Privatisation des finances pour le développement: le rôle de la Banque européenne d’investissement

Antonio Tricarico (coordonnateur)
Campagna per la Riforma della Banca Mondiale (CRBM)

L’architecture des finances de l’Union Européenne (UE) pour le développement doit être renouvelée en raison des changements engendrés par la crise mondiale. La société civile a exprimé ses préoccupations au sujet de l’ambiguïté fondamentale concernant le statut d’institutions publiques comme la Banque européenne d’investissement (BEI), qui n’est manifestement pas une banque de développement régional bien qu’elle prétende financer le développement à travers des opérations d’investissement accessibles. Le risque existe que le débat destiné à repenser le rôle de l’aide de l’UE et le rôle encore plus complexe du financement pour le développement soit influencé par les approches des corporations.

Les finances européennes pour le développement se trouvent devant un dilemme. L’impact de la crise économique et financière sur les finances publiques dans la plupart des États membres de l’UE est en train d’inverser la tendance de la dernière décennie qui consistait à augmenter l’Aide publique au développement (APD)[1]. Bien que les gouvernements européens soient encore les principaux donateurs et fournissent plus de la moitié de l’APD mondiale, il est de plus en plus clair que l’UE dans son ensemble n’atteindra pas ses objectifs d’ici à 2015. Il existe également le risque que les efforts destinés à accroître la qualité et l’efficacité de l’aide, fortement soutenus par les donateurs européens dans les forums internationaux, s’avèrent vains[2].

Dans ce contexte négatif un discours nouveau et opportuniste fait son apparition dans les milieux officiels de Bruxelles et d’autres capitales européennes axé sur la nécessité d’une approche plus « holistique » de la coopération internationale et du financement pour le développement. Cette conception vise à élargir la définition de finances pour le développement afin d’inclure les activités commerciales et d’investissement, et de prioriser l’implication du secteur privé comme moteur de la croissance économique et, éventuellement, du développement en général.

À première vue, cette approche peut sembler une reformulation du type de « l’effet de ruissellement » du Consensus de Washington. Cependant, malgré le biais idéologique en faveur des marchés privés, une nouvelle perspective et une stratégie se référant à l’association entre la sphère privée et la sphère publique et des rôles réciproques de ces deux secteurs est en train de se développer. Le financement du développement n’est pas simplement considéré comme un instrument destiné à promouvoir la réforme de la politique macroéconomique dans les pays du Sud (comme cela s’est produit au cours de ces dernières décennies), mais de plus en plus comme un levier du secteur public pour mobiliser les capitaux privés. Dans le contexte de la crise économique et de l’importance renouvelée assignée par le G20 au financement pour le développement et aux institutions financières internationales comme instruments fondamentaux des finances publiques internationales, cette approche contribue également de manière décisive à soutenir le commerce européen dans le monde alors que l’activité des marchés de capitaux privés a ralenti.

Ainsi, le financement européen pour le développement court le risque de se transformer en une partie intégrale d’un plan de sauvetage à long terme visant à bénéficier le commerce européen, qui est accusé « d’assistance corporative », au lieu d’aider les pauvres des pays du Sud, qui ne sont pas responsables de la crise mais qui en souffrent l´ impact.

Participation du secteur privé

Le financement du secteur privé par les banques multilatérales de développement[3] (BMD) a décuplé depuis 1990, passant de moins de USD 4 milliards à plus de USD 40 milliards par an. Les finances du secteur privé représentent actuellement une partie importante du portefeuille global de nombreux organismes multilatéraux et constituent près de la moitié de l’APD.

Depuis le Consensus de Monterrey en 2002, les principales institutions de développement ont mis en œuvre le principe selon lequel le financement du développement devrait provenir de plus en plus des marchés internationaux de capitaux avec un rôle de plus en plus résiduel et secondaire joué par l’aide au renforcement des institutions et des compétences, en favorisant ainsi un environnement favorable aux investissements privés, tant nationaux qu’étrangers. Ces idées ont été réaffirmées lors de la Conférence de révision du financement pour le développement à Doha en décembre 2008.

