authentique et inclusive. Pour garantir que les IDE apporte un bénéfice à l’ensemble du pays, y compris les entreprises et les communautés locales, les structures économiques du pays devront promouvoir la création d’un environnement propice favorisant l’effet de ruissellement des IDE, tant en faveur des entreprises que des communautés locales ».

 

La mère nature, une autre victime

L’environnement a été victime de la crise, au même titre que le secteur social. En Allemagne, d’après le World Wordlife Fund, seulement six des 32 mesures de relance ont eu un impact positif sur l’environnement, et seulement 13 % d’entre elles  peuvent être considérées durables. Au Bahreïn, le prompt développement du pays qui lui permettra d’atteindre la plupart des OMD a été obtenu «  au détriment de l’environnement » selon les watchers locaux. « La perte de biodiversité augmente. Par exemple, des complexes en béton ont remplacés les palmeraies. Entre 1970 et 2009 plus de 90 kilomètres carrés ont été gagnés sur la mer aux dépens de baies, lagunes et plages. Cela a causé la destruction d’habitats naturels et l’extinction de nombreuses espèces marines ».

 En Thaïlande aussi, la coalition locale Social Watch s’inquiète du grand coût environnemental des politiques qui se battent pour l’industrialisation à tout prix. Pire encore est le cas du Bangladesh qui, bien que produisant une pollution minime, est «  une grande victime du réchauffement de la planète » et de la crise financière. Ces deux phénomènes naissent dans les pays les plus riches et touchent plus particulièrement les personnes vivant dans la pauvreté et n’ayant aucune part dans leur création.

Imposition et représentation

Certaines stratégies destinées à aborder la crise essaient « d’exporter le problème » et d’obtenir des profits à court terme, laissant aux autres le soin de  payer. Dans la République Tchèque, le rapport des watchers reflète « une augmentation flagrante de la corruption alors que la société est profondément atteinte par l’inégalité, la discrimination, le racisme et la ségrégation. L’exportation d’armes est en hausse, en contradiction avec les objectifs de la politique extérieure officielle de soutien aux droits humains, au développement et à l’assistance humanitaire ». En Finlande, les groupes de la société civile observent que l’Aide publique au développement bien souvent soutient les investissements finlandais à l’étranger, « qui ont fréquemment des conséquences négatives sur la capitalisation humaine ».

Du côté des recepteurs de ces mauvaises politiques financières et de l’aide, le rapport Social Watch local signale qu’un pays comme «  le Ghana dépend de l’aide étrangère et des institutions financières internationales ce qui a conduit le pays au chômage généralisé, à d’énormes déficits de la balance des paiements et à une faible production industrielle et agricole. La Constitution de 1992 ainsi que d’autres instruments nationaux, régionaux et internationaux offrent un cadre légal et des politiques spécifiques pour améliorer le bien-être et la protection de femmes et des enfants. Cependant, le faible investissement de l´ État en éducation, santé, ressources aquatiques et développement rural montre la faible priorité de ces objectifs. Les possibilités d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) pour 2015 semblent lointaines ».

 

En se fondant sur des expériences semblables qui incluent le fait d’avoir vécu récemment des crises profondes, les watchers de l’Argentine ont conclu que « il n’existe pas de développement sans autonomie et sans ressources légitimes, comme les taxes. Les crises politiques et économiques successives ayant frappé le pays prouvent que lorsque le modèle de développement donne la priorité au secteur financier au détriment du secteur productif, les résultats sont néfastes pour la majorité de la population. L’État doit impérativement récupérer le contrôle de l’économie ; celle-ci doit devenir moins dépendante de l’arrivée de capitaux étrangers, elle doit avancer vers un système fiscal plus juste et également financer la production, en plus de la consommation ».  

La question des impôts est une constante dans les rapports des coalitions nationales Social Watch. La raison principale de l’absence de progrès au Pérou, «malgré une forte hausse du Produit Intérieur Brut (PIB) et une augmentation budgétaire du secteur public », c’est que «  la réforme fiscale, pourtant si nécessaire, n’a pas été effectuée, le système de sécurité sociale universel, financé par les impôts, n’a pas non plus été mis en place. Les questions de l’égalité des sexes et de l’environnement n’ont pas été abordées lors de l’élaboration du budget ».

