L’aide doit être plus efficace

Social Watch Cameroun[1]
Collectif des ONG pour la sécurité alimentaire et le développement rural (COSADER)
Christine Andela
Centre régional africain pour le développement endogène et communautaire (CRADEC)
Jean Mballa Mballa
Governance & Entrepreneurship Consulting Group (GECOG)
Samuel Biroki

Alors que le Cameroun peut devenir un pays émergent avant le délai prévu dans le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi, souscrit en 2007, il lui sera difficile d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) pour 2015. Pour y parvenir, il devra entre autres modifier profondément sa gouvernance économique et financière et mettre l’accent sur la valorisation des compétences des hommes, des femmes, des jeunes et des adultes. Afin de rendre la gestion de l’aide internationale plus efficace, la société civile du Cameroun exige que les questions d’égalité des sexes soient prises en compte et que la coordination avec les donateurs s’améliore.

Pendant la période 2004-2009 le pays est parvenu à maintenir la stabilité politique, exception faite de la vague de contestations contre l’augmentation du coût de la vie qui s’est produite en 2008[2]. En ce qui concerne les affaires internes du pays, un processus de décentralisation politique a été amorcé ; pour ce qui touche aux relations extérieures, le transfert de la souveraineté sur la péninsule de Bakassi[3]par le Nigeria s’est déroulé de façon pacifique. De plus, les résultats obtenus en matière macroéconomique ont permis au Cameroun d’atteindre les points de décision et d’achèvement dans l’initiative de la Banque mondiale pour les Pays pauvres très endettés et, par voie de conséquence, d’accéder aux plans d’allègement de la  dette et aux nouvelles lignes de financement destinées aux programmes de développement.

Malgré ces données, le pays continue à afficher des indicateurs qui montrent de sérieux problèmes en matière de développement. Dans l’Indicateur du développement humain 2009 du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Cameroun est classé 153e sur les 182 pays considérés. D’après ce rapport plus de 57 % des Camerounais vivent avec moins de USD 2 par jour[4]. Les statistiques de la Banque mondiale montrent que le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans était, en 2008, de 142,6 pour mille nés vivants et que la mortalité des enfants de moins d’un an était de 86,2 pour mille nés vivants. L’analphabétisme atteignait, d’après les chiffres de 2001, 32 % de la population, pratiquement le double chez les femmes (40,2 %) que chez les hommes (23 %)[5]. Selon les chiffres officiels, le chômage en 2007 était de 6,2 % au niveau national et de 14,1 % en zone urbaine. L’indicateur  de sous-emploi était de 75,8 %, le secteur informel étant en même temps et de loin le principal fournisseur d’emplois (90 %)[6].

Croissance et emploi

Dans ce contexte, le Gouvernement s’est imposé des cibles à long terme qui ont été consignées dans le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE, selon son sigle en français). Il s’agit d’un plan qui prévoit la transformation du Cameroun pour 2035, par phases successives de 10 ans, en un pays émergent, démocratique et uni malgré sa diversité[7]. Le cadre de référence choisi repose sur quatre piliers :

  • Réduire la pauvreté à un seuil socialement acceptable.
  • Obtenir le statut de pays à revenu intermédiaire.
  • Se convertir en pays industrialisé.
  • Consolider le processus démocratique et l’unité nationale.

 

Dans son résumé exécutif, le DSCE se définit lui-même comme étant un cadre intégré de développement, de cohérence financière, de coordination de l’action gouvernementale et des appuis extérieurs, de consultation et de concertation avec la société civile, le secteur privé et les partenaires au développement, et d’orientation des travaux analytiques pour éclairer la gestion du développement. Ce document se compose de sept chapitres indépendants qui prévoient : a) l’examen des politiques de développement, b) la vision du développement à long terme, c) la stratégie de croissance, d) la stratégie de l’emploi, e) la gouvernance et la gestion de l’État, f) le cadre macroéconomique et budgétaire, et g) le cadre institutionnel et les mécanismes de mise en œuvre et de suivi du DSCE.

Dans le but d’accélérer la croissance, la formalisation de l’emploi et la réduction de la pauvreté, le Gouvernement a démarré sa mise en oeuvre en se fixant des objectifs concrets:

  • Élever la croissance moyenne annuelle à 5,5 % sur la période 2010-2020.
  • Diminuer le niveau d’informalité de l’emploi d’au moins 50 % pour 2020, moyennant la création de dizaines de milliers d’emplois formels dans les dix prochaines années.
  • Réduire la pauvreté monétaire, de 39,9 % en 2007 à 28,7 % en 2020.