Évidemment, le développement est bien supérieur aux dépenses d’aide et le secteur privé peut être un moteur essentiel pour le développement durable, mais les entreprises privées peuvent également avoir un impact négatif sur la pauvreté, les droits humains et l’environnement, notamment dans le contexte de l’investissement privé international. En outre, il convient de préciser quel secteur privé, étranger ou national, à but lucratif ou quel autre acteur doit recevoir principalement le peu d’aide publique internationale pour atteindre les objectifs de développement et dans quelles conditions cette aide doit être octroyée.

La société civile internationale a récemment souligné que l’approche des BMD concernant le secteur privé et le développement n’a pas toujours été suffisamment axée sur la promotion du développement durable et sur la réduction de la pauvreté[4]. Autant la sélection des projets par les BMD que leurs procédures de suivi et d’évaluation ont tendance à donner la priorité aux profit commercial face aux améliorations sociales ou environnementales. La croissance rapide de l’investissement du secteur financier sur le marché à travers des intermédiaires comme les banques privées ou les entreprises à capitaux privés est considérée comme particulièrement préoccupante. Les résultats de recherches récentes montrent que plusieurs intermédiaires soutenus par les BMD opèrent par le biais de centres financiers dans des paradis fiscaux et peuvent contribuer à la fuite de capitaux des pays du Sud vers le Nord[5].

Nouvelle approche

Cette tendance a abouti au niveau de l’UE à la proposition pour une approche de « l’ensemble de l’Union »[6] inspirée de l’idée promue en 2009 par le G8 sous la présidence de l’Italie d’une « approche pour l’ensemble d’un pays » Cela signifie que les contributions de l’UE au développement incluraient non seulement l’APD mais aussi les crédits à l’exportation, les garanties d’investissement et les transferts de technologie. Les instruments de promotion de l’investissement et du commerce seraient utilisés pour les investissements étrangers privés dans les pays en voie de développement comme le principal moteur du développement.

Ce type d’approche est basé sur des changements qui ont déjà eu lieu au sein du financement européen pour le développement. La « banque domestique » de l’UE, la BEI, qui depuis 1980 a augmenté lentement mais sûrement son volume d´opérations hors de l’UE, est devenue un acteur du financement pour le développement comparable à l’aide de la Commission européenne (CE) et un des principaux donateurs bilatéraux européens. La BEI peut être considérée comme une « Corporation financière internationale européenne », étant donné que son mandat consiste  à assigner des prêts dans la plupart des cas directs au secteur privé pour la mise en œuvre de projet. Dans le même temps, des institutions similaires de type bilatéral, connues comme les Institutions européennes de financement pour le développement (IEFD), offrent un soutien financier principalement aux opérations du secteur privé des pays membres à l’étranger au nom du développement et sont en train d’étendre actuellement leurs opérations et leur champ d'activités.

Les gouvernements européens ont déjà tourné leur attention vers la façon de promouvoir ce mécanisme, plutôt que vers la manière de repenser l’infrastructure de l’APD à travers des mécanismes financiers pour le développement. Une telle importance donnée au soutien de l’investissement international comme moteur principal du développement à un moment où l’UE est en train d’évaluer sa politique générale d’investissement[7] affaiblit les chances d’activer la mobilisation des ressources intérieures. Cette approche serait la solution la plus durable à long terme pour le développement de par sa capacité à réduire la dépendance des pays en voie de développement envers l’aide et l’investissement étranger et de protéger ces pays contre l’impact des crises et les chocs externes.