Tout à côté, « le Chili a besoin de réformer profondément son système fiscal régressif basé notamment sur des impôts indirects qui, comme dans le cas de la TVA (la principale source des revenus fiscaux), sont payés de manière indistincte par toute la population. Dans le but de créer des conditions appropriées pour financer une politique nationale de développement, cette réforme devrait viser à  retenir dans le pays les bénéfices excessifs des grandes entreprises cuprifères au Chili ». Néanmoins, la nouvelle stratégie du Gouvernement est de « faciliter les conditions pour l’expansion du capital et de l’investissement pour l’exploitation des ressources naturelles y compris les incitations fiscales pour les sociétés minières privées, dans un système fiscal régressif ».

Même chose au Kenya, la requête principale des watchers locaux est que le Gouvernement établisse une politique fiscale qui stabilise l’économie et qui change à la fois « le montant et la structure des impôts et des dépenses, ainsi que la distribution de la richesse (…) D’autre part, le financement du développement doit être accompagné de la réforme démocratique. Le processus devrait défier la logique centralisatrice du pouvoir, naissant d’un débat public soucieux d’équité et de dignité. Les watchers kenyans ont joué par la suite un rôle important dans le contrôle de la transparence et de l’imparcialité du référendum constitutionnel de 2010.

À l’autre extrêmité, côté positif, après qu’un Gouvernement favorable aux réformes ait été élu au Paraguay, les watchers locaux constatent que « l’augmentation des recettes fiscales et les plans d’aide pour le développement signifient davantage de ressources pour répondre aux demandes sociales et à l’investissement en infrastructure, ainsi qu’aux engagements de la dette extérieure ». En ces circonstances favorables, se centrer sur l’extrême pauvreté n’est pas suffisant et « les efforts pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement ( OMD) doivent être accompagnés de changements dans le modèle de développement permettant une plus juste redistribution de la richesse et une plus grande protection des secteurs vulnérables ».

Pour arriver à ce que d’autres gouvernements puissent toucher leurs propres impôts, sous une forte pression internationale, le Gouvernement suisse a fait quelques concessions et le légendaire secret bancaire a commencé à tituber. Cependant, les watchers suisses signalent que « le manque de disposition de la Suisse à fournir des informations concernant les délits fiscaux demeure pratiquement le même. Bien que l’État soit d’accord avec l´ouverture des frontières à des fins commerciales, il continue à mettre des barrières pour freiner l'immigration provenant de pays non européens. La note positive est que le Conseil fédéral a élaboré une loi qui prévoit le gel et le rapatriement des actifs volés ».


La forte dépendance des industries extractives, même lorsqu’on les grève ou qu’on les nationalise, rend aussi les pays vulnérables. Au Venezuela, le rapport de Social Watch local signale que « après une période de boom économique entre 2004 et 2008 – à l´aide de la hausse des prix internationaux du pétrole - les politiques sociales du Gouvernement ont amélioré les indicateurs et les Objectifs du Millénaire pour le développement ont commencé à faire partie de l'ordre du jour officiel et du débat public. Aujourd'hui, la crise financière internationale et l’augmentation des conflits sociaux résultant de l'affaiblissement des programmes sociaux menacent les progrès réalisés ».

Le Yémen est soumis également à une « dépendance excessive de l’exportation du pétrole». Par conséquent, « la faiblesse du reste de son système de production a donné lieu à une économie incapable de répondre de façon adéquate même aux besoins alimentaires de la population. Il est indispensable de diversifier la production agricole, en tenant compte des effets sur l’environnement – surtout de l’épuisement des réserves d’eau – et de protéger et rendre plus compétitifs les produits nationaux. Sur le plan politique, des politiques plus soutenues sur la dimension de genre permettant l’intégration réelle des femmes dans la société doivent être approuvées », concluent les watchers yéménites.