 

Le rôle de l’Aide publique au développement

Selon les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les montants de l’Aide publique au développement (APD) envoyée au Cameroun – à travers la Banque mondiale, le PNUD et l’OCDE – ont fluctué au cours des cinq dernières années, se situant entre 5 % et 10 % du budget national[8]. On peut dire que le pays n’est pas fortement dépendant de ces ressources, si l’on tient compte du fait que le pourcentage moyen pour les pays récepteurs qui adhèrent à la Déclaration de Paris est de 12 %.

La France et l’Union européenne sont, de loin, les principaux donateurs parmi les 13 qui interviennent au Cameroun. Le Fonds européen de développement de l’UE pour 2008-2013 a été de EUR 239 millions, alors que le volume de l’aide de la France a considérablement augmenté grâce au Contrat de désendettement et de développement (C2D) signé en juin 2006 à Yaoundé pour un montant de EUR 500 millions et qui consiste en un refinancement de la France sous forme de subventions de la totalité de ses crédits de l’APD sur la période 2006-2010.

Après une très longue période pendant laquelle les donateurs et le gouvernement travaillaient chacun de leur côté, les choses ont progressivement changé au Cameroun, en particulier  grâce au programme de mise en oeuvre de la Déclaration de Paris. Pour ce faire, le Gouvernement a établi, en vue d’améliorer l’efficacité de l’aide, un mécanisme de dialogue qui réunit deux fois par an autour du Secrétaire général du ministère de l’Économie, de la planification et de l’aménagement du territoire, l’ensemble des membres du Comité des donateurs, les parlementaires et la société civile.

C’est dans le cadre de ce mécanisme que le Gouvernement et ses partenaires définissent le rôle de l’aide au développement, l’emploi et la vision du Cameroun 2035. Les débats mentionnent également les réformes que le Gouvernement doit entreprendre pour améliorer l’efficacité de l’aide.

L’OCDE a présenté en 2008 une évaluation de la situation de l’aide au Cameroun a travers une étude qui s’appuie sur les indicateurs de la Déclaration de Paris. Au vu de cette analyse, on constate qu’il faut améliorer le leadership du Gouvernement en matière de développement, alors que les donateurs doivent réussir à ce que les accords passés dans les bureaux de l’OCDE se reflètent dans une gestion plus harmonieuse lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre des projets communs et d’assumer la responsabilité mutuelle des résultats.

Quoi qu’il en soit, les projets d’investissement public ont obtenu des résultats visibles, par exemple, la construction d’infrastructures dans les villes de Yaoundé et de Douala et des routes transnationales Cameroun-Gabon-RCA. Selon une étude de l’Agence allemande de coopération technique (GTZ, selon le sigle allemand), le pays limite sa capacité de réception de l’aide bien souvent par manque de coordination et de consensus entre le Gouvernement et ses partenaires techniques et financiers quant à ce qui est des priorités. Qui plus est, des groupes de la société civile accusent les fonctionnaires publics de ne plus être motivés et d’être corrompus, incompétents et incapables de mettre en oeuvre les ambitieux programmes et projets de développement, malgré l’APD reçue.

Les principaux problèmes

L’égalité des sexes

Les indicateurs montrent que la scolarisation des filles s’est améliorée, notamment pour ce qui est de l’éducation primaire, où le rapport filles/garçons est passé de 0,83 à 0,89 entre 2001 et 2007. Simultanément une baisse a été enregistrée dans l’enseignement secondaire sur la même période, où il est passé de 0,93 à 0,86. Comme indiqué plus haut, l’analphabétisme est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. D’autre part, l’alphabétisation des femmes de 15 à 24 ans s’est maintenue stable à environ 0,88[9].

Si l’on tient compte du fait que plus de 55 % de la population économiquement active travaille dans le secteur agricole informel[10], un projet de développement durable ne peut pas éviter de considérer les besoins de ce secteur économique qui est en plus celui où la pauvreté est la plus répandue. Cependant, la considération d’égalité hommes/femmes reste encore très dépendante de la féminisation des emplois : la participation féminine dans le secteur non agricole a à peine progressé, passant de 21 % en 2006 à 22 % en 2009[11], une évolution minime qui s’explique par la lenteur du changement de mentalité sur la question de l’égalité des sexes. L’accès aux moyens de production tels que la terre, le crédit et autres technologies est plus difficile pour la femme[12].

La représentation des femmes au sein des instances de décision (entre autres, la haute administration, la représentation nationale et les collectivités territoriales décentralisées) reste  extraordinairement faible. Les femmes occupent à peine 12,5 % des ministères et seulement 13,9 % des sièges parlementaires, soit 24 députées sur 180 pour la législature 2007/2012, un recul par rapport à la législature 1988/1992, où le pourcentage était de 14,4 %[13].

Le Cameroun a atteint 51 points dans l’Indicateur de l’Égalité de genre  2009 de Social Watch, qui mesure l’écart entre les femmes et les hommes sur la base de différents indicateurs dont la valeur maximum (équité complète) est 100, ce qui le situe en deçà de la moyenne régionale subsaharienne qui est de 55 points et révèle une régression sévère depuis 2004[14].