L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne à la fin de l’année 2009 a établi de façon structurelle les objectifs du développement, notamment la réduction de la pauvreté et son éradication à long terme, la protection des droits humains et la promotion de la démocratie, comme étant les principales cibles de l’action extérieure générale de l’UE[8]. Toutefois, la mise en œuvre du nouveau traité a ouvert une discussion plus large sur la manière de rendre opérationnelles les questions de développement dans le nouveau service d’action extérieure de l’UE, avec le rôle de conseil du Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et les politiques de sécurité récemment nommé. Par conséquent, cela a ouvert un débat sur la façon de subordonner les politiques et les objectifs de développement, définis dans le Consensus européen pour le développement[9] de 2005, aux priorités plus larges concernant le commerce, la sécurité et la géopolitique régionale. Dans ce contexte, l’utilisation à l’échelle européenne d’une partie du budget limité pour le nouveau service étranger est devenu un sujet politiquement controversé[10].

Dans ce nouveau contexte politique, l’évaluation du prêt extérieur de la BEI, qui a commencé en 2009 et devrait être achevée en 2011, a donné lieu à un débat beaucoup plus large que l’avenir des prêts bancaires aux pays en développement et a provoqué une nouvelle réflexion sur la nécessité de modifier l’architecture européenne du financement pour le développement. Il est très probable que cela devienne un motif de discorde entre la société civile et les institutions européennes (entre autres intéressés) dans les années à venir et dans les étapes qui précèdent la définition du nouveau budget de l’UE pour la période 2013-2020. Il faudrait s’intéresser davantage au débat actuel et faire des propositions audacieuses sur la façon d’éviter la privatisation croissante de la coopération européenne pour le développement en termes d’objectifs et de pratiques.

La Banque européenne d’investissement : un cas d’étude

La tâche de la BEI est de contribuer à l’intégration, au développement équilibré et à la cohésion sociale et économique des États membres de l’UE[11]. Hors de l’UE, la BEI opère sous des mandats divers. En décembre 2006, le Conseil européen a approuvé un nouveau Mandat de prêts extérieurs (MPE) de la BEI pour la période 2007-2013. Ce mandat octroie jusqu’à EUR 27,8 milliards en garanties de l’UE, c’est-à-dire une augmentation de plus de EUR 7 milliards par rapport au mandat précédent, pour assigner des prêts à des pays extra-européens, à l’exception des pays de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP).

En termes d’ACP, la BEI opère conformément à l’Accord de Cotonou entre l’UE et les 79 pays ACP qui octroie EUR1,7 milliard des fonds propres  et EUR 2 milliards à travers le Mécanisme d’investissement, un fonds financé par le Fonds européen de développement (constitué de contributions des États membres de l’UE, administré  par la CE) et géré par la BEI.

Les organisations de la société civile qui contrôlent les prêts de la BEI ont soulevé des préoccupations au cours des dix dernières années sur l’ambiguïté fondamentale concernant le statut de cette banque publique qui n’est manifestement pas une banque de développement régional, puisqu’elle finance des opérations d’investissement censées être accessibles pour le développement sans respecter les politiques et les objectifs européens de développement conformément à la loi. En bref, les prêts en dehors de l’UE se sont centrés principalement sur le financement conjoint d’opérations d’infrastructures et de projets énergétiques à grande échelle orientés vers l’augmentation de la sécurité énergétique pour l’UE et sur des interventions de développement du secteur privé, y compris le secteur financier privé des pays du Sud, de manière que la plupart des prêts ont bénéficié les entreprises européennes et les exportateurs au lieu de satisfaire les besoins des communautés locales.

Lors de l’adoption du nouveau MPE en 2006, pour la première fois sous la pression de quelques États membres de l’UE, une disposition spécifique a été incluse pour faire une évaluation à moyen terme de l’application du mandat [12]. Ces pays ont exprimé leur préoccupation au sujet du déplacement croissant du rôle de la BEI à travers l’expansion souvent inconsistante et peu claire du champ d’activités de la Banque à l’extérieur de l’UE.

Le processus de révision a également introduit deux évaluations externes dont la plus importante a été menée par un comité de direction ad hoc de « conseillers » établi par la Banque et la CE et présidé par Michel Camdessus, ancien directeur du FMI. Parmi les recommandations du rapport final[13], des préoccupations ont été exprimées concernant le fait que les politiques de l’UE ne se traduisent que de façon très limitée dans les stratégies de prêts et dans l’analyse économique et sectorielle des besoins des pays par la BEI ; que les efforts de la BEI destinés à suivre la mise en œuvre des projets, à assurer la présence locale et à faire un suivi des aspects environnementaux et sociaux semblent encore insuffisants et que la capacité de la BEI pour répondre aux exigences de son mandat dans le domaine du développement est seulement indirecte[14].