Les crises signifient des occasions à saisir

L’équité de genre est un facteur d’une telle importance pour atteindre le développement social que les watchers de plusieurs pays ont dédié la totalité de leur rapport à ce sujet. En Arménie, on reconnaît au Gouvernement le mérite d’avoir élaboré des programmes et établi des organismes pour promouvoir l’équité entre les sexes. « Cependant, le manque de ressources financières, qui a déterminé quelques erreurs d’implémentation, et le manque de conscientisation de la population ont empêché l´obtention des résultats attendus ». En Iraq, le rapport national Social Watch introduit le concept de  « justice pour les femmes »  qui « signifie beaucoup plus que justice dans les tribunaux pour les délits contre les femmes et les jeunes filles ; il comprend le traitement équitable et la participation de la femme dans la négociation des conventions de la paix, la planification et la mise en pratique des opérations de paix, la création et l’administration du nouveau Gouvernement (y compris les organismes et institutions prenant en charge les besoins des femmes et des jeunes filles), le fait de leur donner accès à tout le spectre des chances éducatives, la participation à la revitalisation et à l’accroissement de l’économie, et la promotion d’une culture encourageant les talents, les capacités et le bien-être des femmes et des jeunes filles ».

La réalité au quotidien est loin du but. « La société irakienne est dominée par un environnement dangereux pour le développement et la stabilité de par la fragilité de sa situation politique et la faiblesse de l’état de droit. Les femmes irakiennes font face à des conditions difficiles, elles prennent davantage de responsabilités et relèvent de nombreux enjeux. Chaque jour des femmes et des jeunes filles sont les victimes de mariages forcés et de crimes pour des raisons « d’honneur », elles sont contraintes au suicide, subissent des  violences  physiques et sexuelles, font l’objet d’exploitation sexuelle et leur autonomie et mobilité sont limitées ».

Mais même face à une situation aussi grave il y a de la place pour l’optimisme : « les crises peuvent servir à faire tomber les barrières sociales et les coutumes des patriarches traditionnels, en fournissant des ouvertures pour la construction d’une société plus juste et équitable dans laquelle les droits de la femme seront protégés et l’égalité des sexes sera la norme dans un cadre institutionnel et social. Il faut profiter de ces possibilités non seulement pour promouvoir la réinsertion sociale mais aussi pour encourager et soutenir les nouvelles structures institutionnelles, la législation et sa mise en œuvre afin de protéger les droits politiques, économiques, sociaux et culturels ».

On assiste également à un changement de scénario au Nicaragua, qui vit une transformation démographique où, pour la première fois dans l’histoire, la population des enfants dépendants diminue rapidement en même temps que le poids des personnes en âge de travailler augmente rapidement.  Les watchers du pays ont mis en exergue  « l’opportunité historique de développement que le dénommé  bonus démographique  lui offre pour les deux prochaines décennies », à condition que le Gouvernement établisse des « politiques publiques adéquates pour garantir que les jeunes puissent entrer sur le marché du travail et qu’ils le fassent avec un bon niveau d’enseignement, de formation et de santé ». Si le Gouvernement n’investit pas maintenant dans l’éducation, après ce sera trop tard.

Les watchers de Chypre font également partie de ceux qui apportent des points de vue et des expériences optimistes. « L’île est déjà passée par toutes les étapes que la plupart des pays en développement doivent franchir à présent : régime colonial, lutte pour l’indépendance, conflits internes, invasion externe et réfugiés. Dans cette trajectoire historique, l’autonomisation de la société à travers le libre accès aux biens et aux services publics de la part de ceux qui souffrent, a été un facteur clé dans la démarche vers la récupération ». À Chypre, le nouveau Plan stratégique national pour 2011-2015 défie le statu quo actuel quant aux tendances de développement. Les principaux centres d’intérêt sont l’éducation et les associations pour ce qui est des institutions publiques et les organisations de la société civile. La coalition locale de Social Watch voit une occasion nette de « jouer le rôle de leader dans le déplacement des tendances de développement, tout en s’éloignant des politiques axées sur le marché et en s’orientant vers la justice sociale, les droits humains et l’égalité ».

Dans de nombreux rapports de pays, les inégalités, précisément, sont mentionnées comme une entrave importante pour la réalisation des objectifs de développement. En Colombie, par exemple, les watchers constatent que le pays « a connu une croissance économique considérable jusqu’en 2008 mais cela ne s'est pas traduit par une amélioration de la situation sociale.  La centralisation de la coopération internationale par le Gouvernement  constitue un obstacle pour la mise en œuvre de projets alternatifs ».