Conformément à ces données, et au-delà des discours du Gouvernement en faveur de l’équité entre hommes et femmes, la société civile exige des actions plus concrètes qui combattent l’inégalité dans les domaines où elle subsiste. Pour ce faire il a proposé une loi qui définisse les dispositifs institutionnels et standard servant à mesurer l’évolution de la situation en matière d’égalité des sexes dans tous les secteurs lors de la mise en oeuvre du DSCE et des autres plans vers 2035. Les éléments principaux de cette proposition sont les suivants :

  • Définition de quotas de parité homme/femme, jeune/adulte et des personnes handicapées ;
  • Identification des institutions, existantes ou bonnes à créer, qui remplissent des fonctions de supervision, de direction, de mise en oeuvre, de contrôle, de suivi et de sanction.

 

Santé

Les statistiques de l’UNICEF pour 2008 situent le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans à 131 pour mille enfants nés vivants[15], ce qui indique une amélioration, très éloignée cependant de la cible prévue pour 2015. Cette amélioration a été possible grâce à une augmentation de la couverture de la vaccination contre la rougeole – 64,8 % à 78,8 % –, la promotion de l’allaitement maternel et la lutte contre les maladies infantiles et les carences alimentaires.

Entre 1998 et 2004 la mortalité maternelle avait augmenté de 430 à 669 pour 100 000 accouchements. Pour satisfaire aux OMD dans cette matière le chiffre ne devrait pas dépasser 350 morts pour 100 000 naissances[16].

Conclusion

Même si la grande majorité des OMD ne pourra pas être atteinte pour 2015, le Cameroun se convertira en un pays émergent avant le délai prévu dans le DSCE. Il devra pour cela, entre autres, modifier profondément sa gouvernance économique et financière et mettre l’accent sur la valorisation des compétences des hommes, des femmes, des jeunes, des adultes et des personnes handicapées sans aucune sorte de discrimination.

Pour que les programmes de développement puissent être mis en marche de façon plus efficace et qu’ils produisent de bons résultats il est indispensable que les fonds soient mieux gérés, ce qui requiert une plus grande coordination entre le Gouvernement et ses partenaires techniques et financiers de l’extérieur. Cela devrait commencer par l’élaboration conjointe d’une liste de priorités.

[1] La coalition nationale de Social Watch Cameroun est un réseau d’environ 15 associations. Elle a ses bases  dans Dynamique Citoyenne, un réseau qui s’étend sur les dix régions du pays.

[2] Cette année-là à Douala, la capitale économique du Cameroun, des grèves et des manifestations dans les rues ont éclaté en signe de protestation contre l’augmentation du coût des combustibles et des denrées alimentaires. Ces émeutes se sont propagées dans tout le pays.

[3] Suite à la décision d’un tribunal international en 2002, le Nigeria a cédé la péninsule en août 2008, mettant ainsi fin à une longue discorde qui avait failli mener les deux pays à la guerre en 1981.

[4] PNUD Rapport sur le développement humain 2009. Disponible sur :
< http://hdrstats.undp.org/en/countries/country_fact_sheets/cty_fs_CMR.html  >.

[5] CIA. The World Factbook. Disponible sur : <www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/cm.html>.

[6] OCDE, African Economic Outlook 2008. Disponible sur : <www.oecd.org/dataoecd/13/42/40577073.pdf>.

[7] Le DSCE s’inscrit dans les Documents de Stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP, selon son sigle en français) de deuxième génération, souvent qualifié par la société civile de restrictif  et peu efficace. Le DSCE est disponible en français sur : <www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Project-and-Operations/Cameroon%20DSCE2009.pdf>.

[8] AFRODAD. Une évaluation critique de la gestion de l’aide et de l’harmonisation des donateurs. Le cas du Cameroun (2007). Disponible sur : <www.afrodad.org/downloads/publications/Aid%20Mgmt%20Cameroon%20Final.pdf>.

[9] DSCE, p. 13. Disponible en français sur : <www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Project-and-Operations/Cameroon%20DSCE2009.pdf>.

[10] Backiny-Yetna, Prosper,  “Secteur informel, fiscalité et équité : l’exemple du Cameroun”, The African Statistical Journal, vol. 9, novembre 2009.

[11] Forum Économique Mondial, Global Gender Gap Report.

[12] DSCE, op. cit.

[13] Union interparlementaire, base de données Women in Parliaments. Disponible sur : <www.ipu.org/wmn-e/classif.htm>.

[14] Disponible sur : <www.socialwatch.org/node/11561>.

[15] UNICEF 2008. Disponible sur: <www.unicef.org/infobycountry/cameroon_statistics.html>.

[16] DSCE, op.cit.