Toutefois, le rapport Camdessus rétablit finalement le soutien au secteur privé comme objectif principal de la Banque et, de façon contradictoire, il demande même une expansion significative du rôle de la BEI concernant les finances pour le développement. Pour ce faire, il a augmenté le plafond de son mandat de EUR 2 milliards (USD 2,5 milliards)  pour un nouveau mandat de financement pour le climat,  pour augmenter les investissements de la Banque au-delà de la garantie de l’UE (y compris les secteurs sociaux) et la gamme d’instruments financiers offerts et mettant en pratique des prêts à des conditions favorables avec les fonds de la BEI combinés aux subventions de l’UE.

Assistance corporative et déceptions du développement

La BEI a été fondée en tant que banque d’investissement. Il est difficile de transformer cette institution en une banque de développement en raison des difficultés à changer de culture, comme l’a clairement démontré l’exemple du FMI pendant ces dix dernières années[15].

Toutefois, un rôle important a été assigné à la BEI dans l’approche pour « l’ensemble de l’Union » depuis 2009 dans le contexte de la crise économique et financière. Étant donné le plus grand besoin de ressources et le refus des États membres d’augmenter leurs contributions à l’APD, la BEI était la seule institution capable de prêter davantage grâce à l’émission d’obligations sur les marchés de capitaux et à l’augmentation du régime de garantie communautaire pour ses emprunts à l’étranger. La société civile est très préoccupée par la proposition visant à ce que la Banque assume la responsabilité dans le domaine du développement que les États membres de l’UE n’ont pas pu assumer dans le contexte de la crise[16]. La BEI prête à des taux presque commerciaux et génère ainsi une nouvelle dette extérieure dans les pays en voie de développement. En outre, en tant que banque d’investissement, la Banque n’est pas bien placée pour donner aux pays en voie de développement une réponse holistique et significative en temps de crise. Cela est particulièrement vrai pour les pays à faible  revenu qui dépendent de subventions pour couvrir les besoins créés par la crise et qui, au pire, devraient recevoir des prêts à des conditions favorables et certainement pas des prêts à des taux commerciaux[17].

Bien que les Investissements directs étrangers (IDE) puissent contribuer aux processus de développement endogènes, cela n’est vrai que dans une certaine mesure et sous certaines conditions très spécifiques, comme cela est documenté en détail dans la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (UNCTAD)[18]. Les interventions financières anticycliques dans le contexte de la crise nécessitent une approche beaucoup plus ambitieuse qu’un simple effet de levier des finances de la BEI dans le Sud. Les tentatives actuelles visant à limiter les impacts environnementaux et sociaux négatifs sur les communautés locales sont les bienvenues, mais elles sont un piètre substitut au renforcement d’autres mécanismes plus efficaces d’aide au développement dans le cadre de l’aide européenne. Ces principes s’appliquent également en cas de la promotion des biens publics globaux, comme les finances, pour atténuer le climat général et les mesures d’adaptation. Bien que les financements pour le climat doivent rester nettement séparés de l’aide, il faut tenir compte d’une série de leçons apprises sur la façon de canaliser et de fournir l’aide pour la rendre plus efficace.

Le fait de forcer la transformation de certains prêts de la BEI en instruments financiers adéquats pour le développement par le biais de la création de liens opérationnels avec le système d’aide de l’Union européenne - Fonds européen de développement, instrument de Financement de la coopération au développement (FCD) et EuropeAid - peut-être très risqué si cela est fait à la hâte et sans garanties suffisantes prouvant que la Banque pourra se conformer aux normes de l’aide de l’UE. La nature intrinsèquement différente de ces institutions et de ces mécanismes pourrait mettre en péril les progrès encore limités réalisés grâce à l’effort au sein de l’Europe pour la mise en œuvre des priorités clés liées à l’efficacité de l’aide (parmi lesquelles se trouvent l’aptitude du pays bénéficiaire, l’alignement sur les stratégies du pays bénéficiaire et la transparence).