En Uruguay, malgré la crise, l’économie « a continué à croître et ses indices de pauvreté et d’indigence se sont sensiblement améliorés, grâce à des politiques sociales qui ont su profiter du moment, en subordonnant les orientations macroéconomiques aux nécessités sociales ». Cependant, les watchers pensent que « il reste des enjeux à relever tels que les pourcentages élevés de pauvreté et  d’indigence au sein des afrodescendants et la féminisation croissante du rôle de chef de ménage dans les foyers les plus défavorisés. Pour remédier à ces situations, les inégalités des sexes et/ou de race doivent prendre une place intégrale dans les politiques économiques ».

 

Au Surinam, où les objectifs économiques ont été poursuivis sans tenir compte des questions d’équité, les watchers locaux signalent « des effets contraires pour le développement car les inégalités se sont accentuées dans une société déjà vulnérable. Avec un index de pauvreté supérieur à 60 %, le pays est confronté à des problèmes tels que : le logement, l'accès aux soins, l'éducation, les inégalités des sexes. Pour atteindre une croissance et un développement durables, le pays doit arriver à un équilibre entre les intérêts des groupes ethniques et ceux de toute la nation ».

Les inégalités peuvent se fonder sur l’ethnie, le genre ou la géographie. Dans le cas du Mexique, les watchers signalent que « suivant la version officielle, le Mexique se trouve sur la bonne voie pour assurer les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) en 2015. Cependant, même si on constate des progrès dans les secteurs de la santé, l’éducation et la réduction de l´extrême pauvreté, il reste encore pas mal d’enjeux à surmonter, à savoir l’inégalité entre les régions ». Alors que la ville de Mexico affiche des indicateurs de développement comparables à ceux de certains pays d’Europe, il y a des états dans le sud du pays qui offrent des chiffres semblables à ceux des régions les moins développées du monde.

De plus, en Égypte le rapport national Social Watch insiste sur le fait que la croissance économique en elle-même n’est pas suffisante. « L’échec du pays pour garantir que la croissance économique soit accompagnée d’une amélioration du niveau de vie de ses citoyens constitue le principal enjeu que le Gouvernement devra relever dans les cinq prochaines années afin d’atteindre les OMD d’ici à 2015 »

Sans démocratie il n’y a pas de progrès

Au Salvador, qui a élu son premier Gouvernement de gauche l’année dernière, la coalition Social Watch locale fait état d’un profond engagement pour atteindre les OMD. « Le président Funes s’est engagé à travailler sur la réduction de la pauvreté et du chômage à travers un plan de relance économique globale qui inclut des mesures visant à stabiliser l’économie, augmenter l’investissement dans des projets d’infrastructure (y compris l’approvisionnement d’énergie électrique dans les zones rurales) et l’indemnisation des travailleurs et de leurs familles pour la perte de leurs emplois. Parmi les mesures innovatrices se trouvait l’extension du système de sécurité sociale aux travailleurs domestiques, dont 90 % sont des femmes ».

Tandis qu’au Salvador l’arrivée au pouvoir du Frente Nacional de Liberación Farabundo Martí (Front Farabundo Martí pour la Libération nationale) fait naître tant d’espoirs, pendant presque 20 ans en Erythrée le pays a été dirigé par un Gouvernement surgi d’un mouvement de libération, mais dont le droit à gouverner n’a jamais été confirmé par des élections libres et impartiales. Par conséquent, d’après le rapport des watchers en exil, « la répression politique pendant la première décennie du nouveau millénaire est plus flagrante  que jamais. Le Gouvernement ne cesse de frustrer les desseins économiques et de développement de la population. Vu les nouvelles sanctions imposées par le Conseil de sécurité de l’ONU au mois de décembre 2009, la récupération économique et le développement social continueront d’être des buts inaccesibles ».