La BEI ne doit pas étendre son rôle à d’autres domaines du financement pour le développement, comme l’assistance technique. Dans un rapport de 2007, la Cour des comptes de l’Union a conclu que l’assistance technique de l’UE reste très inefficace[19]. Des études récentes ont montré que cette assistance est avant tout un véhicule pour soutenir des entreprises occidentales et qu’elle n’incite pas à la mobilisation des ressources efficaces dans le Sud. Au contraire, l’assistance technique doit être au moins fondée sur la demande, adaptée aux besoins du pays bénéficiaire et avoir une forte composante de renforcement des compétences[20].

À court terme, il faut appliquer des politiques strictes et non nocives pour aligner les prêts de la BEI sur les objectifs transversaux de l’UE pour le développement et sur les droits humains qui devraient guider toutes les actions extérieures de l’UE  et minimiser l’impact négatif du développement sur le terrain. Les ressources générées par la BEI, qui peuvent être alliées à des subventions, devraient être transférées à d’autres mécanismes européens existants ou à d’autres institutions financières internationales (IFI).

Architecture des finances de l’UE pour le développement

Cette recommandation implique à moyen terme la nécessité de redéfinir l’architecture globale des finances de l’UE pour le développement. Cette approche est conforme à la priorité essentielle du plan d’efficacité de l’aide pour réduire la fragmentation et les doublons entre les institutions dirigées par les donateurs.

Dans ce sens, le comité de direction des « conseillers » est allé au-delà de la compétence de son travail et a formulé des suggestions précises concernant l’intégration de la BEI dans l’architecture renouvelée des finances européennes pour le développement.
Ce comité a identifié la nécessité de développer une filiale de la BEI pour pouvoir gérer les prêts extérieurs de la Banque et en même temps agir comme « plate-forme de l’UE pour la coopération extérieure et le développement », et fournir un mécanisme de coordination intégrale fondée sur un modèle optimal pour combiner les subventions et les prêts selon le principe de confiance mutuelle entre les institutions financières.
Le comité doit être ouvert à la participation de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), du Conseil de la Banque européenne de développement et des institutions financières bilatérales européennes (notamment les IEFD) et s’assurer de l’engagement adéquat des bénéficiaires. Ce mécanisme permettrait d’accélérer les besoins identifiés par le Conseil européen à la fin de 2008[21] en ce qui concerne les directives communes pour combiner des subventions avec des prêts au niveau européen et promouvoir ainsi des ressources supplémentaires pour financer le développement.

En même temps, en ce qui concerne le moyen terme et la prochaine période budgétaire de l’UE, le rapport Camdessus met en exergue deux solutions possibles qui, alignées aux développements à court terme, vont changer profondément l’architecture des finances européennes pour le développement : la mise en place d’une « Agence européenne pour le financement extérieur » qui ferait partie des activités de financement extérieur de la BEI et des activités de financement liées aux investissements extérieurs gérées par la Commission (en excluant ainsi la plus grande partie du budget de développement de l’UE) ou la création d’une Banque européenne pour la coopération et le développement qui serait un outil très important en Europe pour mettre les activités de la Banque sous un même parapluie actionnaire avec les activités extérieures du CE et de la BERD.

Jusqu’à présent, les institutions européennes ont discuté de ces propositions de manière interne, sans prendre position publiquement. Toutefois, il existe un intérêt croissant à utiliser la BEI comme principal véhicule d’un service plus étendu d’action extérieure du CE, éventuellement en combinaison avec des ressources supplémentaires tout en préservant la centralité de l’aide financière pour le développement du secteur privé au sein de l’action globale. Pendant ce temps, les IEFD ont déclaré leur intérêt à coopérer étroitement avec la BEI et à promouvoir l’idée d’une plate-forme commune avec quelques activités pilotes dans le domaine du financement pour le climat.