Les watchers de Burma considèrent que le fait de pouvoir compter sur des institutions démocratiques et responsables est une condition sine qua non. 
« La Constitution de 2008 et les élections générales prévues pour 2010 ne feront que perpétuer le régime militaire et la stagnation générale. Le développement a besoin d’institutions transparentes, impartiales et responsables qui ne peuvent pas coexister avec les violations flagrantes des droits de l´Homme, la corruption et l'oppression politique ». Avant même qu’une quelconque tentative de lutte contre la pauvreté soit viable, à leur avis « il est nécessaire que le Conseil de sécurité des Nations Unies établisse une Commission d'enquête afin de clarifier les crimes commis » dans le pays et il faut mettre en place des institutions légales et judiciaires solides.

Un processus semblable a été amorcé en République Centrafricaine où, grâce à une « pacification politique », des démarches ont été entreprises pour relancer l’économie, faciliter l’accès aux services de santé et améliorer la sécurité ainsi qu’une meilleure gouvernance. Le processus a été très lent, selon le rapport de Social Watch, et compte tenu du point de départ vraiment critique, il sera impossible d’atteindre les OMD dans les délais établis. Néanmoins, le simple fait de laisser à la société civile la liberté de mouvement et l’espace politique nécessaire pour superviser de façon critique et rendre compte du processus, représente en soi déjà une source d’espoir.

La capacité de superviser et d’informer est considérée indispensable par les watchers de Malaisie. « Bien que les rapports du Plan officiel de Malaisie présentent une image prometteuse et mettent l’accent sur les réussites sans reconnaître les échecs, la précision des statistiques et des évaluations du Gouvernement préoccupent toujours ». Vu le si peu de supervision et de justification des comptes concernant l’affectation des fonds des coffres de la fédération et de l’État, « il reste à voir si le programme de développement gouvernemental, notamment en faveur des groupes vulnérables, sera exécuté tel que prévu ».

Provenant d’un pays qui est en train de vivre une transition sociale et politique agitée, la plateforme nationale Social Watch au Népal résume l’opinion que partage tout le réseau quand elle affirme que « les récents progrès dans la santé, l’éducation ainsi que dans d’autres secteurs n’enlèvent en rien le besoin d’établir un accord social qui mette l’importante responsabilité du développement général entre les mains des citoyens », et il n’y a pas moyen d’arriver à ce que les multiples problèmes, qui vont du changement climatique à l’impact de la crise, des inégalités fondées sur le sexe à la corruption, la migration et la construction de la paix, puissent être traités un par un, isolément. Le besoin d’un New Deal se fait sentir à tous les niveaux.

Un programme de justice

« Si les pauvres étaient une banque, ils auraient déjà été sauvés », c’est le commentaire sarcastique prononcé par nombre de gens lorsque l’on compare l’argent supplémentaire qui serait nécessaire pour atteindre les OMD (estimé à environ USD 100 milliards annuels) aux billions de dollars déboursés au cours des deux dernières années dans les pays les plus riches pour sauver les banques en faillite et essayer de renverser les effets de la crise financière.

Dans la pratique, cependant, les moins privilégiés, autant des pays riches que des pays pauvres, sont ceux qui non seulement subissent les impacts directs de la crise en perdant leurs emplois, leurs épargnes et leurs logements, mais aussi ceux qui sont obligés de payer le sauvetage et les plans de relance par des augmentations d’impôts et des réductions de salaires et des avantages sociaux.

Dans un tel contexte, lancer un appel pour mettre en œuvre une approche « comme d’habitude », n’est pas la solution.  Une aide monétaire plus importante et de meilleures conditions commerciales pour les pays en développement constituent un impératif moral, aujourd’hui plus que jamais. Mais pour faire face aux terribles impacts sociaux et environnementaux produits par les crises multiples, il faut agir au-delà du concept des « affaires de toujours », et commencer à travailler pour obtenir un programme intégré de justice.   

  • Justice climatique (reconnaître la « dette climatique », investir en technologies propres et dans la promotion d’économies vertes générant des emplois décents).
  • Justice financière et fiscale (le secteur financier doit payer la crise qu’il a provoquée à travers un impôt sur les transactions financières [FTT, en anglais] ou par un mécanisme similaire ; il faut règlementer la spéculation et les paradis fiscaux et interrompre ou inverser la « course à la baisse » des politiques fiscales ; il faut permettre aux pays en développement d’imposer des contrôles pour défendre les flux de capital et l’espace politique).
  • Justice sociale et de genre (atteindre les OMD, promouvoir l’égalité des sexes, les services sociaux de base universels et la « dignité pour tous »).
  • Justice pure et simple (juges et tribunaux) qui exige le respect des droits sociaux fondamentaux.