La société civile estime que l’UE n’a pas besoin d’établir sa propre banque de développement[22], et n’a pas non plus besoin d’ajouter une autre BMD à celles qui existent aux niveaux mondial et régional quand il reste encore beaucoup à faire pour les réformer et améliorer leur efficacité. Jusqu’à présent, la signature d’un accord entre la BEI et les IFI a donné des résultats limités. En revanche, l’UE pourrait envisager de transférer davantage de ressources aux IFI existantes en mettant en pratique les réformes adéquates. En ce sens, les IFI doivent fixer des normes strictes de financements responsables et les gouvernements européens doivent répondre par des actions plus coordonnées et plus efficaces dans leurs commissions.

En ce qui concerne la proposition de création d’une agence, on peut se demander si l’UE aura une meilleure structuration et si elle augmentera la dimension des prêts du secteur privé pour le financement du développement en ayant recours à une partie de son budget de développement afin d’octroyer des prêts à conditions favorables au secteur privé si elle ne réalise pas un effort similaire pour améliorer la base même de l’architecture du financement du développement et ses instruments de coopération au développement.

L’avenir des finances de l’UE pour le développement

Il faudrait repenser l’architecture des finances de l’UE pour le développement à la lumière des changements importants provoqués par la crise, de la possibilité que les Objectifs du millénaire pour le développement ne se réalisent pas et des nouveaux enjeux posés par la coopération internationale et la promotion de biens publics mondiaux.

Dans cette perspective, il est essentiel de s’attaquer à la transformation de la BEI afin de canaliser les finances de l’UE pour le développement dans la bonne direction. À court terme, la BEI ne doit être qu’un véhicule d’investissement même si la portée de ses actions en dehors de l’UE devrait être limitée (autant au sens géographique que sectoriel). L’action extérieure de la BEI doit s’aligner strictement sur les objectifs généraux de l’UE pour le développement et les droits humains. En outre, les principes de l’efficacité du développement vont au-delà de l’aide et devraient également s’appliquer aux activités bancaires d’investissement bénéficiant d’un soutien public dans les pays en développement, y compris celles promues par les IEFD.

Par ailleurs, la BEI devra veiller à ce que tous les investissements aient des résultats clairs pour le développement, notamment dans les secteurs où elle est le plus active, tels que l’infrastructure, l’énergie et les industries d’extraction. En tant qu’institution publique, la BEI doit également garantir que les entreprises et les investissements qu’elle soutient respectent les normes financières les plus strictes afin de mettre fin à l’évasion fiscale et à la fuite des capitaux vers l’UE et de contribuer à ce que les actifs volés retournent dans leurs pays d’origine.

Cependant, à long terme et en commençant par la nouvelle période budgétaire 2013-2020, il faudrait trouver des alternatives institutionnelles plus efficaces que celle offerte par cette banque concernant les prêts à l’extérieur de l’UE. Notamment, il faudrait interrompre les prêts à l’Asie et à l’Amérique latine et prioriser l’augmentation de l’aide pour le développement des pays à faible revenu dans ces régions par le biais des mécanismes existants dans l’UE (FCD), les IFI et les nouvelles institutions régionales. En ce qui concerne les prêts pour l’Asie centrale, la BEI ne devrait financer que les interventions de soutien décidées par la BERD, à condition que la BEI soit déjà un actionnaire de la BERD avec la CE et les États membres de l’UE. En ce qui concerne les prêts aux régions voisines (à l’est et au sud), en tant que banque d’investissement, la BEI doit adopter une approche rigoureuse du développement et des droits de l’homme et avoir des priorités claires en ligne avec les objectifs généraux et horizontaux de l’UE pour le développement et les droits humains dans les actions extérieures.