 

En ce temps de crise sans précédent, il faut des leaders n’ayant pas peur d’être audacieux et innovateurs.

La philosophie qui veut que celui qui pollue doit payer le nettoyage de la saleté provoquée par son comportamente irresponsable n’est pas fondée seulement sur une question de justice et de bon sens : c’est aussi une demande politique que les dirigeants ne peuvent ignorer. De même, les citoyens du monde entier secondent l’idée que les coûts de la crise financière devraient être assumés par les acteurs financiers qui étaient soi-disant « trop grands pour échouer », mais qui ont tout de même échoué. C’est injuste et politiquement inenvisageable de prétendre que les citoyens assument tout seuls le poids de cet échec, sous forme d’impôts plus élevés et de salaires plus bas, et la détérioration de la sécurité sociale, de l’enseignement et des services de santé.

Au cours des 20 dernières années, un petit nombre de personnes (seulement 10 millions) représentant moins de la moitié de 1 % de l’humanité, ont prélevé chacun au moins USD 1 million de leurs gouvernements respectifs, et l’ont placé dans l’économie souterraine non sujette au contrôle fiscal. Cette quantité de plus de USD 10 billions  d’argent non déclaré et libre d’impôts n’est pas un trésor enterré bien à l’abri dans une crique : elle circule au contraire de façon active à travers des réseaux électroniques, spéculant contre les monnaies nationales, créant une instabilité dans le commerce mondial légitime et faisant gonfler des “bulles” financières qui engendrent à leur tour, par exemple, des distorsions des prix des produits agricoles qui mènent à la crise alimentaire.

Récupérer le contrôle sur ces forces financières sauvages qui ont un pouvoir de destruction énorme pour toutes les économies, c’est là un sujet de collaboration internationale. L’ONU est l’organe légitime pour négocier et prendre des décisions en matière de collaboration fiscale ; l’établissement d’un impôt sur les transactions financières et la mise en réserve d’une partie substantielle des ressources qu’il génère pour le développement ; réprimer efficacement les flux financiers illicites, y compris ceux qui dérivent de l’évasion fiscale à travers des « prix de transfert » et, dernière chose, mais pas la moindre, l’établissement de mécanismes justes de renégociation de la dette en ce qui concerne les dettes publiques et un renforcement de la légitimité des délais de paiements et du moratoire pour les pays en développement accablés par une crise qu’ils n’ont pas créée.

Il y a dix ans la Déclaration du millénaire avait promis « un monde plus pacifique, plus prospère et plus juste ». Social Watch s’est engagé à aider les citoyens du monde entier à exiger que leurs gouvernements rendent des comptes de cette promesse et nous espérons que les dirigeants du monde élaboreront le plan d’action pour que cela se produise.

[1]             Bolsa Familia est un programme conditionnel de transfert d’argent, destiné aux ménages les plus pauvres ayant des enfants de moins de 17 ans.

[2] “Tenir les engagements pris : bilan prospectif visant à promouvoir un programme d’action concerté afin de réaliser les objectifs du Millénaire pour le développement d’ici à 2015”,  document A/64/665 de l’Assemblée Générale, Nations Unies 2010.

[3] Sakiko Fukuda-Parr and Joshua Greenstein, “How should MDG implementation be measured: Faster progress or meeting targets?” Centre international des politiques pour la croissance inclusive - PNUD, Document de travail numéro 63, mai 2010.

[4] George Gray Molina y Mark Purser, “Human Development Trends since 1970: A Social Convergence Story”,  Document de Recherche sur le Développement Humain 2010/02, PNUD, 2010.

[5] Martin Ravallion, Y Shaohua Chen, “The developing world is poorer than we thought but no less successful in the fight against poverty,” Banque Mondiale, 2008; voir aussi ONU, Rapports sur les Objectifs du Millénaire pour le développement, 2009, 2010.

[6] Keeping the promise: a forward-looking review to promote an agreed action agenda to achieve the Millennium Development Goals by 2015, Rapport du Secrétaire Général, février 2010.