L’efficacité des actions de la BEI et son rapport avec l’Instrument européen de voisinage et de partenariat dans ces régions doivent être réévalués avant d’adopter un nouveau mandat externe en 2013. Finalement, en ce qui concerne les prêts des pays ACP, dans le cadre de l’évaluation des mécanismes de l’investissement en 2010, la CE et les États membres devraient examiner toutes les alternatives possibles après 2013 pour gérer les ressources du Fonds européen de développement actuellement gérées par la BEI, y compris les IFI régionales, les mécanismes existants dans l’UE et d’autres mécanismes pouvant être mis en place[23].

[1] CONCORD, "Broken EU aid promises push Millennium Development Goals out of reach, says CONCORD as OECD announces aid figures", communiqué de presse, Bruxelles, 14 avril 2010.

[2] Organisation de coopération et de développement économique/Comité d’assistance au développement (OCDE/CAD), Development Cooperation Report (Paris, 2010).

[3] Agences intergouvernementales internationales ou régionales telles que la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement.

[4] Action Aid, Bretton Woods Project, Christian Aid, CRBM, European Network on Debt and Development (Eurodad) y Third World Network (TWN), Bottom Lines, Better Lives? Multilateral Financing to the Private Sector in Developing Countries – Time fora New Approach, mars 2010. Disponible sur : <www.brettonwoodsproject.org/doc/private/privatesector.pdf>.

[5] Richard Murphy, "Investment for development : derailed to tax havens",  rapport préliminaire sur l’utilisation des paradis fiscaux par les institutions financières pour le développement, préparé par IBIS, NCA, CRBM, Eurodad, Forum Syd et Tax Justice Network, avril 2010.

[6] Commission des communautés européennes, "Supporting Developing Countries in Coping with the Crisis",  Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Bruxelles, 8 avril 2009.

[7] Seattle to Brussels Network, "Reclaiming public interest in Europe's international investment policy", déclaration de la société civile sur l´avenir de la politique d´investissement international en Europe. Bruxelles, 12 mai 2010.

[8] Treaty on the Functioning of the European Union. Disponible sur : <eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2008:115:0047:0199:EN:PDF>.

[10] Cidse, Eurostep, CONCORD et Aprodev, "Lawyers reveal Ashton’s EEAS proposal breaches EU law",déclaration de presse, Bruxelles, 26 avril 2010.

[12] "Council Decision of 19 December 2006",  Official Journal of the European Union, 30 décembre 2006. Disponible sur : <www.eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2006:400:0243:0271:EN:PDF>.

[13] Michael Camdessus et al., "European Investment Bank's external mandate 2007–2013 Mid-Term Review : Report and recommendations of the steering committee of wise persons",  février 2010. Disponible sur : <www.eib.org/attachments/documents/eib_external_mandate_2007-2013_mid-term_review.pdf>.

[14] Ibid, 26.

[15] Eurodad and Counter Balance coalition, "Joint submission of the European Network on Debt and Development and the Counter Balance coalition to the Wise Persons Panel in the context of the mid-term review of the European Investment Bank's external mandate",  Bruxelles, 28 janvier 2010.

[16] Alex Wilks, Corporate welfare and development deceptions. Why the European Investment Bank is failing to deliver outside the EU (Bruxelles : Counter Balance, février 2010).

[17] Eurodad and Counter Balance coalition, op. cit.

[18] UNCTAD, "Economic development in Africa. Rethinking the role of foreign direct investment" (New York et Genève: Nations Unies, 2005) Disponible sur : <www.unctad.org/en/docs/gdsafrica20051_en.pdf>.

[19] "Special Report 6/2007 of the European Court of Auditors on the effectiveness of technical assistance in the context of capacity development",  Journal officiel de l’Union européenne, 21 décembre 2007. Disponible sur : <www.eca.europa.eu/portal/pls/portal/docs/1/673583.PDF>.

[20] Eurodad and Counter Balance coalition, op. cit.

[21] Conseil de l’Union européenne, "Framework on loans and grants blending mechanisms in the context of external assistance",  Groupe de travail des conseillers financiers, 11 décembre 2008.

[22] Eurodad and Counter Balance coalition, op. cit.

[23] Ibid.


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